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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111026

Dossier : IMM-1665-11

Référence : 2011 CF 1184

Ottawa (Ontario), ce 26e jour d’octobre 2011

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Marwan Mohamad CHARABI

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section d’appel de l’immigration (« SAI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) par Marwan Mohamad Charabi (le demandeur). Le tribunal a refusé d’accorder un nouveau sursis de renvoi pour motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]          Le demandeur est né en Syrie en 1965 et est venu au Canada en 1987. Il est devenu résident permanent. Entre 1989 et 1996 il a subi les cinq condamnations suivantes :

·        1989 : obstruction à un agent de police

·        1992 : voies de fait

·        1993 : « unlawful manufacturing » de tabac

·        1994 : avoir proféré des menaces

·        1996 : complot pour commettre un acte criminel

 

 

 

[3]          Le 9 mars 1999, une mesure de renvoi a été émise contre le demandeur par la SAI après qu’elle eut conclu qu’il était inadmissible parce que visé par le sous-alinéa 27(1)d)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration (un résident permanent ayant été déclaré coupable d’un acte punissable par une sentence d’emprisonnement de plus de cinq ans). Le demandeur a fait appel de cette mesure devant la SAI pour motifs d’ordre humanitaire et un sursis de trois ans lui a été accordé le 11 août 1999. Le 6 novembre 2002, un sursis additionnel d’un an a été accordé.

 

[4]          Le 26 mai 2004, la SAI a été saisie pour déterminer si un sursis additionnel était justifié. Elle a alors constaté que le demandeur n’avait pas respecté les conditions imposées lors des sursis antérieurs, notamment celle de rapporter toute nouvelle accusation portée contre lui. En effet, le demandeur avait été accusé en 2001 d’être en possession illégale de tabac et aussi de vol et de recel. La SAI lui a néanmoins accordé un sursis additionnel.

 

[5]          Le 17 novembre 2005, la SAI a mis fin au sursis de la mesure de renvoi. Le demandeur a contesté cette décision et cette Cour a accordé sa demande de contrôle judiciaire le 17 août 2006, retournant l’affaire à la SAI pour une nouvelle détermination. Le demandeur faisait alors l’objet de nouvelles accusations criminelles et attendait son procès. Le dossier a donc été suspendu.

[6]          Le 1er octobre 2010, le demandeur a reconnu avoir commis les infractions reprochées; il a reçu une absolution conditionnelle et s’est vu imposer une année de probation ainsi qu’une amende de 58 000 $. En date d’aujourd’hui, la totalité de cette amende demeurerait impayée.

 

* * * * * * * *

 

[7]          Le tribunal a pris en compte, au paragraphe 13 de sa décision, les critères mentionnés par la Commission d’appel de l’immigration dans l’affaire Ribic c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (20 août 1985), IAB 84-9623, afin de déterminer s’il y avait des circonstances justifiant un sursis additionnel.

 

[8]          Le tribunal a noté que la prétention de l’avocat du demandeur voulant que ce dernier ait seulement commis deux infractions n’était pas juste. Le tribunal a en outre noté que le demandeur a fréquenté M. Ibrahim Sobh, son coauteur dans l’infraction de 2001, lors de l’infraction de 2005. Or, les conditions du sursis interdisaient au demandeur de fréquenter des personnes ayant un casier judiciaire chargé. Le tribunal a jugé que le demandeur avait donc violé cette condition ainsi que celle exigeant qu’il déclare toute nouvelle accusation criminelle. Le tribunal a considéré que, dans son affidavit, le demandeur tentait de minimiser ses activités criminelles. Le tribunal a estimé en outre que le demandeur n’était pas crédible et que sa bonne conduite depuis 2005 pourrait s’expliquer par son seul désir de ne pas empirer sa situation devant la cour criminelle.

 

[9]          Le tribunal a noté qu’un sursis avait été accordé au demandeur en 1999 parce que la SAI avait cru que celui-ci n’allait pas récidiver. De plus, le demandeur a des enfants canadiens et leurs intérêts ont été pris en compte. En récidivant durant la période du sursis, le tribunal s’est dit d’avis que le demandeur n’avait pas tenu compte des conséquences de ses actions sur sa famille.

 

[10]      La SAI a reconnu que bien que le demandeur souffrirait de détresse s’il retournait en Syrie, où il a deux sœurs, il ne ferait pas face à un risque personnalisé.

 

[11]      Enfin, le tribunal conclut qu’il ne s’agit pas ici d’une infraction isolée, mais plutôt d’une série d’actes criminels. La SAI a estimé que le demandeur ne regrettait pas ses actions. Bien qu’il ait une femme et des enfants au Canada et que son départ leur causerait des difficultés, et bien que les infractions n’étaient pas violentes, la SAI a jugé les critères négatifs plus importants. La SAI a de plus considéré que rien n’empêcherait que sa famille aille lui rendre visite en Syrie. La SAI a enfin considéré, par ailleurs, que le demandeur avait eu plus que sa part d’occasions de modifier son comportement criminel.

 

* * * * * * * *

 

[12]      Les dispositions statutaires pertinentes sont les suivantes :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 :

 

Motifs d’ordre humanitaire

 

 

  65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

  65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

Fondement de l’appel

 

  67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

 

  67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Sursis

 

  68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

Effet

  (2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Suivi

  (3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

 

 

 

Classement et annulation

  (4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

Removal order stayed

 

  68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Effect

  (2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

 

(a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary;

 

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

 

(c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and

 

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

 

Reconsideration

  (3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

 

Termination and cancellation

  (4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

 

 

 

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-34 :

Absolutions inconditionnelles et sous conditions

 

  730. (1) Le tribunal devant lequel comparaît l’accusé, autre qu’une organisation, qui plaide coupable ou est reconnu coupable d’une infraction pour laquelle la loi ne prescrit pas de peine minimale ou qui n’est pas punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou de l’emprisonnement à perpétuité peut, s’il considère qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu’il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans l’ordonnance rendue aux termes du paragraphe 731(2).

 

[…]

Conditional and absolute discharge

 

 

  730. (1) Where an accused, other than an organization, pleads guilty to or is found guilty of an offence, other than an offence for which a minimum punishment is prescribed by law or an offence punishable by imprisonment for fourteen years or for life, the court before which the accused appears may, if it considers it to be in the best interests of the accused and not contrary to the public interest, instead of convicting the accused, by order direct that the accused be discharged absolutely or on the conditions prescribed in a probation order made under subsection 731(2).

 

[…]

 

Conséquence de l’absolution

  (3) Le délinquant qui est absous en conformité avec le paragraphe (1) est réputé ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction; toutefois, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) le délinquant peut interjeter appel du verdict de culpabilité comme s’il s’agissait d’une condamnation à l’égard de l’infraction à laquelle se rapporte l’absolution;

 

b) le procureur général ou, dans le cas de poursuites sommaires, le dénonciateur ou son mandataire peut interjeter appel de la décision du tribunal de ne pas condamner le délinquant à l’égard de l’infraction à laquelle se rapporte l’absolution comme s’il s’agissait d’un jugement ou d’un verdict d’acquittement de l’infraction ou d’un rejet de l’accusation portée contre lui;

 

c) le délinquant peut plaider autrefois convict relativement à toute inculpation subséquente relative à l’infraction.

Effect of discharge

  (3) Where a court directs under subsection (1) that an offender be discharged of an offence, the offender shall be deemed not to have been convicted of the offence except that

 

(a) the offender may appeal from the determination of guilt as if it were a conviction in respect of the offence;

 

 

 

(b) the Attorney General and, in the case of summary conviction proceedings, the informant or the informant’s agent may appeal from the decision of the court not to convict the offender of the offence as if that decision were a judgment or verdict of acquittal of the offence or a dismissal of the information against the offender; and

 

 

(c) the offender may plead autrefois convict in respect of any subsequent charge relating to the offence.

 

 

 

Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47 :

Restrictions relatives aux demandes de réhabilitation

 

  4. Nul n’est admissible à présenter une demande de réhabilitation avant que la période consécutive à l’expiration légale de la peine, notamment une peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende, énoncée ci-après ne soit écoulée :

 

a) dix ans pour les sévices graves à la personne au sens de l’article 752 du Code criminel, notamment l’homicide involontaire coupable, en cas de condamnation à l’emprisonnement de deux ans ou plus ou pour une infraction visée à l’annexe 1 qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation, ou cinq ans pour toute autre infraction qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation, pour une infraction visée à l’annexe 1 qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou pour une infraction qui est une infraction d’ordre militaire au sens de la Loi sur la défense nationale en cas de condamnation à une amende de plus de deux mille dollars, à une peine de détention de plus de six mois, à la destitution du service de Sa Majesté, à l’emprisonnement de plus de six mois ou à une peine plus lourde que l’emprisonnement pour moins de deux ans selon l’échelle des peines établie au paragraphe 139(1) de cette loi;

 

b) trois ans pour l’infraction, autre qu’une infraction visée à l’alinéa a), qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou qui est une infraction d’ordre militaire au sens de la Loi sur la défense nationale.

Restrictions on application for pardon

 

 

  4. A person is ineligible to apply for a pardon until the following period has elapsed after the expiration according to law of any sentence, including a sentence of imprisonment, a period of probation and the payment of any fine, imposed for an offence:

 

 

(a) 10 years, in the case of a serious personal injury offence within the meaning of section 752 of the Criminal Code, including manslaughter, for which the applicant was sentenced to imprisonment for a period of two years or more or an offence referred to in Schedule 1 that was prosecuted by indictment, or five years in the case of any other offence prosecuted by indictment, an offence referred to in Schedule 1 that is punishable on summary conviction or an offence that is a service offence within the meaning of the National Defence Act for which the offender was punished by a fine of more than two thousand dollars, detention for more than six months, dismissal from Her Majesty’s service, imprisonment for more than six months or a punishment that is greater than imprisonment for less than two years in the scale of punishments set out in subsection 139(1) of that Act; or

 

 

(b) three years, in the case of an offence, other than one referred to in paragraph (a), that is punishable on summary conviction or that is a service offence within the meaning of the National Defence Act.

 

 

* * * * * * * *

 

[13]      La présente affaire soulève les questions en litige suivantes :

1. La décision est-elle raisonnable?

2. La SAI a-t-elle violé les principes de justice naturelle en refusant au demandeur le droit de témoigner?

 

 

 

[14]      Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit provenant de la SAI sont traitées sous la norme de la décision raisonnable (voir Bodine c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 848 au para 17 et Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 378 au para 12). En particulier, l’évaluation des considérations humanitaires par la SAI relève de son expertise (Gonzalez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1274, 302 F.T.R. 81 au para 21 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 aux para 65-66).

 

[15]      Les questions d’équité procédurale à l’audience, comme les pures questions de droit, sont traitées selon la norme de la décision correcte (Karami c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 788, 349 F.T.R. 96 au para 18, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Suresh, 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3).

 

* * * * * * * *

 

A.  La décision est-elle raisonnable?

[16]      Le demandeur prétend qu’il était déraisonnable pour la SAI de se concentrer sur ses condamnations survenues entre 1989 et 1996 et de minimiser la période postérieure à 2005, période sans accusation additionnelle. Les accusations de 2005 ayant eu comme résultat une absolution conditionnelle, il invoque le Code criminel qui, au paragraphe 730(3), prévoit qu’une absolution conditionnelle a comme effet que le délinquant « est réputé ne pas avoir été condamné ».

 

[17]      Le demandeur prétend en outre que puisque le paragraphe 4(1) de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, prévoit qu’une personne peut demander un pardon cinq ans après la fin de sa sentence pour un délit par mise en accusation de nature non-violente, cette période serait indicative de la longueur d’une période de réhabilitation.

 

[18]      Le demandeur plaide enfin, contrairement aux conclusions de la SAI, qu’il a toujours respecté les conditions des sursis antérieurs. Il n’aurait pas su que M. Sobh était considéré comme criminel. En tout cas, le simple fait de l’avoir fréquenté ne devrait pas neutraliser ses 23 ans de résidence permanente avec une famille habituée à la vie canadienne.

 

[19]      Après révision de la preuve, il appert que la SAI a bien appliqué les critères d’analyse dans Ribic, ci-dessus, et que le tribunal a pris une décision raisonnable en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 67(1) de la Loi.

 

[20]      Tel que plaidé par le défendeur, la norme de contrôle étant celle de la décision raisonnable, ce n’est pas à cette Cour de faire une nouvelle évaluation de la preuve lorsqu’elle procède à des révisions judiciaires. Une telle évaluation ressortait de la compétence de la SAI (Sharma c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 277; Garcia c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 893 au para 23 et Gonzalez, ci-dessus).

 

[21]      Je suis d’avis que la SAI a bien évalué la preuve en tenant compte de tout l’historique du dossier. De plus, à cause du pouvoir discrétionnaire accordé à ce tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi et en raison de son expertise, cette Cour doit réviser ses conclusions avec un degré élevé de déférence (Khosa et Gonzalez). Le demandeur n’a donc pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver les motifs exceptionnels méritant un sursis (Camara c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 169; Bhalru c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 777).

 

[22]      Il est bien établi que le poids accordé à chaque critère variera selon les circonstances particulières de l’espèce (Ribic, ci-dessus, décision citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 au para 77). Le défendeur a raison de soutenir que la SAI était justifiée de prendre en compte les anciennes condamnations, vu la jurisprudence qui indique qu’il faut considérer ce qui a donné naissance à la mesure de renvoi. Le demandeur a bénéficié des privilèges d’un sursis pendant une période de dix ans. Il n’avait qu’à respecter soigneusement les conditions prévues dans l’ordonnance de sursis, ce qu’il n’a pas fait.

 

[23]      De plus, le défendeur insiste avec raison sur le droit de la SAI de considérer l’aveu et la déclaration de culpabilité du demandeur comme un facteur de refus de sursis. À cet égard, je suis d’accord avec les représentations écrites de l’avocate du défendeur contenues aux paragraphes 50 à 57 inclusivement du Mémoire supplémentaire du défendeur, supportant la proposition que les aveux et la déclaration de culpabilité peuvent être considérés par la SAI même en cas d’absolution. Ces paragraphes se lisent comme suit :

50.     Les Cours criminelles ont fréquemment eu à se questionner sur la portée des aveux faits dans le cadre d’une cause criminelle qui se termine par une absolution conditionnelle ou inconditionnelle.

 

51.     Dans l’affaire R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620, la Cour suprême a clairement confirmé que la déclaration de culpabilité est une étape totalement différente de la condamnation dans le processus pénal. Bien que l’étape de la condamnation puisse être remise en question dans une cause, cela ne remet pas en question la déclaration de culpabilité.

 

52.     Ainsi, une personne qui a plaidé coupable ou a été reconnue coupable le demeure même si par la suite elle bénéficie d’une peine clémente, soit l’absolution.

 

53.     La Cour d’appel du Québec dans l’affaire R. c. Doyon, 2004 Cam.L.I. 50105 (QCCA), a confirmé la distinction entre la déclaration de culpabilité et la condamnation. Elle a également établi que dans les cas d’absolution, même si le contrevenant est réputé ne pas avoir été condamné et qu’il n’a pas de casier judiciaire pour cette infraction, il a néanmoins plaidé coupable ou été reconnu coupable, ce qui subsiste malgré qu’il ait été absous. Toujours selon la Cour d’appel, l’absence de condamnation ne fait pas disparaître rétroactivement le plaidoyer ou la reconnaissance de culpabilité, pas plus que la réhabilitation (ou le pardon) n’anéantit rétroactivement la condamnation. Voir également : Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot, 2007 QCCA 1790.

 

54.     D’ailleurs, la Cour fédérale a confirmé que même si une personne a obtenu une absolution conditionnelle à la suite de son plaidoyer de culpabilité, ceci n’est pas une entrave au pouvoir discrétionnaire du ministre de décider de lui accorder ou non une habilitation de sécurité en matière de transport. Lavoie c. Canada (P.G.), 2007 CF 435.

 

55.     De même dans l’affaire Ville de Montréal c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), [2008] 2 R.C.S. 698, la Cour suprême a établi que contrairement aux personnes qui bénéficient d’un pardon, il n’y a pas lieu de conclure que les personnes absoutes en vertu de l’article 730(1) bénéficient des effets de la réhabilitation dès le moment de l’ordonnance d’absolution.

 

56.     Également dans Houle c. Barreau du Québec, REJB 2002-35348, [2002] J.Q. no 4834 (C.A.), (autorisation d’appel refusée [2003] 1 R.C.S. xi), concernant une affaire relative au Code des professions, la Cour d’appel du Québec a établi qu’une déclaration de culpabilité à la suite de l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité ne disparaît pas par l’effet d’une absolution conditionnelle et que seul un pardon peut avoir cet effet.

 

57.     Ainsi, dans l’état actuel du droit canadien, une absolution est et reste toujours une peine. Bien qu’il s’agisse d’une peine clémente en raison des circonstances d’un dossier, il y a tout de même une déclaration de culpabilité.

 

(Prière de noter que la référence ci-dessus à l’arrêt Doyon, au paragraphe 53, a fait l’objet d’une précision à l’audition devant moi.)

 

 

 

[24]      Le défendeur note que bien qu’il ait reçu une absolution conditionnelle pour les accusations de 2005, le demandeur a admis avoir commis les crimes en question et a pu négocier cette absolution. Devant la SAI, sa probation n’était pas terminée et il n’y avait aucune preuve qu’il avait fini de payer son amende de 58 000 $. De plus, le demandeur a obtenu plusieurs sursis dans le passé et n’est donc pas dans les mêmes circonstances qu’une personne qui demande un sursis pour la première fois.

 

[25]      Ainsi, bien que le demandeur ait été absous, les conditions de son absolution n’avaient pas encore été remplies au temps de la décision en cause, notamment en raison du fait que la fin de la période de probation est octobre 2011. Par ailleurs, l’alinéa 6.1(1)b) de la Loi sur le casier judiciaire prévoit un délai de trois ans suite à l’absolution conditionnelle pour la prise d’effet de la protection contre la divulgation des informations, eu égard aux personnes absoutes conditionnellement (voir Ville de Montréal c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) ci-dessus).

 

[26]      En conclusion, je trouve que dans les circonstances, la décision de la SAI n’est pas déraisonnable. La mesure de renvoi a été émise en 1999 et imposait des conditions que le demandeur a omis de respecter. Il n’était pas déraisonnable de conclure que le demandeur avait fréquenté un criminel et omis de déclarer les accusations portées contre lui. Il aurait été insensé pour le tribunal de ne considérer que les événements survenus depuis 2005, et non ce qui c’était passé depuis l’imposition des conditions en 1999. Ainsi, le tribunal pouvait bien conclure que le demandeur n’était pas réhabilité, puisqu’il avait omis de respecter ces conditions et admis avoir commis les actions reprochées lors de son procès devant la cour criminelle. Dans tout ce contexte, la prise en compte par le tribunal du portrait global du dossier du demandeur est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

B.  Équité de la procédure et témoignage du demandeur

[27]      Le demandeur prétend que bien qu’un affidavit puisse tenir lieu de témoignage, la nature de cette procédure était d’une telle importance que la SAI aurait dû le faire témoigner oralement étant donné qu’il était présent lors de l’audience, qu’il était prêt à témoigner et que sa crédibilité était en cause. Lorsque le demandeur a fait valoir qu’il voulait parler, la SAI l’a informé que son avocat avait opté de procéder par voie d’affidavit détaillé.

 

[28]      Le défendeur, pour sa part, soutient en effet que le demandeur a choisi, avec son procureur à l’époque, de procéder par voie d’affidavit et qu’un témoignage écrit est aussi valable qu’un témoignage oral. Le défendeur ajoute que le demandeur ne peut pas se plaindre de son propre choix et que la SAI a, par ailleurs, clairement considéré son témoignage écrit.

 

[29]      Il importe de souligner que le demandeur aurait dû être au courant du fait qu’il avait le choix de témoigner oralement, puisqu’il l’avait fait lors des audiences précédentes en 1999, en 2002 et en 2004. Je trouve que la SAI a eu raison de procéder tel que requis par le procureur du demandeur. Si le demandeur avait voulu témoigner oralement, il aurait dû instruire son procureur à cet effet. Il appert clairement de la transcription de l’audience que la SAI a entendu respecter le choix du demandeur et de son procureur de procéder sans témoignage oral. La SAI a bien expliqué pourquoi il aurait été injuste pour l’autre partie de changer la procédure antérieurement convenue à la fin de l’audience. Le demandeur ne m’a donc pas satisfait, dans les circonstances, de l’existence de quelque accroc à l’équité de la procédure.

 

* * * * * * * *

 

[30]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[31]      Suite à l’audition devant moi, l’avocate du défendeur a soumis la question suivante pour fin de certification :

La SAI commet-elle une erreur de droit en considérant une infraction criminelle pour laquelle il y a eu une absolution conditionnelle?

 

 

[32]      Pour sa part, le procureur du demandeur a déclaré ne pas considérer qu’il y ait en l’espèce matière à certification.

 

[33]      Pour ma part, compte tenu de la jurisprudence pertinente relativement récente ci-dessus, laquelle est non équivoque et non contredite, je vois mal, à ce stage, comment cette question peut être qualifiée d’importance générale. Compte tenu, en outre, du caractère généralement raisonnable de la décision de la SAI, je ne suis pas convaincu que la question proposée pour fin de certification soit déterminante. En conséquence, la question proposée n’est pas certifiée.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, refusant d’accorder au demandeur un nouveau sursis de renvoi pour motifs d’ordre humanitaire, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1665-11

 

INTITULÉ :                                       Marwan Mohamad CHARABI c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphane J. Hébert                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Jocelyne Murphy                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphane J. Hébert                                                       POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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