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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 Date : 20110920


Dossier : IMM-7365-10

Référence : 2011 CF 1078

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

MBAIOREMEM FRANCIS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Les questions du poids à donner aux témoignages et de la crédibilité des témoins relèvent de la compétence de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui exerce la fonction de juge des faits lorsqu’il s’agit d’étudier un dossier de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention (Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (C.A.F.) (QL/Lexis)); par conséquent, la Cour souscrit à la position du défendeur.

 

[2]               « La "présomption" selon laquelle le témoignage sous serment d’un requérant est véridique peut toujours être réfutée » (Adu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (QL/Lexis)) et il est du ressort de la Commission de juger que certaines allégations sont contraires au bon sens. Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1448, le juge Michel Beaudry, reprenant les motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL/Lexis), a conclu :

[14]      La Commission n’a pas cru les demandeurs et a donné de nombreux exemples à l’appui de cette conclusion. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion et, à mon avis, rien ne justifie l’intervention de la Cour. À cet égard, je tiens à rappeler un commentaire fait par le juge Pratte dans l’arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL), à savoir que la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens.

 

II.  La procédure judiciaire

[3]               Le demandeur, citoyen du Tchad, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 novembre 2010 par la Commission, qui a statué qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

[4]               La Commission a jugé que le demandeur n’était pas crédible quant à des questions d’une importance capitale pour sa demande d’asile.

 

III.  Question en litige

[5]               La décision de la Commission est-elle raisonnable?

 

IV.  Analyse

[6]               C’est un principe bien accepté que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, est bien placée pour apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile. La Cour fait preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de fait de la SPR, ce qui comprend les questions de crédibilité (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.).

 

[7]               La SPR a relevé certains aspects du témoignage du demandeur qu’elle n’estimait pas crédibles et a expliqué pourquoi elle en était arrivée à cette conclusion. L’appréciation de la crédibilité constitue « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » et, lorsqu’elle rend sa décision, la SPR est autorisée à prendre en compte les incohérences, contradictions et omissions relevées dans la preuve et d’examiner cette dernière du point de vue de la logique et du bon sens (Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 43 N.R. 238 (C.A.F.); Aguebor, précité; Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.)).

 

[8]               En l’espèce, il n’était pas déraisonnable de mettre en doute le récit du demandeur. La Commission a relevé plusieurs contradictions et incohérences dans le témoignage du demandeur en plus d’observer qu’il ne répondait pas de manière franche et que son témoignage était flou.

 

[9]               La Commission n’a pas cru que le demandeur était ciblé par des rebelles, car la preuve documentaire objective démontre qu’en février 2008, les citoyens tchadiens et notamment ceux qui, comme le demandeur, vivaient à N’Djamena, ont été confrontés à cette même situation de chaos. La Commission a conclu que le demandeur s’était servi de cette preuve documentaire pour inventer une histoire étayant sa revendication.

 

[10]           Pour expliquer ce qui la faisait douter de la crédibilité du demandeur, la Commission a fait part de ses réserves quant à sa carte de membre alléguée, à son défaut de donner des précisions au sujet des frais d’adhésion et de renouvellement, à la manière dont le demandeur a fui son pays d’origine et à l’itinéraire qu’il a suivi. La Commission a également soulevé des préoccupations légitimes concernant son acte de naissance.

 

[11]           La Commission était autorisée à tirer une conclusion défavorable au sujet de la preuve qui, bien qu’elle ait été produite après le dépôt de l’exposé circonstancié du demandeur, ne remédiait pas pour autant aux lacunes fondamentales de cet exposé.

 

[12]           Considérées dans leur ensemble, les contradictions et incohérences minent sérieusement la crédibilité du demandeur. Contrairement à ce qu’affirme ce dernier, la Commission n’a pas examiné la preuve à la loupe; elle a essentiellement donné des exemples pour expliquer pourquoi elle avait conclu à un manque de crédibilité. Les exemples sont tirés de la preuve même et de l’attitude du demandeur.

 

[13]           La Commission est également autorisée à fonder sa décision sur le comportement du demandeur à l’audience. En ce qui concerne la crédibilité du demandeur, son aptitude à répondre aux questions avec franchise et clarté ainsi que la cohérence et l’uniformité de ses réponses sont soumises à l’appréciation de la Commission; par conséquent, la Cour doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions tirées en matière de crédibilité (Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1107 (C.A.F.); Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 907 (C.A.F.) (QL/Lexis)).

 

[14]           Dans l’arrêt Wen, précité, la Cour d’appel fédérale précise que la Commission, à qui il est donné de voir et d’entendre le demandeur, est mieux placée que la Cour pour apprécier la crédibilité d’un témoignage. Dans ses motifs, le juge Stone écrit :

[3]        Cela dit, pour conclure à la non-crédibilité de l’appelante, la Section du statut s’est également fondée sur le fait que les réponses formulées par l’appelante étaient [traduction] « équivoques » et « évasives ». La Cour, qui n’a pas à sa disposition les éléments dont pouvaient disposer les juges du fait, n’a pas à s’immiscer dans l’appréciation que ceux-ci ont porté sur le comportement ou l’attitude de telle et telle personne. (Voir Clarke v. Edinburgh Tramways Co. [1919] S.C. 35 (H.L.) citée dans Fletcher c. Manitoba Public Insurance Company (1990) 116 N.R. 1 (C.S.C.), aux pp. 12-13.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]           La Commission était autorisée à signaler l’absence de crainte subjective de la part du demandeur, compte tenu de la preuve et du fait qu’il ait tardé à présenter sa demande d’asile. Le demandeur est arrivé aux États-Unis le 14 avril 2008 muni d’un visa américain; il n’a pas revendiqué le statut de réfugié. Il a pris un autocar qui l’a conduit à New York, puis un autre jusqu’à Buffalo, et c’est le 29 avril 2008, à Fort Erie, en Ontario, qu’il a demandé l’asile. La Commission a eu raison de conclure que ce retard ne cadrait pas avec le comportement d’une personne craignant pour sa vie, comme l’allègue le demandeur.

 

[16]           Le retard accusé dans la présentation de la demande d’asile au Canada est un facteur supplémentaire dont la Commission a tenu dûment compte pour apprécier la crédibilité du demandeur (Skretyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1988), 47 Imm. L.R. (2d) 86 (C.F. 1re inst.); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 112 F.T.R. 9 (C.F. 1re inst.)).

 

[17]           Ayant estimé que le récit n’était pas crédible, la Commission pouvait à bon droit n’accorder aucune valeur probante aux documents déposés par le demandeur; par conséquent, elle a jugé que la lettre remise par l’« Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad » et celle obtenue d’un prêtre étaient intéressées, au même titre que les photographies prises plus de deux ans après les événements allégués. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence (R. c. Abbey, [1992] 2 R.C.S. 24).

 

[18]           La Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve. Le fait qu’elle n’ait pas évoqué chacun des éléments de preuve dont elle disposait dans son analyse ne signifie pas qu’elle en a ignoré certains (Woolaston c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1973] R.C.S. 102; Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 315 (C.A.F.); Florea c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL/Lexis)).

 

[19]           Dans l’arrêt Sheikh, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut pouvait s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

[20]           Cette décision de la Cour d’appel fédérale a été reprise dans l’arrêt Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, [2002] 3 C.F. 537. Dans cette affaire, le juge Evans écrit :

[29]      […] comme le juge MacGuigan l’a reconnu dans l’arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu’il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s’appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           La décision de la Commission satisfait au critère du caractère raisonnable, car la démonstration y est faite de l’absence de crédibilité de la part du demandeur.

 

V.  Conclusion

[22]           Puisqu’il ne fait aucun doute que la Commission a fondé ses conclusions sur la preuve, qu’elle les a appuyées par des motifs circonstanciés et raisonnables et qu’elle pouvait raisonnablement en arriver à ces conclusions, celles-ci ne peuvent être jugées déraisonnables et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Les conclusions de la Commission sont raisonnables, compte tenu de l’analyse qu’elle fait.

 

[23]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7365-10

 

INSTITUTLÉ :                                  MBAIOREMEM FRANCIS c. LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Anne Renée Touchette

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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