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 Date: 20111031

Dossier : IMM-7561-10

Référence : 2011 CF 1239

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

LYSETTE YANEL SOLIS MORALES

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Cette demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] vise une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 29 novembre 2010, ne reconnaissant pas à Lysette Yanel Solis Morales (la demanderesse) la qualité de réfugiée aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent cette demande de révision judiciaire est rejetée.

 

I.          Faits 

 

[3]               La demanderesse est d’origine et citoyenne du Mexique. Elle soutient être persécutée par son ancien conjoint, Ruben Morales Rosier, enquêteur à l’agence fédérale des enquêtes. Elle allègue les faits qui suivent. En avril 2007, elle complète sa maitrise en informatique. Pendant ses études, elle travaillait également au bureau du Procureur général de la République [PGR]. C’est à cette époque qu’elle emménage avec Ruben Morales Rosier et constate, dans les semaines qui suivent, que son conjoint fréquente des membres du crime organisé. En plus d’être un homme violent, il serait impliqué dans l’enlèvement de personnes. En octobre 2006, il l’agresse physiquement. Il lui demande également de lui fournir des renseignements confidentiels en relation avec son travail au PGR. La demanderesse utilise alors différents subterfuges pour éviter de lui transmettre ces informations.

 

[4]               Elle allègue également que le 2 mai 2007, son conjoint lui coupe la main en utilisant un couteau de type X-Acto. Elle se fait soigner le lendemain. Elle décide alors de quitter son conjoint et s’installe chez ses parents. Elle déclare ne pas avoir informé ses parents des épisodes de violence conjugale subie afin de ne pas les alarmer, ceux-ci étant âgés et son père souffrant du diabète. Le 4 mai 2007, la demanderesse se serait fait suivre par des complices de son ex-conjoint. Par crainte de ce dernier, elle reprend la vie commune avec lui. Elle demande alors à son employeur une mutation dans un autre département pour éviter de fournir des renseignements à son conjoint. Ce dernier demande néanmoins des informations concernant son nouveau travail. La demanderesse continue à utiliser des subterfuges afin de ne pas transmettre les renseignements demandés. Elle soutient que son ex-conjoint la battait souvent et la menaçait quotidiennement. Elle démissionne du bureau du PGR en juillet 2007. Elle arrive au Canada le 16 août 2007 et demande l’asile dès son arrivée.

 

[5]               La Commission conclut que la demanderesse ne s’est pas déchargée du fardeau qui lui incombe d’établir qu’il existe une sérieuse possibilité qu’elle soit persécutée pour un des motifs prévus à la Convention ou qu’elle soit exposée à un risque de torture ou de peines cruelles et inusitées si elle retourne dans son pays.

 

[6]               La Commission précise avoir tenu compte des Directives no 4 intitulées «Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe» (les Directives), puisque la demanderesse allègue être une femme victime de violence conjugale qui n’a pu obtenir le support de l’État pour la protéger. La Commission conclut que la demanderesse n’a pas établi de façon crédible les éléments essentiels pour soutenir sa demande d’asile. La décision souligne différentes contradictions, ajouts et invraisemblances dans le témoignage et dans les éléments de preuve présentés par la demanderesse pour établir les faits essentiels justifiant sa demande d’asile.

 

II.        La Loi applicable

[7]               Article 96 de la LIPR :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

III.       Question en litige et norme de révision judiciaire applicable

 

[8]               En l’instance, une seule question se pose : la Commission commet-elle une erreur en concluant que la demanderesse n’est pas crédible?

 

[9]               En l’occurrence, la norme de la décision raisonnable s’applique à l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur d’asile (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 227, [2011] ACF no 266 au para 12).

 

IV.       Position des parties

 

A.        Position de la demanderesse

 

[10]           La demanderesse prétend que la Commission erre en concluant qu’elle n’est pas crédible. Elle soutient de plus qu’en aucun temps, ce problème ne lui aurait été signalé par la Commission.

 

[11]           Selon la demanderesse, la Commission ne pouvait pas conclure, à partir de son témoignage, que sa relation de couple avait été de courte durée.

 

[12]           La demanderesse soutient également que la Commission ne pouvait pas affirmer que le dossier ne contenait pas d’éléments de preuve pour établir qu’elle avait quitté la maison familiale et qu’elle vivait avec son ex-conjoint. Elle a déposé copie d’un bail ainsi que d’autres documents pour attester de l’existence de sa vie conjugale. La demanderesse considère également avoir fourni des explications suffisantes pour satisfaire la Commission sur le fait que l’adresse de ses parents apparaissait toujours sur sa carte d’électeur.

 

[13]           Selon la demanderesse, la Commission n’applique pas correctement les Directives. La Commission doit prendre en considération le fait qu’il est normal, pour une femme battue, de se sentir coupable et de tenter de cacher le comportement d’un mari violent avant de conclure qu’il est invraisemblable que la demanderesse n’ait pas parlé de sa situation conjugale difficile à sa famille ou à ses proches.

 

[14]           La demanderesse reproche également à la Commission d’avoir omis de lui souligner que les ajouts effectués au formulaire de renseignements personnels [FRP], le matin de l’audience, entachaient sa crédibilité. Elle conteste également la conclusion de la Commission voulant qu’elle n’ait pas établi de façon crédible son travail à temps plein  au bureau du PGR de 2006 à 2007. À ce sujet, elle s’en remet aux pièces R-3, R-4, R-6 et R-13 ainsi qu’aux copies de chèques déposées au dossier comme éléments de preuve.

 

[15]           La demanderesse soutient de plus que la Commission ne pouvait pas se mettre à la place de son ex-conjoint, pour déterminer la vraisemblance des incidents de violence conjugale et des pressions pour obtenir les informations recherchées.

 

[16]           La Commission erre en n’accordant aucune valeur probante à l’ensemble des éléments de preuve médicale présentés lesquels, selon la demanderesse, corroborent son témoignage. Elle  affirme aussi que la Commission ne possède aucune expertise médicale pour conclure que le traitement  reçu suite à l’incident avec X-Acto n’était pas relié à la blessure alléguée.

 

B.        Position du défendeur

 

[17]           Le défendeur répond, tout d’abord, que la Commission explique en détail les raisons qui justifient sa conclusion voulant que la demanderesse n’est pas crédible.

 

[18]           Aux dires du défendeur, la demanderesse demande à la Cour de substituer sa propre appréciation des éléments de preuve à celle de la Commission. Cette dernière demeure  la mieux placée pour apprécier la vraisemblance d’un témoignage. De plus, le défendeur soutient qu’il est parfaitement acceptable, pour la Commission, de se mettre à la place d’une autre personne pour juger de la plausibilité de certaines allégations.

 

[19]           Le défendeur souligne également que la décision démontre clairement que la Commission est consciente qu’elle doit étudier le dossier à la lumière des Directives. Il est inexact de prétendre que la Commission ne tient pas compte des allégations de la demanderesse voulant qu’elle soit victime de violence conjugale dans son pays. La Commission avait des motifs suffisants pour douter de la véracité du récit de la demanderesse.

 

[20]           Le défendeur affirme que la Commission n’a pas l’obligation d’informer la demanderesse de toutes ses préoccupations quant à sa crédibilité. La décision traduit fidèlement la préoccupation légitime de la Commission, en début d’audience, alors que la demanderesse, qui est au Canada depuis août 2007, dépose dix pièces additionnelles et modifie sa déclaration initiale de plusieurs ajouts.

 

[21]           Selon le défendeur, la demanderesse ne démontre pas, de façon précise, en quoi la Commission ignore les Directives.

 

[22]           Quant au reproche de la demanderesse voulant que la Commission n’accorde pas de valeur probante à certains éléments de preuve documentaire relatifs à la violence conjugale subie, le défendeur prétend que les allégués de la demanderesse manquent de détails et d’explications et ne suffisent pas en l’occurrence à justifier l’intervention de la Cour.

 

V.        Analyse

 

[23]           La  jurisprudence de cette Cour est claire sur l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur. La Cour doit faire preuve de retenue puisque l’appréciation des témoignages se situe au cœur même du pouvoir de la Commission. La Cour doit intervenir que si les conclusions de la Commission s’avèrent abusives, arbitraires ou si elles ne tiennent pas compte des éléments de preuve au dossier (Ortiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 726, [2011] ACF no 910 au para 8).

 

[24]           La jurisprudence établit également que la Commission n’a pas l’obligation d’informer les parties à l’instance de toutes ses préoccupations quant à leur crédibilité (Tekin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 357, [2003] ACF no 506) au para 14 :

 

[14] En outre, la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a omis d'informer expressément le demandeur de ses préoccupations quant à la crédibilité relativement à l'omission dans son FRP. L'obligation d'équité n'exige pas que la Commission informe le demandeur de toutes ses préoccupations quant à la crédibilité (voir les décisions Appau c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 300 (1re inst.) (QL), Akinremi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 808 (1re inst.) (QL), et Khorasani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 936, [2002] CFPI no 1219 (QL)). En l'espèce, le demandeur était représenté par un avocat, les parties savaient que la crédibilité était une question en litige et l'incohérence entre l'exposé contenu dans le FRP du demandeur et son témoignage de vive voix était facilement apparente. Par conséquent, la Commission n'avait pas l'obligation d'informer le demandeur de cette incohérence et son omission de le faire ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (voir les décisions Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1833 (1re inst.) (QL), Matarage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 460 (1re inst.) (QL), et Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (1re inst.) (QL)).

 

[25]            Il appert clairement, à la lecture de la transcription de l’audience, que la Commission communique à plusieurs reprises à la demanderesse ses préoccupations portant sur sa crédibilité. Elle souligne, dès le début de l’audience, ses préoccupations devant la production tardive de nouveaux documents, qu’elle permet néanmoins.

 

[26]           La Commission demande également à la demanderesse pourquoi elle n’informait pas ses parents de sa situation conjugale. D’autre part, elle questionne la demanderesse pour comprendre comment elle avait pu à la fois faire ses études de maîtrise et travailler à temps plein au PGR. 

 

[27]           La Cour ne peut accepter la prétention de la demanderesse voulant que la Commission ait fait défaut de lui communiquer ses préoccupations quant à sa crédibilité. La Cour ne peut donc pas intervenir pour ce motif.

 

[28]           La décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 au para 16 précise que la Commission est présumée avoir pris en considération l’ensemble des éléments de preuve au dossier; elle n’a pas à scruter à la loupe ni à expliquer son évaluation sur chacun des éléments qui la composent.

 

[29]           Dans sa décision, la Commission se penche sur le bail signé par la demanderesse et son ex-conjoint mais, en raison de la divergence entre l’adresse y indiquée et celle apparaissant sur les différents formulaires, elle en tire une inférence négative. Cette conclusion fait partie des issues possibles et raisonnables dans les circonstances.

 

[30]           En ce qui a trait à l’emploi de la demanderesse, la Commission ne remet pas en question qu’elle ait travaillé au PGR, pour une certaine période de temps, mais conclut qu’elle n’a pas établi y avoir travaillé à temps plein pendant un an, soit de 2006 à 2007. On retrouve les éléments de preuve documentaire suivants au dossier :

 

1) une carte professionnelle prouvant qu’elle possède une licence en informatique administrative;

 

2) une attestation d’emploi indiquant qu’elle a été assignée au PGR du 21 mars au 28 mars 2007;

 

3) une lettre du 15 août 2007 indiquant qu’elle renonce à son emploi; et

 

4) une carte d’identité de 2007 indiquant son emploi au PGR.

 

[31]           Aucun de ces éléments de preuve ne démontre clairement que la demanderesse y a travaillé durant un an à temps plein, de 2006 à 2007. La conclusion de la Commission ne peut donc être qualifiée de déraisonnable.

 

[32]           La Commission peut, en outre, accorder aux éléments de preuve documentaire fournis par la demanderesse pour prouver les incidents de violence conjugale alléguée, la force probante qu’elle juge appropriée. Les éléments de preuve documentaire suivants se retrouvent au dossier :

 

1) une prescription pour une solution antibiotique aux yeux et autres produits pour les soins nasaux;

 

2) une prescription pour un onguent dermatologique;

 

3) document médical indiquant qu’un médecin a traité la demanderesse en apposant un bandage à sa main le 3 mai 2007.

 

[33]           La Commission erre-t-elle en concluant que ces éléments de preuve n’établissent pas clairement que la demanderesse a été frappée violemment au visage à plusieurs reprises et a été blessée gravement avec un couteau de type X-Acto? Cette appréciation des éléments de preuve ne nous apparaît ni déraisonnable, ni arbitraire.

 

[34]           Finalement, la Cour conclut que la Commission tient compte des Directives. La seule mention dans sa décision qu’elle le fait ne saurait suffire. Toutefois, la Commission s’est placée dans la situation de la demanderesse. Elle la questionne sur la qualité des liens qu’elle entretient avec ses proches et elle scrute son environnement immédiat afin de soupeser la véracité des faits allégués. La jurisprudence de cette Cour est claire, tenir compte des directives ne saurait être un frein au devoir de la Commission d’apprécier la véracité d’un témoignage. Les Directives servent plutôt à sensibiliser le tribunal aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution (Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 738, 182 FTR 294 au para 17). En l’occurrence, la Cour ne peut souscrire à la prétention de la demanderesse que la Commission ne respecte pas les Directives.

 

[35]           En somme, la Cour constate que la décision de la Commission ne contient aucune conclusion abusive, arbitraire ou qu’elle ne tient pas raisonnablement compte des éléments de preuve au dossier. L’intervention de la Cour n’est pas nécessaire.

 

VI.       Conclusion

 

[36]           Pour tous ces motifs, cette demande de révision judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         La demande de révision judiciaire est rejetée.

2.         Il n’y a pas de question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7561-10

 

INTITULÉ :                                       LYSETTE YANEL SOLIS MORALES

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               13 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      31 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arash Banakar

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Diane Lemery

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ARASH BANAKAR

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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