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Date : 20111109

Dossier : IMM‑1198‑11

Référence : 2011 CF 1285

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

MOHANARAASA SINNIAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision en date du 24 janvier 2011 (la décision) par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) a refusé la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, présentée aux termes de l’article 25 de la Loi, pour que soient levés les critères de sélection applicables à une demande de statut de résident permanent présentée au Canada.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen tamoul du Sri Lanka; il a 37 ans. Il vit au Canada depuis le 16 décembre 2009 avec son ex‑épouse et leurs deux enfants, Ryan et Ashwinnii. Ryan est né en 2001 et Ashwinii est née en 2005.

 

[3]               Le 5 avril 1990, le demandeur est arrivé au Canada pour la première fois et a fait une demande d’asile. Il a obtenu le statut de réfugié en 1991 et le statut de résident permanent en 1992.

 

[4]               En 1994, le demandeur a été interdit de territoire au Canada pour criminalité à la suite de trois déclarations de culpabilité; en 1996, une mesure d’expulsion a été prise contre lui. Après le rejet de l’appel interjeté contre la mesure d’expulsion en 1998, le ministre a délivré un avis de danger contre le demandeur.

 

[5]               En 2002, le défendeur a renvoyé le demandeur du Canada au Sri Lanka. Du Sri Lanka, ce dernier s’est rendu aux États‑Unis, où il a obtenu un sursis de renvoi provisoire en 2004. Au moyen d’un document de voyage américain obtenu sous un nom d’emprunt, Chinniah Moganarasa, le demandeur a pu obtenir des visas de visiteur pour entrer au Canada. Il est venu au Canada à plusieurs reprises à l’aide de ces visas entre novembre 2005 et décembre 2009. Durant cette période, en contravention au paragraphe 52(1) de la Loi, le demandeur n’a pas obtenu d’autorisation de revenir au Canada (ARC), tel qu’il était tenu de le faire à titre de personne ayant fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutée.

 

[6]               Le 6 décembre 2009, le demandeur est revenu au Canada. À la suite d’un incident de conduite automobile, sa présence au pays a été signalée aux autorités de l’immigration, les policiers l’ayant arrêté et accusé de défaut de fournir un échantillon d’haleine. En 2010, le défendeur a pris une mesure d’expulsion contre lui. En février 2010, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et, en mars 2010, il a présenté une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH). La même agente a traité les demandes ERAR et CH. Le 24 janvier 2011, l’agente a refusé les demandes ERAR et CH. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire visant le refus de sa demande ERAR; les parties se sont entendues relativement à cette demande le 6 juin 2011.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

 

[7]               L’agente a refusé la demande de dispense CH. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que l’exécution des dispositions applicables de la Loi l’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Le degré d’établissement

 

[8]               L’agente a d’abord examiné les éléments de preuve se rapportant au degré d’établissement du demandeur. Elle a conclu que, bien qu’il ait habité au Canada pendant environ deux ans avant de présenter sa demande, il n’avait pas travaillé durant cette période et ne s’était pas joint à des groupes communautaires, pas plus qu’il n’avait pris part à des activités communautaires. En raison de son faible degré d’établissement, son renvoi du Canada ne l’exposerait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en l’obligeant à présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, ainsi qu’il est prévu au paragraphe 20(1) de la Loi.

 

[9]               L’agente a également tenu compte des antécédents du demandeur pour ce qui est de ses entrées et sorties du Canada. Elle a noté que, bien qu’il ait obtenu une réhabilitation, qui effaçait la responsabilité pénale liée à ses déclarations de culpabilité et supprimait l’obstacle à son retour au Canada, il avait fait l’objet d’une mesure de renvoi et devait tout de même obtenir une ARC s’il souhaitait revenir au Canada. L’agente a signalé que le demandeur avait utilisé un nom d’emprunt afin d’obtenir des visas pour entrer au Canada à six reprises, au lieu de demander une ARC après son expulsion en 2002. Sur cette base, elle a conclu que le demandeur avait fait preuve de mépris à l’égard des lois canadiennes et qu’il était disposé à tromper les autorités canadiennes si cela pouvait lui procurer un avantage. Elle a également signalé que lorsqu’il présentait des demandes de visa sous son nom d’emprunt, il avançait les mêmes motifs que ceux avancés dans sa demande CH; il aurait pu avancer ces motifs dans une demande ARC, mais il a choisi d’entrer au Canada illégalement.

 

Les attaches familiales

 

[10]           L’agente a examiné les attaches familiales du demandeur au Canada et a conclu que ni lui ni sa famille ne seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était tenu de se conformer aux exigences de la loi. Trois membres de sa fratrie et son ex‑épouse ont fourni des lettres à l’appui de sa demande de dispense CH. Toutefois, étant donné que la famille du demandeur avait vécu au Canada sans lui pendant plusieurs années, le degré d’interdépendance entre sa fratrie au Canada et lui n’était pas élevé. L’agente a conclu que, bien que la sœur du demandeur ait écrit qu’elle comptait sur le demandeur pour assumer le rôle de figure paternelle auprès de ses enfants, le frère aîné, qui vivait avec elle à l’époque, pouvait jouer ce rôle. En raison du peu d’interdépendance entre le demandeur et les membres de sa fratrie, l’agente a conclu qu’aucun d’entre eux ne serait exposé à des difficultés plus importantes que celles auxquelles sont habituellement exposées les familles dont un membre est contraint de quitter le Canada.

 

[11]           L’agente a également conclu que l’ex‑épouse du demandeur n’éprouverait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Bien que cette dernière ait écrit dans sa lettre qu’elle souhaitait qu’il demeure au Canada et que la vie était difficile sans lui, l’agente a noté que le demandeur ne parle pas de son ex‑épouse dans ses observations. L’agente a admis que le demandeur avait renoué avec son ex‑épouse, étant donné qu’il habitait avec elle et leurs enfants au moment de la présentation de la demande, mais elle a également noté qu’ils s’étaient épousés et avaient eu un enfant ensemble seulement après la prise d’une mesure d’expulsion contre lui en 1999. Même si le demandeur et son ex‑épouse vivaient ensemble depuis onze mois au moment de la présentation de la demande CH, leur relation n’était pas de nature à justifier qu’ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était renvoyé au Sri Lanka et obligé de présenter une demande de résidence permanente à partir de ce pays.

 

L’intérêt supérieur des enfants

 

[12]           La plus grande partie des observations soumises à l’agente sur la question de l’intérêt supérieur des enfants avait trait au fils du demandeur. En fin de compte, l’agente a conclu que le refus de la demande CH n’allait pas à l’encontre de l’intérêt supérieur des enfants. Elle a conclu que, même si le demandeur communiquait régulièrement avec ses enfants en leur rendant visite, en leur téléphonant et, plus récemment, en habitant avec eux chez son ex‑épouse, son renvoi du Canada n’entraînerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[13]           Malgré les observations visant à démontrer le contraire, la présence continue du demandeur au Canada n’était pas nécessaire au bien‑être psychologique de son fils, Ryan. Bien que l’épouse du demandeur ait écrit dans sa lettre à l’appui de la demande que leur fils avait des troubles de comportement qui, selon elle, étaient attribuables à l’absence de son père, l’agente a conclu qu’un autre pouvait assumer ce rôle. Étant donné qu’un autre pouvait assumer ce rôle, le renvoi du demandeur n’entraînerait pas de difficultés qui justifieraient une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

[14]           L’agente a pris en considération la lettre de M. Pilowsky, un psychologue engagé pour évaluer Ryan afin de prouver les difficultés que ce dernier éprouverait à la suite du renvoi du demandeur. Elle n’a pas accordé beaucoup de poids à l’avis du psychologue, en partie parce que la lettre a été rédigée après une seule rencontre avec Ryan et sa mère, environ un mois après la mise en liberté du demandeur. L’agente a également exprimé des réserves du fait que l’évaluation du psychologue semblait reposer principalement sur l’avis de la mère, signalant que la mère de Ryan affirmait que celui‑ci n’avait pas atteint certaines étapes de son développement, mais que le psychologue n’avait constaté aucun retard dans son développement.

 

[15]           D’après l’agente, les problèmes de Ryan ne pouvaient s’apparenter à une crise psychologique. L’agente a affirmé que le comportement de Ryan était causé par un manque d’attention. Elle a examiné les observations selon lesquelles Ryan avait manifesté des tendances suicidaires qui s’étaient atténuées depuis que le demandeur vivait avec lui et passait du temps avec lui. L’agente a aussi conclu que rien n’indiquait que l’ex‑épouse du demandeur ait fait soigner son fils pour ses pensées suicidaires au cours des 18 mois qui se sont écoulés entre leur première manifestation et la rédaction du rapport du psychologue. Elle a également conclu que, bien que la mère ait indiqué avoir emmené Ryan chez le médecin de famille, à l’hôpital et chez un conseiller afin de soigner ses tendances suicidaires et ses troubles de comportement, elle n’avait fourni aucune documentation confirmant ces événements. Ryan avait des difficultés qui ont été atténuées par la présence de son père dans sa vie, mais les difficultés auxquelles il ferait face si son père était renvoyé n’étaient pas exceptionnelles pour un enfant élevé par un parent seul. Par conséquent, le refus de la demande de dispense CH et le renvoi du demandeur du Canada ne l’exposeraient pas à des difficultés inhabituelles.

 

Le risque associé au retour au Sri Lanka

 

[16]           En plus du degré d’établissement, des attaches familiales et de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a aussi pris en considération le risque auquel serait exposé le demandeur s’il était renvoyé au Sri Lanka. Elle a conclu que ce risque ne constituerait pas une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive justifiant une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agente a indiqué que, pour la préparation de ses observations, l’avocat du demandeur s’était fondé sur un document du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) intitulé « 2009 UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum‑Seekers from Sri Lanka » (lignes directrices de 2009). Elle a également indiqué que le HCNUR avait publié de nouvelles lignes directrices (lignes directrices de 2010) étant donné que la situation locale s’était nettement améliorée depuis la défaite des TLET aux mains des forces gouvernementales. Ayant avisé l’avocat du demandeur par télécopieur qu’elle tiendrait compte des lignes directrices de 2010 dans sa décision, l’agente a mentionné que le risque auquel serait exposé le demandeur était différent de celui suggéré par les lignes directrices de 2009. Elle a signalé que, contrairement aux lignes directrices de 2009, les lignes directrices de 2010 ne recommandaient plus que les Tamouls ne soient pas renvoyés au Sri Lanka. Elle a également conclu que, après le renvoi du demandeur au Sri Lanka en 2002, rien ne semble vraiment indiquer qu’il ait fait face à des difficultés pendant qu’il s’y trouvait. Elle a aussi conclu que, même si le Sri Lanka connaissait encore des difficultés, le demandeur n’y serait pas exposé à un niveau de risque supérieur à celui de tous les autres Sri‑Lankais. Par conséquent, le risque que représentait pour le demandeur son renvoi au Sri Lanka ne constituait pas une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive et ne militait pas en faveur de l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

[17]           À la lumière de son évaluation des facteurs ci‑dessus, l’agente a conclu que les difficultés évoquées ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   L’agente a‑t‑elle ignoré des éléments de preuve se rapportant à l’intérêt supérieur de l’enfant?

b.                  L’agente a‑t‑elle ignoré des éléments de preuve dans son appréciation du risque auquel serait exposé le demandeur au Sri Lanka?

c.                   L’agente a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme de contrôle dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

Obligation à l’entrée au

Canada

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

 

 

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

 

Statut et autorisation d’entrer

 

21. (1) Devient résident permanent l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)a) et au paragraphe 20(2) et n’est pas interdit de territoire.

 

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

 

 

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

 

 

Interdiction de retour

 

 

52. (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

 

Application before entering

Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an Officer for a visa or for any other document  required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, l’agente is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

Obligation on Entry

 

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

Status and Authorization to Enter

 

21. (1) A foreign national becomes a permanent resident if an Officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(a) and subsection 20(2) and is not inadmissible.

 

 

Humanitarian and compassionate Considerations — request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

 

 

No return without prescribed authorization

 

52. (1) If a removal order has been enforced, the foreign national shall not return to Canada, unless authorized by an Officer or in other prescribed circumstances.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu que l’analyse relative à la norme de contrôle n’avait pas à être menée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie a été bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[21]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACS no 39, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision CH, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (paragraphe 62). Le juge Michael Phelan a suivi cette approche dans Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 489, au paragraphe 7. La norme de contrôle prédominante en ce qui a trait aux demandes CH est la norme de la raisonnabilité.

 

[22]           Dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CAF 475, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit (paragraphe 6) :

[dans le cadre d’une demande CH] l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

 

[23]           De plus, dans l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une fois que l’agente a identifié et défini l’intérêt supérieur de l’enfant, il lui appartient de lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances de l’espèce (paragraphe 12). L’importance des difficultés auxquelles un enfant sera exposé est une question de fait qui, conformément à l’arrêt Dunsmuir, précité, est assujettie à la norme de la raisonnabilité (paragraphe 53). La norme de contrôle applicable à la première question en litige est celle de la raisonnabilité.

 

[24]           Ainsi qu’il est signalé précédemment, la norme de contrôle applicable à une demande CH est en général la norme de la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est aussi celle de la raisonnabilité.

 

[25]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres mots, la Cour ne devrait intervenir que si la décision de l’agent est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[26]           Dans la décision Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 739, le juge Phelan a conclu que l’application de la bonne norme de contrôle judiciaire est une décision assujettie à la norme de la décision correcte (paragraphe 7). Voir aussi les décisions Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 677, au paragraphe 7, et Markis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 428, au paragraphe 19. La norme de contrôle applicable à la troisième question en litige est celle de la décision correcte.

 

[27]           Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, précité (paragraphe 50) :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

ARGUMENTS

Le demandeur

            L’intérêt supérieur des enfants

 

[28]           Le demandeur affirme que l’agente n’a pas été suffisamment réceptive, attentive ou sensible aux besoins de ses enfants. Il reprend l’opinion concordante, que le juge John Evans formule au paragraphe 32 de l’arrêt Hawthorne précité, pour appuyer ses dires, à savoir que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte des intérêts de Ryan :

Il y a eu également consensus sur le fait qu’une agente ne peut démontrer qu’elle a été « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la simple mention dans ses motifs qu’elle a pris en compte l’intérêt de l’enfant d’un demandeur CH (Legault, paragraphe 12). L’intérêt de l’enfant doit plutôt être « bien identifié et défini » (Legault, paragraphe 12) et « examiné avec beaucoup d’attention » (Legault, paragraphe 31) car, ainsi que l’a affirmé clairement la Cour suprême, l’intérêt supérieur de l’enfant constitue « un facteur important » auquel on doit accorder un « poids considérable » (Baker, paragraphe 75) dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire sous le régime du paragraphe 114(2).

 

[29]           En concluant que le renvoi du demandeur ne causerait pas de difficultés excessives à Ryan, l’agent a fait fi des conclusions du rapport du psychologue. Ce rapport signalait que Ryan faisait des cauchemars, qu’il avait des comportements violents et souffrait d’anxiété, et que ces problèmes étaient liés à l’absence du demandeur dans la vie de Ryan. Pour tirer ce genre de conclusion, l’agente doit avoir ignoré le rapport.

 

[30]           Le demandeur affirme également que l’agente a déduit que l’état psychologique de Ryan n’était pas authentique du fait qu’on ne lui avait prescrit aucun traitement ou consultation. Elle n’a pas tenu compte de la lettre à l’appui de la demande, transmise par la mère de Ryan, l’ex‑épouse du demandeur. Cette lettre indique que l’état de Ryan n’avait fait l’objet d’aucun diagnostic et qu’on ne lui avait prescrit aucun médicament ou consultation, même s’il faisait l’objet d’une surveillance à l’école et avait été dirigé vers des services de consultation. Le demandeur soutient que les conclusions de l’agente font abstraction de cet élément de preuve.  

 

[31]           Le demandeur affirme également que l’agente a tiré à tort une conclusion défavorable quant à sa crédibilité au sujet de l’état de santé de Ryan. Cette conclusion découle de l’absence de preuve documentaire à l’appui de la déclaration que l’ex‑épouse avait formulée dans sa lettre, à savoir que Ryan avait été amené à l’hôpital pour ses problèmes psychologiques, ainsi que de l’absence de documents confirmant les préoccupations de son école au sujet du comportement de Ryan.

 

[32]           L’agente s’est également trompée en concluant que le rôle que jouait le demandeur dans la vie de Ryan – celui de figure paternelle – pourrait être assumé par un autre parent ou un groupe communautaire. Elle ne disposait d’aucun élément de preuve quant à la possibilité qu’un autre parent ou d’un groupe communautaire puisse assumer ce rôle; par conséquent, la conclusion de l’agente était fondée uniquement sur des hypothèses.

 

[33]           La conclusion de l’agente selon laquelle Ryan n’était pas en détresse psychologique était également erronée, parce que le rapport du psychologue concluait effectivement que Ryan souffrait de divers problèmes psychologiques.

 

Les risques auxquels est exposé le demandeur au Sri Lanka

 

[34]           Le demandeur soutient également que l’agente a commis une erreur en concluant qu’il n’éprouverait pas de difficultés inhabituelles ou excessives s’il était renvoyé au Sri Lanka, parce qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait à l’égard des risques auxquels il serait exposé. En premier lieu, l’agente a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à de grandes difficultés s’il retournait au Sri Lanka parce qu’il n’avait pas eu de problèmes lorsqu’il y était retourné en 2002, mais elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve montrant qu’un accord de paix avait été conclu à l’époque. Elle n’a pas non plus tenu compte des éléments de preuve selon lesquels il n’avait pas quitté l’endroit où il demeurait parce qu’il avait peur.

 

[35]           Deuxièmement, l’agente a conclu à tort que le demandeur ne correspondait pas au profil du groupe qui serait exposé à des problèmes plus grands que ceux auxquels étaient exposés les Sri Lankais ordinaires. Cette conclusion ne tenait pas compte des lignes directrices de 2010 que l’agente devait examiner comme elle en avait informé le conseil. Plus précisément, le demandeur attire l’attention sur une note en bas de page figurant dans le rapport qui met en évidence les difficultés auxquelles font face les Tamouls au Sri Lanka ainsi que sur la mention dans les lignes directrices de 2010 selon laquelle les jeunes hommes tamouls peuvent faire l’objet d’une grande attention de la part de la police et peuvent parfois se voir refuser un permis de séjour. Il attire aussi l’attention sur un rapport de la UK Border Agency qui ne figurait pas au dossier de la présente demande, mais qu’il avait versé au dossier de la demande de contrôle judiciaire de son ERAR.

 

[36]           Troisièmement, le demandeur attire l’attention sur un commentaire figurant dans les lignes directrices de 2010, à savoir que, en analysant les possibilités de refuge intérieur dans les régions du Nord et de l’Est du Sri Lanka, les organismes responsables de la reconnaissance du statut de réfugié devraient tenir compte du manque d’infrastructures de base. Lesdits organismes devraient également tenir compte du fait que les zones économiques spéciales et les zones de haute sécurité empêchent les civils d’avoir accès aux zones destinées à l’agriculture, à la pêche et aux pâturages pour bestiaux ainsi qu’à d’autres activités productives. Parce que seuls les Tamouls sont exposés à ces risques, et non la majorité des Sri Lankais, la conclusion de l’agente, selon laquelle le demandeur n’éprouverait pas de difficultés inhabituelles ou excessives s’il était renvoyé au Sri Lanka, a été formulée sans tenir compte de la preuve dont elle disposait.

 

Le défendeur

 

[37]           Le défendeur soutient que la décision ne doit pas être modifiée par le présent contrôle judiciaire, à moins qu’elle n’ait été déraisonnable, parce qu’une décision CH comporte une évaluation discrétionnaire des facteurs pertinents. En l’espèce, l’agente a soupesé tous les facteurs pertinents et a examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait; par conséquent, la décision devrait être maintenue.

 

Une décision CH est discrétionnaire et exceptionnelle

 

[38]           En vertu de l’article 11 de la Loi, l’étranger qui souhaite venir au Canada doit d’abord demander un visa à l’extérieur du Canada. Selon l’article 25 de la Loi, le ministre peut lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient. Pour que les conditions requises puissent être respectées, les Directives IP5 exigent que le demandeur ayant présenté une demande de dispense CH démontre au ministre que la conformité aux dispositions de la Loi entraînerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le défendeur soutient que la décision rendue dans Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 356 permet d’affirmer que la dispense CH est nécessairement discrétionnaire et exceptionnelle et qu’elle vise à donner au ministre la latitude nécessaire pour autoriser des exclusions à l’application de la loi dans les cas qui le justifient. Certes, il y a toujours certaines difficultés à quitter le Canada, mais ces difficultés à elles seules ne sont pas suffisantes pour justifier une dispense CH.

 

[39]           Ensemble, tous les facteurs susmentionnés indiquent qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision d’un agent dans une affaire CH. Lorsque l’agent a examiné tous les facteurs et éléments de preuve pertinents et que sa conclusion fait partie des issues possibles acceptables, la cour de révision ne devrait pas intervenir. L’agente a évalué tous les facteurs et éléments de preuve pertinents; par conséquent, la Cour ne devrait pas modifier sa décision de rejeter la demande de dispense CH formulée par le demandeur. 

 

            La décision était raisonnable

 

[40]           L’agente a examiné tous les facteurs pertinents et l’ensemble de la preuve dont elle disposait avant d’arriver à sa décision. Elle a examiné jusqu’à quel point le demandeur s’était établi au Canada. Les éléments de preuve relatifs à son établissement au Canada étaient peu nombreux; en outre, l’affidavit à l’appui de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente faisait uniquement état des risques et de l’intérêt supérieur des enfants; aussi, la conclusion de l’agente selon laquelle le degré d’établissement est faible était raisonnable.

 

[41]           L’agente a également examiné les liens familiaux du demandeur au Canada et l’intérêt supérieur de ses enfants. Peu d’éléments de preuve ont été présentés concernant la relation entre le demandeur et ses enfants. Par conséquent, il était raisonnable que l’agente accorde peu d’importance à ce facteur. En outre, en ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, le défendeur fait observer que l’agente a analysé le rapport du psychologue au sujet des problèmes psychologiques de Ryan, ainsi que les incohérences entre le rapport du psychologue, le bulletin scolaire et la lettre de l’ex‑épouse. Le demandeur peut être en désaccord avec les conclusions de l’agente, néanmoins celles‑ci reposaient sur les éléments de preuve dont elle a été saisie et la Cour ne devrait pas intervenir. Si l’intérêt supérieur d’un enfant touché par un renvoi est un élément dont il faut tenir compte dans l’analyse des facteurs d’ordre humanitaire, il n’est pas nécessairement déterminant quant à l’issue de la demande. Il était loisible à l’agente de conclure que, même si la dispense CH pouvait avantager les enfants du demandeur, ce facteur ne l’emportait pas sur les autres.

 

Les risques en cas de retour au Sri Lanka

 

[42]           La conclusion de l’agente en ce qui concerne les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il devait retourner au Sri Lanka était raisonnable et reposait sur la preuve dont elle disposait. L’agente a analysé les lignes directrices de 2010, soit l’information la plus récente dont elle disposait. Elle a également pris en considération l’expérience antérieure du demandeur, après qu’il eut été expulsé au Sri Lanka en 2002, et a constaté qu’il n’avait pas subi de graves préjudices à cette époque. Ces éléments de preuve ont été soumis d’une façon régulière à l’agente et celle‑ci en a tenu compte; ses conclusions devraient donc être maintenues.

 

La conduite du demandeur

 

[43]           Il était légitime que l’agente s’intéresse à la conduite antérieure du demandeur, étant donné que sa décision est nécessairement discrétionnaire et qu’elle repose sur les faits. L’agente disposait d’éléments de preuve montrant que le demandeur avait trompé les autorités de l’immigration dans le passé et était prêt à entrer illégalement au Canada; par conséquent, il était raisonnable pour elle de conclure que cela jouait contre l’octroi d’une dispense CH.

 

[44]           Comme l’agente a pris en considération l’ensemble de la preuve et qu’elle a examiné tous les facteurs nécessaires, sa décision était raisonnable et ne devrait donc pas être modifiée.

 

La réponse du demandeur

 

[45]           Le demandeur soutient que l’agente s’est trompée en concluant que le rejet de la demande CH n’irait pas à l’encontre de l’intérêt supérieur de ses enfants. Elle n’aurait pas dû considérer le fait que le rapport du psychologue a été produit pour les besoins de la demande CH lorsqu’elle en a évalué la pertinence.

 

[46]           Le demandeur fait également observer que, même si l’agente a conclu qu’aucun autre traitement n’avait été recommandé dans le rapport du psychologue, ce dernier avait en fait recommandé que le demandeur demeure au Canada pour offrir une stabilité à Ryan. Lorsque l’agente a conclu qu’aucun traitement n’était en cours, elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve montrant que Ryan s’était en fait inscrit à des séances de consultation par l’entremise de son école, même si celles‑ci n’avaient pas encore commencé.

 

[47]           Le demandeur affirme également que l’agente s’est trompée en concluant que la lettre de l’établissement scolaire et les lettres de l’ex‑épouse et du psychologue présentaient des incohérences. Vu que les établissements scolaires utilisent souvent des euphémismes dans les lettres qu’ils envoient aux familles, la lettre que l’école a envoyée ne contredisait pas les autres éléments de preuve documentaires fournis. Plutôt que de mettre l’accent sur le fait que cette lettre ne faisait pas mention des idées suicidaires de Ryan, l’agente aurait dû considérer que la lettre appuyait la conclusion selon laquelle il était dans l’intérêt supérieur de Ryan que le demandeur soit présent dans la vie de celui‑ci. 

 

[48]           Le demandeur conteste aussi les conclusions de l’agente au sujet des risques auxquels il serait exposé s’il devait retourner au Sri Lanka. L’agente n’a pas tenu compte de la déclaration du demandeur selon laquelle la peur l’avait empêché de sortir de chez lui la dernière fois qu’il avait été renvoyé au Sri Lanka, en 2002. Elle n’a mentionné aucune des difficultés auxquelles il pourrait être exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka. Seuls les Tamouls du Nord sont aux prises avec ces difficultés, par conséquent, l’agente a eu tort de conclure qu’elles étaient le lot de tous les Sri Lankais.

 

Autre réponse du demandeur sous forme de mémoire

L’agente a appliqué le mauvais critère au regard de l’intérêt supérieur des enfants

 

 

[49]           Le demandeur affirme que l’agente a appliqué le mauvais critère en examinant l’intérêt supérieur de ses enfants. Elle a appliqué le critère des [traduction« difficultés excessives » alors qu’elle aurait dû examiner ce qui [traduction« va à l’encontre de l’intérêt supérieur des enfants ».

 

[50]           L’agente a déclaré ce qui suit : [traduction] « Selon moi, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre d’établir que l’enfant ou le demandeur éprouverait des difficultés inhabituelles ou excessives si ce dernier devait quitter le Canada pour retourner au Sri Lanka afin de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. » Cette déclaration prouve que l’agente a appliqué le critère des difficultés excessives dans son examen de l’intérêt supérieur des enfants. Le demandeur s’appuie sur la décision Mangru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 779.

 

[51]           Le demandeur a aussi invoqué le paragraphe 8 de la décision Sahota, précitée, où le juge Phelan écrit ce qui suit :

L’analyse de l’« intérêt supérieur de l’enfant » par l’agent est mal fondée en droit. L’agent a perverti l’analyse et a appliqué le mauvais critère juridique en imposant le fardeau de démontrer des « difficultés excessives », plutôt que d’appliquer le critère de l’« intérêt supérieur », qui s’imposait selon l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475.

 

Bien que la question des « difficultés excessives » se pose en dernière analyse dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’analyse de l’« intérêt supérieur » constitue une considération distincte. L’agent a omis de préserver la distinction entre ces deux questions, de sorte que son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants est déraisonnable.

 

[52]           En l’espèce, l’agente a associé de manière déraisonnable l’analyse des difficultés excessives à celle de l’intérêt supérieur.

 

L’agente n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs aux difficultés auxquelles serait exposé le demandeur au Sri Lanka

 

 

[53]           Le demandeur soutient en outre qu’il est possible de conclure que, parce qu’elle n’a pas fait mention de certains aspects des lignes directrices du HCNUR qui avaient trait au Sri Lanka, l’agente n’a pas tenu compte de cet élément important. Le demandeur s’appuie sur la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425, aux paragraphes 15 et 16.

 

[54]           Le demandeur s’appuie également sur la décision Sinnammah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 1054, où il a été jugé qu’un agent d’immigration avait omis à tort de tenir compte d’éléments de preuve selon lesquels les Tamouls faisaient l’objet d’actes de harcèlement inhabituels au Sri Lanka.

 

Autre réponse du défendeur sous forme de mémoire

L’agente a appliqué le bon critère au regard de l’intérêt supérieur des enfants

 

 

[55]           Selon la décision Pierre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 825, le fait d’employer le terme « difficultés » ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Ce qu’il importe de retenir, c’est que l’agente a été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt des enfants du demandeur. Bien que, en l’espèce, l’agente ait employé le terme « difficultés » dans son analyse de l’intérêt des enfants du demandeur, elle a été suffisamment réceptive, attentive et sensible à cet intérêt, de sorte que sa décision était raisonnable et devrait être maintenue.

 

Les difficultés auxquelles était exposé le demandeur

 

[56]           Lorsque le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve concernant les difficultés qu’il éprouverait s’il était renvoyé au Sri Lanka, le défendeur fait observer que la décision Sinnammah, précitée, était différente sur le plan des faits. La présente affaire concerne un homme tamoul âgé de 37 ans, tandis que la décision Sinnamah porte sur une veuve tamoule de 68 ans. En outre, la décision Sinnamah a été rendue en 2009, alors que la décision à l’étude dans la présente affaire a été rendue en 2010. Comme l’indiquent les lignes directrices de 2010, la situation au Sri Lanka a changé de façon importante entre la publication des lignes directrices de 2009 et des lignes directrices de 2010. La preuve dont disposait l’agente étayait sa conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à des difficultés extrêmes s’il était renvoyé au Sri Lanka. Puisqu’elle a examiné les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle est arrivée à une conclusion raisonnable, sa décision devrait être maintenue.

 

ANALYSE

 

[57]           Le défendeur a raison de souligner que l’intérêt des enfants n’est pas concluant dans une évaluation CH et qu’il revenait à l’agente de déterminer le poids à attribuer à l’intérêt des enfants du demandeur. Voir l’arrêt Legault, précité, aux paragraphes 12 à 14.

 

[58]           En outre, la Cour d’appel fédérale a affirmé : « un demandeur ne peut s’attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire simplement parce que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur de ce résultat ». Voir l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CAF 189, au paragraphe 24.

 

[59]           D’autre part, la jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel fédérale établit clairement que l’analyse de l’« intérêt supérieur » constitue une considération distincte et n’oblige pas le demandeur à faire la preuve de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives par rapport à l’intérêt supérieur d’un enfant touché.

 

[60]           Dans la décision Mangru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 779, [2011] ACF no 978 (QL), la Cour fédérale a examiné cette question et a conclu ce qui suit :

23     L’agente a conclu que, même si les enfants allaient éprouver des difficultés en commençant une nouvelle vie au Guyana, cela n’équivalait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

24     Cependant, la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont conclu que cela était une erreur de droit que d’intégrer une telle exigence dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Le juge Robert Barnes a conclu dans Arulraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529, au paragraphe 14, que :

 

L’ajout d’une obligation de prouver un préjudice irréparable dans la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants ne repose tout simplement sur aucun fondement juridique. Les directives applicables (Traitement des demandes au Canada, Demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire (Directives IP5)) ne renferment rien qui confirme une telle manière de voir, du moins pour ce qui concerne la prise en compte de l’intérêt d’enfants. Les mots semblables que l’on trouve dans les Directives IP5, à savoir « inhabituelles », « injustifiées » ou « excessives », sont utilisés à propos de l’intérêt pour un demandeur de rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, plutôt que de devoir solliciter le droit d’établissement depuis l’étranger. Il est fautif d’intégrer de telles normes dans la décision portant sur l’existence de considérations humanitaires, du moins dans la partie de cette décision qui concerne l’intérêt des enfants. Cette précision est faite dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555, 2002 CAF 475 (C.A.F.), au paragraphe 9, où le juge Robert Décary écrivait que « le concept de “difficultés injustifiées” n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés ».

 

25     De plus, il est clair que l’agente n’a pas seulement décrit le critère servant à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants incorrectement, mais qu’elle l’a également utilisé dans son analyse.

 

 

27     Bien que le défendeur ait raison de souligner que l’intérêt supérieur des enfants n’est qu’un facteur parmi d’autres à soupeser lors de l’évaluation d’une demande CH, cela n’a pas été pris en compte dans la présente affaire. La Cour d’appel fédérale a conclu dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hawthorne, 2002 CAF 475, qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant penchera en faveur du non‑renvoi. Ce facteur est alors soupesé avec les autres facteurs, comme l’intérêt public. L’application par l’agente de l’exigence des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives transpire dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants et aboutit ainsi à une conclusion inappropriée qui implique que l’intérêt supérieur des enfants milite pour le renvoi des demandeurs. Cette conclusion a mené à une omission de toute considération de l’intérêt supérieur des enfants contre les autres facteurs préconisant le renvoi.

 

[61]           Dans la décision Sahota, précitée, la Cour fédérale est arrivée à la même conclusion au paragraphe 8 :

L’analyse de l’« intérêt supérieur de l’enfant » par l’agent est mal fondée en droit. L’agent a perverti l’analyse et a appliqué le mauvais critère juridique en imposant le fardeau de démontrer des « difficultés excessives », plutôt que d’appliquer le critère de l’« intérêt supérieur », qui s’imposait selon l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475.

 

Bien que la question des « difficultés excessives » se pose en dernière analyse dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’analyse de l’« intérêt supérieur » constitue une considération distincte. L’agent a omis de préserver la distinction entre ces deux questions, de sorte que son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants est déraisonnable.

 

[62]           À la lecture de la décision, il me semble que l’agente en l’espèce a fait précisément ce que la Cour d’appel fédérale et la Cour ont dit qu’il ne fallait pas faire en évaluant l’intérêt supérieur des enfants touchés. À la page 6 de la décision, l’agente affirme ce qui suit : [traduction« peu d’éléments de preuve me donnent à penser que le fait de retirer au demandeur le rôle qu’il joue actuellement dans la vie de ses enfants causerait à ceux‑ci des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Encore une fois, dans sa conclusion sur la partie de l’analyse qui traite de l’intérêt supérieur, l’agent affirme : [traduction] « Selon moi, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que l’enfant ou le demandeur éprouverait des difficultés inhabituelles ou excessives si ce dernier devait quitter le Canada pour retourner au Sri Lanka afin de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger ».

 

[63]           En exigeant que le demandeur fasse la preuve de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives par rapport aux enfants touchés, l’agent a mal compris la nature du processus de pondération nécessaire en l’espèce et a fait peser une charge trop lourde sur le demandeur. Comme l’a affirmé le juge Barnes dans la décision Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 529, au paragraphe 14, « [i]l est fautif d’intégrer de telles normes dans la décision portant sur l’existence de considérations humanitaires, du moins dans la partie de cette décision qui concerne l’intérêt des enfants ».

 

[64]           En fin de compte, soit l’agente a appliqué le mauvais critère juridique en imposant le fardeau de prouver « des difficultés excessives » au lieu d’appliquer le critère de l’« intérêt supérieur » prescrit par l’arrêt Hawthorne, précité, soit elle a déraisonnablement entravé son pouvoir discrétionnaire en exigeant que la preuve de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives liées à l’enfant soit établie avant d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant touché par rapport aux autres facteurs en jeu en l’espèce. Quoi qu’il en soit, je crois qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[65]           Je conviens également avec le demandeur que l’agente a commis des erreurs susceptibles de contrôle qui révèlent qu’elle n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Elle a tiré des conclusions hypothétiques, par exemple que Ryan [traduction] « pourrait raisonnablement être perçu comme un garçon dont le comportement témoigne d’un manque d’attention » ou que d’autres hommes pourraient jouer le rôle de père dans la vie de Ryan; ces conclusions ne sont pas étayées par la preuve et ne tiennent pas compte du rapport du psychologue, ainsi que des éléments de preuve fournis par l’ex‑conjointe du demandeur. Il n’est donc pas nécessaire que je pousse plus loin mon analyse à ce stade‑ci. L’agente a reconnu que l’intérêt supérieur des enfants était l’aspect le plus important de la demande. Cela étant, le traitement inadéquat d’une affaire aussi importante, comme je l’ai déjà décrit, signifie que des erreurs susceptibles de contrôle ont été commises et que l’ensemble de l’affaire doit être réexaminé.

 

[66]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                 La demande est accueillie. La décision est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen.

2.                 Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1198‑11

 

INTITULÉ :                                                   MOHANARAASA SINNIAH   

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Orman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena R. Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Orman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan, c. r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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