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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111116


Dossier : IMM-1493-11

Référence : 2011 CF 1313

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

KADIATOU SOW

MAIMOUNA SOW

AISSATOU SOW

IBRAHIMA SOW

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision rendue le 27 janvier 2011 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a refusé de reconnaître à la demandeure d’asile principale la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Les demandes des trois demandeurs d’asile mineurs ont été jointes à celle de la demandeure d’asile principale en application du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles). Les demandes des demandeurs d’asile mineurs ne dépendaient pas de celle de la demandeure d’asile principale et ont donc été tranchées en fonction de motifs différents.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demandeure d’asile principale est citoyenne de la Guinée, et les demandeurs d’asile mineurs sont tous citoyens des États‑Unis. La demandeure d’asile principale est mariée et mère de six enfants, dont trois sont les demandeurs d’asile mineurs en l’espèce. Les demandeurs d’asile mineurs sont le fils Ibrahima, âgé de14 ans, et les filles Maimouna et Aissatou, âgées de dix et de huit ans, respectivement, de la demandeure d’asile principale. Tous les demandeurs sont arrivés au Canada en passant par la France en août 2008 et ont demandé l’asile peu après leur arrivée.

 

[3]               En août 2008, la famille du mari de la demandeure d’asile principale a décidé que Maimouna et Aissatou, âgées de sept et de cinq ans à l’époque, devaient subir l’excision (mutilation génitale féminine – MGF). Le beau‑frère de la demandeure d’asile principale, Mamadou Sow, (Mamadou) est venu chez elle et l’a frappée deux fois, disant qu’elle lui avait manqué de respect parce qu’elle avait refusé que ses filles subissent une MGF. Quand le mari de la demanderesse est rentré à la maison ce jour‑là, sa femme était en pleurs. Ils ont décidé ensemble qu’elle emmènerait ses filles au Canada pour les éloigner de la famille de son mari et empêcher qu’elles ne subissent une MGF.

 

[4]               Quand la demandeure d’asile principale est venue au Canada, son mari est resté en Guinée. Les deux filles aînées et un des fils de la famille sont demeurés en Guinée avec leur père. Les deux filles aînées n’ont pas subi de MGF.

 

[5]               La demandeure d’asile principale a subi une MGF à l’âge de sept ans. Elle craint que le même traitement ne soit infligé à ses filles si elles rentrent en Guinée. Elle craint aussi d’être blessée ou tuée par la famille de son mari si elle persiste à refuser que ses filles subissent une MGF. Elle a demandé l’asile parce qu’elle craint d’être persécutée en raison de ses opinions politiques, à savoir son opposition à la MGF, et parce qu’elle craint que ses filles ne soient forcées à subir une MGF si elles rentrent en Guinée.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[6]               La demande d’asile des demandeurs a été entendue le 27 janvier 2011. Un agent de protection des réfugiés, la demandeure d’asile principale, son conseil et un interprète étaient présents. À l’audience, la SPR a cherché à déterminer si les demandeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention et du paragraphe 96(1) de la Loi ou des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. Dans les motifs prononcés de vive voix à la fin de l’audience, la SPR a conclu qu’aucun des demandeurs n’avait qualité de réfugié ni de personne à protéger. Les demandes d’asile ont donc été rejetées.

 

Qualité de réfugié au sens de la Convention

 

[7]               En ce qui concerne les demandeurs d’asile mineurs, la SPR a conclu qu’ils ne craignaient pas d’être persécutés et ne risquaient pas d’être soumis à la torture ni à des peines cruelles ou inusitées aux États‑Unis, leur pays de nationalité. Sur ce fondement, la SPR a rejeté les demandes des demandeurs d’asile mineurs.

 

[8]               La SPR a rejeté la demande de la demandeure d’asile principale au motif qu’elle n’avait pas de crainte fondée de persécution en Guinée. Bien que la SPR ait accepté le témoignage de la demandeure d’asile principale, qui affirmait avoir été agressée par son beau‑frère parce qu’elle refusait de faire subir une MGF à ses filles, le commissaire a conclu que cet incident ne constituait pas de la persécution. La SPR a jugé que la conduite examinée devait avoir une nature « soutenue ou systémique » pour constituer de la persécution. Selon la SPR, rien dans la preuve ne montrait que la demandeure d’asile principale avait été persécutée dans le passé. Un incident isolé ne constituait pas de la persécution.

 

[9]               La SPR a également estimé que rien dans la preuve n’indiquait que la demandeure d’asile principale risquait d’être persécutée dans l’avenir. Même si la demandeure d’asile principale craignait que ses filles cadettes n’aient à subir une MGF si elles rentraient en Guinée, la SPR a déterminé que les deux filles aînées qui étaient demeurées là‑bas n’avaient pas été soumises à ce traitement pendant l’absence de leur mère. La SPR a souligné que le mari de la demandeure d’asile principale était également opposé à l’intervention, et qu’il n’avait pas été persécuté en Guinée pour avoir refusé de faire subir une MGF à ses filles. Comme il s’opposait à la MGF de ses filles, le mari de la demandeure d’asile principale s’exposait également à un risque, mais il n’a subi aucun préjudice. Pourtant, il était beaucoup plus proche de la source de la persécution alléguée – sa propre famille – et le fait de s’opposer à l’intervention constituait une offense beaucoup plus grave de sa part. Par conséquent, la SPR a conclu que la demandeure d’asile principale risquait peu d’être persécutée en raison de son opposition à la MGF.

 

[10]           La SPR a aussi conclu que si la demandeure d’asile principale retournait en Guinée, son mari pourrait la protéger. Si son mari avait pu protéger les deux filles qui étaient demeurées en Guinée, il serait également en mesure de protéger la demandeure d’asile principale et ses filles cadettes. En outre, selon la SPR, rien dans la preuve documentaire ne laissait croire que les parents qui s’opposaient à la MFG risquaient d’être persécutés en Guinée.

 

[11]           Étant donné la capacité de son mari de la protéger en Guinée, le manque de preuve documentaire montrant un risque de persécution pour les parents opposés à la MGF et l’absence de persécution subie dans le passé, la SPR a estimé que la demandeure d’asile principale n’avait pas de crainte fondée de persécution. La SPR a donc conclu que la demandeure d’asile principale n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention et de l’article 96 de la Loi.

 

            Menace à la vie, risque de traitements ou peines cruels et inusités

 

[12]           La SPR s’est aussi demandé si la demandeure d’asile principale avait qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi. Comme la demandeure d’asile principale n’avait allégué aucune crainte de torture, la SPR a conclu qu’elle n’était pas visée par cette disposition de l’article 97.

 

[13]           La SPR s’est aussi penchée sur le risque de violence familiale auquel la demandeure d’asile principale serait exposée en Guinée, problème signalé par le conseil. À l’audience, le conseil a fait remarquer que la violence familiale envers les femmes était monnaie courante en Guinée, tout comme la MGF, et que le gouvernement se servait parfois du viol comme moyen d’oppression. La SPR a déterminé que la demandeure d’asile principale n’avait allégué aucune crainte de viol, ni ne craignait de subir de mauvais traitements de la part de son mari. De plus, la SPR a constaté que les deux filles de la demandeure d’asile principale qui étaient restées en Guinée n’avaient pas subi de MGF. Se fondant sur ces conclusions, la SPR a estimé que le risque auquel la demandeure d’asile principale était exposée était un risque auquel tous les Guinéens étaient exposés, et qu’elle n’avait donc pas qualité de personne à protéger au sens de l’article 97.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a.                   La SPR a‑t‑elle correctement examiné la définition de « persécution »?

b.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’examiner certains éléments fondés sur le sexe dans son analyse de la crainte éprouvée par la demandeure d’asile principale?

c.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de déterminer si l’exception en cas de circonstances spéciales prévue au paragraphe 108(4) s’appliquait?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait

de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de  personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution

for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question soumise au tribunal est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit se pencher sur les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle.

 

[17]           Dans Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] ACF no 601, (1984) 55 NR 129 (cité dans NR), la Cour d’appel fédérale, se fondant sur le Living Webster Encyclopedic Dictionary, a défini la persécution comme suit, à la page 133 :

[traduction] Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier.

 

[18]           La juge Eleanor Dawson a utilisé cette définition dans Tolu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 334, au paragraphe 16.

 

[19]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hamdan, 2006 CF 290, la juge Johanne Gauthier s’est exprimée ainsi, au paragraphe 17 :

S’agissant de la question mixte de droit et de fait de savoir si tel ou tel acte discriminatoire équivaut ou non à persécution, la norme qui s’applique est la décision raisonnable simpliciter […]

 

[20]           Le juge Yvon Pinard a adopté une approche semblable dans Prato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1088, au paragraphe 8. En l’espèce, la première question en litige porte sur la conclusion de la SPR selon laquelle le fait que Mamadou ait frappé la demandeure d’asile principale ne constituait pas de la persécution. Cette question concerne la façon dont la SPR a appliqué la définition de « persécution » aux faits dont elle était saisie; la norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable. (Voir également Tolu, précitée, au paragraphe 15.)

 

[21]           Récemment, dans Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de la décision raisonnable s’applique quand un tribunal interprète sa loi habilitante (voir les paragraphes 26 à 34 et 37). Le juge Paul Crampton a suivi cette approche dans Echeverri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 390, et affirmé, au paragraphe 24, que la norme de contrôle de la décision raisonnable était celle qu’il convenait d’appliquer à l’égard de l’applicabilité du paragraphe 108(4). De plus, le juge Crampton a analysé à fond cette question dans Alharazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1044, aux paragraphes 16 à 25, et statué que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Dans S.A. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 344, au paragraphe 22, le juge Richard Boivin a lui aussi affirmé que la norme de contrôle de la décision raisonnable était celle qui convenait lorsqu’il était question de l’applicabilité du paragraphe 108(4). Je suis donc convaincu que la norme de contrôle qui s’applique à la troisième question en litige est celle de la décision raisonnable. Voir également Kotorri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1195, aux paragraphes 14 à 23.

 

[22]           La pertinence de l’analyse fondée sur le sexe étant aussi, dans tous les cas, une question mixte de fait et de droit, la norme de la décision raisonnable s’appliquera donc également à la deuxième question en litige. Voir Michel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 159, aux paragraphes 28 et 37, Josile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 8, et Walcott c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 505, aux paragraphes 18 et 25.

 

[23]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

 

ARGUMENTS

Les demandeurs

            La SPR n’a pas correctement examiné la définition de « persécution »

 

[24]           La demandeure d’asile principale soutient que la SPR a eu tort de comprendre qu’il fallait plus qu’un incident isolé de mauvais traitements pour qu’il y ait persécution. Bien que la SPR l’ait crue quand elle a témoigné que son beau‑frère l’avait frappée, affirme la demandeure d’asile principale, la SPR a quand même conclu que cet incident ne constituait pas de la persécution et que sa crainte ne reposait sur aucun fondement objectif. La demandeure d’asile principale souligne que le terme « persécution » n’est pas défini dans la Loi et qu’en fait, dans le contexte de la Loi, la persécution ne prend pas nécessairement la forme de blessures physiques. Elle ajoute que les menaces de mort peuvent constituer de la persécution. La SPR, affirme‑t‑elle, n’a pas tenu compte du fait que Mamadou l’avait menacée, ce qui pouvait être considéré comme de la persécution.

 

La SPR a omis d’examiner la persécution fondée sur le sexe

 

[25]           Par ailleurs, la demandeure d’asile principale soutient que la SPR a omis de se demander si la MGF subie à l’âge de sept ans équivalait à de la persécution et, plus particulièrement, à de la persécution fondée sur le sexe. Elle ajoute que la SPR ne s’est pas demandé non plus si, dans l’hypothèse où la demandeure d’asile principale retournait en Guinée et que ses filles étaient forcées de subir une MGF, cette situation équivaudrait à de la persécution fondée sur le sexe. Parce que la SPR a omis d’examiner ces questions concernant la persécution, sa conclusion selon laquelle la demandeure d’asile principale n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention était déraisonnable.

 

[26]           La demandeure d’asile principale affirme également être membre d’un groupe social, à savoir [traduction] « les femmes ayant subi une MGF dans leur enfance qui retournent en Guinée et qui craignent que leurs enfants ne subissent le même traitement », groupe qui risque d’être persécuté en Guidée. La SPR a fait abstraction d’éléments de preuve montrant que ce groupe risquait la persécution et a donc conclu de manière déraisonnable que la demandeure d’asile principale n’était pas une réfugiée au sens de la Convention. S’appuyant sur Dezemeau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 559, la demandeure d’asile principale avance que lorsque la SPR fait abstraction d’éléments de preuve établissant un risque de persécution fondée sur le sexe, la décision doit être infirmée. Selon elle, Dezemeau permet d’affirmer que la SPR ne peut invoquer l’existence d’un risque généralisé de violence envers les femmes pour refuser de reconnaître le risque auquel est exposée une femme en particulier. Parce que des éléments de preuve montraient que les femmes étaient exposées à des risques de violence familiale, de viol ou de MGF en Guinée, et parce qu’elle est une femme, la demandeure d’asile principale soutient qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’elle ne risquait pas d’être persécutée.

 

La SPR a omis de déterminer si l’exception en cas de « circonstances impérieuses » prévue au paragraphe 108(4) s’appliquait

 

[27]           En application de l’alinéa 108(1)e) de la Loi, le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention s’il n’a plus besoin de protection parce que les raisons qui lui ont fait demander l’asile au départ n’existent plus. Le paragraphe 108(4) prévoit une exception selon laquelle l’exclusion énoncée à l’alinéa 108(1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il a des raisons impérieuses de demander l’asile même si les conditions se sont améliorées dans son pays d’origine. Parce que des éléments de preuve montraient qu’elle avait subi une MGF dans le passé, la demandeure d’asile principale soutient que la SPR a fait une erreur en omettant d’examiner si l’exception prévue au paragraphe 108(4) s’appliquait dans son cas.

 

[28]           Selon la demandeure d’asile principale, même si la SPR a déterminé que la persécution devait avoir une nature soutenue ou systémique, le fait qu’elle ait subi une MGF dans le passé montre qu’elle a déjà été persécutée. Cette persécution subie dans le passé aurait dû lui conférer la qualité de réfugié au sens de la Convention. Il aurait été possible de conclure qu’elle avait qualité de réfugié au sens de la Convention en raison de son expérience, mais le fait qu’elle ne risque plus de subir une MGF – parce qu’elle a déjà eu cette intervention dans le passé – montre que les circonstances dans lesquelles la demande d’asile aurait pu être accueillie ont changé. Ainsi, affirme‑t‑elle, le paragraphe 108(4) s’applique en l’espèce. La demandeure d’asile principale ajoute que, d’après le rapport du psychologue fourni à la SPR, des raisons impérieuses justifient que sa demande d’asile soit accueillie même si les circonstances ont changé et qu’elle ne risque plus de subir une MGF. Comme la SPR disposait d’éléments de preuve montrant que la demandeure d’asile principale avait été persécutée dans le passé en raison de la MGF qu’elle avait subie, qu’elle ne risquait plus d’être persécutée en subissant une MGF et qu’elle était suivie par un psychologue au Canada, il était déraisonnable pour la SPR de ne pas se demander si l’exception s’appliquait.

 

Le défendeur

            La SPR a fait une interprétation raisonnable du terme « persécution »

 

[29]           Le défendeur soutient, à l’instar de la SPR, que la persécution a une nature soutenue ou systémique. Dans Sedigheh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 147, la juge Judith Snider a statué que l’élément « répétition et acharnement » était essentiel à la persécution. Le défendeur renvoie également à la décision Ahmad c Canada (Solliciteur général), [1995] ACF n397, (1995) 93 FTR 227, dans laquelle le juge Max Teitelbaum a écrit ce qui suit, au paragraphe 23 :

[L]es événements doivent être suffisamment graves ou systématiques pour équivaloir à une crainte raisonnable de persécution. La gravité d’un acte constitue certainement une question de fait et d’appréciation de la preuve, comme le remarque Monsieur le juge Denault dans l’affaire Saddouh, précitée, et comme il appert dans l’affaire Ihaddadene c. Canada, précitée. Une conclusion à l’effet que tel n’est pas le cas, suite à l’analyse de l’ensemble de la preuve, relève clairement du mandat de la Section du statut.

 

La demandeure d’asile principale n’a pas démontré que la SPR avait tiré une conclusion déraisonnable en affirmant que les épreuves qu’elle avait subies ne constituaient pas de la persécution.

 

            Les conclusions de la SPR étaient raisonnables

 

[30]           Le défendeur dit qu’il incombait à la demandeure d’asile principale d’établir tous les éléments de sa demande, y compris qu’il y avait un risque raisonnable ou une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée si elle rentrait dans son pays d’origine. Étant donné la preuve dont la SPR disposait, il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demandeure d’asile principale n’avait pas établi qu’elle serait exposée à un risque raisonnable ou à une possibilité sérieuse d’être persécutée. Le défendeur souligne que la SPR disposait d’éléments de preuve selon lesquels deux des filles de la demandeure d’asile principale n’avaient pas subi de MGF, bien qu’elles soient restées en Guinée. De ce fait, la SPR a déduit que le mari de la demandeure d’asile principale avait été capable de les protéger de ce risque et qu’il serait, dans l’avenir, en mesure de protéger ses filles cadettes et la demandeure d’asile principale. De plus, il était loisible à la SPR de déterminer que la demandeure d’asile principale ne risquait pas d’être persécutée par son beau‑frère dans l’avenir même s’il l’avait déjà frappée une fois et que cet incident isolé ne présentait pas le caractère soutenu ou systémique de la persécution.

 

 

 

 

            Analyse fondée sur le sexe

 

[31]           Le défendeur soutient, contrairement aux demandeurs, que les risques auxquels était exposée la demandeure d’asile principale en tant que femme ont bel et bien été pris en considération par la SPR, qui a procédé à l’analyse fondée sur le sexe qui convenait. La SPR a examiné les éléments de preuve dont elle disposait et a tiré une conclusion raisonnable.

 

Raisons impérieuses

 

[32]           Enfin, le défendeur affirme que la SPR n’a pas commis d’erreur en déterminant que l’exception prévue au paragraphe 108(4) ne s’appliquait pas dans le cas de la demandeure d’asile principale. La SPR ayant conclu que la demandeure d’asile principale n’avait pas qualité de réfugié, l’exclusion prévue à l’alinéa 108(1)e) ne s’appliquait pas, et par conséquent, l’exception à cette exclusion prévue au paragraphe 108(4) ne s’appliquait pas non plus.

 

[33]           Le défendeur renvoie à de longs extraits de la décision S.A., précitée, pour soutenir la thèse selon laquelle « une analyse fondée sur l’article 108 ne s’applique pas lorsqu’il est conclu qu’un demandeur d’asile ne correspond pas à la définition d’un réfugié au sens de la Convention ou d’une personne à protéger ». Le défendeur souligne qu’en l’espèce, la demandeure d’asile principale a fondé sa demande sur la crainte que ses filles ne subissent une MGF, et non sur la crainte de subir elle‑même un tel traitement. De surcroît, la demandeure d’asile principale ne serait pas maltraitée si elle rentrait en Guinée et, en fait, elle y est même retournée volontairement au moins une fois. Aucun élément de preuve ne révélait l’existence de raisons impérieuses qui auraient permis d’accorder protection à la demandeure d’asile principale. Il était donc raisonnable pour la SPR de ne pas se demander si le paragraphe 108(4) s’appliquait.

 

ANALYSE

 

[34]           Les demandeurs ont présenté un ensemble confus de faits et d’arguments. Maimouna et Aissatou sont citoyennes des États‑Unis. Pour cette raison précise, la SPR a déterminé, au paragraphe 12 de sa décision, qu’elles n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Selon la position adoptée par l’avocat du défendeur à l’audience de la présente demande, les filles étaient censées rentrer en Guinée avec la demandeure d’asile principale et avaient donc été prises en considération dans l’analyse du risque de persécution et des autres risques qui pesaient en Guinée. Toutefois, ce n’est de toute évidence pas ce qui ressort à la lecture de la décision. Les filles ne pouvaient présenter une demande d’asile au Canada parce qu’elles sont citoyennes des États‑Unis et que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve donnant à penser « qu’[elles] craign[ai]ent d’être persécuté[e]s, qu’[elles étaient] exposé[e]s à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis[es] à la torture aux États‑Unis ». La demandeure d’asile principale n’a pas contesté cette conclusion, qui ne constitue pas une des questions en litige soulevées en l’espèce.

 

[35]           Dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] ACS no 74, au paragraphe 88, la Cour suprême affirme que le demandeur doit montrer qu’il craint avec raison d’être persécuté dans tous les pays dont il est ressortissant. La SPR a conclu que les demandeurs d’asile mineurs – qui sont citoyens des États‑Unis – n’avaient pas une crainte fondée de persécution aux États‑Unis et que, forcément, ils n’avaient pas qualité de réfugié.

 

[36]           Le conseil des demandeurs a indiqué à l’audience que ce sont les deux filles aînées demeurées en Guinée qui sont menacées et qui risquent, selon les craintes de la demandeure d’asile principale, de subir une MGF. Cependant, l’échange suivant est consigné à la page 13 de la transcription de l’audience de la SPR (page 189 du dossier certifié du tribunal) :

[traduction]

Commissaire :              D’accord. Donc, votre… ce que je retiens de votre cas, c’est que vous craignez la mutilation des deux filles qui voyagent avec vous.

Demandeure d’asile :    Oui.

 

[37]           Il est difficile de savoir pourquoi la SPR faisait allusion à « deux » filles ici quand, dans la décision, les demandes des trois demandeurs d’asile mineurs sont rejetées parce qu’ils sont citoyens des États‑Unis. Ibrahima est un garçon, et rien ne donne à penser que la demandeure d’asile principale éprouve des craintes pour lui.

 

[38]           Dans le Formulaire de renseignements personnels, la demandeure d’asile principale a également écrit ce qui suit :

Je suis avec elles au Canada avec l’accord de leur père, M. Abdoulaye Sow, pour uniquement sauver leur vie, en les soustrayant des menaces des pratiques traditionnelles de mon pays, la Guinée, consistent à la mutilation génitale des filles, du moment qu’elles ont atteint l’age de 5-7 ans au moms [sic].

 

[39]           Je crois cependant que je dois me ranger du côté de l’avocat et penser comme lui que la crainte qu’éprouve la demandeure d’asile principale concerne, à part elle‑même, la MGF que pourraient subir ses deux filles aînées restées en Guinée.

 

[40]           Invitée à dire pourquoi elle avait laissé ses deux autres filles en Guinée, la demandeure d’asile principale a répondu qu’elle n’avait pas les documents nécessaires, et que ses filles ne pouvaient pas l’accompagner.

 

[41]           L’échange suivant est important lui aussi :

[traduction]

Commissaire :              Donc, vous avez deux filles aînées qui n’ont pas été excisées. Pourquoi est‑ce tout à coup devenu un problème en 2008?

Demandeure d’asile :    Ces deux filles devaient subir la même chose mais on nous a demandé, puisque… d’attendre que Maimouna ait cinq ans pour qu’elles subissent l’intervention toutes les trois en même temps.

 

[42]           À mon avis, la question n’est pas résolue parce que les filles aînées ont 15 et 17 ans, dans un pays où la MGF est généralement pratiquée chez les filles de cinq à 14 ans. Maimouna avait neuf ans au moment de l’audience.

 

[43]           D’après la transcription, la demandeure d’asile principale a clairement affirmé craindre pour sa propre sécurité et pour celle de ses enfants. Elle craint d’être tuée par Mamadou, mais ne laisse pas entendre que ses deux filles aînées pourraient aussi être assassinées. Elle craint que ses filles ne soient mutilées.

 

[44]           Étant donné ces deux grandes craintes, et étant donné les éléments de preuve voulant que Mamadou ait déjà frappé une fois la demandeure d’asile principale quand le mari de celle-ci était parti voir son oncle, que la demandeure d’asile principale ait elle‑même subi une MGF dans son enfance et que la famille de son mari continuerait probablement de proférer des menaces et de faire des pressions dans un contexte social où les femmes sont exposées à des risques pour diverses raisons, je ne peux pas dire que la SPR a interprété trop étroitement la situation et négligé de tenir compte de ces facteurs.

 

[45]           En ce qui concerne le risque personnel auquel la demandeure d’asile principale est exposée (le risque d’être tuée par son beau‑frère ou par un autre membre de la famille de son mari), la SPR a rejeté la demande d’asile pour les motifs suivants :

Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je suis convaincu que si vous retourniez en Guinée, votre époux pourrait vous protéger, comme il a protégé vos filles aînées en votre absence. Je ne suis pas convaincu que la menace de représailles de votre beau‑frère constitue plus qu’une faible possibilité. La preuve documentaire n’indique aucunement ce qui pourrait arriver aux parents qui s’opposent à l’excision de leurs filles. Votre époux, qui s’y oppose tout comme vous, n’a pas été victime de persécution et il là pour contrer l’auteur du préjudice allégué. Je suis convaincu que vous avez un lien avec la Convention, comme il a été proposé, mais au vu des éléments de preuve propres à votre situation, je ne suis pas persuadé que votre crainte est fondée. Par conséquent, vous n’avez pas qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

 

[46]           Bien qu’il soit possible de ne pas souscrire à cette conclusion, je ne saurais dire qu’elle n’appartient pas aux issues décrites dans Dunsmuir, et la Cour ne peut substituer sa propre opinion à celle de la SPR. Voir Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 40, Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 186, au paragraphe 19, et Lajqi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 759, au paragraphe 10.

 

[47]           La demandeure d’asile principale reproche également à la SPR d’avoir abordé la question trop étroitement et de ne pas avoir examiné les risques du point de vue de la vulnérabilité des femmes dans la société guinéenne. La SPR fait cependant remarquer que « [l]a preuve documentaire n’indique aucunement ce qui pourrait arriver aux parents qui s’opposent à l’excision de leurs filles ». La demandeure d’asile principale est mère et n’a pas laissé entendre à la Cour que la SPR avait mal examiné la preuve documentaire ou fait abstraction de certains éléments, ni que la SPR ne s’était pas conduite de manière raisonnable en fouillant cette question.

 

[48]           La SPR a abordé le risque auquel étaient exposées les filles aînées en Guinée, et la crainte éprouvée par la demandeure d’asile principale en raison de ce risque, au paragraphe 8 de sa décision :

Vos deux filles aînées, qui sont maintenant âgées de 17 et 15 ans, n’ont pas été excisées. Votre refus de leur faire subir cette intervention n’a pas eu pour effet de provoquer votre beau‑frère, le prétendu auteur du préjudice. Votre témoignage n’indique pas clairement pourquoi, celui‑ci a soudainement décidé de vous menacer parce que vous ne l’aviez pas fait. Votre époux s’est également opposé à l’intervention. L’offense, si tant est qu’il y en ait eu une, serait raisonnablement beaucoup plus grave pour un membre du clan que pour l’épouse d’un membre du clan. Rien n’est cependant arrivé à votre époux puisqu’il a quitté l’enceinte familiale. Si l’auteur du préjudice était déterminé à se venger des opposants à l’excision des femmes de la famille, votre époux était là pour le contrer. Il n’y a rien dans sa lettre du mois de décembre 2010, qui laisse entendre qu’il ait subi des préjudices de la part de son frère aîné. Fait plus important, vos deux filles aînées n’ont pas été excisées en votre absence. Comme vous n’étiez pas là, votre beau‑frère aurait pu les faire exciser, mais ne l’a pas fait. Je ne dispose d’aucun élément de preuve à cet égard.

 

 

[49]           Une fois encore, il est possible de se dissocier de ces conclusions, mais je ne saurais affirmer qu’elles n’appartiennent pas aux issues décrites dans Dunsmuir.

 

[50]           Dans ses observations écrites, la demandeure d’asile principale présente les faits sous un jour un peu différent; elle dit que son beau‑frère la menaçait depuis un certain temps et que la SPR avait omis d’évaluer si ces menaces constituaient de la persécution.

 

[51]           Selon mon interprétation de la décision, il me semble que la SPR a reconnu et examiné en profondeur le comportement du beau‑frère envers la demandeure d’asile principale et ses filles, et expliqué pourquoi ce comportement n’établissait pas qu’il y avait eu persécution. La conclusion de la SPR à cet égard n’a rien d’incorrect ni de déraisonnable.

 

[52]           La demandeure d’asile principale affirme aussi que la SPR ne s’est pas demandé si la MGF qu’elle avait été forcée de subir dans le passé constituait de la persécution fondée sur le sexe.

 

[53]           Même si la MGF que la demandeure d’asile principale avait été forcée de subir équivalait à de la persécution dans le passé, ce fait n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer les risques futurs. En effet, le même traitement ne pourrait être infligé de nouveau à la demandeure d’asile principale si elle rentrait en Guinée, et elle n’a pas avancé que c’était le risque auquel elle était exposée.

 

[54]           Par ailleurs, la demandeure d’asile principale affirme que la SPR a omis de considérer qu’elle était persécutée du fait que ses filles pourraient être forcées de subir une MGF.

 

[55]           À mon avis, la décision traite exactement de cette question du point de vue tant de la demandeure d’asile principale que de ses filles. La SPR a donné une explication complète et raisonnable à cet égard. Les deux filles restées en Guinée, qui ont maintenant 17 et 15 ans, n’ont pas eu à subir de MGF, et l’absence d’intervention n’a pas eu pour effet de provoquer le beau‑frère. Les demandeurs d’asile mineurs sont tous citoyens américains de naissance et ne risquent pas de subir une MGF aux États‑Unis. Quoi qu’il en soit, ils seraient tous protégés en Guinée parce que le mari de la demandeure d’asile principale s’oppose à la MGF tout comme elle, et aucun élément de preuve ne montre que les filles pourraient subir une MGF à leur retour, ni que la demandeure d’asile principale serait agressée ou persécutée par son beau‑frère ou par la famille de son mari.

 

[56]           La demandeure d’asile principale affirme aussi que les femmes sont exposées à diverses formes de persécution en Guinée, dont la violence familiale, le viol et la MGF.

 

[57]           La demandeure d’asile principale n’a jamais avancé qu’elle ou ses filles avaient subi de la violence familiale ou avaient été violées. Le fait que de tels traitements puissent être infligés à d’autres femmes en Guinée ne signifie pas que la demandeure d’asile principale ou ses filles demandaient l’asile sur ce fondement ni qu’elles devaient être protégées pour cette raison.

 

[58]           Tout bien considéré, il n’existait tout simplement pas le moindre élément de preuve qui établissait que les demandeurs risquaient d’être persécutés aux termes de l’article 96 de la Loi ni qu’ils étaient exposés à un des risques prévus à l’article 97 de la Loi. Les conclusions de la SPR étaient entièrement raisonnables à cet égard.

 

[59]           Cependant, la demandeure d’asile principale invoque aussi le paragraphe 108(4) de la Loi et affirme que la SPR a commis une erreur en omettant d’analyser si la demandeure d’asile principale avait établi l’existence de raisons impérieuses au sens de ce paragraphe.

 

[60]           Pour faire court, je dirai, en réponse à cette allégation, que le paragraphe 108(4) de la Loi ne s’applique pas au regard des faits de l’espèce.

 

[61]           Cette disposition de la Loi est ainsi rédigée :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de  personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

[62]           Le paragraphe 108(4) s’applique seulement lorsqu’il a été établi qu’un demandeur n’a plus qualité de réfugié au sens de la Convention parce que les raisons pour lesquelles cette qualité lui avait été reconnue n’existent plus. Comme l’a déclaré la Cour dans S.A., précitée, aux paragraphes 37-39 :

Le paragraphe 108(4) de la Loi permet d’accorder l’asile pour des motifs d’ordre humanitaire à la catégorie spéciale et limitée de personnes « qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution ». En d’autres termes, pour déclencher l’application du paragraphe 108(4) de la Loi, il faut avoir décidé que les demandeurs ont obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention conformément à la loi et, de plus, que les conditions qui ont mené à cette conclusion n’existent plus.

 

Ainsi qu’il est signalé dans la décision Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, 254 F.T.R. 244, au paragraphe 5 :

 

[…] Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d’abord conclure qu’il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d’exister (en raison d’un changement de la situation dans le pays). C’est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l’ancien pays était à ce point épouvantable que l’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l’État.

 

Dans la décision Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343, 146 A.C.W.S. (3d) 1052, au paragraphe 19, le juge Simon Noël a récemment confirmé qu’une analyse fondée sur l’article 108 ne s’applique pas lorsqu’il est conclu qu’un demandeur d’asile ne correspond pas à la définition d’un réfugié au sens de la Convention ou d’une personne à protéger :

 

À mon avis, le par. 108(4) de la LIPR n’est pas applicable à la présente affaire. La SPR ne doit pas entreprendre dans chaque affaire une analyse fondée sur le par. 108(4). Ce n’est que lorsque la SPR invoque l’alinéa 108(1)e) qu’elle doit procéder à une évaluation des « raisons impérieuses », c.‑à‑d. dans le cas où le demandeur d’asile a obtenu la qualité de réfugié mais à qui on a refusé ce statut en raison d’un changement des conditions de son pays d’origine [...] [Non souligné dans l’original.]

 

[63]           La demandeure d’asile principale n’a pas fondé sa demande sur sa propre crainte de subir une MGF, mais sur la crainte qu’elle éprouvait pour ses filles. En fait, la demandeure d’asile principale n’a pas avancé qu’elle avait été persécutée en raison de l’excision qu’elle avait subie dans l’enfance. Elle n’a pas dit dans son témoignage que ce serait très traumatisant ou difficile pour elle de rentrer en Guinée en raison des séquelles psychologiques laissées par cette intervention. À vrai dire, elle est retournée une fois en Guinée de son propre chef. Étant donné l’absence d’éléments de preuve à cet égard, la demandeure d’asile principale n’a pas réussi à démontrer que la SPR avait commis une erreur en ce qui concerne le paragraphe 108(4) de la Loi.

 

[64]           Il incombait à la demandeure d’asile principale d’établir que des raisons impérieuses l’empêchaient de retourner dans le pays où elle avait été persécutée dans le passé. Or, la demandeure d’asile principale ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Voir Yamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 457 (CAF), au paragraphe 4, et Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, aux paragraphes 25 à 31.

 

[65]           La demandeure d’asile principale affirme que le paragraphe 108(4) s’applique lorsqu’un demandeur d’asile démontre qu’il aurait eu qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger dans le passé, mais que les raisons qui lui avaient fait demander l’asile n’existent plus. Or, selon toutes les décisions sur lesquelles elle se fonde, c’est‑à‑dire S.A., précitée, M.C.L. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 826, J.N.J. c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1088, Kozyreva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1013, Cardenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 537, et Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 819, la SPR doit conclure explicitement que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention pour que le paragraphe 108(4) s’applique. La formulation utilisée par le juge John O’Keefe au paragraphe 41 de J.N.J., est typique :

Il faut donc qu’il soit explicitement confirmé que le demandeur d’asile a eu antérieurement droit au statut de réfugié et qu’il soit reconnu qu’il n’a plus cette qualité du fait d’un changement de circonstances.

 

[66]           En outre, plusieurs autres décisions abondent dans le même sens. Dans Yamba, précité, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi, au paragraphe 6 :

[L]orsqu’elle conclut qu’un demandeur de statut a déjà été persécuté, mais qu’il y a eu un changement de situation dans le pays en question conformément à l’alinéa 2(2)e ), la Section du statut de réfugié a, en vertu du paragraphe 2(3), l’obligation de se demander si les éléments de preuve soumis établissent l’existence de “raisons impérieuses. Elle est soumise à cette obligation, que le demandeur de statut invoque ou non expressément le paragraphe 2(3). Cela étant dit, il incombe toujours au demandeur de statut de présenter les éléments de preuve nécessaires pour établir qu’il est fondé à invoquer cette disposition.

 

 

L’affaire Yamba a été tranchée sous le régime de l’ancienne Loi, mais la Cour a invoqué cet arrêt plusieurs fois relativement à l’application du paragraphe 108(4). Il ne suffit pas que le demandeur affirme avoir subi des gestes qui permettraient de conclure à la persécution, la SPR doit aussi déterminer que ces gestes ont bel et bien eu lieu et qu’ils constituaient de la persécution.

 

[67]           En l’espèce, la SPR a conclu que la demandeure d’asile principale n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’elle n’avait pas une crainte fondée de persécution et n’était pas exposée à un des risques prévus à l’article 97. Selon la SPR, le fait que la demandeure d’asile principale avait été frappée par Mamadou – son beau‑frère – ne constituait pas de la persécution. De plus, la SPR n’a pas déterminé que la demandeure d’asile principale avait subi une MGF; la SPR a simplement pris note de l’allégation en ce sens de la demandeure d’asile principale. À mon avis, puisque la SPR n’a pas explicitement conclu qu’il y avait eu persécution ni que des risques se posaient, le paragraphe 108(4) ne peut s’appliquer. Il ne suffit pas de dire, comme la demandeure d’asile principale, que la MGF [traduction] « deviendrait nettement de la persécution ».

 

[68]           Je crois qu’il est aussi important de souligner que le paragraphe 108(4) ne s’applique pas en l’espèce parce que la situation en Guinée n’a pas changé. Dans Kozyreva, précitée, au paragraphe 19, le juge Zinn a affirmé ce qui suit :

[L]a jurisprudence établit clairement qu’un agent, avant d’entreprendre une analyse en vertu du paragraphe 108(4), doit d’abord conclure qu’il existait une demande valide du statut de réfugié ou de personne à protéger et que les motifs de la demande ont cessé d’exister en raison d’un changement de la situation dans le pays […]

 

[69]           Le changement nécessaire pour déclencher l’application du paragraphe 108(4) est un changement de situation survenu dans un pays; or, la demandeure d’asile principale n’a pas invoqué un tel changement. Le changement sur lequel elle se fonde concerne plutôt le fait qu’elle ne risque plus de subir une MGF, l’intervention ayant déjà été pratiquée sur elle. Il s’agit d’un changement dans la situation personnelle de la demandeure d’asile principale, pas dans les conditions observées au pays.

 

[70]           Les avocats ont convenu qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1493-11

 

INTITULÉ :                                       SOW et al.

 

 

                                                             -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 septembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                               Le 16 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz                                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Norah Dorcine                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne SRL                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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