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Date : 20111020


Dossier : IMM-948-11

Référence : 2011 CF 1200

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

 

DALWINDER SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Monsieur Dalwinder a quitté l'Inde en 2008 et a demandé l'asile au Canada en invoquant sa crainte de la police indienne. Il affirme que la police l'a ciblé après qu'il soit intervenu pour défendre un habitant de son village qui était détenu par la police.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Singh parce qu'il n'avait pas établi l'existence d'un lien avec l'un des motifs reconnus par la Convention sur les réfugiés, qu'il manquait de crédibilité et qu'il pouvait vivre en sécurité ailleurs en Inde (ce qu'on appelle la possibilité de refuge intérieur ou PRI). Le demandeur affirme que la Commission a commis des erreurs sur ces trois points. Il me demande d'infirmer cette décision et d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

 

[3]               À mon avis, la Commission a conclu de façon raisonnable que M. Singh disposait d’une PRI en Inde, en l’occurrence à Chennai ou à Calcutta. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par M. Singh.

 

[4]               La seule question à trancher est par conséquent celle de savoir si la Commission a conclu de façon raisonnable que M. Singh disposait d’une PRI en Inde.

 

II.         Contexte factuel

 

[5]               Monsieur Singh explique qu’il s’est présenté au poste de police local en compagnie de deux de ses voisins, Kulwant Singh et Dalbir Singh, pour remettre des titres de propriété de véhicule automobile. Au poste de police, il a vu des policiers battre un des habitants de son village, Baldev Singh. Baldev a demandé à M. Singh de dire à sa famille où il se trouvait et ce qu'il lui était arrivé. Après avoir informé la famille de Baldev, Kulwant, Dalbir et M. Singh sont retournés avec d'autres personnes au poste de police pour chercher à obtenir la mise en liberté de Baldev. Les policiers ont d'abord nié que Baldev était détenu à cet endroit pour ensuite affirmer qu'il serait libéré le lendemain une fois qu'ils auraient terminé leur enquête.

 

[6]               Le lendemain, on a dit aux membres de la famille de Baldev que ce dernier avait été libéré la nuit précédente. Il était toutefois introuvable et une assemblée communautaire a été convoquée pour discuter des mesures à prendre. Lors de cette assemblée, deux avocats ont demandé à M. Singh, ainsi qu'à Kulwant et à Dalbir, ce qu'ils avaient vu au poste de police. Ils avaient l'intention d'écrire aux autorités pour leur demander d’ouvrir une enquête sur l'incident.

 

[7]               Le 23 avril 2008, MM. Singh, Kulwant et Dalbir ont été convoqués au poste de police en rapport avec la disparition de Baldev. Lors de sa détention, M. Singh a été battu par les policiers au point de perdre conscience et, pour l'intimider et le contraindre à collaborer avec eux, les policiers l'ont faussement accusé d’appuyer les terroristes sikhs. Monsieur Singh a été détenu pendant quatre jours et a été remis en liberté à la condition de revenir sur ses allégations au sujet de Baldev et de verser 200 000 roupies (environ 4 300 $) à la police. Les policiers lui ont également dit qu'il devait se présenter au poste de police chaque mois, à défaut de quoi il disparaîtrait lui aussi. Monsieur Singh a obtempéré, mais il a dû verser des pots‑de‑vin chaque mois. Peu de temps après, M. Singh a quitté l'Inde.

 

III.       Décision de la Commission

 

[8]               La SPR a énoncé correctement le critère juridique de la PRI :

 

            1.         La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités qu'il n'y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI.

 

            2.         La situation qui existe dans la partie du pays où le demandeur dispose, selon la Commission, d'une PRI, doit être telle qu'il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de l'ensemble des circonstances, que le demandeur y cherche refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF)).

 

[9]               La Commission a conclu que ce critère était respecté en l'espèce et qu'en conséquence, M. Singh n'avait pas droit à l'asile. Monsieur Singh ne serait pas persécuté à Chennai ou à Calcutta étant donné qu'il n'avait jamais été mêlé à aucune activité terroriste, qu'il n'était pas un militant, qu’il n'avait jamais ouvertement appuyé les séparatistes sikhs et qu'il n'était pas actif sur le plan politique.

 

[10]           La Commission a conclu que la police avait harcelé M. Singh parce qu'elle voulait lui extorquer de l'argent et non parce qu'elle le soupçonnait d'être un militant. La preuve documentaire démontrait que la police locale ne chercherait pas à retrouver une personne aussi discrète que M. Singh ailleurs en Inde. Il pourrait déménager sans être retracé.

 

[11]           La Commission a également conclu que les Sikhs du Pendjab peuvent se déplacer librement partout sur le territoire indien. Les personnes qui arrivent dans une nouvelle région de l'Inde ne font pas l'objet de contrôles, la police ne dispose pas des ressources nécessaires pour procéder à des vérifications de leurs antécédents, il n'existe pas de système d'enregistrement des citoyens et il est possible pour les personnes qui ne présentent pas d'intérêt particulier aux yeux des autorités centrales d'aller s’installer dans une autre région.

 

[12]           Enfin, la Commission a conclu qu'il ne serait pas déraisonnable de la part de M. Singh de déménager à Chennai ou à Calcutta, qui sont toutes les deux de grandes villes cosmopolitaines, compte tenu de son expérience et de sa débrouillardise.

 

[13]           La Commission s'est également demandé si M. Singh avait la qualité de personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'Immigration à la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et ses modifications [la LIPR]. Comme le demandeur disposait d'une PRI, il a également été débouté de sa demande pour ce motif.

 

IV.       La conclusion de la Commission suivant laquelle M. Singh disposait d'une PRI était‑elle raisonnable?

 

[14]           Monsieur Singh affirme que la Commission a commis une erreur dans son application des deux volets du critère de la PRI. Il signale des éléments de preuve documentaire tendant à démontrer que la police du Pendjab prévient les services policiers d'autres régions de l'Inde au sujet des individus recherchés et qu'elle peut poursuivre un suspect partout en Inde. La Commission a accepté le fait que Baldev Singh, l'homme que M. Singh avait vu au poste de police, avait été arrêté par la police de l'Haryana et qu'il avait été ramené au Pendjab. De plus, M. Singh a appris, après son arrivée au Canada, que Kulwant Singh (l'autre témoin) avait été arrêté au Rajasthan. Il estime donc qu'il serait en danger s'il allait s’installer à Calcutta ou à Chennai.

 

[15]           En ce qui concerne le second volet du critère de la PRI, M. Singh affirme qu'il a vécu dans un village toute sa vie et qu'il n'a qu'une huitième année. Il n’a jamais exercé d’autre métier que celui d'agriculteur dans son village et son témoignage confirme qu'il est une personne simple. Les deux endroits qui constitueraient de l'avis de la Commission une PRI sont de grandes villes indiennes comptant diverses populations ainsi que divers climats, cultures et langues. Les lieux proposés par la Commission présenteraient de sérieux obstacles en ce qui concerne les perspectives d'emploi de M. Singh. La conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur pourrait y trouver du travail est donc déraisonnable.

 

[16]           À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission, vu l'ensemble de la preuve dont elle disposait, de tirer la conclusion à laquelle elle en est arrivée en ce qui concerne le premier volet. Bien qu'il existe des éléments de preuve suivant lesquels la police du Pendjab peut aviser d'autres services policiers au sujet d'individus recherchés, et que la police du Pendjab peut pourchasser ces individus partout dans le pays, cette affirmation ne vaut que pour les militants et les terroristes bien en vue. Or, M. Singh n'était pas un individu bien en vue, il ne s'intéressait pas à la politique et il n'avait pas formellement été arrêté ou accusé de quelque crime que ce soit. En outre, la police ne procède pas à des vérifications des antécédents des nouveaux arrivants et il n'existe pas de système d'enregistrement des citoyens. Il était donc raisonnable de la part de la Commission de conclure que, malgré le fait que la police avait arrêté Kulwant et Baldev Singh dans des États voisins, elle ne chercherait pas à retracer M. Singh à des milliers de kilomètres de là, en Inde.

 

[17]           La conclusion tirée par la Commission sur le second volet était également raisonnable. Bien que M. Singh ait affirmé que la Commission n'avait pas tenu compte de sa situation personnelle, celle‑ci – le fait qu'il était peu instruit et menait une vie simple et qu’il avait des perspectives d'emploi limitées – ne constitue pas un facteur déterminant lorsqu'il s'agit de conclure à l'existence d'une PRI. Suivant la Cour d'appel fédérale, une PRI n'est déraisonnable que s'il existe des éléments de preuve concrets que la vie et la sécurité du demandeur d'asile seraient mises en péril (Ranganathan c Canada (MCI), 2000 CarswellNat 3134 (CAF), au paragraphe 15; Thirunavukkarasu c Canada (MEI), 1993 CarswellNat 160 (CAF), au paragraphe 14). La situation de M. Singh ne correspond pas à ce critère.

 

[18]           Par conséquent, la conclusion de la Commission suivant laquelle M. Singh disposait d'une PRI en Inde était à la fois raisonnable et déterminante quant à sa demande d'asile et à au volet de sa demande relatif à l'article 97.

 

V.        Conclusion et décision

 

[19]           La conclusion de la Commission suivant laquelle M. Singh disposait d'une PRI en Inde n'était pas déraisonnable vu l'ensemble de la preuve dont elle disposait. Je dois par conséquent rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n'a proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune n'est donc formulée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est formulée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

 

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2)  A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Convention refugee

 

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2)  A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-948-11

 

INTITULÉ :                                       DALWINDER SINGH

                                                            c.

                                                            MCI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 28 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2011

 

 

ONT COMPARU :

 

Hilete Stein

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Mahan Keramati

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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