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Date : 20111107


Dossier : IMM-1011-11

Référence : 2011 CF 1265

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JOHN GABRIEL RIVERA MEJIA

BETTY JAMIYE YEPES GARCES

JUAN ESTEBAN RIVERA YEPES

SARA RIVERA YEPES   

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision datée du 7 janvier 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Les faits

[2]               M. Mejia est citoyen de la Colombie. Il a quitté ce pays le 20 février 2008 parce qu’il craignait les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Quand il est arrivé à la frontière du Canada en passant par les États-Unis, il a demandé l’asile. Il prétend avoir d’abord été menacé par une autre organisation paramilitaire : les Autodefensas Unidas de Colombia (AUC), avant d’arriver à la conclusion que c’était en fait les FARC qui le menaçaient. M. Mejia a déclaré avoir été une [traduction] « cible militaire » pendant six ans, mais il n’a jamais été victime de violence ni été l’objet de menaces d’extorsion avant le mois de décembre 2007. Le 7 décembre 2007, a‑t‑il déclaré, les FARC ont exigé qu’il fournisse un certain nombre d’articles que contenait sa boutique de vente d’uniformes et de vêtements, ainsi que la somme de 10 millions de pesos – environ 5 000 $CAN. À la suite de cet incident, il a déposé une dénonciation auprès du procureur général de la Colombie. Le Bureau du procureur général lui a assuré qu’une enquête serait menée sur l’incident. Deux mois plus tard, M. Mejia était en route pour le Canada.

 

[3]               La demande d’asile de M. Mejia et, par voie de conséquence, celles de son épouse et de ses enfants, ont été rejetées par la Commission au motif que M. Mejia manquait de crédibilité et que son témoignage à l’audience contredisait la preuve documentaire. Par ailleurs, la Commission a conclu que M. Mejia n’avait pas réfuté la présomption relative à l’existence d’une protection adéquate de l’État en Colombie.

 

[4]               Le point qui est en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire se limite à deux questions : si les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont raisonnables, et si la conclusion selon laquelle M. Mejia n’a pas réfuté la présomption d’une protection de l’État adéquate peut être soutenue. Dans la présente affaire, les deux réponses doivent être évaluées par rapport à la norme de la raisonnabilité; selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, une décision est raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit, à la condition de faire preuve de transparence, d’intelligibilité et de justification. La Cour ne modifiera pas les décisions que rendent les décideurs administratifs si elles sont raisonnables, et ce, même si elles ne font pas partie de celles auxquelles la Cour serait elle-même arrivée : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732.

 

[5]               La Commission a rejeté le témoignage de M. Mejia parce qu’elle a conclu que la demande d’asile de ce dernier était dénuée de crédibilité. Elle est arrivée à cette conclusion en se fondant sur le fait que M. Mejia n’avait pas formulé clairement quel était l’agent qui le persécutait, qu’il ne correspondait pas au profil d’une personne que les FARC prendraient pour cible, qu’il y avait un élément d’information important qu’il n’avait pas inclus dans la dénonciation déposée auprès du procureur général, qu’il ne s’était pas souvenu avec exactitude du titre du poste qu’il avait occupé pendant plus de dix ans, qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis alors qu’il avait eu plusieurs occasions de le faire et qu’il était retourné en Colombie. La Commission a également tiré une inférence défavorable du moment où M. Mejia a demandé l’asile. Après avoir rejeté sa demande sur la base de ces conclusions quant à la crédibilité, la Commission a procédé à une analyse de la protection de l’État et elle a conclu que la présomption de l’existence de cette protection n’avait pas été réfutée.

 

Analyse

[6]               J’admets que la Commission a formulé une conjecture déraisonnable quand elle a conclu que M. Mejia ne correspondait pas au profil d’une personne que les FARC prendraient pour cible; toutefois, cette conjecture n’est pas suffisante pour que la décision soit, dans son ensemble, déraisonnable.

 

[7]               Dans le même ordre d’idées, la Commission a conclu que dans le rapport déposé auprès du Bureau du procureur général de la Colombie, M. Mejia n’a pas mentionné que c’était les FARC qui l’avaient contacté en dernier, et non pas les AUC, comme il le croyait au départ. Il soutient, cependant, que le Bureau du procureur général lui a dit qu’un autre service était chargé de s’occuper de l’affaire d’extorsion et que c’était pour cela qu’il n’en était pas fait mention dans le rapport. Il ne s’agit pas là d’une raison valable, en soi, pour rejeter forcément la crédibilité de M. Mejia ou celle de sa demande d’asile.

 

[8]               Néanmoins, malgré ces deux conclusions, on ne peut pas dire que la décision de la Commission soit déraisonnable. M. Mejia n’a pas su toujours expliquer de manière vraisemblable pourquoi on avait déclaré qu’il était une [traduction] « cible militaire », pourquoi il avait continué de recevoir des appels téléphoniques anonymes, ni quelle était l’identité de l’agent de persécution. Quand on lui a demandé qui le menaçait, M. Mejia a répondu : « Je n’en ai pas la moindre idée. »

 

[9]               Fait plus important encore, la Commission a conclu que la crédibilité de la demande d’asile de M. Mejia avait été compromise par le fait qu’il n’avait pas sollicité l’asile aux États-Unis. La jurisprudence reconnaît que le fait d’essayer de se réunir avec sa famille est une raison valable pour ne pas solliciter l’asile dans un pays pendant que l’on est en route vers cette réunification. Toutefois, dans la présente affaire, M. Mejia s’est trouvé aux États-Unis à deux reprises avant d’y entrer une troisième fois pour se rendre au Canada, et jamais il n’a demandé l’asile. La Commission n’a pas accepté son explication selon laquelle il n’avait [traduction] « nullement eu l’intention de quitter son pays » et se trouvait principalement aux États-Unis pour [traduction] « se reposer ». Il a aussi une sœur aux États-Unis. Le fait que le demandeur n’ait pas demandé l’asile à la première occasion n’était donc pas légalement compatible avec l’exception. La conclusion de la Commission selon laquelle le retour de M. Mejia en Colombie ne cadrait pas avec la conduite d’une personne dont la vie, durant six ans, aurait été menacée par des inconnus, voire une organisation terroriste, est raisonnable.

 

[10]           Le commissaire a pris en considération les éléments de preuve et il a conclu à l’existence d’une protection de l’État adéquate. D’après la jurisprudence canadienne, la protection des réfugiés au Canada est conçue pour être une forme de protection auxiliaire, et un État est en mesure d’assurer une protection à ceux qui le lui demandent, et il le fera. Les demandeurs d’asile doivent s’efforcer de solliciter la protection de leur pays d’origine avant de s’adresser au Canada. Dans le cas présent, M. Mejia a quitté la Colombie deux mois après avoir reçu la dernière menace, période au cours de laquelle il n’a pas été victime d’autres menaces et avant de donner aux autorités la chance de s’occuper de ce qu’il avait déclaré dans sa dénonciation. Pour ce motif, je suis d’avis que les conclusions relatives à la protection de l’État sont raisonnables.

 

[11]           Enfin, il y a l’argument selon lequel la Commission n’a pas fait référence à un rapport d’expert portant sur la capacité de la Colombie d’assurer une protection de l’État et décrivant la nature et l’étendue des opérations des FARC.

 

[12]           La Commission n’est pas tenue de se reporter au moindre élément de preuve documentaire ou au moindre passage des sources qu’invoque le demandeur d’asile et qui contredisent les renseignements auxquels se fie la Commission. La contrainte consiste à savoir si, quand on examine le dossier dans son ensemble – et cela inclut les éléments de preuve contradictoires –, la décision est raisonnable : Raclewiski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244; Valez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923.

 

[13]           En l’espèce, la Commission a procédé à un examen complet des rapports relatifs à la situation du pays et elle s’est fondée sur des documents qui étaient plus récents que le rapport en question. Il aurait été préférable qu’elle indique pourquoi elle avait décidé de ne pas se fonder sur ce rapport, mais, même à la lumière de ce dernier et de la conclusion que la Commission a tirée, sa décision est raisonnable.

 

[14]           Certes, un demandeur d’asile n’a pas à risquer sa vie pour montrer qu’il ne dispose pas d’une protection de l’État adéquate : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. Selon la preuve documentaire soumise à la Commission, la Colombie est effectivement en mesure d’assurer une protection de l’État adéquate et efficace, sinon parfaite. La conclusion selon laquelle M. Mejia n’a pas réfuté la présomption de l’existence d’une telle protection – un préalable nécessaire à une demande d’asile fructueuse – a été tirée à la suite de l’analyse juridique appropriée des faits qui étaient ancrés dans le dossier soumis à la Commission.

 

[15]           Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1011-11

 

INTITULÉ :                                       JOHN GABRIEL RIVERA MEJIA

                                                            BETTY JAMIYE YEPES GARCES

                                                            JUAN ESTEBAN RIVERA YEPES

                                                            SARA RIVERA YEPES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

POUR LES DEMANDEURS

 

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach
Avocat
London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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