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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20111004

Dossier : IMM-541-11

Référence : 2011 CF 1127

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

EVANGELISTA ESPINEL NARANJO

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Naranjo voudrait faire annuler une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle il n’avait pas droit à l’asile car il y avait des raisons sérieuses de penser que, avant de venir au Canada, il avait commis « un crime grave de droit commun » au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

[2]               M. Naranjo est Vénézuélien. En janvier 1998, il a été reconnu coupable aux États-Unis de [traduction] « non-production d’une déclaration de transport international d’une somme d’argent dépassant 10 000 $ » (chef n° 1), puisqu’il avait plus de 1,2 M$ US dissimulés à l’intérieur de son bagage (plus exactement à l’intérieur de haut-parleurs stéréo) au moment de l’embarquement pour un vol de Miami à Caracas, au Venezuela. Il a aussi été reconnu coupable de six chefs d’[traduction] « organisation de dépôts en vue de se soustraire à la production d’une déclaration d’opération monétaire » (chefs nos 2 à 7) pour un total supérieur à 100 000 $ US au cours d’une période de douze mois. Les agents américains ont découvert une autre somme de 2 M$ US en espèces, dissimulée chez lui en Floride.

 

[3]               Le demandeur a d’abord été accusé de blanchiment d’argent et d’avoir menti aux agents. Il a décidé de collaborer avec les autorités et consenti à une transaction pénale, ce qui a donné lieu aux déclarations de culpabilité susmentionnées pour lesquelles il a été condamné à sept peines de 15 mois d’emprisonnement à purger concurremment. Il a purgé 13 mois de sa peine, puis a été confié aux autorités de l’immigration et sommé de quitter les États-Unis pour raison de criminalité.

 

[4]               Peu après son expulsion des États-Unis, le demandeur a tenté de s’introduire aux États‑Unis depuis le Mexique, puis a été renvoyé au Venezuela par les autorités des États-Unis. Il a encore une fois été renvoyé des États-Unis le 25 août 2005, alors qu’il tentait d’y pénétrer par la frontière canadienne. Le demandeur est plus tard retourné aux États-Unis sans autorisation et a été reconnu coupable le 1er novembre 2006 de [traduction] « présence illégale aux États‑Unis après en avoir été expulsé pour acte délictueux grave ». Il a été expulsé le 10 janvier 2007. Le demandeur avait semble-t-il visité le Canada plusieurs fois. Lors de sa plus récente visite, le 27 février 2010, il a présenté une demande d’asile. Il a prétendu que, en raison de ses opinions politiques, sa vie était menacée par les partisans du président Chavez au Venezuela.

 

[5]               La Commission a jugé que l’asile ne pouvait être conféré au demandeur. Elle écrivait plus précisément ce qui suit :

 

Le fait que le demandeur d’asile a d’abord été accusé d’avoir menti aux agents et d’avoir blanchi de l’argent et que, après avoir conclu une entente sur le plaidoyer avec les procureurs, il a été accusé, déclaré coupable et condamné à une peine de prison pour les crimes commis aux États-Unis mentionnés ci-haut constitue un élément de preuve prima facie suffisant pour établir qu’il y a « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada. Par conséquent, le tribunal conclut qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a commis les crimes mentionnés ci-dessus.

 

La Commission a estimé que les crimes « pour lesquels ce dernier [le demandeur] a d’abord été accusé avant de conclure une entente sur le plaidoyer avec les procureurs, étaient d’avoir menti aux agents et d’avoir blanchi de l’argent, infractions pour lesquelles une peine maximale d’au moins dix ans aurait pu être infligée si les crimes avaient été commis au Canada ». [Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Au cours de l’audience, le demandeur a fait valoir (1) que les motifs de la Commission n’indiquent pas clairement quelle(s) infraction(s) étai(en)t considérée(s) comme un (des) crime(s) grave(s) de droit commun, (2) que la Commission a conclu à tort que l’accusation d’avoir menti aux agents et l’accusation de blanchiment d’argent constituaient des « raisons sérieuses de penser » qu’il avait commis ces crimes, et (3) que la Commission n’aurait pas dû pondérer les circonstances atténuantes en se focalisant sur des infractions ultérieures aux règles de l’immigration et en n’accordant aucun poids à l’accomplissement de la peine imposée pour les chefs 1 à 7, ni à l’absence de déclaration de culpabilité pour les accusations ou imputations de mensonge aux agents et de blanchiment d’argent qui avaient été abandonnées.

 

[7]               Les dispositions législatives applicables sont les suivantes. L’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés dispose ainsi : « Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser […] [q]u’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées […] » L’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prévoit que la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[8]               Il est admis que, pour l’application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier, un « crime grave de droit commun » a le même sens que la « grande criminalité » dont parle le paragraphe 36(1) de la Loi, ainsi formulé :

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

 

 

[9]               Par conséquent, pour que la demande d’asile soit jugée irrecevable, la Commission devait avoir une raison sérieuse de penser que le demandeur avait commis aux États-Unis une infraction qui, commise au Canada, aurait constitué une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans.

 

[10]           Les parties s’accordent pour dire que le seul acte susceptible de répondre à cette définition est le crime de blanchiment d’argent, l’un des deux crimes dont le demandeur avait au départ été accusé.

 

[11]           Selon le demandeur, il est difficile de voir quel crime, d’après la Commission, satisfaisait aux exigences de la Loi puisqu’elle disait que le demandeur avait été accusé « d’avoir menti aux agents et d’avoir blanchi de l’argent ». Il affirme que la Commission a commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas penchée clairement sur l’infraction de blanchiment d’argent.

 

[12]           Après examen de la décision tout entière de la CISR, je suis d’avis que cet argument n’a aucun fondement. La Commission fait généralement référence aux deux accusations; cependant, il ressort clairement du paragraphe 25 de sa décision que la Commission sait que seule l’accusation de blanchiment d’argent satisfait aux exigences de la Loi. La Commission s’exprime ainsi :

Au départ, le demandeur d’asile a été accusé d’avoir menti aux agents et d’avoir blanchi de l’argent. Sous le régime du Code criminel, les crimes commis à l’étranger par le demandeur d’asile, à savoir le blanchiment d’argent, constituent des crimes pour lesquels une peine maximale d’au moins dix ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Il est vrai que le demandeur n’a pas été reconnu coupable du crime de blanchiment d’argent, mais la Commission a estimé qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis ce crime. Elle savait parfaitement que les infractions dont le demandeur avait été reconnu coupable ne satisfaisaient pas aux exigences de la Loi pour constituer des faits de grande criminalité. Je suis donc d’avis que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la commissaire ne s’est pas fondée sur des déclarations de culpabilité se rapportant à des infractions qui seraient punissables d’un emprisonnement maximal inférieur à dix ans si elles étaient commises au Canada.

 

[14]           Je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel la Commission a commis une erreur en se fondant sur [traduction] « de simples imputations ou accusations abandonnées pour conclure que le demandeur était exclu aux termes de l’alinéa b) de la section F de l’article premier ».

 

[15]           Je partage l’avis du défendeur pour qui il n’y a rien de fautif à prendre acte des accusations déposées, même lorsque telles accusations ne débouchent pas sur une déclaration de culpabilité, et en particulier même lorsque l’accusé a consenti à une transaction pénale menant à un abandon des accusations initiales. Dans l’arrêt Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, la Cour d’appel fédérale expliquait qu’une décision fondée sur l’alinéa b) de la section F de l’article premier est possible même si le demandeur d’asile n’a pas été reconnu coupable. Par ailleurs, dans la décision Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, la Cour fédérale a jugé que la Commission peut même, encore qu’avec prudence, se fonder sur des accusations qui ont été rejetées par un tribunal compétent.

 

[16]           À mon avis, la Commission était fondée à penser qu’une importante somme d’argent se trouvait en la possession du demandeur, que le demandeur avait été condamné à 15 mois d’emprisonnement pour les chefs 1 à 7 à la suite de sa transaction pénale et qu’il avait été au départ accusé de blanchiment d’argent. Ces faits constituent des faits qui pouvaient raisonnablement déboucher sur des « raisons sérieuses de penser » qu’il avait commis l’infraction de blanchiment d’argent. Il faut garder à l’esprit que le critère établi dans la Convention et dans la Loi est peu exigeant. Comme l’écrivait la Cour d’appel dans l’arrêt Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 56, « la Commission n’est pas tenue d’exposer de manière détaillée les éléments du crime commis et de présenter des conclusions sur ces éléments ».

 

[17]           Finalement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son appréciation des circonstances atténuantes, et il pointe notamment le propos suivant de la Commission, au paragraphe 34 de sa décision : « Compte tenu de la preuve, le tribunal estime qu’il n’y a pas de circonstances atténuantes. » Le demandeur attire l’attention, entre autres choses, sur le fait qu’il avait purgé sa peine d’emprisonnement, ce qui constitue une circonstance atténuante : Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, et Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1180 (C.A.).

 

[18]           À mon avis, la phrase qu’il cite doit être lue dans son contexte, et il ressort clairement du contexte que la Commission était parfaitement consciente que le demandeur avait purgé sa peine. Elle a néanmoins conclu qu’aucune circonstance atténuante ne suffisait à passer outre à la grande criminalité du demandeur, une conclusion que l’on peut déduire des motifs de la Commission, au paragraphe 34 de sa décision :

Le tribunal admet que le demandeur d’asile a purgé sa peine et que les crimes ont été commis il y a plusieurs années; cependant, le tribunal doit examiner le contexte global de l’affaire dont il est saisi, y compris la vie et les activités du demandeur d’asile, puisque celui-ci a commis les crimes en question. Le tribunal estime que le demandeur d’asile a d’importants antécédents de non-conformité et de fausses déclarations aux autorités concernant ses antécédents criminels aux États-Unis. En outre, le tribunal estime que le demandeur d’asile a caché des renseignements de façon constante et à plusieurs reprises, et qu’il a menti aux autorités américaines et canadiennes pendant les années qui ont suivi les déclarations de culpabilité. Compte tenu de la preuve, le tribunal estime qu’il n’y a pas de circonstances atténuantes.

 

[19]           Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur en rejetant son explication des raisons pour lesquelles il avait autant d’argent liquide aux États-Unis, explication qui, si l’on y ajoutait foi, montrerait qu’il ne se livrait pas au blanchiment d’argent. D’après son explication, cet argent appartenait à sa famille et à d’autres riches Vénézuéliens. Il avait sorti l’argent du Venezuela durant la crise bancaire de 1994-1996 afin de le mettre à l’abri pour ces riches personnes. Il croit qu’elles l’ont acquis légalement. Selon le demandeur, il retournait simplement l’argent à ses propriétaires au Venezuela lorsqu’il a été interpellé par les autorités des États-Unis.

 

[20]           La Commission n’a pas ajouté foi à l’explication du demandeur, et en particulier en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il n’avait pas cherché à récupérer l’argent puisqu’il avait été obtenu légalement. Vu l’importance des sommes en cause, la Commission a conclu que les propriétaires de cet argent au Venezuela ne seraient sûrement pas prêts à en faire leur deuil. Selon moi, il s’agissait là d’une conclusion raisonnable permettant de rejeter l’explication du demandeur.

 

[21]           Pour les motifs susmentionnés, la présente demande doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé une question susceptible d’être certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.  


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-541-11

 

INTITULÉ :                                       EVANGELISTA ESPINEL NARANJO c. 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS¸

ET DU JUGEMENT :                       Le 4 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nur Muhammed-Ally

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN, SANDALUK

Avocats

Toronto (Ontario)    

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)    

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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