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Date : 20111031

Dossier : IMM‑992‑11

Référence : 2011 CF 1238

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2011

En présence de M. le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

JOSEPH DUSABIMANA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 4 janvier 2011 (la décision) par laquelle une agente des visas (l’agente) a refusé la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 139(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, un citoyen rwandais d’origine ethnique hutue, habite présentement en République sud‑africaine où il vit depuis 2005. Sa demande de visa de résident permanent a été présentée au Haut‑Commissariat du Canada à Pretoria, en Afrique du Sud.

 

[3]               Le demandeur est né en 1987 au Rwanda. En 1994, il a quitté le Rwanda en compagnie de ses parents pour fuir le génocide qui était perpétré par les Tutsis contre les Hutus au Rwanda. Alors que lui et ses parents séjournaient dans un camp de réfugiés en République démocratique du Congo, le Front patriotique rwandais a attaqué le camp. Le demandeur a réussi à s’enfuir avec ses parents dans la forêt voisine, mais ces derniers ont tous les deux été tués et il est devenu orphelin. Par suite de cette fuite éprouvante pour échapper au danger, le demandeur a été retrouvé inconscient par un Congolais, Ntagahira, qui l’a recueilli chez lui et l’a aidé à tenter de retrouver les membres de sa famille.

 

[4]               En 2003, Ntagahira est entré en communication avec M. Bahati, un homme que le demandeur avait connu au Rwanda. M. Bahati a dit au demandeur qu’il avait rencontré sa cousine, Pascasie, ajoutant qu’il savait qu’elle vivait au Kenya. M. Bahati a amené le demandeur au Kenya, où il a vécu avec lui jusqu’en 2005. Au cours de cette période, le demandeur et M. Bahati se sont mis à la recherche de Pascasie au Kenya. Ils ont toutefois appris qu’elle avait quitté le Kenya pour l’Afrique du Sud avec sa famille. En 2005, M. Bahati et sa famille se sont réinstallés en Zambie avec le demandeur. Le demandeur a vécu en Zambie pendant deux mois, mais il a ensuite décidé d’essayer de retrouver Pascasie en Afrique du Sud.

 

[5]               Lorsque le demandeur a décidé de se mettre à la recherche de sa cousine en Afrique du Sud, M. Bahati l’a amené à la frontière de ce pays, qu’il a franchie pour ensuite se rendre au Cap où il a demandé à des membres de la communauté rwandaise s’ils connaissaient sa cousine. Le demandeur a appris que sa cousine avait quitté l’Afrique du Sud pour le Canada. Alors qu’il se trouvait en Afrique du Sud, le demandeur a été informé que son oncle avait été assassiné dans une prison du Rwanda et que le reste de sa famille avait quitté le Rwanda pour l’Europe ou l’Amérique du Nord.

 

[6]               En 2006, le demandeur s’est officiellement vu reconnaître le statut de réfugié en Afrique du Sud.

 

[7]               En 2007, Pascasie (qui était depuis devenue citoyenne canadienne) et les Sœurs de Loretto – un organisme de bienfaisance qui travaille sous l’égide de l’Archidiocèse catholique romain de Toronto – ont soumis une demande de parrainage pour faire venir le demandeur au Canada. Dans le cadre de cette demande, le demandeur a sollicité un visa de résident permanent en 2007. L’agente l’a reçu en entrevue au Cap le 18 novembre 2009. Elle a examiné sa demande le 4 janvier 2011, a rendu sa décision et a avisé le demandeur de sa décision par lettre datée du 4 janvier 2011.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

 

[8]               Lors de l’examen de la demande, l’agente a été appelée à examiner deux questions essentielles. En premier lieu, elle a dû déterminer si le demandeur appartenait soit à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières (article 145 du Règlement), soit à la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières (article 146 du Règlement). Ensuite elle a eu à déterminer si le demandeur satisfaisait aux autres critères de l’article 139 du Règlement. Elle s’est notamment demandé si le demandeur disposait d’une solution viable en Afrique du Sud.

 

[9]               Après avoir interrogé le demandeur, l’agente a estimé que ce dernier n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention outre‑frontières ni celle de personne protégée à titre humanitaire outre‑frontières. Cette conclusion a porté un coup fatal à la demande de visa de résident permanent du demandeur. L’agente a également conclu que le demandeur disposait d’une solution viable en Afrique du Sud, de sorte qu’il n’était pas admissible à un visa de résident permanent par application de l’alinéa 139(1)d) du Règlement.

 

            Réfugié au sens de la Convention outre‑frontières

 

[10]           L’agente a estimé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention outre‑frontières ayant conclu qu’il ne craignait pas d’être persécuté pour l’un des motifs énumérés dans la Convention. Tout en signalant que le demandeur craignait d’être persécuté au Rwanda, elle a fait observer que cette crainte était [traduction] « très générale ». Elle a également relevé le fait que la situation actuelle au Rwanda permettait de penser que le demandeur ne risquerait pas d’être persécuté s’il y retournait.

 

[11]           Dans ses notes STIDI, l’agente a écrit qu’elle avait cherché à savoir du demandeur pourquoi il estimait ne pas pouvoir retourner au Rwanda. Le demandeur a répondu qu’il n’y avait personne qui pouvait l’aider au Rwanda et qu’il serait tué s’il y retournait. Interrogé quant à savoir pourquoi il serait tué, le demandeur a répondu que son oncle avait été assassiné et qu’[traduction] « ils voul[aient] tuer tous les membres de notre famille ».

 

            Personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières

 

[12]           Dans la lettre qu’elle a écrite au demandeur le 4 janvier 2011, l’agente énumère les conditions à respecter pour appartenir à la catégorie de personnes de pays d’accueil, une sous‑catégorie de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. L’agente signale également que [traduction] « vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincue qu’il existe une possibilité sérieuse que vous craignez avec raison d’être persécuté ou qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour vous ». L’agente écrit dans ses notes STIDI que dans la situation actuelle une personne dans une situation semblable à celle du demandeur ne serait pas persécutée si elle retournait au Rwanda. Se fondant sur ces conclusions, l’agente a estimé que le demandeur n’appartenait pas à la catégorie de personnes de pays d’accueil de sorte qu’il n’était pas admissible à un visa de résident permanent en vertu des articles 146 et 147 du Règlement.

 

            Solution durable

 

[13]           L’agente a également conclu que, comme le demandeur disposait d’une solution durable en Afrique du Sud, il n’était pas admissible à un visa sous le régime de l’alinéa 139(1)d) du Règlement. Comme le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié en Afrique du Sud, ce qui lui donnait par ailleurs le droit d’y travailler et d’y étudier, et qu’il était susceptible d’obtenir le statut de résident permanent dans ce pays, une solution durable s’offrait à lui. Les notes STIDI indiquent également que, même si le demandeur craignait de faire l’objet d’agressions à caractère xénophobe en Afrique du Sud, il n’était pas personnellement ciblé. Il était toutefois demeuré cloîtré chez lui pendant deux mois alors que les agressions se déroulaient.

 

[14]           Comme le demandeur n’appartenait à aucune des catégories en cause et comme il n’était pas admissible à un visa de résident permanent parce qu’il disposait d’une solution durable en Afrique du Sud, l’agente a refusé sa demande.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   L’agente a‑t‑elle motivé suffisamment sa décision?

b.                  L’agente a‑t‑elle mal interprété ou ignoré la preuve dont elle disposait?

c.                   L’agente a‑t‑elle correctement examiné la question de la persécution?

d.                  L’agente a‑t‑elle correctement examiné la question de la catégorie de personnes de pays d’accueil?

e.                   L’agente a‑t‑elle tiré des conclusions spéculatives?

f.                    L’agente a‑t‑elle examiné comme elle le devait la question de la « solution durable »?

g.                   L’agente a‑t‑elle appliqué le bon critère en ce qui concerne la « solution durable »?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Application before entering

Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an Officer for a visa or for any other document required by the regulations.

The visa or document may be issued if, following an examination, the Officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality,  membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

[17]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent également en l’espèce :

Exigences générales

 

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis:

 

 

 

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

 

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

 

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

 

 

 

Qualité

 

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

 

 

Personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières

 

146. (1) Pour l’application du paragraphe 12(3) de la Loi, la personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention appartient à l’une des catégories de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières

suivantes :

 

a) la catégorie de personnes de pays d’accueil;

 

Catégorie de personnes de pays d’accueil

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont pu ou continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

 

General requirements

 

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

 

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

 

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

 

 

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

 

 

(e) the foreign national is a member of one of the classes

prescribed by this Division;

 

 

Member of Convention refugees abroad class

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an Officer to be a Convention refugee.

 

 

Humanitarian‑protected

persons abroad

 

146. (1) For the purposes of subsection 12(3) of the Act, a person in similar circumstances

to those of a Convention refugee is a member of one of the following humanitarian‑protected persons abroad classes:

 

 

(a) the country of asylum class;

 

Member of country of asylum class

 

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an Officer to be in need of resettlement because

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation

of human rights in each of those countries.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la juridiction de révision se livre à une analyse des quatre facteurs pertinents pour arrêter la norme de contrôle.

 

[19]           Dans l’arrêt Clifford c Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que lorsqu’un tribunal administratif a l’obligation de motiver sa décision, la question de savoir si elle l’a fait adéquatement est évaluée en fonction de la norme de la décision correcte. Cette démarche a été suivie par la juge Judith Snider dans le jugement Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519. La norme de contrôle applicable à la première question en litige est donc celle de la décision correcte. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50, lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, la juridiction de révision

entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La juridiction de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

 

[20]           Dans Qurbani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 127, le juge Orville Frenette a déclaré que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la question de savoir si un demandeur appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières est une décision factuelle assujettie à la norme de la raisonnabilité (voir également les jugements Kamara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785, et Nasir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 504). La norme de contrôle applicable aux questions 2 à 6 est donc celle de la décision raisonnable.

[21]           La question 7 se rapporte à l’interprétation que l’agente a faite de la Loi en l’espèce. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a établi dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 54, lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive, la déférence est habituellement de mise. La Cour suprême du Canada a confirmé cette approche dans l’arrêt Smith Alliance Pipeline, 2011 CSC 7, [2011], 1 RCS 160. La norme de contrôle en ce qui concerne la question 5 est donc celle de la raisonnabilité.

[22]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attache, dans son analyse, « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision contestée est déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

            Les motifs de l’agent étaient insuffisants

 

[23]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas suffisamment motivé sa décision.

 

[24]           En premier lieu, l’agente aurait selon lui insuffisamment motivé ses conclusions au sujet des éléments de preuve relatifs aux attaques à caractère xénophobe dont les immigrants font l’objet en Afrique du Sud. Le demandeur soutient que, bien que l’agente parle d’attaques à caractère xénophobe dans ses notes STIDI, cette mention ne suffit pas pour démontrer qu’elle a tenu compte des éléments de preuve qui lui étaient soumis. Le demandeur soutient que l’agente avait l’obligation de fournir une analyse détaillée en se fondant sur ces éléments de preuve, mais qu’elle ne l’a pas fait.

 

[25]           En deuxième lieu, le demandeur soutient que les motifs exposés par l’agente, en ce qui concerne sa conclusion qu’il disposait d’une solution durable en Afrique du Sud, sont eux aussi insuffisants. Dans la lettre qu’elle a adressée au demandeur, l’agente écrit :

[traduction]

Je constate également qu’il existe une solution durable pour vous en Afrique du Sud où le statut de réfugié vous a officiellement été reconnu. Comme l’Afrique du Sud est un des pays signataires de la Convention de Genève relative aux réfugiés, vous bénéficiez donc de la protection de l’Afrique du Sud, où vous êtes légalement autorisé à étudier et à travailler, et où vous pouvez raisonnablement espérer, dans un délai raisonnable, obtenir la résidence permanente (décision, page 2).

 

 

[26]           Dans ses notes STIDI, l’agente écrit également que [traduction] « le statut de réfugié lui a été officiellement reconnu en Afrique du Sud, ce qui lui a permis de poursuivre des études jusqu’au niveau de la maîtrise, et ce, qui lui permet de travailler et, éventuellement, d’obtenir le statut de résident permanent ». Le demander soutient que ces motifs sont insuffisants parce qu’ils se limitent au statut de réfugié du demandeur en Afrique du Sud.

 

[27]           Le demandeur soutient enfin que les motifs de l’agente sont insuffisants en ce qu’elle ne s’est pas demandé si la protection que le gouvernement rwandais accorde à ses citoyens est suffisante. Dans ses motifs, l’agente a conclu que le demandeur n’appartenait pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières. Pour tirer cette conclusion, l’agente devait appliquer les critères applicables aux réfugiés au sens de la Convention qui sont énumérés à l’article 96 de la Loi. Comme la possibilité de se réclamer de la protection de son pays constitue l’un des facteurs prévus à l’alinéa 96a), le demandeur soutient que l’omission de l’agente de tenir compte de ce facteur dans sa décision rend ses motifs insuffisants.

 

L’agente ne s’est pas demandé si le demandeur appartenait à la catégorie de personnes de pays d’accueil

 

[28]           Le demandeur soutient que l’agente a indûment limité la portée de son enquête en ne tenant compte que des critères relatifs aux réfugiés au sens de la Convention au lieu d’examiner le critère plus large de l’appartenance à la catégorie de personnes de pays d’accueil. Le demandeur invoque le jugement Saifee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 589, à l’appui de la proposition suivant laquelle la catégorie de personnes de pays d’accueil est plus large que celle des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières. Dans cette décision, le juge Robert Mainville déclare, au paragraphe 39 que : « [l]es membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil n’ont pas à remplir les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention, ni donc à prouver qu’ils craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. »

 

[29]           Dans sa lettre au demandeur, l’agente écrit ce qui suit :

[traduction] Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincue qu’il existe une possibilité sérieuse que vous craignez avec raison d’être persécuté ou qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour vous.

 

 

[30]           Le demandeur affirme qu’il ressort de cet extrait que l’agente n’a pas examiné la question de savoir s’il appartenait à la catégorie de personnes de pays d’accueil. Il ajoute que la décision Saifee, précitée, au paragraphe 43, nous enseigne que l’omission de se demander si l’intéressé appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil constitue une erreur justifiant l’infirmation de la décision.

 

L’agente n’a pas abordé la question de la persécution

 

[31]           Le demandeur affirme également que l’agente a commis une erreur en n’examinant pas les craintes invoquées par le demandeur en raison des attaques à caractère xénophobe perpétrées contre des immigrants en Afrique du Sud. Il soutient qu’après avoir entendu son témoignage au sujet des attaques dont les immigrants font l’objet, l’agente avait l’obligation de se renseigner davantage. Comme elle ne l’a pas fait, sa décision est déraisonnable.

 

La conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur disposait d’une solution durable en Afrique du Sud est déraisonnable

 

[32]           Le demandeur affirme également que la conclusion de l’agente suivant laquelle il disposait d’une solution durable en Afrique du Sud est déraisonnable parce qu’elle repose uniquement sur le fait qu’il s’est vu reconnaître le statut de réfugié en Afrique du Sud. Pour déterminer s’il disposait d’une solution durable dans ce pays, l’agente devait tenir compte des attaques perpétrées contre les immigrants en Afrique du Sud. Le demandeur soutient que pour conclure à l’existence d’une solution durable, la reconnaissance d’un statut juridique ne suffit pas, il faut aussi une certaine intégration sociale. Il a abordé cet aspect de la solution durable dans son témoignage, en expliquant que des attaques étaient perpétrées contre les immigrants en Afrique du Sud.

 

L’agente a ignoré la preuve

 

[33]           Le demandeur soutient également que, comme elle ne s’est pas interrogée sur les raisons pour lesquelles le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié en Afrique du Sud, l’agente a rendu une décision déraisonnable. Comme nous l’avons déjà signalé, la question soumise à l’agente était celle de savoir si le demandeur appartenait à la catégorie de personnes de pays d’accueil. Pour ce faire, le demandeur devait se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention sur le fondement de l’article 96 par un agent à l’extérieur du Canada. Le demandeur soutient que le statut de réfugié qui lui a été reconnu en Afrique du Sud, ce qui démontrait qu’il était effectivement un réfugié au sens de la Convention, mais que l’agente n’a pas tenu compte de cet élément de preuve.

 

[34]           Le demandeur invoque la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, à l’appui de la proposition voulant que lorsque le décideur omet d’examiner un élément de preuve important qui va à l’encontre de ses conclusions, on peut conclure qu’il n’en a pas tenu compte. Comme les motifs à l’origine de la reconnaissance, par l’Afrique du Sud, du statut de réfugié au demandeur constituent une preuve solide contredisant la conclusion de l’agente suivant laquelle il n’était pas un réfugié, le demandeur soutient que notre Cour peut inférer que l’agente a ignoré cet élément de preuve.

 

Le défendeur

 

[35]           Le défendeur affirme que le demandeur ne satisfait pas aux exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à celle de la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agente a fondé sa conclusion sur la preuve dont elle disposait, laquelle ne permettait pas de conclure que le demandeur appartenait à l’une ou l’autre catégorie. Même s’il appartenait à l’une ou l’autre catégorie, le demandeur ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 139(1) en raison de la conclusion de l’agente portant qu’il disposait d’une solution durable en Afrique du Sud.

 

Le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières

 

[36]           La conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières était raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. La crainte de persécution que pouvait avoir le demandeur était d’ordre général et ne pouvait être reliée à aucun des motifs prévus par la Convention. Il a dit ne pas avoir souffert personnellement d’attaques à caractère xénophobe et il n’a pas indiqué qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans son pays de nationalité avaient eu des conséquences pour lui. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait aux exigences des articles 139, 145 et 147.

 

[37]           Pour conclure que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, l’agente a tenu compte de la situation actuelle au Rwanda ainsi que des antécédents familiaux du demandeur, et elle a conclu de façon raisonnable que la crainte de persécution du demandeur ne repose sur aucun fondement objectif. Bien que le demandeur ait été victime de persécution dans le passé au cours du génocide, aucun élément de preuve documentaire ne permettait de penser qu’il serait persécuté à l’avenir. La reconnaissance du statut de réfugié ne vaut forcément que pour l’avenir et le demandeur n’a pas démontré en l’espèce qu’il était exposé au risque d’être persécuté dans le futur. Le fait qu’il a obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud n’emporte pas reconnaissance de ce même statut en droit canadien. Il lui incombait de démontrer qu’il avait la qualité de réfugié au sens de la Convention, et il ne l’a pas fait.

 

Le demandeur n’appartenait pas à la catégorie de personnes de pays d’accueil

 

[38]           Pour contrer l’argument du demandeur suivant lequel l’agente a limité son analyse aux questions de persécution et n’a pas cherché à savoir si le demandeur appartenait à la catégorie de personnes de pays d’accueil, le défendeur soutient que l’agente a correctement analysé ce point. Le défendeur fait valoir que le demandeur se fonde à tort sur la décision Saifee, précitée. Dans cette affaire, l’agent des visas ne s’était pas du tout penché sur la question de savoir si le demandeur appartenait à la catégorie de personnes de pays d’accueil. Or, dans le cas qui nous occupe, l’agente s’est demandé si compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait le demandeur appartenait à cette catégorie, et elle a tiré une conclusion à partir de cette preuve. Elle a examiné la situation actuelle au Rwanda et elle a conclu que le demandeur ne pouvait plus prétendre qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne avait des conséquences pour lui au sens de l’alinéa 147b) du Règlement. Il n’y avait aucun élément de preuve permettant d’établir un lien entre les éléments de l’article 147 et la situation du demandeur.

 

Le demandeur dispose d’une solution durable

 

[39]           Le défendeur affirme que la conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur disposait d’une solution durable en Afrique du Sud était raisonnable. Le demandeur affirme qu’il n’a pas subi d’attaque à caractère xénophobe. Il n’a pas subi de préjudice personnel, et un risque général de violence ne suffit pas pour écarter une conclusion fondée sur le sous‑alinéa 139(1)d)(ii) du Règlement suivant laquelle il disposait d’une solution durable.

 

Mémoire supplémentaire du demandeur

L’agente n’a pas tenu compte de la reconnaissance du statut de réfugié par l’Afrique du Sud

 

[40]           Le demandeur soutient que, si force est de constater que l’analyse de l’agente était centrée sur l’existence d’une solution durable, elle a par ailleurs omis de tenir compte de l’élément de preuve que constituait la reconnaissance, par l’Afrique du Sud, du statut de réfugié. Le demandeur cite le texte intégral du paragraphe 58 de la décision Ghirmatsion, précitée, dans laquelle la juge Snider écrit ce qui suit :

La désignation comme réfugié par le HCR était un élément si important de la preuve du demandeur qu’il est possible de déduire du défaut de l’agente de l’avoir mentionnée dans ses motifs qu’elle a rendu sa décision sans en tenir compte. C’était pourtant une question centrale aux fins de la décision. Face à un demandeur reconnu comme réfugié par le HCR, l’agente aurait dû expliquer dans son évaluation de la demande pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme. L’agente n’était pas tenue de souscrire aveuglément à la désignation du HCR; elle avait toutefois l’obligation d’en tenir compte. Or, faute pour un agent des visas d’avoir expliqué pourquoi il n’a pas souscrit à une désignation du HCR, la Cour n’a aucun moyen de savoir si cet élément de preuve d’une grande pertinence a été pris en compte.

 

 

[41]           Le demandeur soutient que la reconnaissance du statut de réfugié par l’Afrique du Sud constituait un fait pertinent, de sorte que l’agente a commis une erreur en l’espèce en ne tenant pas compte de ce statut. Comme le statut de réfugié que l’Afrique du Sud lui avait reconnu constituait un élément pertinent pour décider si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières, l’agente avait l’obligation d’expliquer pourquoi elle arrivait à une conclusion différente de celle des autorités sud‑africaines.

 

            L’agente n’a pas appliqué le bon critère en ce qui concerne la question de la « solution durable »

 

                        La solution durable suppose l’intégration sur place

 

[42]           Le demandeur affirme que, pour pouvoir conclure à l’existence d’une solution durable dans un pays autre que le Canada, l’agent doit conclure qu’il y a eu une « intégration sur place ». Pour conclure qu’il y a eu intégration sur place, l’agent doit conclure que les trois facettes suivantes du processus d’intégration sont présentes, à savoir l’aspect juridique, l’aspect social et l’aspect économique. Le demandeur invoque à cet égard le Manuel de réinstallation du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

 

                        La « solution durable » nécessite une intégration sociale

 

[43]           Le demandeur affirme que l’agente n’a pas tenu compte des attaques à caractère xénophobe qui ont lieu en Afrique du Sud alors qu’elles ont une incidence sur la solution durable dont il pourrait disposer, ajoutant que l’agente ne s’est notamment pas demandé si l’aspect « social » du critère à trois volets proposé était respecté. Le demandeur affirme que les attaques à caractère xénophobe démontrent l’absence de processus d’accueil sur le plan social de la communauté hôte en l’espèce. Comme l’agente n’a pas tenu compte de l’incidence des attaques à caractère xénophobe sur l’intégration du demandeur dans la communauté, sa conclusion suivant laquelle le demandeur disposait d’une solution durable en Afrique du Sud est erronée.

 

                        La conclusion relative à la « solution durable » était hypothétique

 

[44]           Enfin, le demandeur soutient que la conclusion de l’agente suivant laquelle il disposait d’une solution durable en Afrique du Sud était déraisonnable parce qu’elle reposait sur des hypothèses. Dans la lettre qu’elle lui a adressée, l’agente explique que le demandeur pouvait raisonnablement s’attendre à obtenir le statut de résident permanent en Afrique du Sud dans un délai raisonnable. Le demandeur affirme qu’il demeure possible qu’il ne se voit pas reconnaître le statut de résident permanent, étant donné que le processus d’octroi de la résidence permanente est, en Afrique du Sud, [traduction] « un processus individualisé; chaque cas étant un cas d’espèce ». Le demandeur ajoute que l’agente ne s’est appuyée sur aucune autorité pour justifier son affirmation qu’il serait en mesure d’obtenir la résidence permanente dans un délai raisonnable. Il affirme que la conclusion de l’agente est par conséquent hypothétique et que, comme l’intégration sur place constitue un élément de la solution durable, sa conclusion suivant laquelle il disposait d’une solution durable était déraisonnable.

 

            Mémoire supplémentaire du défendeur

                        Le statut obtenu par le demandeur en Afrique du Sud fait obstacle à sa demande

 

[45]           En réponse aux arguments supplémentaires du demandeur, le défendeur affirme que le sort de la cause du demandeur dépend de l’existence ou non d’une solution durable. Si l’on conclut qu’il existe une solution durable, la question de savoir si le demandeur appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou à celle des personnes de pays d’accueil devient théorique. Les conditions prévues à l’article 139 du Règlement pour octroyer un visa de résidence permanente à un réfugié sont cumulatives. L’alinéa 139(1)d) exige que le demandeur ne dispose pas d’une solution durable dans un pays autre que le Canada. Dès lors que l’agente avait conclu qu’il disposait d’une solution durable en Afrique du Sud en raison du statut de réfugié qui lui avait été reconnu dans ce pays, le demandeur n’était plus admissible à un visa de résident permanent. Qu’il est ou non le statut de réfugié au sens de la Convention et que l’agente ait tenu compte ou non du statut qui lui avait été reconnu en Afrique du Sud ne change rien à la question.

 

            Distinction à faire avec l’affaire Ghirmatsion

 

[46]           Le défendeur soutient que les faits de l’affaire Ghirmatsion, précitée, diffèrent de ceux de la présente espèce. Dans cette affaire, la personne visée par la décision était un réfugié dont le statut avait été reconnu par l’UNHCR, tandis qu’en l’espèce, le statut de réfugié a été reconnu au demandeur par l’Afrique du Sud, un autre pays. Le défendeur signale qu’au chapitre OP5 du Guide de l’immigration du défendeur, les autorités canadiennes soulignent l’importance des décisions de l’UNHCR sans toutefois étendre cette reconnaissance au processus sud‑africain de détermination du statut de réfugié. Comme le fondement et les motifs de la décision des autorités de l’Afrique du Sud sur le statut de réfugié du demandeur n’ont pas été mis en preuve devant l’agente, il était raisonnable qu’elle n’en tienne pas compte. L’agente n’avait aucune obligation de prendre en compte la décision des autorités sud‑africaines.

 

            La conclusion tirée au sujet de la « solution durable » était raisonnable

 

[47]           À l’encontre de l’argument du demandeur selon lequel l’agente n’a pas tenu compte des attaques à caractère xénophobe perpétrées en Afrique du Sud, le défendeur fait remarquer que les attaques xénophobes sont mentionnées tant dans la lettre de décision de l’agente que dans ses notes STIDI. L’agente a également relevé le fait que le demandeur n’avait pas été personnellement victime d’attaques à caractère xénophobe. Le fait que des comportements illégaux pourraient se produire à l’avenir ou que le demandeur dispose de peu de moyens économiques ne suffit pas pour faire de lui un réfugié. Il appartenait au demandeur de démontrer qu’il ne disposait pas d’une solution durable. Certes, en dernière analyse, l’agente a conclu que le demandeur disposait d’une solution durable en Afrique du Sud, mais cette conclusion a été tirée après avoir tenu compte des éléments de preuve relatifs aux attaques à caractère xénophobe et elle était donc raisonnable.

 

[48]           Le défendeur affirme également que la conclusion tirée par l’agente au sujet de la capacité du demandeur d’obtenir le statut de résident permanent en Afrique du Sud n’était pas hypothétique. Le fait qu’une personne qui, comme le demandeur, a vécu de façon ininterrompue en Afrique du Sud, puisse demander la résidence permanente est « indéniable » et ce fait a été porté à la connaissance de l’agente lorsqu’elle a rendu sa décision. Le fait que le demandeur ait ou non présenté une demande de résidence permanente ne joue pas lorsqu’il s’agit de déterminer s’il dispose ou non d’une solution durable. Ce qui importe c’est que le demandeur s’est réétabli, que rien n’indique qu’il pourrait être refoulé et qu’il peut vivre, travailler et bénéficier des services sociaux en Afrique du Sud. La norme applicable n’est pas celle de l’intégration parfaite, mais d’une certaine intégration. S’étant déjà réétabli, le demandeur ne peut affirmer qu’il n’a aucune possibilité raisonnable de se réinstaller dans un délai raisonnable; l’exclusion prévue à l’alinéa 139(1)d) du Règlement ne s’applique donc pas.

 

[49]           Comme l’agente disposait d’éléments de preuve démontraient qu’une solution durable s’offrait au demandeur en Afrique du Sud, sa conclusion était raisonnable et elle ne devrait pas être modifiée.

 

ANALYSE

 

[50]           L’agente a conclu que, même si le demandeur pouvait satisfaire aux critères des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et à ceux relatifs aux personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières en ce qui concerne le Rwanda, il ne serait toujours pas en mesure de satisfaire aux exigences de l’immigration pour venir au Canada parce que :

                        [traduction]

Je constate également qu’il existe une solution durable pour vous en Afrique du Sud où le statut de réfugié vous a officiellement été reconnu. Comme l’Afrique du Sud est un des pays signataires de la Convention de Genève relative aux réfugiés, vous bénéficiez donc de la protection de l’Afrique du Sud, où vous êtes légalement autorisé à étudier et à travailler, et où vous pouvez raisonnablement espérer, dans un délai raisonnable, obtenir la résidence permanente.

 

 

[51]           Le demandeur affirme que, pour déterminer si l’Afrique du Sud lui offrait une solution durable, l’agente s’est contentée de mentionner le fait qu’il s’était officiellement vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en Afrique du Sud et qu’il pouvait y travailler et y étudier. Le demandeur reproche à l’agente

[traduction]

de ne pas avoir tenu compte du processus social et du processus culturel qui sont des éléments permettant de conclure à l’intégration sur place et de conclure à l’existence d’une solution durable. Dans les notes STIDI, en réponse à la question [traduction] « Pourquoi ne pouvez‑vous pas demeurer en Afrique du Sud? », le demandeur a répondu : [traduction] « Il n’y a personne sur qui je peux compter là‑bas. Il y a des attaques à caractère xénophobe. Je suis resté cloîtré chez moi deux mois, pendant que ces attaques se déroulaient ».

 

 

[52]           Le demandeur affirme également qu’il s’agissait [traduction] « de renseignements cruciaux soumis par le demandeur à l’agente, dont l’agente aurait dû tenir compte dans sa décision et ses motifs ». Or, au lieu d’examiner ces renseignements, l’agente aurait, selon le demandeur, [traduction] « commis une erreur en avançant l’hypothèse que le demandeur pouvait obtenir le statut de résident permanent (ce qui correspond à l’aspect juridique de l’intégration) ».

 

[53]           Je ne crois pas que la décision confirme les affirmations du demandeur sur ce point compte tenu des éléments de preuve dont disposait l’agente.

 

[54]           Il ne faut pas oublier qu’il incombait au demandeur d’établir qu’« aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada » (Salimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 872, au paragraphe 7, Adan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 655, au paragraphe 19, et Mushimiyimana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1124, au paragraphe 20).

 

[55]           La preuve dont disposait l’agente démontrait ce qui suit :

                     i.                        Le demandeur se trouvait en Afrique du Sud depuis 2005;

                   ii.                        Le demandeur a obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud;

                  iii.                        Grâce à son statut de réfugié, le demandeur a accès à des services sociaux, aux soins de santé publique et il peut étudier et travailler au même titre que les ressortissants d’Afrique du Sud;

                 iv.                        Le demandeur travaille en Afrique du Sud;

                   v.                        Le demandeur est admissible à présenter une demande de résidence permanente en Afrique du Sud.

 

[56]           Ainsi qu’il ressort des notes STIDI, l’agente a soulevé la question de l’intégration sociale et a demandé au demandeur pourquoi il ne pouvait pas rester en Afrique du Sud. Le demandeur a répondu qu’il n’y avait personne qui pouvait l’aider en Afrique du Sud et que des attaques à caractère xénophobe avaient été perpétrées dans ce pays. Le demandeur n’a pas précisé pourquoi il estimait que personne ne pouvait l’aider.

 

[57]           Il est évident que le demandeur compter sur l’aide d’autres personnes en Afrique du Sud puisqu’il y vit depuis 2005. L’agente souligne que le demandeur s’en est tenu à des généralités lorsqu’il a formulé sa demande. Il n’y a rien qui appuie l’allégation du demandeur qu’il n’y a personne qui peut l’aider en Afrique du Sud ou pour expliquer comment, s’il n’y a personne qui peut l’aider, il avait réussi à y vivre depuis 2005, à y poursuivre des études et à se trouver du travail. En ce qui concerne les attaques à caractère xénophobe que le demandeur dit craindre, l’agente a souligné que le demandeur n’avait fait l’objet d’aucune attaque de ce genre. Là encore, le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve sur des problèmes qui existeraient présentement ou pour démontrer que sa crainte d’attaques à caractère xénophobe avait empêché son intégration culturelle et/ou sociale. Le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’il serait exposé à des attaques à caractère xénophobe à l’avenir ou qu’il n’a personne sur qui compter pour l’aider en Afrique du Sud. Ses réalisations personnelles démontrent nettement qu’il s’est intégré socialement. Il préfère peut‑être venir au Canada, mais il ne s’ensuit pas pour autant qu’il n’existe aucune solution durable pour lui en Afrique du Sud.

 

[58]           L’agente ne s’est pas livrée à des spéculations. Elle a exposé fidèlement la situation actuelle du demandeur. Compte tenu des éléments de preuve relatifs au statut actuel du demandeur et de son intégration en Afrique du Sud, rien ne permet de penser qu’il ne pourrait obtenir la résidence permanente dans un délai raisonnable s’il en faisait la demande. L’agente n’a commis aucune erreur justifiant l’affirmation de sa décision sur ce point.

 

[59]           L’avocat dit que le demandeur est une personne peu instruite et que, même s’il lui incombait de démontrer qu’il remplissait les conditions requises pour être admis au Canada, l’agente aurait dû aller plus loin. L’agente a toutefois clairement demandé au demandeur pourquoi il voulait quitter l’Afrique du Sud et il a amplement eu l’occasion d’expliquer sa situation. Le demandeur s’est expliqué. Il n’appartient pas à l’agente de solliciter des réponses qui étayent la thèse du demandeur. Le demandeur est peut‑être un homme peu instruit, mais il a été capable d’expliquer à l’agente pourquoi il voulait quitter l’Afrique du Sud et immigrer au Canada. Au vu des réponses fournies par le demandeur, l’agente n’a pas commis d’erreur, qui justifierait notre intervention, en concluant que le demandeur ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir la protection conférée par l’une ou l’autre des catégories de réfugiés en cause et que, de toute façon, le demandeur disposait d’une solution durable en Afrique du Sud.

 

[60]           J’ai aussi examiné les autres questions soulevées par le demandeur. Je ne puis conclure à l’existence d’une erreur justifiant l’infirmation de la décision de l’agente, mais, compte tenu du fait que la question de la solution durable scelle le sort de la demande, il n’est pas nécessaire d’exposer d’autres motifs sur d’autres questions.

 

[61]           Les avocats ont convenu qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑992‑11

 

INTITULÉ :                                                   JOSEPH DUSABIMANA

 

                                                                        et

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 31 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wiri Kapurura

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kapurura Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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