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Date : 20111019

Dossier : IMM‑1842‑11

Référence : 2011 CF 1187

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

ROGELIO ALFREDO ZAPATA RIVAS, YOHANNA VELAZQUEZ ARZATE,

 RUTH VANESA ZAPATA VELAZQUEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision en date du 31 janvier 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens respectivement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) parce que le demandeur principal n’était pas crédible et que les demandeurs pouvaient compter sur une protection suffisante de l’État au Mexique.

 

LES FAITS

Contexte

[2]               Né le 14 mai 1981, le demandeur principal, Rogelio Alfredo Zapata Rivas (le demandeur), a épousé Yohanna Velazquez Arzate le 3 juin 2003. De cette union est née une fille, Ruth Vanesa Zapata Velazquez, le 3 août 2003. Les demandes de l’épouse et de la fille étaient fondées sur celles du demandeur.

 

[3]               Le demandeur affirme dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il a obtenu son diplôme d’agent de la police fédérale de l’Académie de police en avril 2008. Il affirme qu’il avait été choisi pour faire partie du groupe Elite Cobra, qui avait été créé dans le but de lutter contre le trafic de la drogue. Il explique qu’alors qu’il faisait partie de ce groupe, il a, le 23 novembre 2007, procédé avec d’autres agents à l’arrestation de trois trafiquants de drogue bien en vue.

 

[4]               Le demandeur affirme qu’après les arrestations en question, il a commencé à recevoir des menaces. Il explique que, le 2 janvier 2008, des coups de feu ont été tirés sur sa voiture de police et qu’une note de menace a été laissée sur le véhicule. Il affirme que, le 4 janvier 2008, son partenaire a été tué et qu’une photo des membres de la famille du demandeur a été laissée sur les lieux avec une note expliquant qu’ils seraient les prochaines victimes.

 

[5]               Le demandeur affirme qu’une lettre de menaces a été envoyée au domicile de sa famille le 30 janvier 2008. Il affirme que les membres de sa famille ont également commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces à la maison. Il affirme qu’en juin 2008, son domicile a été saccagé alors que personne ne s’y trouvait. Il explique également que sa femme a à l’occasion été suivie alors qu’elle passait prendre leur fille à l’école.

 

[6]               Le demandeur affirme que sur les 19 agents que comptait le groupe Cobra Elite, 17 ont finalement été assassinés. Il affirme également qu’en février 2009, le lieu où il habitait a été saccagé. Il affirme qu’il a demandé à ses supérieurs de le protéger, mais qu’aucune protection ne lui a été accordée.

 

[7]               Le demandeur affirme qu’en mai 2009, lui et son partenaire ont été enlevés et jetés dans le coffre d’une voiture. Il soutient qu’ils ont réussi à s’enfuir, mais que son partenaire a été abattu alors qu’ils s’enfuyaient en courant. Il a cessé de travailler pour la police fédérale en septembre 2009.

 

[8]               Les demandeurs ont quitté le Mexique et sont arrivés au Canada le 26 septembre 2009. Ils ont demandé l’asile le 27 novembre 2009. Ils ont comparu à une audience devant la Commission le 13 décembre 2010.

 

La décision à l’examen

[9]               Dans ses longs motifs de décision datés du 31 janvier 2011, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. La Commission a exposé les faits à l’origine du litige allégués par le demandeur. La Commission a scindé son analyse en deux parties, à savoir la crédibilité en ce qui concerne la crainte suggestive et la protection de l’État.

 

Crédibilité en ce qui concerne la crainte suggestive

[10]           La Commission a cité les règles de droit applicables en matière de crédibilité : les témoignages donnés sous serment sont présumés véridiques à moins qu’il existe une raison valable de douter de leur véracité. Le témoignage doit être compatible avec la prépondérance des probabilités qu’une personne avisée et dotée d’un sens pratique reconnaîtrait comme raisonnable. En outre, le tribunal ne peut être convaincu que les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi, sans être convaincu qu’il est probable qu’ils le sont, et non simplement possible.

 

[11]           La Commission a affirmé qu’elle croyait que le demandeur était un agent de la police fédérale et qu’il avait peut‑être été assigné à une unité connue sous le nom d’Elite Cobra. Toutefois, la Commission a déclaré qu’elle ne croyait pas que le demandeur avait participé à l’arrestation de criminels notoires faisant le trafic de la drogue et, par conséquent, que sa famille et lui avaient été menacés et que ses partenaires avaient été tués par balle. La Commission a estimé que le récit du demandeur était fondé sur des exagérations et des enjolivements visant à étayer sa demande.

 

[12]           La Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur n’arrivait pas à se souvenir de la date à laquelle l’unité Elite Cobra avait été créée. Dans son témoignage, il avait indiqué que l’unité avait été créée un mois après qu’il avait reçu son diplôme, mais il ne se souvenait pas de la date à laquelle il avait obtenu son diplôme de l’Académie de police.

 

[13]           La Commission a déclaré qu’elle trouvait illogique l’affirmation du demandeur selon laquelle le même groupe de policiers recueillait des renseignements au moyen d’activités d’infiltration et menait également les opérations. La Commission a expliqué qu’elle avait interrogé le demandeur plus à fond sur la question, mais que le demandeur n’avait fourni aucun renseignement ou détail particulier au sujet de la façon dont l’unité recueillait les renseignements ou menait ses opérations.

 

[14]           La Commission a également jugé invraisemblable que les trois trafiquants de drogues aient été recherchés pendant environ trois ans et que l’unité du demandeur réussisse à les retrouver et à les arrêter 15 jours seulement après l’obtention des mandats d’arrestation. La Commission a estimé que ce récit était improbable et qu’il était trop incomplet pour qu’on puisse y ajouter foi. La Commission a également signalé que le demandeur n’avait soumis aucune preuve documentaire pour appuyer sa version des faits et qu’il n’avait fait aucun effort pour s’en procurer.

 

[15]           La Commission a relaté les allégations formulées par le demandeur au sujet des menaces et des mesures prises contre lui et sa famille et les a toutes rejetées au motif qu’elles constituaient toutes des exagérations et des enjolivements. La Commission a fait observer que le demandeur avait donné un témoignage contradictoire au sujet de la date à laquelle il avait commencé à recevoir des menaces.

 

[16]           La Commission a conclu que les éléments de preuve documentaire présentés à l’appui des allégations n’étaient pas convaincants; elle n’a accordé aucune valeur aux photos que le demandeur prétendait être des photos de son associé assassiné et de sa voiture de police, étant donné que rien ne permettait de penser que ces photos montraient ce que le demandeur prétendait. La Commission a également rejeté les notes manuscrites de menaces au motif qu’il s’agissait d’une stratégie d’enjolivement utilisée par le demandeur, et elle a rejeté l’argument que la photo de sa femme avait été prise par les criminels qui la harcelaient étant donné qu’elle semblait poser et sourire pour le photographe.

 

[17]           La Commission a rejeté le témoignage du demandeur suivant lequel il avait signalé de façon informelle les menaces à ses supérieurs. La Commission a jugé invraisemblable que ses supérieurs lui répondent de ne pas s’en faire alors qu’un nombre aussi élevé de ses collègues policiers étaient tués. La Commission n’était pas convaincue par l’explication donnée par le demandeur au sujet du délai d’un an qu’il avait laissé écouler avant de signaler officiellement les menaces.

 

[18]           La Commission a également jugé invraisemblable qu’en admettant qu’il soit évident qu’un informateur s’était infiltré dans son unité, aucune mesure n’ait été prise contre cet informateur malgré le fait que 17 policiers de l’unité du demandeur avaient été tués. La Commission a conclu que si une telle personne avait existé, des mesures auraient été prises pour la retrouver et pour sévir contre elle.

 

[19]           Par suite de ces conclusions, la Commission a conclu à une absence générale de crédibilité en ce qui concerne la crainte suggestive du demandeur.

 

Protection de l’État

[20]           La Commission a ensuite examiné les règles de droit applicables en matière de protection de l’État. Elle a rappelé qu’il existe une présomption selon laquelle, sauf dans le cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique, l’État est capable de protéger ses citoyens. Pour réfuter la présomption de protection de l’État, le demandeur d’asile doit fournir des éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens. La Commission a signalé qu’il incombe au demandeur de s’adresser à son État pour réclamer sa protection dans les cas où une protection pourrait raisonnablement être assurée.

 

[21]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants indiquant que la protection de l’État au Mexique était insuffisante. La Commission a relaté le témoignage donné par le demandeur au sujet des démarches qu’il avait entreprises pour obtenir une protection informelle de la part de ses supérieurs et leur présumée réponse que rien ne lui arriverait. La Commission a signalé que le demandeur avait soumis un signalement officiel en février 2009 et que la police lui avait répondu en l’invitant à signaler les menaces dont il avait fait l’objet au poste de police local où il habitait. La Commission a fait observer que rien ne permettait de penser que le demandeur avait suivi ce conseil, mais qu’il avait plutôt continué à travailler au sein des forces policières jusqu’en septembre 2009 et qu’il s’était ensuite enfui du Mexique une semaine plus tard.

 

[22]           La Commission a conclu que le témoignage du demandeur suivant lequel il ne pouvait compter sur aucune protection était contredit par les éléments de preuve documentaire qui lui avaient été soumis. La Commission a examiné les éléments de preuve portant sur les mesures prises pour réduire la corruption, réformer les forces de sécurité et lutter contre les cartels de la drogue et le crime organisé. La Commission a également signalé qu’il existait des mécanismes de plainte contre les abus policiers et qu’on pouvait réclamer une enquête sur la corruption. La Commission a conclu, en se fondant sur la preuve, que le Mexique offrait une protection suffisante, quoique non parfaite, à ses citoyens. La Commission a reconnu qu’il existait des problèmes de criminalité et de corruption, mais elle a estimé que le Mexique prenait des mesures sérieuses pour s’attaquer à ces problèmes.

 

[23]           La Commission a estimé que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption qu’il pouvait se prévaloir de la protection de l’État. La Commission a conclu que la demande d’asile du demandeur échouait, de même que les deux autres demandes, parce que ces dernières étaient fondées sur celle du demandeur.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[24]           L’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) protège les réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au  sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a  person who, by reason of a  well‑founded fear of  persecution for reasons of race,  religion, nationality,  membership in a particular  social group or political  opinion,    

 

 

 

(a) is outside each of their  countries of nationality and is  unable or, by reason of that  fear, unwilling to avail  themself of the protection of  each of those countries; or    

 

(b) not having a country of  nationality, is outside the  country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

 

[25]           L’article 97 de la Loi protège les personnes qui seraient personnellement, par leur renvoi du Canada, exposées à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :   

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;   

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally   

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or   

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[26]           D’après les prétentions des parties, la Cour estime que la présente affaire soulève les questions suivantes :

a.       La conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité était‑elle déraisonnable?

b.      La conclusion tirée par la Commission au sujet de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

 

NORME DE CONTRÔLE

[27]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique, au paragraphe 62, qu’à la première étape du processus de contrôle judiciaire, la cour de révision « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir également l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53).

 

[28]           Les questions de crédibilité et celles portant sur la question de savoir si le demandeur a réfuté la présomption de protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle examine la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour s’interroge sur « la justification, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

ANALYSE

Première question : La conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité était‑elle déraisonnable?

[29]           Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en déclarant que le demandeur avait peut‑être été assigné à une unité connue sous le nom d’Elite Cobra. Ils soutiennent que la Commission doit fournir des motifs clairs et explicites pour pouvoir rejeter un témoignage au motif qu’il n’est pas crédible et qu’elle ne peut se contenter d’affirmations ambiguës qui laissent planer des doutes sans toutefois aller jusqu’à rejeter carrément un témoignage pour cause de manque de crédibilité (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF 228). Les demandeurs affirment également que la Commission se contredit elle‑même plus loin en déclarant qu’elle ne croit pas que le demandeur a été assigné à l’unité en question.

 

[30]           Les demandeurs affirment qu’il n’y avait rien d’invraisemblable dans les extraits suivants de la version des faits du demandeur que la Commission a jugés invraisemblables :

a.       17 des 19 policiers que comptait son unité ont été assassinés; les demandeurs affirment qu’il existait amplement d’éléments de preuve documentaire pour démontrer que ce fait était plausible;

b.      les agents de cette unité procédaient à la fois à des enquêtes et à des opérations; les demandeurs affirment que la Commission n’a pas indiqué que les méthodes policières relevaient de sa spécialisation avant de tirer cette conclusion d’invraisemblance;

c.       au sujet de l’arrestation des trois trafiquants de drogues par l’unité spécialisée du demandeur 15 jours après la délivrance des mandats, alors qu’ils étaient recherchés depuis trois ans par la police, les demandeurs affirment qu’on avait signalé à l’intention de la Commission des éléments de preuve documentaire portant sur la corruption policière qui démontraient qu’il était plausible que la police attende aussi longtemps avant d’agir contre les individus en question.

 

 

[31]           Les demandeurs affirment en outre qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de tirer une inférence négative du fait que le demandeur ne se souvenait pas de la date à laquelle l’unité avait été créée. Les demandeurs affirment que la Commission ne doit pas se livrer à une analyse microscopique de la preuve et qu’en agissant de la sorte, elle a commis une erreur (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1989), 99 NR 168).

 

[32]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a également commis une erreur en n’exposant pas les motifs pour lesquels elle écartait les notes de menaces soumises par le demandeur.

 

[33]           Les demandeurs affirment également que la conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur n’avait pas signalé les menaces à ses supérieurs est contredite par les éléments de preuve dont la Commission disposait, plus précisément, la réponse que la police a faite au demandeur. Les demandeurs affirment également que la Commission a commis une erreur en écartant cet élément de preuve sans justification et en qualifiant de « présumée » la réponse donnée par la police, ce qui ne constituait pas une conclusion claire au sujet de la crédibilité de cet élément de preuve. Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission s’est fondée sur la réponse donnée par la police après en avoir attaqué la crédibilité, ce qui constituait également une erreur de sa part.

 

[34]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en jugeant invraisemblable le récit donné par le demandeur au sujet de la présence d’un éventuel informateur au sein de son unité. Les demandeurs affirment qu’il n’aurait pas été possible de prendre des mesures contre l’informateur en question sans connaître son identité; la conclusion tirée par la Commission sur ce point était donc déraisonnable.

 

[35]           Le défendeur affirme que la Commission a jugé le demandeur non crédible en des termes clairs et explicites et qu’elle a expliqué les raisons pour lesquelles elle le jugeait non crédible. Le défendeur ajoute qu’en expliquant d’abord qu’il était possible que le demandeur ait été assigné à une unité Cobra Elite, la Commission avait suspendu son jugement et s’était gardée de tirer une conclusion négative avant d’avoir pris connaissance de tous les faits. Il n’était donc pas contradictoire de la part de la Commission de conclure finalement que le demandeur n’avait pas été assigné à cette unité.

 

[36]           Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de leur argument que 17 des 19 agents de l’unité ont été assassinés. Le défendeur affirme que la Commission a examiné les éléments de preuve présentés à l’appui de la version des faits du demandeur et qu’il était raisonnable de la part de la Commission de rejeter ces éléments de preuve au motif qu’ils n’étaient pas convaincants. Le défendeur signale en particulier que les éléments de preuve présentés au sujet du décès du partenaire du demandeur contredisaient le témoignage que le demandeur avait donné au sujet de ce même partenaire et qu’il n’avait donc pas été en mesure de corroborer sa propre version des faits.

 

[37]           Le défendeur affirme que la Commission avait le droit de rejeter les explications données par le demandeur au sujet des opérations de son unité et de l’infiltration d’un informateur en les qualifiant d’invraisemblables. Le défendeur affirme que la Cour ne peut évaluer de nouveau les éléments de preuve que la Commission a dûment examinés.

 

[38]           En réponse à l’argument des demandeurs suivant lequel la Commission a utilisé de façon contradictoire la réponse de la police au signalement officiel soumis par le demandeur, le défendeur affirme que l’analyse de la Commission n’avait rien de contradictoire. Après avoir accordé peu de poids à la réponse donnée par la police, la Commission a expliqué plus en détail les raisons pour lesquelles le récit donné par le demandeur au sujet des tentatives qu’il avait faites pour obtenir une protection était invraisemblable et contredisait la preuve.

 

[39]           La Cour n’est pas convaincue que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité du demandeur était déraisonnable. En prétendant que la Commission avait eu tort de juger invraisemblables plusieurs des parties du récit, les demandeurs se trouvent en fait à demander une réévaluation de la preuve dont disposait la Commission, ce qui déborde le cadre de sa compétence.

 

[40]           La Cour est d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission a conclu de façon claire que le demandeur manquait de façon générale de crédibilité et qu’elle a étayé cette conclusion en citant plusieurs exemples de témoignages invraisemblables, d’exagérations, d’embellissements ou de vagues souvenirs.

 

[41]           La Cour est d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y avait rien de contradictoire dans la déclaration de la Commission suivant laquelle le demandeur avait « peut‑être été assigné à une unité connue sous le nom d’Elite Cobra » pour ensuite déclarer : « Le Tribunal ne croit pas que le demandeur d’asile était membre d’une unité policière spéciale chargée d’enquêter et de s’en prendre à des narcotrafiquants notoires, et qu’il a participé à sa création en tant que membre ». La seconde affirmation contient un plus grand nombre de faits que la première et la Cour estime qu’il était raisonnable de la part de la Commission d’accepter un élément secondaire de la version des faits du demandeur (le fait d’avoir été assigné à une unité appelée Cobra Elite) pour finalement rejeter l’ensemble de son récit. De plus, compte tenu de la conclusion claire tirée par la Commission au sujet du manque général de crédibilité, la Cour estime que l’emploi de l’expression « a peut‑être été » ne constituait pas une conclusion ambiguë au sujet de la crédibilité qui entraînerait une erreur justifiant l’infirmation de la décision de la Commission.

 

[42]           La Cour n’est pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la Commission s’est livrée à une analyse microscopique de la preuve. Il est vrai que la date à laquelle le demandeur a obtenu son diplôme et celle à laquelle l’unité Cobra Elite a été créée sont des détails relativement peu importants. Toutefois, la conclusion négative que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité ne reposait pas uniquement sur le fait que le demandeur n’arrivait pas à se souvenir des dates en question; il ne s’agissait que de deux d’une longue liste d’exemples de cas où le demandeur n’avait pas fourni des détails suffisants pour être jugé crédible.

 

[43]           La Cour n’est également pas convaincue que la Commission a commis une erreur en ne motivant pas son rejet des notes de menaces soumises par les demandeurs. Dans sa décision, la Commission affirme ce qui suit : « Le tribunal croit que les notes font partie de la stratégie du demandeur d’asile, qui consiste à se servir d’exagérations et d’enjolivements pour étayer sa demande d’asile ». La Commission a donc rejeté les notes de menaces au motif qu’elles n’étaient pas crédibles parce qu’il lui semblait qu’elles avaient été fabriquées de toutes pièces par le demandeur.

 

[44]           Pour mieux illustrer ce qu’elle voulait dire dans ce passage, la Commission a poursuivi en donnant un autre « exemple » de ce genre de fabrication; elle a abordé la question de la photo qui, suivant le demandeur, avait été prise de sa femme à l’insu de celle‑ci. Comme sa femme semblait poser et sourire pour le photographe, la Commission a estimé que « le demandeur a inventé une histoire au sujet de la photo de son épouse qui aurait été prise spontanément par des membres des agents de persécution allégués afin de faire croire à tort au tribunal qu’elle était victime de harcèlement ». La Commission a donc conclu sans équivoque que le demandeur avait l’intention de l’induire en erreur en soumettant les notes et la photo en question et la Cour estime que cette conclusion n’a rien de déraisonnable.

 

[45]           Qui plus est, l’affirmation de la Commission suivant laquelle le demandeur n’a pas signalé les menaces à ses supérieurs n’a pas été formulée sans égard à la preuve. La Commission faisait alors allusion au signalement « informel » que le demandeur prétendait avoir fait avant de faire un signalement officiel un an plus tard. La Commission a estimé que les affirmations du demandeur étaient invraisemblables et il n’y a rien de déraisonnable dans cette conclusion.

 

[46]           La Cour reconnaît que la Commission aurait dû tirer une conclusion claire au sujet de la réponse donnée par la police au signalement officiel que lui avait soumis le demandeur et au sujet du document de la police confirmant que le demandeur faisait partie de l’unité Cobra Elite. La Commission aurait dû clairement indiquer que les documents étaient authentiques ou bien qu’ils étaient faux. Ces documents de la « police fédérale » contredisent directement la conclusion de la Commission, mais la Commission ne leur a à juste titre accordé aucune importance étant donné qu’ils faisaient partie selon elle des inventions et des enjolivements du demandeur.

 

[47]           Enfin, la Cour est d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission ne s’est pas fondée sur l’authenticité de la réponse que la police a donnée et qui est contestée pour tirer d’autres conclusions négatives contre le demandeur. La Commission poursuit plutôt en déclarant ce qui suit au sujet de l’invraisemblance du témoignage donné par le demandeur relativement aux démarches qu’il avait faites pour obtenir de la protection. La Commission déclare, au paragraphe 36 de sa décision :

36        […] En outre, pourquoi ses supérieurs lui auraient‑ils dit que rien ne lui arriverait au moment où le demandeur d’asile aurait signalé de manière informelle des incidents, alors que, dans la réponse à sa plainte officielle, aucune déclaration de la sorte n’a été formulée? En fait, dans la réponse, il est indiqué que ses supérieurs ne pouvaient pas le protéger parce qu’ils n’avaient pas les ressources nécessaires à cette fin.

 

La Commission donne ainsi de plus amples détails au sujet des raisons pour lesquelles elle ne croit pas le témoignage donné par le demandeur au sujet des tentatives faites pour obtenir une protection parce que l’incohérence de la présumée réponse de ses supérieurs rend son récit invraisemblable dans son ensemble. La Cour ne constate donc aucune erreur à cet égard.

 

[48]           Il appartient à la Commission d’apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile. En l’espèce, la Commission a analysé à fond la crédibilité du demandeur et a estimé qu’il s’était donné beaucoup de mal pour embellir, exagérer et fabriquer son témoignage. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion et la Cour n’a donc aucune raison d’intervenir.

 

Deuxième question : La conclusion tirée par la Commission au sujet de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

[49]           Comme la Cour estime que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité était raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée, il n’est pas nécessaire que la Cour aborde cette question.

 

DISPOSITIF

[50]           La Cour estime qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée au sujet de la crédibilité. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

[51]           Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1842‑11

 

INTITULÉ :                                                   ROGELIO ALFREDO ZAPATA RIVAS et autres
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 19 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis et Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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