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Date : 20111004


Dossier : IMM-7032-10

Référence : 2011 CF 1130

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

AHAD VALAEI-BAKHSHAYESH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Valaei-Bakhshayesh, un citoyen iranien, est arrivé au Canada en 2004 pour demander l’asile; ce n’est pas qu’il craignait la persécution en cas de renvoi en Iran, mais plutôt qu’il craignait la persécution en cas de renvoi au Danemark. On se trouvait ainsi devant une tentative flagrante de chalandage d’asile, tentative qui n’a pas encore abouti.

 

[2]               En tant qu’Iranien, il a été déclaré par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) ne pas pouvoir revendiquer l’asile parce que l’asile lui avait déjà été accordé au Danemark. Il a alors sollicité un examen des risques avant renvoi (ERAR) au motif qu’il ne devrait pas être renvoyé au Danemark en raison des conditions alors en vigueur. La décision issue de l’ERAR a été défavorable, et sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de ladite décision a été rejetée.

 

[3]               Il a alors prétendu avoir perdu son statut au Danemark en raison de son absence prolongée de ce pays. Il a sollicité un deuxième ERAR, qui lui a été accordé, cette fois par rapport à l’Iran. La décision issue de cette demande d’ERAR a elle aussi été défavorable. Il a sollicité et obtenu l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire de cette décision. C’est de cette procédure qu’il s’agit ici.

 

[4]               J’ai décidé de faire droit à la demande de contrôle judiciaire, mais le dossier comporte de nombreuses lacunes et éléments troublants. L’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision conforme aux directives exposées ci-après. Pour situer l’affaire dans son contexte, un exposé chronologique des événements s’impose.

 

EXPOSÉ CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS

 

1979-1984

 

[5]               M. Valaei-Bakhshayesh servait dans l’armée de l’air iranienne.


1979

 

[6]               Le shah d’Iran était déposé.

 

1984

 

[7]               M. Valaei-Bakhshayesh quittait l’Iran pour la Turquie, parce que, selon les allégations, il ne pouvait plus accepter les politiques du nouveau régime. Incapable d’obtenir un statut en Turquie, il était dirigé vers le Danemark par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Il a été déclaré réfugié au sens de la Convention et a fini par obtenir le statut de résident permanent au Danemark.

 

24 mars 2004

 

[8]               M. Valaei-Bakhshayesh arrivait au Canada et y demandait l’asile.

 

22 novembre 2006

 

[9]               Deux ans et demi plus tard, sa demande d’asile était jugée irrecevable, conformément à l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Cette disposition prévoit qu’un demandeur d’asile ne peut s’adresser à la Section de la protection des réfugiés de la CISR si la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays « vers lequel il peut être renvoyé ». [Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Le dossier ne montre pas qu’il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

 

27 avril 2009

 

[11]           Encore deux ans et demi plus tard, une décision défavorable d’ERAR était rendue pour ce qui concernait le Danemark.

 

27 novembre 2009

 

[12]           La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable d’ERAR était rejetée.

 

16 octobre 2010

 

[13]           M. Valaei-Bakhshayesh obtenait un deuxième ERAR au regard de son éventuel renvoi en Iran. La décision issue de cet ERAR a elle aussi été défavorable et c’est elle qui fait l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION DÉFAVORABLE ISSUE DE L’ERAR

 

[14]           Je suis d’avis que, en tant que décision autonome, la décision issue du deuxième ERAR était déraisonnable. Le fondement de la demande d’ERAR était un affidavit de M. Valaei-Bakhshayesh dans lequel il affirmait tout simplement qu’il avait perdu le statut de résident permanent au Danemark et qu’il serait exposé à un risque en Iran. L’agente d’ERAR écrivait ce qui suit : [TRADUCTION] « La preuve que j’ai devant moi ne montre pas que le demandeur a tenté de savoir si des voies de recours lui sont ouvertes pour le rétablissement de son statut de résident permanent au Danemark. » En réalité, il n’est pas formellement établi que M. Valaei-Bakhshayesh a perdu au départ son statut de résident permanent au Danemark ou que, fût-ce le cas, il a perdu au Danemark son statut de réfugié au sens de la Convention.

 

[15]           L’agente a cependant entrepris d’évaluer les risques auxquels serait exposé M. Valaei‑Bakhshayesh s’il devait être renvoyé en Iran.

 

[16]           Au cœur de la décision de l’agente était sa conclusion selon laquelle il n’est pas établi que M. Valaei-Bakhshayesh est recherché par les autorités iraniennes. Cette conclusion est raisonnable (la norme de contrôle étant la décision raisonnable – arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190), mais ce n’est pas la question qui aurait dû être posée. Il ne fait aucun doute qu’il n’est plus dans le collimateur des autorités iraniennes depuis plus de 25 ans. La question est de savoir comment M. Valaei-Bakhshayesh, un réfugié reconnu, serait traité à son retour. Cette analyse n’a pas vraiment été faite. Il affirme qu’il serait persécuté parce qu’il s’était engagé dans l’armée de l’air quand le shah d’Iran était encore au pouvoir. À supposer qu’il fût exposé à un risque en 1984, il fallait se demander s’il était exposé à un risque lorsque la décision issue de l’ERAR a été rendue en 2010. Il me semble que le régime iranien de 1984 aurait dû être comparé au régime de 2010.

 

[17]           Je suis donc d’avis que la décision issue du deuxième ERAR était déraisonnable.

 

ANALYSE

 

[18]           En novembre 2006, la CISR a estimé que M. Valaei-Bakhshayesh ne pouvait revendiquer la qualité de réfugié au Canada parce que cette qualité lui avait été reconnue au Danemark et qu’il pouvait être renvoyé dans ce pays. Il affirme que ce n’est plus le cas en raison de son absence prolongée du Danemark. Si cette affirmation est vraie, alors il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Quoi qu’il en soit, tout ce que dit M. Valaei-Bakhshayesh, c’est qu’il a perdu sa qualité de résident permanent. Il ne dit pas s’il a perdu ou non sa qualité de réfugié.

 

[19]           Malheureusement, la décision de 2006 de la CISR ne figure pas dans le dossier qui m’a été soumis. Cependant, les parties s’accordent pour dire que la décision d’irrecevabilité était fondée sur l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, et non sur l’article 98, qui dispose que la personne visée à la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni la qualité de personne à protéger. La section E de l’article premier dispose que la Convention ne s’applique pas à une personne considérée par le pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. Contrairement à l’article 98, l’article 101 met l’accent sur la qualité de réfugié, et non sur la qualité de résident permanent ni sur la nationalité.

 

[20]           M. Valaei-Bakhshayesh n’aurait pas dû se voir accorder un deuxième ERAR avant que son statut au Danemark ne soit clarifié. Les questions qui devraient être posées aux autorités danoises sont celle de savoir s’il a perdu dans ce pays sa qualité de résident permanent, et celle de savoir s’il a perdu sa qualité de réfugié et si un retour au Danemark lui serait refusé.

 

[21]           Il est fort possible que la décision concernant la demande d’ERAR relative à l’Iran soit devenue théorique, de même que la procédure de contrôle judiciaire se rapportant à cette décision. Ainsi, dans le cas d’une demande d’asile présentée par une personne ayant la double nationalité, si l’on arrive à la conclusion que le demandeur d’asile n’est pas exposé à un risque dans l’un des deux pays, alors il n’est pas nécessaire de s’interroger sur le deuxième pays.

 

[22]           Si les autorités ont fait preuve de diligence raisonnable, alors le dossier n’en fait pas mention. Je distingue ici la possibilité d’une grave erreur. Supposons que l’on ait jugé, dans la décision d’ERAR ici contestée, ou que l’on juge plus tard dans la nouvelle décision d’ERAR que j’ai ordonnée, que M. Valaei-Bakhshayesh serait exposé à un risque de persécution s’il devait retourner en Iran. Cela voudrait-il dire qu’il aurait le droit de rester au Canada alors même qu’il pourrait fort bien avoir le droit de retourner au Danemark? Qu’arrivera-t-il si l’on conclut, dans une nouvelle décision d’ERAR, comme on l’a fait dans la décision actuelle d’ERAR, qu’il ne serait pas exposé à un risque en Iran? S’il est fondé à retourner au Danemark, alors il y a eu un gaspillage considérable de temps, de ressources et d’argent. La deuxième décision d’ERAR doit donc commencer par une analyse de son droit, le cas échéant, de retourner au Danemark. S’il peut y retourner, alors l’affaire s’arrête là.

 

[23]           Il existe un certain nombre de précédents qui ne touchent pas précisément à la question qui nous intéresse ici, mais qui néanmoins mettent en relief la raison d’être de la LIPR.

 

[24]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118, 402 N.R. 154, la Cour d’appel devait se prononcer sur une décision fondée sur l’article 98 de la LIPR et sur la règle d’exclusion contenue dans la section E de l’article premier. Les demandeurs, des citoyens chinois, avaient la qualité de résidents permanents au Chili, une qualité qu’ils prétendaient avoir perdue.

 

[25]           S’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, la juge Layden-Stevenson faisait observer, au paragraphe 19, que « la recherche du meilleur pays d’asile est incompatible avec l’aspect auxiliaire de la protection internationale des réfugiés ». Le ministre avait soutenu que la procédure d’asile n’est pas un moyen d’obtenir une meilleure protection quand une protection peut être obtenue ailleurs. L’une des difficultés rencontrées dans ce précédent était que, si la section E de l’article premier était appliquée à des personnes en quête du meilleur pays d’asile et dans l’impossibilité de retourner dans le tiers pays, alors il se pourrait qu’une telle personne soit renvoyée du Canada vers le pays d’origine sans qu’elle bénéficie d’un ERAR. Dans un tel cas, le Canada manquerait sans doute à ses obligations internationales.

 

[26]           Toutefois, dans le cas particulier qui nous occupe, M. Valaei-Bakhshayesh n’a pas bénéficié d’un seul ERAR, mais de deux.

 

[27]           Conscient que l’affaire concernait la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, et non l’article 101 de la LIPR, le juge Rothstein, alors juge à la Cour fédérale, illustrait, dans la décision Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 127 F.T.R. 241, [1997] A.C.F. n° 400 (QL), les principes à l’origine de la protection internationale. Dans ce précédent, la demande d’asile présentée en Suède par la demanderesse avait été rejetée, mais la demanderesse s’était vu accorder le statut de résidente permanente dans ce pays pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle avait malgré tout sollicité l’asile au Canada parce qu’elle prétendait avoir abandonné la Suède comme pays de domicile et avoir perdu son statut de résidente permanente. Le juge Rothstein s’exprimait, ainsi, aux paragraphes 8 et 9 :

 

[8]        L’avocat des requérants fait valoir que le statut que les requérants possèdent en Suède est susceptible d’expirer. Ils ne possèdent donc pas le droit d’un ressortissant visé par la section E de l’article premier de la Convention. Toutefois, suivant la preuve, comme les requérants ont obtenu le statut de résidents permanents en Suède, ce n’est que leur certificat qui doit être renouvelé périodiquement. Rien ne permet de penser que le statut de résident permanent en Suède soit sujet à une sorte d’annulation arbitraire.

 

[9]        La présente affaire soulève le problème troublant des personnes qui comparent les pays en vue de trouver celui où elles vont réclamer l’asile. Si le moyen invoqué par l’avocat des requérants au sujet du domicile était bien fondé, les requérants pourraient, de leur propre gré, rejeter la protection d’un pays en l’abandonnant unilatéralement pour un autre. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en l’espèce. L’objet de la Convention de Genève est d’aider les personnes qui ont besoin de protection et non de venir en aide aux personnes qui préfèrent tout simplement demander asile dans un pays de préférence à un autre. La Convention et la Loi sur l’immigration devraient être interprétées en tenant compte de leur objectif véritable.

 

[28]           Le juge Mosley s’est fondé sur la décision Mohamed dans Wangden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1230, [2008] A.C.F. n° 1541 (QL), appel sur une question certifiée rejeté : 2009 CAF 344, [2009] A.C.F. n° 1540 (QL). Il a jugé que la demanderesse ne pouvait pas revendiquer l’asile au Canada en application de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, la disposition même qui est en cause dans la présente affaire.

 

[29]           Un autre précédent instructif est la décision Wassiq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 112 F.T.R. 143, [1996] A.C.F. n° 468 (QL). Cette affaire concernait des demandeurs afghans qui avaient obtenu la qualité de réfugiés en Allemagne. Dix ans plus tard, ils sont venus au Canada en affirmant que leurs permis de résidence allemands avaient expiré. Comme l’écrivait le juge Rothstein :

[10]      Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le juge LaForest fait remarquer ce qui suit à la page 726 :

 

Les revendications du statut de réfugié n’ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà.

 

Je fais remarquer que si, en raison de leur absence de l’Allemagne et de leur séjour au Canada, les requérants ont effectivement le droit de renoncer à la protection de l’Allemagne et à demander celle du Canada, il s’agit là d’une anomalie. En substance, cela donne le droit aux réfugiés au sens de la Convention le droit d’émigrer où ils veulent sans se conformer aux conditions habituelles, uniquement en raison de leur renonciation unilatérale à la protection qui leur a tout d’abord été accordée par le premier pays d’asile. En fait, cela signifie qu’ils peuvent « faire du shopping de lieu d’asile » parmi les pays signataires de la Convention de Genève et « resquiller » dans les listes d’attente ordinaires pour immigrer dans le pays de leur choix. Si tel est le cas, les requérants, qui ont résidé en Allemagne pendant dix ans, peuvent simplement abandonner l’Allemagne et adopter le Canada. Ils auraient alors un droit d’émigration au Canada supérieur à celui des simples nationaux allemands. Ce n’est ni équitable ni logique.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[30]           Une version provisoire des présents motifs a été distribuée aux parties pour donner au ministre la possibilité de proposer une question grave de portée générale susceptible d’être certifiée. L’avocat du ministre a informé la Cour que le ministre ne propose pas de question à certifier, et aucune question du genre ne sera certifiée.


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision rendue par l’agente d’examen des risques avant renvoi est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’examen des risques avant renvoi pour nouvelle décision.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7032-10

 

INTITULÉ :                                       AHAD VALAEI-BAKHSHAYES c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 septembre 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 4 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph S. Farkas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neal Samson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph S. Farkas Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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