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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111026

Dossier : IMM-1497-11

Référence : 2011 CF 1183

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Lilian ROSAS MALDONADO

Martha Andrea GOMEZ ROSAS

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par Lilian Rosas Maldonado et Martha Andrea Gomez Rosas (les demanderesses). La Commission a déterminé que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la loi.

 

[2]               Les demanderesses sont une mère et sa fille du Mexique. La fille, Mme Gomez Rosas (la demanderesse), a habité illégalement en Californie pendant de nombreuses années et est retournée au Mexique en juillet 2006 avec sa mère, Mme Rosas Maldonado, pour habiter à Puebla, puis à Aguascalientes à partir de septembre 2007. La fille a obtenu un emploi comme professeur d’anglais. Elle a plus tard rencontré M. Diego Sanchez, qui est devenu son petit ami. Lorsque la demanderesse est tombée enceinte, M. Sanchez est devenu violent et a nié sa paternité.

 

[3]               La demanderesse a été enlevée et a subi des agressions sexuelles. Deux semaines plus tard, on l’a amenée à une clinique d’avortement [traduction] « clandestine », d’où elle a réussi à s’échapper.

 

[4]               Les demanderesses sont toutes les deux retournées à Puebla, mais elles y ont vu M. Sanchez. Elles se sont ensuite brièvement rendues à Mexico DF, où la demanderesse croit avoir vu M. Sanchez, bien qu’elle n’en soit pas certaine. Par conséquent, les demanderesses ont obtenu des passeports et se sont rendues à Montréal, où elles ont demandé l’asile. Après leur arrivée à Montréal, la demanderesse a donné naissance à un fils, qui est citoyen canadien.

 

* * * * * * * *

 

[5]               La décision contestée comprend les conclusions suivantes :

-                     La Commission a conclu que les demanderesses étaient crédibles et elle a cru à leur récit. Les questions déterminantes étaient celles de savoir si la demanderesse est toujours en danger et s’il existait une protection de l’État et une possibilité de refuge intérieur (PRI).

-                     La Commission a aussi conclu qu’il n’existait aucun lien avec l’un des motifs de la Convention. La demanderesse a été ciblée pour des raisons financières par un criminel prédateur principalement en raison de sa jeunesse.

-                     La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demanderesses n’intéresseraient plus l’agresseur M. Sanchez. La demanderesse a refusé de travailler pour M. Sanchez et les demanderesses n’ont pas accès à de l’argent. Par conséquent, elles ont peu d’utilité à titre d’otages pour une rançon. Le fait que M. Sanchez ait contesté la paternité de l’enfant de la demanderesse semble indiquer qu’il ne s’intéresse plus à elle. Autrement, il aurait pu utiliser sa relation avec son enfant pour la contrôler.

-                     Malgré le fait que M. Sanchez a un ami dans les forces policières, rien n’indique qu’il a l’intérêt ou la capacité de retrouver les demanderesses au Mexique. Les demanderesses ne croient pas que M. Sanchez fait partie d’un gang. Il habite à Aguascalientes, une ville relativement petite à environ 300 milles de Mexico. La preuve laisse entendre qu’il est un petit criminel local et qu’il n’est pas lié à Los Zetas, qui opère à Aguascalientes.

-                     Les demanderesses n’on fait aucun effort pour communiquer avec les policiers ou pour obtenir la protection de l’État. Elles ont déclaré qu’elles [traduction] « ne croient pas en la police ». Cependant, la preuve documentaire atteste des efforts de réforme et d’amélioration des services policiers au Mexique. Rien dans les faits en l’espèce ne donne à penser que les policiers seraient incapables d’aider les demanderesses. Les policiers à Aguascalientes combattent activement Los Zetas et la preuve montre qu’ils déploient un [traduction] « effort sérieux » afin de protéger les citoyens. Les demanderesses ne font pas face à une menace aussi importante que celle que pose Los Zetas.

-                     Il semble peu probable que M. Sanchez tenterait de retrouver les demanderesses à Mexico, DF, ou qu’il les y croiserait accidentellement. Il ne serait pas déraisonnable pour les demanderesses d’y habiter, puisqu’elles l’ont déjà fait.

* * * * * * * *

 

[6]               Tout d’abord, en ce qui a trait à la question de la PRI, qui est déterminante pour une demande d’asile (Sarker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 353, au paragraphe 5), la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir Lopez Martinez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 550, au paragraphe 14, et Navarro c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 358, aux paragraphes 12 à 14). Par conséquent, les conclusions de la Commission à ce sujet doivent appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[7]               En l’espèce, les demanderesses soutiennent que la conclusion de la Commission au sujet du fait que M. Sanchez n’est qu’un petit criminel, plutôt qu’une personne liée aux gangs mexicains, n’est que pure conjecture plutôt qu’une conclusion fondée sur les faits. Cela affecterait la conclusion de la Commission selon laquelle M. Sanchez n’aurait pas la capacité de retrouver les demanderesses ailleurs au Mexique.

 

[8]               Cependant, il convient de noter que les demanderesses ont précisément déclaré à la Commission qu’elles ne croyaient pas que M. Sanchez était membre d’un gang. Par conséquent, je ne suis pas d’avis que la conclusion de la Commission relève de la conjecture : la Commission s’est fondée sur la preuve des demanderesses elles‑mêmes pour tirer cette conclusion.

 

[9]               Les demanderesses soutiennent aussi que leur témoignage a prouvé que M. Sanchez avait des réseaux de personnes qui travaillaient pour lui et que les agents de police s’en étaient remis à lui plutôt que d’aider la demanderesse lorsqu’elle a été enlevée. Le fait que la demanderesse ait vu son persécuteur à Puebla et possiblement à Mexico illustre le fait que M. Sanchez la cherchait.

 

[10]           De plus, le fait que M. Sanchez s’est rendu à Mexico signifie que cette ville ne serait pas une PRI raisonnable pour les demanderesses; elles vivraient dans la crainte constante d’être retrouvées. Elles soutiennent que la Commission n’a pas seulement omis de tenir compte de ce fait, mais a aussi omis de tenir compte de l’état de santé mentale post‑traumatique de la demanderesse, découlant de l’abus dont elle a souffert, comme le montre la preuve.

 

[11]           Cependant, je souscris à l’argument du défendeur, qui réitère le critère à deux volets d’une PRI et qui soutient que la crainte subjective de se relocaliser dans le même pays n’est pas suffisante pour renverser une conclusion de PRI (Kanagaratnam c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1996), 194 N.R. 46 (C.A.F.)). La Commission a conclu que le fait que les demanderesses aient vu M. Sanchez à Puebla était probablement une coïncidence, puisqu’il n’a déployé aucun effort pour trouver la demanderesse à la maison de sa tante. La demanderesse elle‑même a reconnu que l’homme qu’elle avait vu à Mexico, DF, pouvait ne pas avoir été M. Sanchez. La Commission a reconnu que la demanderesse était « visiblement traumatisée par l’épreuve qu’elle a vécue ». Bien que le témoignage de la demanderesse puisse établir sa crainte subjective de retourner à Mexico, cela ne réfute pas la raisonnabilité de la PRI proposée (I.M.P.P. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 259, au paragraphe 49). Les demanderesses n’ont pas démontré que la conclusion au sujet de la PRI était déraisonnable.

 

[12]           La proposition des demanderesses au sujet du caractère déraisonnable d’établir une PRI à Mexico, DF, semble être fondée principalement sur la possibilité que M. Sanchez ait déjà été vu dans cette ville. Elles ont elles‑mêmes reconnu qu’elles avaient pu se tromper. À mon avis, le fait qu’elles aient possiblement vu M. Sanchez il y a plusieurs années dans une ville populeuse, en plus des conclusions de la Commission selon lesquelles M. Sanchez n’a ni les ressources nécessaires, ni le désir de trouver les demanderesses (que j’estime être des conclusions acceptables fondées sur les faits et sur les circonstances en l’espèce), n’est pas suffisant pour établir que la conclusion de la Commission au sujet de la PRI était déraisonnable.

 

[13]           Les demanderesses soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne mentionnant pas les Directives no 4 du président « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe). La Commission aurait commis une erreur en déterminant que la persécution à laquelle la demanderesse faisait face était le résultat d’une « criminalité prédatrice » et non le résultat du fait qu’elle était une femme.

 

[14]           Je conviens avec le défendeur que rien ne donne à penser que la mention explicite des directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans la décision aurait affecté la demande des demanderesses. La Commission a raisonnablement conclu qu’il existait une PRI pour les demanderesses. Il n’y a eu aucune allégation d’insensibilité de la part de la Commission en ce qui a trait à ce que Mme Gomez Rosas a vécu. La Commission a reconnu que les crimes en question étaient « odieux » et elle a cru entièrement au récit de la demanderesse. Rien ne donne à penser que la Commission n’a pas tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Plutôt, la question déterminante était celle de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur raisonnable.

 

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[15]           Pour les motifs susmentionnés, comme j’ai conclu que l’analyse de la Commission au sujet de la PRI à Mexico, DF, était raisonnable, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[16]           Les demanderesses ont proposé la question suivante pour certification :

L’hypothèse selon laquelle le viol n’est pas un crime fondé sur le sexe et témoignant d’inégalités entre les sexes lorsqu’il est commis par un membre d’une organisation criminelle peut-elle être appliquée alors qu’elle témoigne d’une prise en compte de la qualité de l’agresseur et non de celle de la victime?

 

 

 

[17]           Je souscris à l’argument de l’avocat du défendeur selon lequel la question proposée ne satisfait pas au critère établi dans l’arrêt Liyanagamage c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1994), 176 N.R. 4, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que, pour qu’elle soit certifiée, la question proposée doit transcender l’intérêt des parties et porter sur des questions graves ou d’application générale. La question doit aussi être déterminante.

 

[18]           En l’espèce, la question n’est pas pertinente, parce que la Commission n’a pas appliqué l’hypothèse décrite dans la question à certifier proposée par les demanderesses, elle n’a même jamais déclaré ou conclu que le viol n’est pas un crime fondé sur le sexe lorsqu’il est commis par un membre d’une organisation criminelle. En fait, elle a conclu que, selon les faits en l’espèce, les demanderesses n’avaient pas établi qu’il existait un lien avec un des motifs prévus par la Convention.

 

[19]           De plus, la question en l’espèce n’est pas déterminante, parce que la Commission a rejeté la demande des demanderesses parce qu’elles n’ont pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État. La Commission a aussi conclu qu’elles pouvaient se prévaloir d’une PRI. Il est bien établi en droit que ces conclusions sont toutes les deux déterminantes d’une demande d’asile, en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[20]           Par conséquent, la question proposée n’est pas certifiée.

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié selon laquelle les demanderesses ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1497-11

 

INTITULÉ :                                       Lilian ROSAS MALDONADO, Martha Andrea GOMEZ ROSAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Annick Legault                         POUR LES DEMANDERESSES

 

Charles Junior Jean                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault                                     POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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