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Date : 20111020

Dossier : IMM‑2005‑11

Référence : 2011 CF 1202

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

ANDRAS SZTOJKA

Andrasne sztojka
ANDRAS SZTOJKA

NIKLOASZ SZTOJKA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont quatre ressortissants hongrois d’une même famille d’origine ethnique rome. Ils réclament la protection du Canada en raison du harcèlement et de la violence qu’ils ont vécus dans leur pays. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu qu’ils avaient souffert de discrimination, mais elle a conclu qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR) de la décision du 4 février 2011 de la Commission. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[3]               La question centrale soumise à la Commission était celle de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État. Les demandeurs affirmaient qu’ils avaient été victimes de violence, que leurs parents s’étaient vu refuser des possibilités d’emploi et des services médicaux et que les enfants avaient été maltraités à l’école et qu’ils avaient été intimidés dans la rue.

 

[4]               Le commissaire a examiné le témoignage de la mère ainsi que la preuve documentaire. Il n’a pas accepté que les demandeurs s’étaient vu refuser des soins par le système médical du fait de leur origine ethnique. Le commissaire a jugé invraisemblable l’affirmation de la mère que son problème à l’estomac n’avait pas été traité pendant trois ans étant donné qu’un rapport médical de 2008 démontrait qu’elle avait été traitée rapidement à l’époque. Le Formulaire de renseignements personnels des demandeurs précisait que le père, Andras, s’était vu refuser des traitements en 2003 après s’être fait fracturer le nez. Un rapport médical démontrait qu’il avait été traité pour une arête nasale fracturée en 2005. Aucune réponse satisfaisante n’a été donnée par les demandeurs pour expliquer cette contradiction. Les articles de journaux portant sur l’attaque qui était survenue à l’entreprise foraine où les parents travaillaient ne contenaient pas d’indice de motivation raciale.

 

[5]               Le commissaire a conclu que les demandeurs avaient été victimes de discrimination en raison de leur origine ethnique rome mais que cette discrimination n’était pas suffisamment grave pour constituer de la persécution, peu importe que l’on considère les incidents isolément et cumulativement. Le commissaire a examiné les agressions physiques dont les demandeurs avaient été victimes et a conclu qu’elles ne constituaient pas des violations constantes et systémiques de leurs droits de la personne fondamentaux démontrant un refus de l’État de les protéger.

 

[6]               Le commissaire a conclu que les demandeurs disposaient d’une protection suffisante en Hongrie. Suivant la preuve documentaire, il existait des difficultés en Hongrie en ce qui concerne le problème du racisme et de la discrimination envers les Roms. Toutefois, le commissaire a conclu que, même si la situation n’était pas parfaite, le pays faisait des efforts sérieux et véritables pour éradiquer le problème. Dans le cas précis des demandeurs, la Commission a signalé que la police avait fait enquête au sujet de l’altercation dans laquelle le fils aîné Andreas avait été impliqué en 2007. La police était également intervenue lors de l’agression dont les demandeurs avaient fait l’objet à la fête foraine. Dans l’ensemble, le commissaire a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Bien que les demandeurs aient remis en question les conclusions d’invraisemblance dans leurs observations écrites, les avocats des parties s’en sont tenus aux questions suivantes lors de leur plaidoyer devant la Cour :

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les mauvais traitements dont les demandeurs avaient été victimes n’équivalaient pas à de la persécution vu l’ensemble de la preuve, y compris leur témoignage?

            2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État?

 

ANALYSE

 

[8]               Les questions en litige dans la présente affaire sont toutes axées sur les faits, ce qui donne lieu à l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 698; Tetik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1240; Bledy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491; et Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503).

 

[9]               Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[10]           S’agissant des questions de fait, la Cour fédérale peut intervenir en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F‑7, uniquement si elle estime que l’auteur de la décision « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Lorsqu’il a formulé ce motif de contrôle, le législateur entendait réserver un degré élevé de déférence aux conclusions de fait tirées par le tribunal administratif (Khosa, précité, au paragraphe 46).

 

[11]           Il est de jurisprudence constante que les demandeurs d’asile doivent soumettre des confirmations claires et convaincantes de l’incapacité de l’État de les protéger (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Il n’est pas nécessaire que la protection accordée par l’État soit parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, (1992) 18 Imm LR (2d) 130 (CAF)).

 

[12]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, aux paragraphes 17 à 30, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de la charge de preuve, de la norme de preuve et de la qualité des éléments de preuve nécessaires pour réfuter la présomption de protection de l’État. Le demandeur a le fardeau de présentation ainsi que le fardeau ultime : il doit présenter des éléments de preuve démontrant que la protection de l’État est insuffisante et il doit convaincre l’arbitre des faits que la preuve présentée démontre que la protection de l’État est insuffisante. La preuve aura une valeur probante suffisante si elle convainc l’arbitre des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante. Les éléments de preuve doivent par conséquent être pertinents, fiables et convaincants.

 

[13]           En l’espèce, se fondant sur l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), les demandeurs soutiennent que le commissaire a commis une erreur en refusant d’ajouter foi à leur témoignage qu’ils n’avaient pas reçu des soins médicaux suffisants et en accordant une plus grande valeur à la preuve documentaire. Ils soutiennent que le commissaire a commis une erreur en fixant une norme de « discrimination systémique » tellement élevée que seules les personnes sans instruction, travail ou logement seraient en mesure de répondre à la définition de personnes persécutées en Hongrie. Ils soutiennent également que le commissaire a mal interprété les centaines de pages de documents déposés en preuve qui appuyaient la thèse des demandeurs suivant laquelle on assiste à des violations systémiques et constantes des droits de la personne en Hongrie, ajoutant que le commissaire a mal compris et mal appliqué le critère de la persécution.

 

[14]           Sur la conclusion déterminante du commissaire suivant laquelle ils pouvaient se prévaloir d’une protection suffisante de l’État, les demandeurs affirment que le commissaire a commis une erreur en se fondant sur les mesures prises en Hongrie pour améliorer la situation sans procéder à une analyse rigoureuse de l’efficacité des résultats.

 

[15]           J’estime que le commissaire n’a pas commis d’erreur dans les conclusions qu’il a tirées au sujet de la persécution et de la protection de l’État. Sa décision était exhaustive et bien motivée, et ses conclusions étaient raisonnables. Les motifs de la décision expliquent clairement l’analyse du commissaire. Les conclusions reposaient sur les éléments de preuve dont disposait la Commission et elles étaient raisonnables.

 

[16]           Contrairement à ce que les demandeurs prétendent dans leurs observations écrites, le commissaire n’a pas écarté leur témoignage pour cause d’absence de corroboration. Le commissaire a examiné attentivement les documents soumis par les demandeurs (les rapports médicaux et un article publié dans un journal) et il a comparé ces éléments de preuve au témoignage de la demanderesse adulte. En cas de contradiction, la demanderesse adulte s’est vu accorder la possibilité de donner des explications. Il était loisible au membre de conclure que la demanderesse adulte n’avait pas fourni d’explications raisonnables. En ce qui concerne l’argument que les demandeurs adultes s’étaient vu refuser des soins médicaux, le commissaire a conclu de façon raisonnable qu’il ressortait des rapports médicaux qu’ils avaient reçu des soins adéquats lorsqu’ils en avaient eu besoin.

 

[17]           Le commissaire n’a pas commis d’erreur en appliquant une norme de « discrimination systémique » pour conclure à la persécution. Ainsi que le défendeur le souligne et comme le commissaire l’explique dans sa décision, ce critère est tiré de l’arrêt de principe, en l’occurrence l’arrêt Ward, précité. Les demandeurs citent le jugement Saad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1140, (2000) 187 FTR 262, à l’appui de la proposition que le critère de la « discrimination systémique » n’est pas approprié. Ce n’est pas l’interprétation que je fais de cette décision. Dans cette affaire, la demande avait été accueillie parce que le tribunal s’était concentré sur les intentions du gouvernement étranger plutôt que sur ses actions.

 

[18]           Les demandeurs ne prétendent pas que le résumé de leur preuve fourni par le commissaire n’est pas raisonnable. Le commissaire a également examiné les indicateurs sociaux, tant positifs que négatifs, se rapportant à la situation des Roms en Hongrie sur le plan de l’instruction, de l’emploi, du logement et des soins médicaux. Le commissaire s’est de toute évidence penché sur les renseignements négatifs contenus dans la preuve documentaire. Il a apprécié la preuve et l’a appliquée en fonction des critères de la persécution. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, les documents négatifs portant sur la situation en Hongrie n’ont pas été ignorés; le commissaire a estimé que les expériences personnelles vécues par les demandeurs ne répondaient pas à la définition de la persécution. Il s’agissait d’une conclusion qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer vu l’ensemble de la preuve.

 

[19]           La demande des demandeurs repose largement sur l’expérience collective des Roms en Hongrie plutôt que sur leur histoire personnelle. Bien que l’expérience des personnes présentant des profils semblables doive être prise en compte pour déterminer si la persécution est systémique, chaque cas demeure un cas d’espèce. Dans le cas qui nous occupe, l’analyse que le commissaire a faite de la possibilité pour les demandeurs de se prévaloir de la protection de l’État était réfléchie, bien motivée, et soigneusement libellée de manière à se conformer à la jurisprudence applicable.

 

[20]           Ainsi, on trouvait dans la documentation soumise à la Commission des éléments de preuve indiquant qu’il y avait eu des cas de violence policière envers les Roms en Hongrie. Il ressort toutefois à l’évidence des éléments de preuve présentés par les demandeurs que, par le passé, ils n’ont pas eu de difficulté à obtenir l’aide de la police. D’ailleurs, l’affirmation des demandeurs suivant laquelle ils craignent la police hongroise a été soulevée pour la première fois dans leur mémoire complémentaire et elle n’avait pas été formulée devant la Commission.

 

[21]           En conclusion, je suis convaincu que les motifs de la décision du commissaire en l’espèce sont transparents, intelligibles et justifiés vu l’ensemble de la preuve et que sa décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. La demande est par conséquent rejetée.

 

[22]           Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune ne sera donc certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2005‑11

 

INTITULÉ :                                                   ANDRAS SZTOJKA
Andrasne sztojka
ANDRAS
SZTOJKA
NIKLOASZ SZTOJKA

                                                                                                            demandeurs

                                                                        et

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                            défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter G Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova LLP

 

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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