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Date : 20110926

Dossier : IMM‑414‑11

Référence : 2011 CF 1095

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

CATHY DEYMIA FRANCIS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Cathy Deymia Francis est venue au Canada pour échapper à la violence familiale à Sainte‑Lucie. Sans remettre en question la véracité des allégations de violence physique et sexuelle grave dont a usé le compagnon de Mme Francis sur celle‑ci, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de Mme Francis pour le motif que l’État de Sainte‑Lucie pouvait lui offrir une protection suffisante.

 

[2]               À la conclusion de l’audience, j’ai avisé les parties que j’accueillerais la présente demande, car j’estimais que les motifs fournis par la Commission pour rejeter la demande de Mme Francis étaient insuffisants. Voici les motifs pour lesquels je suis parvenue à cette conclusion.

 

Le contexte

 

 

[3]               Mme Francis a subi plusieurs fois les agressions physiques et sexuelles de son compagnon entre juillet 2008 et mars 2010. Plusieurs de ces agressions lui ont causé des blessures corporelles graves.

 

[4]               Mme Francis déclare qu’un jour, après avoir été brutalisée de façon particulièrement violente, elle est allée dénoncer l’agression au poste de police. On lui a alors dit que l’agent avec qui elle traitait devait s’occuper d’affaires plus pressantes et qu’elle devrait [traduction] « rentrer à la maison et manifester son amour à [son] homme et que tout irait bien ». Elle dit qu’elle a quitté le poste de police en pleurant, ne sachant plus quoi faire.

 

[5]               À la suite à une seconde tentative en vue d’obtenir le secours de la police, Mme Francis a finalement obtenu une injonction du tribunal de la famille. Cette injonction n’a toutefois pas empêché le compagnon de Mme Francis d’aller chez elle et de la séquestrer pendant une semaine, au cours de laquelle il l’a agressée et lui a infligé des brûlures à la main avec de l’huile brûlante. Durant le sommeil de son compagnon, Mme Francis a finalement réussi à appeler son fils, qui a contacté la police.

 

[6]               Lorsque la police est arrivée, le compagnon de Mme Francis avait quitté la maison. Selon Mme Francis, le policier n’a fait que lui conseiller d’appeler la police si elle voyait son compagnon dans les environs. Mme Francis a téléphoné plusieurs fois à la police pour faire un suivi et s’informer de ce qui se passait, mais il ne semble pas qu’il y ait eu enquête sur ses allégations et son compagnon n’a jamais été arrêté ou accusé.

 

Analyse

 

 

[7]               Les motifs de la Commission consistent en douze paragraphes. Les six premiers paragraphes donnent des renseignements sur le contexte factuel et identifient la protection de l’État comme étant la question déterminante en l’espèce. Le paragraphe sept consiste en un extrait de trois pages à simple interligne d’une réponse de la CISR à une demande d’information sur la protection offerte aux femmes par l’État à Sainte‑Lucie. La Commission traite de la protection de l’État aux paragraphes huit à dix de ses motifs et elle énonce sa décision dans les deux derniers paragraphes.

 

[8]               Le paragraphe huit contient la conclusion de la Commission selon laquelle les femmes battues de Sainte‑Lucie ont accès à des mécanismes de protection de l’État. Voici l’intégralité de ce paragraphe :

Un État n’a pas à fournir une protection parfaite à ses citoyens et, malgré le caractère ambivalent des renseignements contenus dans les éléments de preuve documentaire précités, je constate, selon la prépondérance des probabilités et les éléments de preuve mentionnés ci-dessus, que Sainte‑Lucie dispose à tout le moins de mécanismes de protection adéquats destinés à ses citoyennes.

 

 

[9]               Mme Francis soutient que la Commission n’a fait rien de plus qu’une analyse [traduction] « universelle ». Je ne suis pas d’accord. La Commission n’a fait absolument aucune analyse. Tout ce que la Commission a fait a consisté à couper et à coller dans sa décision un long extrait des renseignements sur la situation générale du pays, puis à formuler une conclusion.

 

[10]           Les renseignements sur lesquels la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle les femmes victimes de violence familiale peuvent se prévaloir d’une protection adéquate de l’État à Sainte‑Lucie étaient contradictoires. Quoique certaines portions du document donnent à penser que la police prend au sérieux les plaintes de violence familiale, d’autres portions du même document mettent en question le caractère adéquat de la protection de l’État.

 

[11]           Par ailleurs, certaines parties de la réponse à la demande d’information, qui ont été citées dans la décision de la Commission, tendent en fait à indiquer que la police de Sainte‑Lucie est peu encline à enquêter sur les individus impliqués dans la violence familiale et à les poursuivre et que les femmes battues et leurs familles ne peuvent compter que sur peu de ressources.

 

[12]           Tout en reconnaissant que la preuve dont elle disposait avait en effet un « caractère ambivalent », la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle jugeait opportun de donner plus de poids aux parties de la réponse à la demande d’information qui étaient favorables à la thèse du caractère adéquat de la protection de l’État plutôt qu’à celles qui étaient favorables à la thèse contraire. En fait, il n’y a aucune analyse sur le caractère adéquat de la protection de l’État qui est offerte aux femmes battues à Sainte‑Lucie. Pour cette raison, les motifs de la Commission sont clairement insuffisants.

 

[13]           Aux paragraphes neuf et dix de sa décision, la Commission examine ensuite brièvement les efforts que Mme Francis a elle‑même faits pour obtenir la protection de l’État à Sainte‑Lucie. Après avoir examiné la façon dont la police l’avait traitée, la Commission a conclu que « le fait que les autorités locales ne puissent maintenir l’ordre d’une façon efficace ne signifie pas que l’État ne protège pas ses citoyens, sauf si cette absence de protection s’inscrit dans un phénomène de plus vaste ampleur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce » [non souligné dans l’original].

 

[14]           J’ai déjà traité du défaut de la Commission d’analyser le « phénomène de plus vaste ampleur » au regard du caractère adéquat de la protection de l’État pour les victimes de violence familiale à Sainte‑Lucie. Dans la mesure où la Commission a fondé sa conclusion quant à l’insuffisance des propres efforts de Mme Francis en vue d’obtenir la protection de la police sur sa conclusion relative au « phénomène de plus vaste ampleur », les motifs sont, de manière similaire, insuffisants.

 

[15]           La question de savoir s’il convenait de s’attendre à ce que Mme Francis fasse plus d’efforts que ce qu’elle a fait pour obtenir la protection de l’État à Sainte‑Lucie dépendait de celle de savoir s’il était raisonnable de supposer qu’il y aurait protection de l’État.

 

[16]           Il n’est pas nécessaire qu’une victime de violence familiale ait fait des tentatives multiples en vue d’obtenir la protection de l’État lorsque les renseignements sur la situation générale du pays montrent que l’État en question n’est pas disposé à secourir des victimes comme la demanderesse ou qu’il en est incapable. Le fait que la Commission n’ait absolument pas tenu compte de cette question fondamentale signifie que ses motifs étaient insuffisants et que la demande doit être accueillie.

 

[17]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑414‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   CATHY DEYMIA FRANCIS c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 septembre 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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