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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20111021

Dossier : IMM‑3833‑10

Référence : 2011 CF 1209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2011

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

OLEG KOLOSOV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Oleg Kolosov [le demandeur] sollicite, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision en date du 1er juin 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger [la décision contrôlée].

 

[2]               Par les motifs dont l’exposé suit, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

LES FAITS

 

[3]               En 2007, au moment des événements pertinents, le demandeur avait 22 ans et habitait avec ses parents et sa sœur à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Inscrit comme gymnaste à une académie sportive de cette ville, il y a fait la rencontre d’une condisciple de 20 ans nommée Nani Mamiani, dont la famille vivait en province, plus précisément en Svanétie, et qui pour cette raison logeait chez un oncle à Tbilissi pendant ses études.

 

[4]               Le demandeur et Nani ont alors commencé à sortir ensemble et elle est par la suite tombée enceinte.

 

[5]               Le demandeur a déclaré ce qui suit devant la Commission :

(i)                  Il savait que le père de Nanni lui avait choisi un Svanète pour futur mari.

(ii)                Nani et lui connaissaient les moyens contraceptifs, mais n’en ont pas utilisé parce qu’ils avaient décidé de se marier et de fonder une famille.

(iii)               Il a appris deux jours après le fait que Nani avait consulté, à un hôpital de Tbilissi, un gynécologue qui lui avait confirmé qu’elle était enceinte.

(iv)              Une infirmière qui assistait ce gynécologue et qui était une voisine de l’oncle de Nani a fait part à ce dernier de la grossesse de sa nièce.

(v)                Battue par son père et son oncle, Nani leur a révélé que c’était le demandeur qui l’avait mise enceinte. Elle a été ramenée chez ses parents en Svanétie et forcée d’avorter.

(vi)              Le père et d’autres parents de Nani se sont rendus chez le demandeur à Tbilissi, où ils ont crié à son adresse des menaces de mort qu’ont entendues sa sœur, un ami à lui et des voisins. Le demandeur était lui-même absent à ce moment.

(vii)             Informé de ces menaces, le demandeur est allé se cacher chez un ami d’abord, puis chez ses grands-parents. Plus tard, en octobre 2007, il a profité d’un voyage de son équipe sportive à Québec pour y demander l’asile.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié, et cette conclusion n’est pas contestée.

 

[7]               Cependant, la Commission a aussi conclu :

(i)                  que le demandeur n’a pas qualité de personne à protéger, au motif que son récit n’est pas crédible;

(ii)                qu’il n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[8]               Ces deux conclusions sont liées, comme l’indique le passage suivant de la décision contrôlée : « Étant donné que j’ai conclu que le demandeur d’asile n’est pas crédible, j’ai accordé plus de valeur aux renseignements figurant dans les documents sur le pays qu’à ceux fournis par le demandeur d’asile parce qu’ils proviennent d’organisations indépendantes de défense des droits de la personne qui n’ont aucun intérêt pour la présente demande d’asile ni pour aucune autre demande d’asile. »

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               Les questions à trancher me paraissent être les suivantes :

1)      Les conclusions sur la crédibilité du demandeur sont-elles raisonnables?

2)      La conclusion sur la protection de l’État est-elle raisonnable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[10]           La crédibilité aussi bien que la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit et à ce titre relèvent de la norme de la raisonnabilité; voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 51.

 

ANALYSE

 

[11]           La Commission expose dans les termes suivants sa première conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur :

[…] Le demandeur d’asile a mentionné que Nani était allée à l’hôpital parce qu’elle ne se sentait pas bien et qu’elle avait appris à ce moment‑là qu’elle était enceinte. J’estime que cette déclaration n’est pas crédible. Selon le demandeur d’asile, Nani étudiait à l’université et connaissait les moyens de contraception, mais avait décidé de ne pas en utiliser. Il aurait été raisonnable qu’elle soupçonne qu’elle était enceinte lorsque ses règles ne sont pas apparues parce que, selon le demandeur d’asile, elle était enceinte de deux mois à ce moment‑là, qu’elle consulte un médecin en raison de l’inconfort qu’elle éprouvait et du fait qu’elle ne se sentait pas bien, et qu’elle cherche à obtenir la confirmation de sa grossesse. Il n’est pas raisonnable qu’elle ait consulté un médecin simplement parce qu’elle ne se sentait pas bien et non parce qu’elle croyait être enceinte. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ni digne de foi.

 

[12]           Cette conclusion est à mon sens déraisonnable, au motif qu’elle ne rend pas compte avec exactitude des déclarations du demandeur. Interrogé sur le point de savoir pourquoi Nani avait consulté un gynécologue, il a répondu non pas, de manière vague et générale, qu’« elle ne se sentait pas bien », mais plutôt qu’[TRADUCTION] « elle était indisposée par des étourdissements et des nausées ». Il ressort à l’évidence de ces symptômes, conjugués au fait que Nani avait décidé de consulter un gynécologue plutôt qu’un généraliste, qu’elle était consciente de sa grossesse quand elle s’est rendue à l’hôpital.

 

[13]           Par ces motifs, la Cour doit infirmer la conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur que la Commission a tirée de la prémisse que Nani, selon lui, se serait sentie tout simplement souffrante sans soupçonner qu’elle soit enceinte.

 

[14]           La Commission a aussi conclu que manquaient de crédibilité les déclarations du demandeur selon lesquelles l’infirmière du gynécologue avait informé l’oncle de Nani de la grossesse de cette dernière. Or son analyse de ces déclarations se révèle déraisonnable au motif qu’elle omet d’y mentionner le fait que cette infirmière était une voisine de l’oncle chez qui habitait Nani. Il paraît donc vraisemblable qu’elle ait reconnu Nani et qu’elle connaisse son oncle. Il n’est pas possible d’établir avec certitude pourquoi elle a commis cette indiscrétion. Peut-être était‑ce ce par malveillance, peut-être par conviction que la famille avait le droit de savoir. Quels que soient ses motifs, il est tout à fait possible que, étant une voisine de l’oncle de Nani, elle l’ait informé de la grossesse de la jeune femme.

 

[15]           À propos de la même question, la Commission a également conclu qu’il était peu vraisemblable qu’une infirmière déroge à son obligation de confidentialité professionnelle et mette sa carrière en danger en potinant sur Nani. Or il me paraît déraisonnable de conclure, sans preuves à l’appui, qu’on applique en Géorgie les mêmes normes que les nôtres en matière de déontologie et de protection des droits des patients à la confidentialité.

 

CONCLUSIONS DE LA COUR

 

[16]           À mon avis, les deux premières conclusions défavorables sur la crédibilité sont déraisonnables au motif qu’elles ne se fondent pas sur une intelligence exacte de la preuve pertinente. La troisième conclusion me paraît déraisonnable parce qu’elle applique des valeurs canadiennes à un contexte où elles n’ont vraisemblablement pas cours.

 

[17]           Enfin, comme ces conclusions sur la crédibilité ont amené le tribunal de la Commission à écarter complètement la preuve du demandeur concernant la protection de l’État, la conclusion dudit tribunal sur ce dernier point est elle aussi déraisonnable et ne peut être maintenue.

 

La certification en vue d’un appel

 

[18]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée à la certification sous le régime de l’article 74 de la Loi.

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE, par les motifs qui précèdent, que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande de protection du demandeur est renvoyée à la Commission pour réexamen par un tribunal différemment constitué, devant lequel les deux parties pourront produire de nouveaux éléments de preuve.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3833‑10

 

INTITULÉ :                                       OLEG KOLOSSOV c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yerzy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Yerzy

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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