Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20110928


Dossier : IMM-1727-11

Référence : 2011 CF 1106

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

HUBERT KALOMBO KABONGO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision écrite en date du 18 février 2011, rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) et rejetant la demande d’asile du demandeur. Tel qu’expliqué plus loin, les reproches de crainte raisonnable de partialité formulés à l’endroit du commissaire qui a entendu l’affaire sont fondés en l’espèce. Aussi, la Cour a décidé d’annuler cette décision et de renvoyer la demande d’asile à un autre membre du tribunal.

 

LA DEMANDE D’ASILE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC), originaire de la province du Kasaï et membre de la tribu Luba. Tel qu’il appert de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), signé le 15 septembre 2008, le fondement principal de sa demande d’asile est sa crainte de persécution à cause de ses convictions et affiliations politiques.

 

[3]               Ceci dit, le tribunal était également appelé à déterminer si le demandeur se qualifie comme un « réfugié sur place ». C’est qu’au moment où il a fait sa demande d’asile, ce dernier venait tout juste de compléter, en sa qualité de fonctionnaire du Ministère congolais des affaires étrangères et de la coopération internationale (le Ministère congolais), une période de formation au Canada. Il occupe alors un poste à la direction chargée des relations de coopération bilatérale avec les pays occidentaux et fait partie du corps des diplomates congolais en sa qualité de secrétaire de première classe : nonobstant la question de crédibilité, le non-retour du demandeur a-t-il pu être perçu par les autorités en place comme une démission brutale de son poste de diplomate, l’exposant aujourd’hui à un danger s’il retourne dans son pays?

 

[4]               Bien entendu, la crédibilité du récit de persécution était au cœur de la revendication, et donc, des préoccupations du commissaire saisi de la demande d’asile. Ainsi, un bref rappel des principaux faits allégués par le demandeur s’impose.

 

[5]               Membre militant du parti l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) depuis 1991, le demandeur dit avoir participé au recrutement de nouveaux membres et avoir occupé les fonctions de chargé de la mobilisation et de la sensibilisation des membres. De fait, l’UDPS ne reconnaissant pas les dernières élections, ses membres sont systématiquement ciblés et menacés par les autorités du régime Kabila.

 

[6]               Le demandeur précise à ce sujet qu’il a été, sans justification et contre toute attente, chassé en mai 2006 de son service et privé de trois mois de salaire. Il a été par la suite informé par l’un de ses chefs de service qu’il était sous surveillance à cause de ses activités politiques, et il a même été invité à abandonner l’UDPS s’il souhaitait maintenir ses fonctions au sein du Ministère congolais. Le demandeur allègue également qu’à deux autres occasions, en août 2007 et avril 2008, il a été empêché de voyager en Belgique dans le cadre de son travail, les services secrets du président Kabila sachant que l’UDPS est bien installée dans ce dernier pays.

 

[7]               S’agissant maintenant des évènements qui l’ont conduit à prendre la décision de présenter sa demande d’asile à l’été 2008, le demandeur affirme qu’il a été enlevé le 10 mai 2008 par des agents de services secrets, qui lui ont fait subir un interrogatoire sur ses activités politiques, l’ont torturé et menacé de mort. D’ailleurs, il a appris que son nom apparaissait sur une liste dressée par l’Agence nationale de renseignement (ANR) de personnes à éliminer au sein du Ministère congolais.

 

[8]               À preuve des sévices qu’il a endurés en RDC, le demandeur a déposé à l’audience devant le tribunal un certificat médical d’un spécialiste de la santé de Montréal, qui l’a examiné le 20 mai 2009, et qui atteste que les cicatrices aux jambes et au thorax du demandeur sont compatibles avec des marques laissées par des coups de fouet et d’armes à feu.

 

[9]               Mais au fait, comment le demandeur a-t-il pu s’y prendre pour quitter sans problèmes apparents son pays un mois plus tard?

 

[10]           Le demandeur explique qu’il avait déjà sollicité en février 2008 une formation sur la gestion par résultat, qui allait avoir lieu à Montréal, et qu’en outre, il avait eu l’appui d’un cousin de son épouse qui était le secrétaire du Vice-ministre aux Affaires étrangères et à la coopération internationale. Cette acceptation a, semble-t-il, pris de court les agents des services secrets. Aussi, le 28 juin 2008, il a finalement pu quitter son pays, après avoir été malgré tout interrogé et menacé par des agents de services secrets.

 

[11]           De plus, alors qu’il venait tout juste d’arriver au Canada, le demandeur a appris que des agents secrets avaient entretemps perquisitionné sa résidence et avaient menacé sa famille. Deux collègues lui ont dit que son bureau avait également été fouillé par des agents en son absence. Le demandeur s’est tenu coi pendant toute la durée des séances de formation avec ses collègues congolais et a attendu que ceux-ci quittent le Canada. Le 28 juillet 2008, le demandeur a fait une demande d’asile sous une fausse identité et en donnant de faux renseignements sur ses activités professionnelles, sa date d’arrivée au Canada et son titre de voyage. Mais le pot aux roses a été rapidement découvert par les autorités d’immigration et le demandeur a dû reconnaître qu’il avait menti.

 

[12]           N’empêche, en août 2008, lors d’une entrevue avec les autorités d’immigration, le demandeur a déclaré qu’il se nommait Gilbert Kalombo Kabongo, alors qu’il se nomme plutôt Hubert Kalombo Kabongo; qu’il était arrivé au Canada le 26 juillet 2008, alors qu’il y est plutôt entré le 29 juin 2008; qu’il avait voyagé avec un faux passeport français, alors qu’il avait voyagé plutôt avec son passeport diplomatique congolais; et qu’il travaillait pour une organisation non-gouvernementale (ONG), alors qu’il était plutôt un fonctionnaire du gouvernement congolais. Dès le début de son témoignage devant le tribunal, le demandeur s’est excusé pour avoir menti et a expliqué qu’il alors avait très peur alors d’être déporté immédiatement dans son pays si l’on découvrait qu’il était toujours un employé du gouvernement congolais et qu’il était détenteur d’un passeport diplomatique.

 

[13]           Mais le reste de l’histoire du demandeur est-elle vraie?

 

[14]           C’est ce que devait notamment décider le tribunal, ce qui nous amène à examiner la décision sous étude.

 

LA DÉCISION SOUS ÉTUDE

[15]           Il n’est pas contesté que le demandeur porte sur son corps des marques de lésion et qu’il souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. D’ailleurs, depuis son arrivée au Canada, il a été suivi par un psychologue et un conseiller d’orientation. De fait, une décision antérieure du tribunal en date du 10 novembre 2010, reconnait le demandeur comme étant une « personne vulnérable ».

 

[16]           En l’espèce, la demande d’asile a été entendue le 10 février 2011 par le commissaire Bissonnette qui a rendu la décision sous étude le 18 février 2011. Au passage, le commissaire ne fait pas mention dans cette décision très étoffée de 18 pages, qu’il s’est préalablement prononcé à l’audition sur une demande de récusation. Nous y reviendrons plus loin.

 

[17]           Derechef, le commissaire mentionne que les adaptations d’ordre procédural nécessitées par l’état psychologique du demandeur ont été prises à l’audition (inversion de l’ordre des interrogatoires, pauses, etc.) mais qu’elles « ne changent pas l’analyse générale de la demande d’asile ».

 

[18]           Au sujet de la crédibilité générale du demandeur, le commissaire écrit :

J’estime qu’avoir peur d’être retourné dans son pays ne justifie pas de se présenter sous une fausse identité et de donner de faux renseignements, tout en déclarant que les renseignements fournis sont véridiques, complets et exacts, et ce non seulement en complétant un formulaire écrit mais également lors d’une entrevue où il a été clairement indiqué que le demandeur devrait répondre véridiquement aux questions qui lui étaient posées. Par conséquent, le fait que le demandeur s’est d’abord présenté sous une fausse identité et a présenté des raisons concernant sa crainte d’être retourné dans son pays qui ne correspondent pas à ce qu’il a allégué plus tard dans son FRP, affecte sa crédibilité. 

 

[19]           De surcroît, le commissaire conclut qu’il ne peut donner foi au récit du demandeur, en faisant notamment ressortir dans la décision sous étude les éléments suivants :

·        Le demandeur n’a pas réussi à établir que ses critiques à l’endroit du gouvernement congolais et ses opinions politiques seraient considérées comme une menace au pouvoir en place en RDC;

·        Le demandeur a prétendu qu’il avait personnellement sollicité la formation à Montréal, alors que selon la preuve documentaire c’est plutôt le Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale qui a choisi les cinq cadres du Ministère congolais ayant participé au séminaire;

·        Le demandeur n’a pas déposé ou fait des démarches pour obtenir un rapport médical qui corrobore le fait qu’il a été traité dans une clinique privée en RDC pour les blessures qu’il dit avoir subies en mai 2008;

·        Il est invraisemblable que les agents des services secrets de l’ANR aient enlevé et torturé le demandeur en mai 2008, mais qu’ils l’aient laissé quitter le pays un mois plus tard pour voyager au Canada; et,

·        Le demandeur n’a pas présenté une preuve satisfaisante de la provenance de la lettre de témoignage de son épouse et n’a fait aucune démarche pour obtenir un document permettant de comparer la signature de son épouse avec celle apposée sur la lettre en question.

 

[20]           Sans revenir spécifiquement sur le fait que le demandeur était toujours à l’emploi du gouvernement de la RDC et venait tout juste de compléter une période de formation au Canada avec d’autres diplomates congolais lorsqu’il a présenté sa demande d’asile, le commissaire conclut au terme de son analyse qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, il n’est pas satisfait de l’existence d’un risque personnalisé de danger, puisque le lien nécessaire entre la situation personnelle du demandeur d’asile et la preuve documentaire relative aux conditions générales qui règnent en RDC n’a pas été établi à sa satisfaction.

 

[21]           Pour tous ces motifs, le tribunal conclut donc que le demandeur n’a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni celle de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

MOYENS SOULEVÉS PAR LE DEMANDEUR

[22]           Le demandeur attaque aujourd’hui la légalité de la décision du tribunal en soulevant comme premier motif d’intervention de la Cour, l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, et en prétendant subsidiairement que la décision du tribunal est autrement déraisonnable pour les raisons suivantes : (1) le tribunal n’a pas véritablement examiné l’allégation relative à la crainte actuelle du demandeur de retourner en RDC parce qu’il a fait une demande d’asile au Canada, alors qu’il était toujours un diplomate congolais (réfugié sur place); (2) le tribunal a fait fi de l’état de santé psychologique du demandeur et de son statut de « personne vulnérable » dans son analyse de la crédibilité; (3) il était déraisonnable d’exiger une preuve supplémentaire pour corroborer la preuve médicale déjà au dossier de sévices corporels, et (4) la conclusion d’invraisemblance du tribunal à l’effet que le demandeur a pris l’avion sans avoir eu de problèmes est également déraisonnable.

 

CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ

[23]           Je commencerai par la question de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, qui est déterminante en l’espèce. Ici, la procureure du demandeur a demandé au commissaire Bissonnette de se récuser après avoir remarqué lors de l’audition que celui-ci se référait à un document qui avait le format et l’apparence d’une décision du tribunal, et qu’il en lisait des passages à l’occasion. L’échange suivant est révélateur :

R.         (…) J’ai cru remarquer que vous lisiez les faits de sur mon client, à même une décision qui est déjà écrite.

-           Elle n’est pas écrite. C’est pas une décision. C’est mes notes. Ce sont mes, le résumé des allégations du demandeur. Il n’y a pas de décision d’écrite. Il n’y a pas de décision d’écrite.

 

(…)

 

-           C’est simplement que je prépare mes dossiers et la meilleure façon pour moi de pouvoir suivre un récit, c’est de savoir quels sont les résumés des faits allégués. Et c’est à partir de là que je pose mes questions et ça me permet de rédiger mes décisions rapidement, quelque chose que vous allez constater. Je termine mes audiences, mes décisions sortent rapidement. Je n’ai pas de décision d’écrite, mais j’ai des points à identifier.

 

R.                 D’accord. Bien, c’était donc juste à cause du format, puis (…) j’ai vu la première page avec le nom de toutes les parties (…) ça donne l’impression que c’est une décision.

 

-           C’est pas une décision écrite. De toute façon, une décision est écrite lorsqu’elle est signée. Alors ce que j’ai dans, c’est un projet de décision, avec l’introduction, le résumé des faits allégués et puis des points analysés. C’est tout. Qui sont les principes de droit qu’on applique dans toutes les, dans toutes les audiences. Ce qui me permet de pouvoir rendre une décision de vive voix au besoin ou de rédiger très rapidement ma décision après l’audience. Il n’y a pas de décision d’écrite. D’accord? Non?

 

R.         (…) mais c’était la première fois que je voyais que vous lisez des faits et je vois la première page, et je vois même la sign [sic] … je sais qu’il n’y a pas de signature…

 

-           Non, non. Il n’y a pas de signature.

 

R.                 mais je vois quand même qu’il y a votre nom prêt à la signature.

 

-           Oui, oui.

 

R.                 Ça porte à croire qu’il y a une décision de rendue (…)

 

-           Écoutez. Je vous le dis sous mon serment de membre du Barreau du Québec, c’est un projet de décision avec le résumé des faits allégués, le nom du monsieur. Mais voyez, il est même pas, j’ai même pas le bon nom, parce que j’ai pris ça à partir d’un modèle que j’ai, le nom des parties, la date de l’audience, introduction, résumé des faits allégués et des principes à analyser pendant l’analyse. Ma décision n’est pas finale.

 

R.         (…) Cependant tout porte à croire que c’est une décision. C’est la même première page. C’est la même dernière page et vous avez des éléments et vous vous référiez directement, avec les préoccupations que vous soulignez qui semblaient à même le dossier, ça… j’ai de la misère à voir comment une personne raisonnable qui nous assisterait aujourd’hui aurait pas l’impression que la décision était déjà écrite avant même qu’on rentre. [nos soulignés]

 

[24]           Après un bref délibéré, le commissaire a rejeté oralement la demande de récusation, essentiellement parce qu’il était d’avis qu'un observateur renseigné et raisonnable ne croirait pas, selon la prépondérance des probabilités, que la procédure était entachée de partialité du fait qu’il avait entre les mains un « projet de décision », et ce, afin dit-il, « de pouvoir poser les questions qu’[il doit] poser pendant l’audience ». Respectueusement, compte tenu des échanges oraux reproduits au paragraphe précédent et des motifs qui suivent, j’arrive à une conclusion contraire à celle du commissaire, de sorte qu’il y a lieu d’intervenir en l’espèce.

 

[25]           Fidèle à lui-même et à ce qu’il avait annoncé aux parties, la décision écrite du commissaire n’a pas tardé après l’audition; celle-ci était négative. Ceci est seulement venu confirmer la crainte anticipée par la procureure du demandeur et exprimée oralement à l’audience que le commissaire avait déjà décidé de rejeter la demande d’asile, puisqu’un « projet de décision » était déjà prêt pour sa signature. Il ne fait pas de doute que la longueur des motifs et la qualité d’écriture de la décision sous étude démontrent l’excellence de la préparation du commissaire au niveau des faits et reflète la connaissance spécialisée du tribunal des conditions générales régnant dans le pays en cause. Toutefois, le fait que le produit final soit plus long ou plus complet au niveau de l’analyse que le projet initial, ne change pas la nature des allégations de partialité.

 

[26]           À notre avis, l’exigence d’une préparation adéquate avant l’audience n’autorise aucun membre du tribunal à laisser dans son bureau ou à entrer en salle d’audience avec ce qui semble être une décision écrite de la Section de la protection des réfugiés, déjà prête pour sa signature. Même si le commissaire en cause a affirmé à l’audience qu’il s’agissait seulement d’un « projet de décision » et a tenté de corriger le tir en précisant que sa décision n’était pas encore « finale », de sérieux doutes subsistent quant à son impartialité, du moins en apparence.

 

[27]           Commençons par quelques observations préliminaires.

 

[28]           Premièrement, et au risque de me répéter, il ne faut pas banaliser le fait que le commissaire soit arrivé à l’audition avec un projet de décision, prêt pour sa signature. Or, le demandeur d’asile et son procureur n’avaient pas à convaincre le commissaire à l’audition qu’il devait changer d’idée ou abandonner son projet de rendre une décision défavorable. Du point de vue des règles d’équité procédurale, il ne peut y avoir qu’une seule décision et celle-ci ne peut être prise qu’après une audition orale ait eu lieu devant un tribunal indépendant et impartial, depuis que la Cour Suprême du Canada a rendu son jugement en 1985 dans l’arrêt Singh c Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 RCS 177 [Singh].

 

[29]           Deuxièmement, lorsqu’un manquement à un principe d'équité procédurale est allégué, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique : Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 124 au para 44, [2006] 4 RCF 377 [Kozak]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43, [2009] 1 RCS 339. D’autre part, il s’agit de déterminer à quelle conclusion arriverait une personne raisonnable et sensée, qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet, en étudiant la question de façon réaliste et pratique : Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 RCS 369, et R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 à la page 394.

 

[30]           Troisièmement, la partialité réelle à l’endroit d’une des parties est toujours un motif de récusation. Cependant, lorsqu’une crainte raisonnable de partialité existe, il importe peu qu’il y ait, en fait, absence de partialité; la récusation doit avoir lieu afin de protéger la confiance que le public accorde à l’administration de la justice (Conseil canadien de la magistrature, Propos sur la conduite des juges, Cowansville, Yvon Blais, 1991, aux pages 70-71). Ici, ce dont on parle, c’est bien entendu la confiance du public canadien et des demandeurs d’asile à l’endroit de notre système de détermination du statut de réfugié. Un système qui, il faut le dire, fait l’envie à l’extérieur des frontières et dont les Canadiens ont raison d’être fiers.

 

[31]           Quatrièmement, les demandeurs d’asile ne sont pas des demandeurs ordinaires, comme dans les affaires civiles où des intérêts privés sont exclusivement en jeu. Faut-il le rappeler, la qualité de réfugié est avant tout un statut reconnu par la Loi, qui elle-même fait référence à la définition de réfugié au sens de la Convention. Il va de soi qu’en déterminant qui est ou n’est pas un réfugié, la Section de protection des réfugiés exerce non seulement d’importantes fonctions quasi-judiciaires, mais ses décisions peuvent avoir un impact direct sur la vie et la sécurité des véritables réfugiés qui demandent l’asile et la protection du Canada [Singh].

 

[32]           Une certaine mise en contexte s’impose donc avant d’examiner les préoccupations particulières soulevées par le demandeur dans le présent dossier.

 

[33]           Tout d’abord, dans Kozak, précité, aux paras 54-57, la Cour d’appel fédérale souligne que le degré élevé d’impartialité et d’indépendance qui s’applique en l’espèce à la Section de protection des réfugiés est un facteur directement pertinent :

La personne raisonnable dont il est question dans la règle interdisant la partialité ne doit pas être assimilée à la partie perdante ou à une personne exagérément méfiante. Le degré élevé d'impartialité et d'indépendance qui s'applique à la Commission caractérisera cependant la décision concernant la question de savoir si les appelants ont démontré l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. [nos soulignés]

 

Il n’est donc pas surprenant qu’on ait mis constamment l’accent sur la nécessité de préserver l’indépendance et de l’impartialité des décideurs individuels qui entendent les demandes d’asile. Ces deux composantes forment un accord parfait et servent de garanties du maintien de l’équité et l’intégrité du processus canadien d’asile : Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1459, [2005] FCJ 1792; Sandoval c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 211, [2008] ACF 263.

 

[34]           Or, le maintien de l’apparence d’impartialité du processus canadien d’asile doit se refléter au quotidien et dans la manière que les membres de la Section de protection des réfugiés préparent, entendent et décident une affaire. Comme l’a rappelé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sivaguru c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 FC 374 (CA) au para 16, [1992] ACF 47 (CA) (QL), un membre de la Commission doit faire preuve de la même impartialité que doit avoir un juge, c’est-à-dire celle dont a parlé le juge LeDain dans l’arrêt Valente c Sa Majesté la Reine, [1985] 2 RCS 673 [Valente].


 

[35]           Ainsi, on peut lire à la page 685 de l’arrêt Valente :

L'impartialité désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme "impartial", comme l'a souligné le juge en chef Howland, connote une absence de préjugé, réel ou apparent.

Il est donc crucial que le commissaire qui entendra une demande d’asile s’assure de ne pas laisser l’impression que sa décision est déjà prise avant l’audition.

 

[36]           Or, la décision d’accueillir ou de rejeter une demande d’asile n’est pas une action fortuite ou anodine; celle-ci exige désintéressement, objectivité, réflexion et analyse de tous les éléments pertinents, incluant le témoignage du demandeur d’asile, de la part du tribunal. C’est d’ailleurs sur la qualité des motifs écrits qui sont fournis le cas échéant par le tribunal, donc de l’analyse des faits de la cause, qu’une cour siégeant en révision judiciaire pourra déterminer si la conclusion du tribunal constitue une issue possible et acceptable dans les circonstances (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[37]           Considérant que la crainte de persécution comporte un élément subjectif et un élément objectif, le tribunal a notamment l’obligation de porter un jugement critique sur la crédibilité ou sur la conduite du demandeur d’asile (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). Il va sans dire que le tribunal ne peut porter un jugement sur la crédibilité du demandeur d’asile et écarter les éléments de preuve qu’il a soumis, sans lui donner la chance d’être entendu et de faire valoir sa cause par son procureur.

 

[38]           Dans un premier temps, le tribunal devra donc s’assurer lors de l’audition qu’il aura confronté le demandeur d’asile à toute contradiction réelle ou apparente de son récit de persécution, et ce, en se gardant à cette occasion de formuler des critiques, des blâmes, des commentaires désobligeants ou de faire montre d’agressivité et d’impatience injustifiées, d’autant plus que c’est souvent la seule occasion où le demandeur d’asile aura la chance d’être entendu en personne. Voir Jaouadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1347, [2003] FCJ 1714; Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 870, [2004] FCJ 1058; Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 179 au paras 44-45, [2010] FCJ 199.

 

[39]           Dans un deuxième temps, lorsqu’il aura pris sa décision (qu’elle soit communiquée oralement ou par écrit), le tribunal devra être en mesure d’expliquer pourquoi il n’accepte pas les explications du demandeur d’asile, le cas échéant. Lorsque le demandeur d’asile a été désigné comme « personne vulnérable », comme c’est le cas en l’espèce, le tribunal pourra faire face à des défis supplémentaires, mais il n’est pas nécessaire de s’y attarder ici. Voir à ce sujet, la décision de la Cour dans Mubiala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration) 2011 FC 1105.

 

[40]           Compte tenu du fait que les apparences sont aussi importantes que la réalité, existe-t-il des doutes sérieux qu’un demandeur d’asile bénéficiera d’une audition équitable et impartiale, et que son témoignage sera véritablement pris en compte, s’il s’aperçoit à l’audition que le commissaire entendant l’affaire a déjà en main un projet de décision auquel il se réfère régulièrement?

 

[41]           Depuis longue date, la Cour fédérale d’appel a reconnu qu’il existe une présomption de vérité lorsqu'un demandeur d'asile témoigne sous serment que ce qu'il dit est vrai. Ainsi, une allégation contenue dans le FRP du demandeur d’asile est présumée véridique, à moins qu'il n'existe une raison d’en douter : Maldonado c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 CF 302 au para 5, [1979] FCJ 248. Il s’en suit donc qu’en se présentant à l’audition, le demandeur d’asile bénéficie au départ de cette présomption, et que ce n’est qu’après il aura témoigné et que le tribunal aura fait l’analyse du témoignage du demandeur et des éléments de preuve déposés à l’audition, le tribunal sera finalement en mesure de conclure qu’un demandeur d’asile n’est pas crédible et n’a pas rencontré son fardeau de preuve.

 

[42]           En l’espèce, le fait que le commissaire en cause ait pris la peine avant l’audition de rédiger des « notes » sous forme de projet de décision, avec semble-t-il l’objectif de rendre une décision orale à la fin de l’audition, ou encore de manière à déposer rapidement des motifs écrits, ne peut que soulever un sérieux questionnement sur l’absence de préjugé et le degré d’ouverture d’esprit dont le commissaire pouvait faire preuve à l’endroit du demandeur d’asile et de sa revendication.

 

[43]           En effet, en vertu de l’article 169 de la Loi, la Section de protection des réfugiés est tenue de motiver par écrit sa décision dans les cas où elle décide de rejeter la demande d’asile. L’inverse n’est pas vrai. Ainsi, en règle générale, le tribunal ne fournit pas de motifs écrits lorsqu’une demande d’asile est accueillie, à moins qu’une demande en ce sens soit faite par le Ministre ou dans les cas prévus par les règles de la Commission. À cet égard, les procureurs ont confirmé à l’audition devant la Cour que dans le cas des demandes d’asile impliquant Haïti et le Mexique, des motifs écrits étaient maintenant demandés par le Ministre dans les cas de décisions favorables aux demandeurs d’asile. On peut donc dire sans se tromper que dans les cas des demandes d’asile impliquant la RDC, des motifs écrits n’avaient pas à être préparés à l’avance par le tribunal, sauf si celui-ci avait décidé avant l’audition de rejeter la demande d’asile du demandeur.

 

[44]           La Politique sur le prononcé de vive voix des décisions et des motifs (no 2003-06) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Politique) a été invoquée en l’espèce par le commissaire et le défendeur. Les extraits correspondants de la Politique se lisent comme suit :

Tous les décideurs doivent diriger la préparation des cas et la tenue des audiences avec l'objectif de prononcer de vive voix leurs décisions définitives et les motifs à l'appui à la fin de l'audience.

 

(…)

 

Tous les employés de la CISR appuient activement le prononcé de vive voix des décisions et des motifs par une préparation des cas efficace et opportune, un soutien administratif, un perfectionnement professionnel ainsi que d'autres mesures jugées nécessaires.

 

De plus, les agents de protection des réfugiés de la SPR appuient le prononcé de vive voix des décisions en accordant l'importance voulue à la préparation accrue des cas exigée par la présente politique. Ils font en sorte que leur contribution avant et pendant l'audience facilite le prononcé des décisions de vive voix, avec motifs à l'appui, à la fin de l'audience. » [nos soulignés]

 

[45]           Encore une fois, soyons clair. Rien ne s’oppose à ce que le commissaire rédige à l’avance un résumé des principaux faits mentionnés dans le FRP du demandeur d’asile. Le commissaire peut également préparer une liste des questions qu’il a l’intention de poser au demandeur d’asile et c’est préférable qu’il le fasse avant l’audition. Il peut vouloir ainsi tester à l’audition les allégations dans le FRP aux autres informations déjà au dossier, incluant les éléments contenus au Cartable national du pays visé par la revendication. Tout cela, dans le cadre d’une préparation efficace. Mais là s’arrête la préparation du commissaire. À ce stade, la rédaction d’un semblant d’analyse de la preuve documentaire, des faits allégués par le demandeur d’asile et du droit applicable nous apparait comme un exercice inutile et prématuré, à moins bien entendu que le commissaire se soit déjà fait une opinion au sujet de la demande d’asile, ce qui pose de front la question de son impartialité.

 

[46]           Pour conclure, compte tenu du rôle, de la nature des décisions et du contexte particulier des audiences devant la Section de protection des réfugiés, des exigences de la Loi et des principes applicables, après une lecture attentive du dossier du tribunal, des transcriptions et de la décision en cause, le fait pour le commissaire en cause d’avoir préparé avant l’audience un « projet de décision » ayant l’apparence d’une décision, était de nature à susciter des préoccupations sérieuses au niveau de l’impartialité du commissaire dans l’esprit d’un observateur raisonnable, sensé, et bien renseigné sur le sujet.

 

[47]           Tout cela est fort regrettable. Je suis certain que le commissaire était de bonne foi et qu’il prend très au sérieux son travail. Je suis également conscient du fait que les commissaires subissent d’énormes pressions. C’est donc tout à leur mérite de rendre leurs décisions rapidement. Mais il ne faut pas perdre de vue que toutes les étapes doivent être suivies et qu’ici les apparences sont contre le commissaire en cause. Ce vice fondamental suffit en soi pour casser la décision sous étude et renvoyer l’affaire pour qu’elle soit entendue de nouveau par une autre formation du tribunal. Aussi, je ne traiterai pas des autres moyens d’annulation soulevés par le demandeur.

 

[48]           En terminant, les procureurs n’ont proposé aucune question à certifier et ont indiqué à l’audience devant la Cour qu’il s’agissait d’un cas d’espèce impliquant exclusivement la décision rendue par le tribunal dans cette affaire. En l’absence d’allégations à l’effet qu’on aurait affaire à un problème généralisé ou d’ordre systémique à la Section de protection des réfugiés, il n’y a donc pas lieu de certifier une question sérieuse d’importance générale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ACCEUILLE la demande de contrôle judiciaire et casse la décision rendue par le tribunal le 18 février 2011. L’affaire est renvoyée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin qu'une redétermination de la demande d'asile du présent demandeur soit entreprise et qu'une nouvelle audition soit tenue devant un autre membre de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1727-11

 

INTITULÉ :                                       HUBERT KALOMBO KABONGO ET

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               13 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      28 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boisclair & Legault

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.