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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110811

Dossier : IMM-422-11

Référence : 2011 CF 993

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 11 août 2011

 

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

MANUEL ALONSO BAIRES SANCHEZ,
DORA ALICIA GONZALEZ LOPEZ,
IVAN ALONSO BAIRES GONZALEZ et
VALERIA ELIZABETH GONZALEZ LOPEZ

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal, M. Baires Sanchez, est citoyen du Salvador. Il prétend que l’on mettra sa vie en danger s’il est forcé de retourner dans son pays. Plus précisément, il allègue qu’un gang appelé « Maras Salvatrucha » - également connu sous le nom de « MS », « MS-13 » ou « MSX 13 » - l’a menacé de mort pour avoir refusé de joindre ses rangs. Peu après son arrivée au Canada, en juillet 2008, il a demandé l’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               En décembre 2010, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté ses revendications, de même que les revendications dépendantes de sa conjointe de fait et de leurs enfants.

[3]               En l’espèce, la principale question en litige consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les risques dont M. Baires Sanchez a fait état sont des risques auxquels sont généralement exposés « d’autres personnes originaires [du Salvador] ou qui s’y trouvent », ainsi que l’envisage le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. Les demandeurs allèguent aussi que la Commission a commis une erreur en omettant de prendre en considération - ou en ne faisant pas état dans sa décision - d’observations écrites succinctes qu’ils lui ont envoyées peu après l’audience du 14 décembre 2010.

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les risques auxquels était exposé M. Baires Sanchez sont des risques auxquels sont exposés de façon générale d’autres personnes originaires du Salvador ou qui s’y trouvent. J’ai également conclu que le fait que la Commission ait omis de prendre en considération - ou n’ait pas fait état dans sa décision - des observations écrites susmentionnées n’est pas une erreur susceptible de contrôle. De ce fait, la présente demande sera rejetée.

I.                   Le contexte

[5]               M. Baires Sanchez a prétendu que ses démêlés avec le MS-13 ont débuté en février 2002, quand le gang a tenté de le recruter pour exécuter de [traduction] « petites tâches », comme voler et enlever des innocents. Après avoir refusé tout d’abord de se joindre au gang, il a censément été battu, menacé de mort, averti que le gang le surveillait et prévenu qu’on reviendrait le voir sous peu pour connaître sa réponse. Après avoir vécu essentiellement la même situation trois jours plus tard, il s’est caché chez ses parents jusqu’à ce qu’il prenne la fuite pour les États-Unis en mars 2002.

[6]               Il soutient qu’après son départ, des membres du gang ont continué de s’informer à son sujet et ont dit à ses parents qu’ils avaient l’intention de le tuer [traduction] « à la première occasion venue ».

II.                La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]               La Commission a commencé son analyse en rejetant brièvement la revendication que M. Baires Sanchez avait fondée sur l’article 96 de la LIPR, après avoir conclu que ce dernier avait été victime d’actes criminels, plutôt que de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social.

[8]               Quant à la revendication fondée sur l’article 97 de la LIPR, la Commission a fait référence à des preuves documentaires concernant la fréquence des actes de violence mortels qui surviennent au Salvador, surtout aux mains de membres de gang. Elle a fait remarquer aussi que M. Baires Sanchez avait : (i) déclaré que les actes de violence et de criminalité du MS-13 sont généralisés au Salvador et (ii) fourni une preuve documentaire à l’appui de ce fait. Après avoir passé en revue certains des éléments de preuve documentaires connexes, la Commission a conclu que les risques auxquels était exposé M. Baires Sanchez étaient à la fois personnels et généralisés, en ce sens qu’il s’agissait de risques auxquels tous les Salvadoriens étaient exposés de façon générale. Elle a donc rejeté la revendication fondée sur l’article 97.

[9]               La Commission a ensuite rejeté les revendications dépendantes de la conjointe de fait de M. Baires Sanchez et de leurs enfants.

III.             La norme de contrôle applicable

[10]           La question que les demandeurs ont soulevée en rapport avec la façon dont la Commission a évalué leurs revendications fondées sur l’article 97 de la LIPR est une question mixte de fait et de droit (Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, aux paragraphes 9 à 11), et les questions de cette nature sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 55). Il en est de même de la façon dont la Commission interprète les mots suivants : « alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas », au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR (Guifarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, aux paragraphes 13 à 19).

[11]           La question que les demandeurs ont soulevée à propos du fait que la Commission n’a pas pris en considération des observations écrites qu’ils ont envoyées peu après l’audience revient à savoir si la Commission a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait, ainsi que le prévoit l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46). Dans la mesure où les demandeurs ont également laissé entendre que leurs observations écrites n’ont même pas été transmises au commissaire qui a présidé l’audience lors de laquelle ils ont présenté leur demande, il s’agirait là d’une question d’équité procédurale à laquelle la décision correcte s'appliquerait comme norme de contrôle (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 79; Khosa, précité, au paragraphe 43).

IV.              Analyse

A.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les risques qu’allègue M. Baires Sanchez sont des risques auxquels sont généralement exposés d’autres personnes originaires du Salvador ou qui s’y trouvent?

[12]           Les demandeurs sont d’avis que la Commission a commis une erreur en concluant que les risques auxquels s’exposera M. Baires Sanchez s’il doit retourner au Salvador sont des risques auxquels sont généralement exposés tous les Salvadoriens. Je ne suis pas d’accord.

[13]           À l’appui de leur position, les demandeurs se fondent sur la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, où mon confrère, le juge de Montigny, a annulé une décision de la Commission parce que cette dernière : (i) avait omis de prendre en considération la preuve du demandeur selon laquelle il avait été exposé personellement à un risque et (ii) avait conclu de manière déraisonnable que le risque auquel il serait exposé s’il retournait au Salvador était le même que celui auquel était exposée toute autre personne présente dans ce pays (décision Pineda, précitée, aux paragraphes 8 et 13 à 17). Cependant, en l’espèce, la Commission a traité explicitement des allégations de risque personnel soulevées par M. Baires Sanchez et a conclu que ce risque était à la fois personnel et généralisé.

[14]           Depuis la date à laquelle a été rendue la décision Pineda, précitée, la Cour a eu l’occasion de revenir à plusieurs occasions sur la distinction qui existe entre un risque personnalisé et un risque généralisé. Certaines de ces occasions mettaient en cause des faits qui ressemblent davantage à ceux dont il est question en l’espèce qu’à ceux dont il était question dans l’affaire Pineda, précitée.

[15]           Par exemple, dans Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, la juge Tremblay-Lamer a expressément traité du second des deux éléments conjonctifs qu’envisage l’alinéa 97(1)b)(ii), et ce, dans des circonstances où le premier de ces deux éléments (le risque personnel) avait été établi. À cet égard, elle a fait remarquer ce qui suit :

[18] La difficulté qui se présente lors de l’analyse d’un risque personnalisé dans des cas de violations généralisées des droits de la personne, de guerre civile et d’États défaillants est la détermination de la ligne de séparation entre un risque qui est « personnalisé » et un risque qui est « général ». Dans ces situations, la Cour peut se trouver en présence d’un demandeur auquel on s’en est pris dans le passé, et auquel on pourra s’en prendre à l’avenir, mais dont la situation qui comporte un risque est similaire à celle d’une partie d’une population plus large. Ainsi, la Cour est en présence d’un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus.

 

 

[16]           La juge Tremblay-Lamer a ensuite conclu que, dans l’affaire dont elle était saisie, le demandeur courait un risque auquel faisaient généralement face les autres personnes qui se trouvaient à Haïti ou qui venaient de ce pays, parce que « [l]e risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens ». Et, a-t-elle ajouté : « [b]ien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence » (décision Prophète, précitée, au paragraphe 23).

[17]           Reconnaissant qu’un risque nettement plus élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population peut néanmoins être qualifié de risque généralisé, la juge Tremblay-Lamer a fait remarquer que l’on avait adopté cette approche dans les décisions suivantes : Osorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459, au paragraphe 26; Cius c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1, au paragraphe 23; Carias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602, aux paragraphes 23 à 25. Cette approche a depuis été suivie dans les décisions suivantes : De Parada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, au paragraphe 22; Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, aux paragraphes 15 et 16; Guifarro, précitée, aux paragraphes 30 à 33; Gabriel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1170, au paragraphe 20; Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 345, au paragraphe 39.

[18]           Dans la décision Osorio, précitée, la juge Snider a déclaré qu’il n’y a rien au sous-alinéa 97(1)b)(ii) qui oblige la Commission a interpréter le mot « généralement » comme s’appliquant à tous les citoyens et, a-t-elle ajouté : « [l]e mot “généralement” est communément utilisé dans le sens de “courant” ou “répandu”. Le législateur a délibérément choisi d'utiliser le mot “généralement” dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c'est le cas ici, je ne vois pas le besoin d'intervenir. » La juge Snider a ensuite décidé qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le risque auquel faisait face le demandeur principal dans cette affaire était « général » car « [i]l est difficile d’imaginer un groupe, à l’intérieur d’un pays, qui soit plus important ou considérable que le groupe formé par les “parents” » (décision Osorio, précitée, au paragraphe 25).

[19]           Les demandeurs ont demandé à la Cour de faire une distinction entre leur situation et les décisions susmentionnées car la Commission a conclu que le risque auquel s’exposerait M. Baires Sanchez était un risque « auquel est généralement exposée toute la population du Salvador » (non souligné dans l’original), plutôt qu’uniquement le sous-groupe formé des « jeunes hommes ». Ils ont soutenu que cette conclusion ne repose pas sur la preuve.

[20]           Je ne suis pas d’accord.

[21]           Quand on lit la décision de la Commission dans son ensemble, il est manifeste que cette dernière a conclu que le risque auquel sont exposés les jeunes hommes au Salvador lorsqu’ils repoussent les efforts que fait le MS-13 pour les recruter est un risque de violence qui est essentiellement du même type que celui auquel sont généralement exposés les habitants de ce pays qui n’obtempèrent pas aux demandes de ce gang. Par exemple, après avoir signalé que M. Baires Sanchez avait dit qu’il craignait d’être tué par le MS-13, la Commission a fait remarquer, au paragraphe 12 de sa décision, que « la possibilité d’être victime d’un acte violent ou criminel commis par des gangs de criminels ou par des groupes du crime organisé au Salvador est un risque auquel sont généralement exposés tous les citoyens et les résidents du Salvador. » Après avoir passé en revue une partie de la preuve documentaire décrivant, notamment, le large éventail d’actes de violence et d’autres activités criminelles auxquelles se livre le MS-13, la Commission a essentiellement réitéré cette observation, et elle a fait un parallèle avec le risque de violence dont il était question dans l’affaire Prophète, précitée. Plus loin, au paragraphe 18 de sa décision, la Commission a réitéré que « [l]a nature personnelle des conséquences vécues par le demandeur d’asile et sa famille constitue une escalade de menaces et d’actes violents découlant du refus du demandeur d’asile de se joindre au gang ».

[22]           La preuve documentaire que la Commission a examinée signale notamment que les actes de violence perpétrés par le MS-13 au Salvador comprennent le meurtre, l’extorsion, le viol et le vol. Elle a également cité une estimation selon laquelle, dans ce pays, plus de 25 000 personnes appartiennent à des gangs de rue et que, au Salvador, le MS et le Mara 18 comptent entre 10 000 et 13 500 membres. De plus, elle a fait référence à trois affaires dans lesquelles la Cour a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle les risques auxquels faisaient face les victimes du Maras Salvatrucha étaient de nature généralisée.

[23]           À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure, après avoir jugé que les actes de violence du gang Maras Salvatrucha sont un risque auquel sont largement exposés les habitants du Salvador, que le risque auquel faisait face M. Baires Sanchez est un risque auquel sont généralement exposés d’autres personnes se trouvant au Salvador ou venant de ce pays, comme l’envisage le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. Le fait que la raison particulière pour laquelle M. Baires Sanchez puisse être exposé à ce risque diffère peut-être de la raison particulière pour laquelle d’autres personnes y sont exposées importe peu, car : (i) la nature du risque est la même, c’est-à-dire des actes de violence (dont le meurtre) et (ii) le motif du risque est le même, c’est-à-dire le fait de ne pas obtempérer aux exigences du MS-13, qu’il soit question, notamment, de joindre les rangs de cette organisation ou de verser les sommes d'argent exigées. Comme la Commission l’a reconnu avec raison : « [i]l n’est pas nécessaire que chaque personne soit exposée à un tel risque de façon similaire ».

[24]           Cela dit, la Commission a bel et bien reconnu expressément, au paragraphe 14 de sa décision, que M. Baires Sanchez « risque davantage d’être pris pour cible, car son profil correspond à celui des personnes visées par le MS aux fins du recrutement ». Elle a essentiellement réitéré cette observation au paragraphe 23 de ses motifs. Vu les conclusions qu’elle avait tirées quant à la nature semblable de ce risque et du risque auquel étaient exposés d’autres membres de la population générale aux mains du MS-13, il n’était pas nécessaire qu’elle conclue précisément que le risque auquel étaient exposés les jeunes hommes était « courant ou répandu ». Si elle l’avait fait, sa conclusion n’aurait pas changé.

[25]           La conclusion de la Commission selon laquelle les jeunes hommes s’exposent peut-être à un risque un peu plus grave de violence aux mains du MS-13 n’était pas incompatible avec sa conclusion selon laquelle d’autres personnes originaires du Salvador ou qui s’y trouvent ne sont généralement pas exposées au risque d’une telle violence, comme l’envisage le sous-alinéa 97(1)b)(ii) (Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, au paragraphe 10; De Parada, précitée; Acosta, précitée; Cius, précitée; Guifarro, précitée; Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, aux paragraphes 34 et 35). Cela s’explique par le fait que la nature de la violence à laquelle sont exposés les jeunes hommes et la population générale est semblable, tout comme le contexte dans lequel survient le risque d’une telle violence, soit le refus d’obtempérer aux exigences du gang.

[26]           En fait, comme la preuve soumise à la Commission montrait que les jeunes hommes s’exposent à un risque généralisé d’être recrutés par le gang Maras Salvatrucha, ainsi qu’à celui d’être victimes d’actes de violence s’ils n’obtempèrent pas à ces tentatives de recrutement, il n’était pas nécessaire qu’elle conclue que le risque auquel s’exposait M. Baires Sanchez est un risque auquel s’exposaient généralement tous les citoyens et les résidents du Salvador. Au vu de la jurisprudence analysée ci-dessus, aux paragraphes 17 et 18, il aurait été raisonnablement loisible à la Commission de rejeter la demande de protection fondée sur l’article 97 de M. Baires Sanchez, parce que le risque auquel il s’exposait était un risque qui est « courant ou répandu » au Salvador, car les jeunes hommes constituent un sous-groupe important de la population générale.

[27]           Il vaut la peine de souligner que, compte tenu de la nature conjonctive du critère énoncé au sous-alinéa 97(1)b)(ii), il ne suffit pas qu’un demandeur qui sollicite une protection en vertu de l’article 97 établisse qu’il s’expose à un risque personnalisé qui s’est manifesté sous la forme de représailles croissantes et ciblées pour ne pas avoir obtempéré à des exigences qui ont peut-être été formulées au départ de façon aléatoire. Ce demandeur doit faire plus que cela et établir également que le risque que des actes de violence semblables soient perpétrés ou que des menaces soient mises à exécution n’est pas un risque auquel s’exposent de façon générale d’autres personnes qui vivent dans ce pays ou qui en sont originaires. À ce dernier égard, le demandeur doit prouver que le risque auquel il s’expose n’est pas « courant ou répandu » dans son pays d’origine, en ce sens qu’il ne s’agit pas d’un risque auquel s’expose un large sous-groupe de la population.

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en considération ou d’examiner dans sa décision les observations écrites que les demandeurs ont faites à la suite de son audience?

[28]           Au dire des demandeurs, la Commission a commis une erreur en omettant de faire référence d’une manière quelconque aux observations écrites succinctes qu’ils lui ont envoyées peu après leur audience du 14 décembre 2010. Ces observations traitaient à la fois de l’article 96 et de l’article 97 de la LIPR.

[29]           Pour ce qui est de l’article 97, les demandeurs ont fait valoir que la décision que la juge Snider a rendue dans l’affaire Osorio, précitée, a été supplantée par celle de la juge Dawson dans l’affaire Surajnarain et al c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1165, aux paragraphes 9 à 20. Dans cette décision, la juge Dawson a fait remarquer qu’il ne semblait pas que l’on avait attiré l’attention de la juge Snider sur des décisions antérieures, telles que Sinnappu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 CF 791, au paragraphe 37 (1re inst.), où la juge McGillis avait passé en revue les lignes directrices que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration avait publiées en rapport avec le second volet du critère conjonctif énoncé dans la disposition qui est aujourd’hui le sous-alinéa 97(1)b)(ii) et elle avait conclu que ce volet du critère envisageait un risque auquel étaient exposés tous les résidents ou les citoyens du pays d’origine du demandeur. La juge Dawson a ensuite fait sien ce critère, plutôt que le critère du risque « courant ou répandu » que la juge Snider avait formulé dans la décision Osorio, précitée.

[30]           À mon avis, il n’était pas déraisonnable que la Commission ne fasse pas référence aux observations écrites supplémentaires datées du 14 décembre 2010 que les demandeurs avaient déposées et, en particulier, aux décisions rendues dans les affaires Surajnarain et Sinnappu, toutes deux précitées. Cela s’explique par le fait que la Commission a adopté en fin de compte le critère même qui a été énoncé dans ces décisions-là. C’est-à-dire qu’elle a rejeté les revendications fondées sur l’article 97 des demandeurs au motif que le risque auquel s’exposait M. Baires Sanchez au Salvador est un risque auquel « toutes les personnes qui s’y trouvent sont généralement exposées » (non souligné dans l’original). La Commission a précisément exprimé ce critère à un certain nombre de reprises dans sa décision.

[31]           Cela dit, comme je l’ai signalé plus tôt, la Commission a aussi reconnu que M. Baires Sanchez « risque davantage d’être pris pour cible, car son profil correspond à celui des personnes visées par le MS aux fins du recrutement ». Comme le reconnaît la jurisprudence mentionnée ci-dessus au paragraphe 25, il n’était pas incompatible que la Commission en vienne à conclure que le risque auquel s’exposait M. Baires Sanchez était peut-être supérieur à celui auquel s’exposaient les personnes qui n’étaient pas de jeunes hommes, tout en concluant qu’il s’agissait d’un risque auquel s’exposaient généralement d’autres personnes dans son pays, ainsi que l’envisage le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. En fait, pour les raisons exposées ci-dessus au paragraphe 26, il aurait été raisonnablement loisible à la Commission de rejeter la revendication de M. Baires Sanchez qui était fondée sur l’article 97 de la LIPR, au motif que le risque auquel il s’expose est un risque auquel s’expose un sous-groupe de la population formé des jeunes hommes susceptibles d’être pris pour cible par le gang Maras Salvatrucha à des fins de recrutement (Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, aux paragraphes 38 et 39).

[32]           Les demandeurs ont soutenu de plus qu’ils ignoraient tout à fait si leurs observations écrites datées du 14 décembre 2010 avaient été reçues et lues par le commissaire qui présidait l’audience. Cela, ont-ils soutenu, était à la fois inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable.

[33]           Je conviens que la Commission a commis une erreur en n’accusant pas réception des observations écrites supplémentaires des demandeurs. Cependant, pour les motifs exposés ci-dessus aux paragraphes 30 et 31, je suis convaincu que cette erreur n’est pas importante. En bref, même s’il était vrai que ces observations supplémentaires n’ont pas été transmises au commissaire présidant l'audience et lues par ce dernier, je suis persuadé que cela n’aurait pas eu d’incidence sur les conclusions auxquelles la Commission est arrivée au sujet des revendications fondées sur l’article 97 de la LIPR (Mobil Oil Canada Ltd c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, au paragraphe 53; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949, aux paragraphes 10 et 11).

V.                 Conclusion

[34]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée

[35]           Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-422-11

 

INTITULÉ :                                       MANUEL ALONSO BAIRES SANCHEZ et al.
c. MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 AOÛT 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 AOÛT 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Robert I. Blanshay

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Canadian Immigration Lawyers

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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