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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110927


Dossier : IMM-7131-10

Référence : 2011 CF 1110

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

GALENE ANESTA CAINE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 19 novembre 2010, par laquelle une agente d’immigration (l’agente), a rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Faits

 

[3]               La demanderesse, Galene Anesta Caine, est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et-les‑Grenadines (Saint‑Vincent). Elle est arrivée au Canada le 1er mars 1997, à l’âge de 17 ans. Elle a quitté Saint‑Vincent parce que le mari de sa tante l’a violée à maintes reprises et qu’elle n’avait reçu aucune aide des membres de sa famille ou des autorités. Elle n’a jamais présenté de demande d’asile et elle soutient qu’elle n’était pas au courant de l’existence de ce processus.

 

[4]               En 2007, la demanderesse a été admise dans un refuge pour femmes violentées; c’est là qu’on lui a conseillé de présenter une demande d’asile fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Sa demande, présentée sans aide, a été rejetée en novembre 2007.

 

[5]               Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse a donné naissance à trois filles, Ashanti, en septembre 2002, Shardae, en novembre 2005, et Shaniyah, en mars 2010, qui vivent avec elle. C’est principalement la demanderesse qui s’occupe des enfants.

 

II.         Décision

 

[6]               L’agente a examiné l’intérêt supérieur des enfants et a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que le fait d’amener les enfants avec elle à Saint‑Vincent leur causerait des difficultés excessives. L’agente a reconnu que les enfants pouvaient jouir d’une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé et d’une meilleure socialisation au Canada qu’à Saint‑Vincent. Il n’y avait cependant aucune preuve d’obstacles juridiques qui empêcheraient les enfants de résider à Saint‑Vincent avec leur mère. Leurs besoins fondamentaux pouvaient être comblés dans ce pays et les enfants conserveraient leur citoyenneté canadienne. L’agente n’était pas convaincue que les enfants de la demanderesse subiraient les mauvais traitements dont la demanderesse a été victime lorsqu’elle était enfant advenant leur renvoi à Saint‑Vincent.

 

[7]               De plus, l’agente a reconnu que la demanderesse souhaitait que Shardae demeure en communication avec son père, un immigrant reçu au Canada. Même si Shardae ne pourrait pas avoir de rapports en personne avec son père si elle était renvoyée à Saint‑Vincent avec sa mère, elle pourrait néanmoins lui rendre visite lors des vacances ou demeurer en communication avec lui par téléphone ou Internet. L’agente a de plus indiqué que les éléments de preuve documentaire concernant les droits de visite consentis au père de Shardae et de Shaniyah étaient limités.

 

[8]               L’agente a fait mention des efforts déployés pendant 13 ans par la demanderesse pour s’intégrer socialement et s’établir au Canada, citant notamment sa lettre d’emploi, son inscription à un cours de lecture et d’écriture et son bénévolat. La demanderesse n’aurait aucun moyen de subsistance à Saint‑Vincent et le marché du travail n’était pas idéal, mais, lorsqu’elle est tout d’abord venue au Canada, elle avait surmonté les difficultés de s’établir dans un nouvel endroit et de trouver un emploi. Cela dénotait sa capacité à s’adapter à des situations difficiles et à les gérer. Il y avait également des membres de la famille, tels que son grand-père et des frères et sœurs, qui pouvaient lui venir en aide. Au bout du compte, l’agente n’était pas convaincue que [traduction] « les difficultés relatives à l’intérêt supérieur de ses enfants, le temps qu’elle avait passé au Canada et sa situation personnelle étaient en soi suffisants pour justifier une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire ».

 

III.       Questions en litige

 

[9]               La présente demande soulève des questions suivantes :

a)         L’appréciation de l’agente quant à l’intérêt supérieur de l’enfant était-elle raisonnable?

b)         L’examen par l’agente des difficultés passées de la demanderesse était-il raisonnable?

c)         Était-il raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse pouvait être renvoyée à Saint‑Vincent malgré son établissement au Canada?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[10]           Les décisions fondées sur des raisons d’ordre humanitaire sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (voir Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, 2008 CarswellNat 1565, au paragraphe 11). Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[11]           La Cour a également reconnu que la nature hautement discrétionnaire des décisions rendues sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire commande une grande déférence envers le décideur et qu’il existe une gamme plus vaste d’issues possibles (voir Inneh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 108, 2009 CarswellNat 239, au paragraphe 13).

 

V.        Analyse

 

Question A – L’intérêt supérieur des enfants

 

[12]           La demanderesse soutient que la décision était déraisonnable parce que l’agente a omis d’être réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de ses enfants comme l’exigeait l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CarswellNat 1124, au paragraphe 75. Elle va même jusqu’à affirmer que l’agente a seulement mentionné les lignes directrices énoncées dans l’arrêt Baker, sans les accompagner d’une analyse. La demanderesse prétend qu’à titre de citoyennes canadiennes, ses enfants ont un droit absolu à une instruction et à des soins de santé de base au Canada.

 

[13]           Toutefois, comme le fait valoir le défendeur, l’agente a bien effectué l’analyse nécessaire relative à l’intérêt supérieur des enfants. L’agente a examiné les différences possibles en matière d’éducation, de soins de santé et de style de vie pour les enfants entre le Canada et Saint‑Vincent, puisqu’elles étaient jeunes et iraient vraisemblablement dans ce pays avec leur mère, qui prendrait soin d’elles. L’agente a également apprécié la perte potentielle de rapports personnels entre la deuxième enfant et son père. Ces éléments de preuve ont été soupesés au regard de l’accès ininterrompu aux services de base à Saint‑Vincent, de la conservation de la citoyenneté canadienne et d’une variété d’autres moyens disponibles pour maintenir les rapports avec le père au Canada, qui n’est pas la personne qui s’occupe principalement de l’enfant et dont les droits de visite concernant Shardae ne sont pas clairement établis avec la demanderesse.

 

[14]           Bien que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important auquel il faut accorder un poids considérable (Baker, précité), il n’est pas déterminant (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, 2002 CarswellNat 746, au paragraphe 12). De plus, les difficultés découlant du rejet d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doivent être inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agente est chargée de décider du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi du parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, 2002 CarswellNat 3444, au paragraphe 6). Le simple fait que les enfants sont nées au Canada ne signifie pas que la demanderesse devrait obtenir une dispense exceptionnelle sans avoir démontré qu’elle se heurterait à des difficultés excessives si elle devait présenter sa demande de l’extérieur du Canada, comme le veut la procédure normale (Charles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1345, 2008 CarswellNat 4629).

 

[15]           Je suis convaincu qu’il était loisible à l’agente de conclure dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que même s’il existait des répercussions négatives pour les enfants, elles n’équivaudraient pas à des difficultés excessives.

 

Question B – L’examen des difficultés passées

 

[16]           La demanderesse soutient que l’agente n’a pas correctement examiné ses difficultés passées. Cela inclut son renvoi dans un pays où elle a été violée lorsqu’elle était enfant. Elle affirme également que l’agente n’a pas donné foi à ses préoccupations selon lesquelles ses enfants pourraient subir les mêmes mauvais traitements.

 

[17]           La demanderesse s’appuie sur la décision Perez Arias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 757, 2011 CarswellNat 2361). Dans cette affaire cependant, il n’y a pas de proposition générale concernant les difficultés psychologiques causées par le viol, la fuite et l’insécurité générale dans le pays d’origine, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse. Dans la décision Perez, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l’agent avait omis de prendre en compte les évaluations psychologiques des personnes qui tenaient compte de leurs expériences personnelles en matière d’activisme et de la persécution ultérieure dont elles avaient fait l’objet, laquelle avait notamment donné lieu à un viol.

 

[18]           Comme le défendeur l’indique clairement, l’agente a mentionné qu’elle était sensible aux mauvais traitements que la demanderesse avait subis, mais qu’il n’y avait aucune preuve que ses enfants seraient inévitablement aux prises avec les mêmes difficultés. Cette conclusion était raisonnable. Il est vrai que la demanderesse n’était pas représentée lors de l’instruction de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et que l’agente devait essayer d’obtenir des précisions relativement à des raisons possibles d’ordre humanitaire, même si celles-ci ne sont pas clairement formulées (voir Baker, précité, au paragraphe 16), mais il n’en demeure pas moins que c’est à la demanderesse qu’il incombe d’établir l’existence de ces raisons d’ordre humanitaire (voir Bacha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1382, 2008 CarswellNat 5456).

 

Question C – L’établissement au Canada

 

[19]           La demanderesse soutient de plus que l’agente a omis d’évaluer correctement son établissement au Canada en tant que motif de principe. Elle s’appuie sur la décision Knyasko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 844, 2006 CarswellNat 1890, aux paragraphes 6 et 7, dans laquelle la Cour a conclu que l’agent aurait dû tenir compte des liens des demandeurs avec le Canada qui militaient en faveur de leur demande, et non seulement de la capacité de ces personnes à réintégrer leur pays d’origine.

 

[20]           Le défendeur ne conteste pas que l’établissement au Canada est un facteur pertinent dans les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, mais il souligne qu’il n’est pas nécessairement déterminant (voir Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1054, 2009 CarswellNat 5128). L’agente a tenu compte de la situation de la demanderesse au Canada et de ses efforts pour s’établir au cours d’une période de 13 ans en l’espèce, indiquant notamment l’obtention d’un emploi, le bénévolat et les cours suivis. L’agente pouvait néanmoins conclure que la demanderesse pouvait chercher un emploi à Saint‑Vincent, tout comme elle l’avait fait au Canada, et que son renvoi ne constituerait pas une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. Le défendeur indique que la demanderesse n’a présenté aucun facteur particulier que l’agente n’avait pas estimé pertinent relativement à son établissement au Canada. Il est également utile de souligner que la Cour est réticente à récompenser des personnes pour le temps qu’elles ont vécu au Canada sans avoir le droit légal de demeurer au pays et en l’absence de circonstances échappant à leur contrôle (Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 126, 2009 CarswellNat 289, aux paragraphes 12 à 14).

 

[21]           L’agente a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait aux critères applicables à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, malgré ses efforts pour s’établir au Canada.

 

VI.       Conclusion

 

[22]           Il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse n’était pas admissible à la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agente a correctement examiné l’intérêt supérieur des enfants, les difficultés passées qu’a connues la demanderesse et son établissement au Canada et elle leur a accordé un poids approprié.

 

[23]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7131-10

 

Intitulé :                                       GALENE ANESTA CAINE c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 septembre 2011

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      le 27 septembre 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Mylvaganam Inparajah

 

Pour la demanderesse

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kumar S. Sriskanda

Avocat

Scarborough (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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