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Date : 20111117


Dossier : IMM-4493-10

Référence : 2011 CF 1321

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

VERNETTE EMILE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Vernette Emile sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 19 juillet 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile qu’elle avait présentée en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               La demanderesse est originaire de Sainte-Lucie. À l’âge de 15 ans, elle a amorcé ce qui est bientôt devenu une relation de violence. Après qu’est survenu un certain incident, la demanderesse a signalé à la police la violence dont elle faisait l’objet. Son petit ami a été arrêté et déclaré coupable; il a dû verser une amende de 250 $. Peu après, le petit ami a enlevé la demanderesse et l’a tenue sous la menace, jusqu’à ce qu’elle puisse prendre la fuite. Le petit ami a continué de harceler et de menacer la demanderesse jusqu’à ce qu’elle s’enfuie au Canada.

 

[3]               Ayant conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État à Sainte-Lucie, la SPR a rejeté sa demande d’asile.

 

[4]               Je conclus que les motifs de la SPR étaient raisonnables et je rejetterai la demande de contrôle judiciaire soumise par la demanderesse.

 

Le contexte

 

[5]               La demanderesse est originaire de Sainte-Lucie. À l’âge de 15 ans, elle a fait la connaissance d'un jeune homme nommé Dale, avec qui elle a bientôt emménagé. Quelques mois après, le jeune homme a commencé à maltraiter la demanderesse.

 

[6]               Une fois, Dale a agressé la demanderesse coups de ciseaux. Celle-ci a quitté leur domicile et elle est retournée chez sa mère. Le lendemain, Dale a téléphoné à la demanderesse pour lui dire qu’il regrettait ce qu’il avait fait et lui promettre qu’il se corrigerait. La demanderesse est revenue vivre avec lui.

 

[7]               La violence, malheureusement, n’a pas cessé. La demanderesse s’est ainsi coupée au pied lorsqu’elle a marché sur des éclats de verre que Dale avait délibérément mis sur un matelas posé sur le sol; Dale avait enlevé les ampoules électriques pour obliger la demanderesse à avancer dans l’obscurité. La demanderesse s’est rendue à l’hôpital pour y faire soigner ses blessures. Le soir même, la demanderesse est allée avec sa mère porter plainte contre Dave à la police. Dale a été arrêté, déclaré coupable et condamné à verser une amende de 250 $.

 

[8]               Dale a de nouveau téléphoné à la demanderesse. Il s’est excusé et il lui a demandé de revenir vivre avec lui. Après être venu chercher la demanderesse en automobile, Dale l’a conduite de force chez un ami, dans les bois, où il a menacé de la tuer si elle tentait de partir. La demanderesse a toutefois pu s’enfuir, après avoir téléphoné à sa mère, qui est venue la chercher accompagnée du frère de la demanderesse et d’autres personnes.

 

[9]               Dale a commencé à harceler la demanderesse et à lui transmettre des messages : elle allait le payer de l’avoir fait mettre en prison. La demanderesse craignait qu’un jour Dale allait lui faire du mal. Sa mère a téléphoné à un ami à Toronto, qui a fait parvenir un billet d’avion à la demanderesse.

 

[10]           La demanderesse a quitté Sainte-Lucie par avion le 18 décembre 2002 pour arriver à Toronto le même jour. Elle y est demeurée jusqu’à ce qu’en janvier 2004 elle aille vivre à Ottawa  chez une tante. La demanderesse soutient ne pas avoir présenté une demande d’asile à cette époque parce que sa tante ne lui avait pas suggéré de le faire.

 

[11]           En 2007, la demanderesse a entamé une relation avec Jason Lesage, un citoyen canadien. La demanderesse et Jason ont commencé à cohabiter en juillet 2007. Ils souhaitaient s’épouser, et qu’ensuite Jason parraine la demanderesse. Mais Jason, malheureusement, a été assassiné le 7 mars 2009.

 

[12]           La demanderesse était affligée après le meurtre de Jason et son statut au Canada l’inquiétait. Des amis et des membres de sa famille à Sainte-Lucie l’avaient informée au fil des ans que Dale continuait de dire aux gens qu’il la tuerait si jamais elle devait y revenir. Le 1er mai 2009, sur les conseils de la sœur de Jason, la demanderesse a présenté une demande d’asile.

 

La décision à l’examen

 

[13]           La SPR a conclu que la demanderesse était un témoin crédible. La question déterminante pour la SPR était de savoir si la demanderesse pouvait disposer, à Sainte-Lucie, d’une protection adéquate de l’État.

 

[14]           À cet égard, la SPR a conclu que la police de Sainte-Lucie avait su protéger la demanderesse lorsqu’elle le lui avait demandé, en procédant à l’arrestation et à la mise en accusation de Dale le 25 novembre 2002, ce qui avait valu à Dale l’infliction d’une amende de 250 $.

 

[15]           La SPR a conclu que Sainte-Lucie était une démocratie parlementaire et multipartite dotée d’un gouvernement qui respectait en règle générale les droits de la personne des citoyens, même s’il y existait des problèmes dans certains domaines, comme la violence à l’endroit des femmes et des enfants.

 

[16]           La SPR a relevé dans sa décision le renvoi fait par l’avocate de la demanderesse à la décision Mauricette c Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 420, 72 Imm LR (3d) 139, où le juge Shore a fait remarquer qu’il n’y avait pas à Sainte-Lucie d’infrastructure assurant une protection adéquate contre le harcèlement. La SPR a toutefois aussi souligné que, dans le rapport sur la violence envers les femmes publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR), on mentionnait qu’il y avait dans le code criminel modifié de Sainte-Lucie des dispositions visant à contrer la violence faite aux femmes, notamment des dispositions sur le harcèlement.

 

[17]           La SPR a également fait observer qu’à Sainte-Lucie les victimes pouvaient demander au tribunal de la famille de délivrer, en application de la loi sur la violence familiale intitulée Domestic Violence Act, des ordonnances de protection, d’occupation ou de location. La SPR a ajouté que le Corps de police royal de Sainte-Lucie (Royal St. Lucia Police Force) avait créé l’Équipe de soutien aux personnes vulnérables (Vulnerable Persons’ Team – VPT), notamment chargée de dispenser des conseils dans les affaires de violence familiale, et qu’il en était résulté une augmentation du nombre de crimes sexuels signalés à la police. La SPR a bien relevé que, selon le directeur général du Centre de crise de Sainte-Lucie (St. Lucia Crisis Centre), la police n’était pas efficace dans sa lutte contre la violence conjugale et que la création de la VPT n’avait pas amélioré la situation. La SPR a toutefois déclaré que, parmi les sources qu’elle avait consultées, la Direction des recherches n’avait trouvé aucune autre information allant en ce sens. La SPR a en outre souligné l’existence de services de soutien, notamment des services de consultation, ainsi que d’un refuge pouvant accueillir 25 personnes aussi longtemps que cela s’avérait nécessaire.

 

[18]           La SPR a relevé que, lorsqu’on lui avait fait part de la teneur des rapports ainsi que des services maintenant disponibles à Sainte-Lucie, la demanderesse a reconnu ne pas être au fait de l’existence de tels services.

 

[19]           La SPR a conclu que Sainte-Lucie s’efforçait sérieusement de protéger ses citoyens victimes de violence familiale, et que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante de l’incapacité de Sainte-Lucie à assurer sa protection. La SPR a déclaré avoir pris en considération les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. La SPR a finalement conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention aux fins de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger aux fins de son article 97.

 

Les dispositions légales pertinentes

 

[20]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit notamment ce qui suit :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette

crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans

le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires

de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that

fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them Personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard

of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Les questions en litige

 

[21]           J’estime que la présente demande soulève les questions suivantes :

 

1. La SPR a-t-elle analysé correctement la preuve dont elle était saisie?

 

2. Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que la protection de l’État était adéquate?

 

La norme de contrôle

 

[22]           La Cour suprême du Canada a établi qu’il n’y avait que deux normes de contrôle, la décision correcte pour les questions de droit, et la raisonnabilité pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphes 50 et 53).

 

[23]           Les décisions relatives à la protection de l’État mettent en cause des questions mixtes de fait et de droit, et c’est donc la raisonnabilité qui leur est applicable comme norme de contrôle (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, [2010] ACF n° 607, paragraphe 21).

 

Analyse

 

1. La SPR a-t-elle analysé correctement la preuve dont elle était saisie?

 

[24]           Selon la demanderesse, la SPR n’a pas analysé les divers points de vue contradictoires exposés dans la réponse aux demandes d’information – immigration et statut de réfugié (le document de la CISR) sur le caractère adéquat de la protection de l’État, et n’a pas expliqué pourquoi elle avait préféré un point de vue à un autre. La demanderesse soutient que la SPR doit analyser les éléments de preuve qui contredisent ses conclusions et énoncer les motifs pour lesquels elle ne les juge pas fiables ou pertinents, ou choisit d’en faire abstraction. La demanderesse fait valoir que la SPR n’a pas tenu compte, à titre d’exemple, de la preuve contradictoire figurant dans le document de la CISR et selon laquelle les ordonnances de protection étaient souvent soumises à des retards en raison du manque de personnel policier.

 

[25]           Le défendeur soutient pour sa part que la SPR a procédé à un examen approfondi de la preuve documentaire et que ses conclusions s’appuyaient sur l’ensemble de la preuve présentée. Il souligne que la SPR a traité expressément de la preuve contradictoire concernant le caractère adéquat de la protection offerte par l’État. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure, au vu de la preuve, que Sainte-Lucie déployait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens victimes de violence conjugale.

 

[26]           La SPR est présumée, selon la jurisprudence, avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve portée à son attention (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst)). La SPR n’a pas à faire le résumé de toute la preuve dans sa décision dans la mesure où elle tient compte des éléments de preuve susceptibles de contredire ses conclusions et où sa décision se situe dans les limites de la raisonnabilité (Peter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 778, paragraphe 45).

 

[27]           La SPR a conclu dans sa décision que la preuve documentaire étayait la conclusion portant que la demanderesse pouvait disposer à Sainte-Lucie d’une protection adéquate de l’État. La SPR a ainsi renvoyé au rapport du HCNUR mentionnant qu’il y avait dans le code criminel modifié un certain nombre de dispositions visant la violence faite aux femmes, et prévoyant notamment la reconnaissance à titre d’infraction du [traduction] « viol d’une conjointe », ainsi que des dispositions sur le harcèlement et le harcèlement sexuel en milieu de travail. La SPR a aussi fait état de la création de la VPT ainsi que de la déclaration du directeur du ministère de l’Intérieur et des Relations entre les sexes selon laquelle la réaction de la police face à la violence conjugale s’était [traduction] « améliorée de façon significative » au cours des huit ou neuf dernières années en raison de la formation à la sensibilisation offerte par la Division des relations entre les sexes, et que cette amélioration était devenue [traduction] « encore plus manifeste » grâce à la création de la VPT.

 

[28]           Selon la demanderesse, la SPR n’a pas pris en compte que le document de la CISR attestait du fait qu’en raison du manque de personnel, c’était tardivement que des ordonnances étaient délivrées et que la protection était disponible. La demanderesse fait également valoir que, si la SPR a mentionné un élément de preuve selon lequel un refuge pouvait accueillir 25 personnes à Sainte-Lucie, elle n’a pas fait état d’autres éléments de preuve figurant dans le document de la CISR selon lesquels seulement cinq places dans le refuge étaient réservées aux femmes et aux enfants.

 

[29]           L’examen de la décision fait voir que la SPR n’a pas traité expressément de la preuve contraire à ses conclusions mentionnée dans l’argumentation de la demanderesse. Il ne s’agit toutefois pas d’un cas où la SPR a fait abstraction de la totalité de la preuve contraire. La SPR a déclaré que le rapport du HCNUR révélait, par exemple, que la violence conjugale constitue toujours un problème sérieux à Sainte-Lucie. Elle a aussi déclaré que, comme plusieurs clients du Centre de crise de Sainte-Lucie avaient rapporté ne pas avoir obtenu de la police une aide appropriée, son directeur général estimait que la police n’était pas efficace dans sa lutte contre la violence familiale et que la création de la VPT n’avait pas amélioré la situation. La SPR a cependant fait remarquer à cet égard que, parmi les sources qu’elle avait consultées, la Direction des recherches n’avait trouvé aucune autre information allant en ce sens.

 

[30]           Même si la SPR n’était pas tenue de résumer l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, il lui fallait étudier et prendre en compte la preuve contraire à sa conclusion finale. Elle l’a fait selon moi, après examen de sa décision. La SPR a relevé expressément des exemples de preuve contradictoire, pour conclure en fin de compte que la preuve documentaire étayait sa conclusion d’existence d’une protection adéquate de l’État à Sainte-Lucie. Cette décision appartenait aux issues raisonnables qu’il était loisible à la SPR de choisir, et il n’y a pas lieu d’intervenir à son endroit.

 

2. Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que la protection de l’État était adéquate?

 

[31]           La demanderesse s’oppose particulièrement à la conclusion de la SPR selon laquelle la police de Sainte-Lucie s’occupe correctement des auteurs d’actes de violence lorsqu’une demande d’aide lui est adressée. La demanderesse fait valoir que même si les autorités gouvernementales du pays ont pris des mesures, il est manifeste qu’elles ne l’avaient pas bien protégée puisque après s’être fait infliger une amende, Dale, que cela avait mis en colère, l’avait enlevée, l’avait séquestrée et avait menacé de la tuer. Selon la demanderesse, il ne suffisait pas pour conclure en une protection efficace que la SPR fasse allusion à des mesures restreintes prises par la police, qui d’ailleurs avaient provoqué Dale et l'avaient rendu encore plus violent.

 

[32]           La demanderesse conteste aussi la conclusion de la SPR voulant que le législateur ait permis aux victimes de violence conjugale de disposer, à Sainte-Lucie, d’une protection adéquate de l’État. La demanderesse vise plus particulièrement la conclusion de la SPR selon laquelle des dispositions du code criminel modifié de Sainte-Lucie portent sur le harcèlement. La demanderesse déclare que les modifications en cause ont été adoptées en 2005, soit après son départ de Sainte-Lucie. La SPR aurait commis une erreur, selon elle, en se fondant sur ces modifications et en leur accordant une grande importance. La demanderesse s’appuie finalement sur la décision de la Cour Franklyn c Canada, 2005 CF 1249 [Franklyn], pour soutenir que la simple existence d’un cadre légal ne suffit pas pour démontrer la capacité de l’État de protéger les femmes dans une situation pareille à la sienne.

 

[33]           Le défendeur réplique qu’il y a une présomption d’existence de la protection de l’État, et que c’est à la demanderesse qu’il incombe de présenter une preuve claire et convaincante réfutant cette présomption. Le défendeur ajoute que le critère applicable est de savoir si la protection offerte par un État à ses citoyens est adéquate, et non pas nécessairement si elle est parfaite.

 

[34]           Selon le défendeur, il ne découle pas forcément du fait qu’il y a eu escalade dans les crimes commis par un agresseur après sa déclaration de culpabilité initiale que le pays en cause ne peut assurer la protection de la victime. Le défendeur fait aussi valoir que la demanderesse n’a pas déposé une seconde plainte contre Dave après son enlèvement, de sorte qu’aucun fondement probatoire ne lui permet d’alléguer qu’elle n’aurait pas obtenu une protection adéquate.

 

[35]           J’estime comme le défendeur qu’il existe une présomption de protection de l’État, et qu’il incombait à la demanderesse de présenter une preuve claire et convaincante pour réfuter cette présomption. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’à défaut d’une situation d’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens (Pacasum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 822, paragraphe 19). La présomption de protection de l’État se réfute par une preuve claire et convaincante de l’insuffisance ou de l’inexistence de cette protection (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, paragraphe 38).  

 

[36]           Il ressort aussi manifestement de la jurisprudence sur la protection de l’État que la capacité d’un État de protéger ses citoyens n’a pas à être parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca (1992), 99 DLR (4th) 334, 18 Imm LR (2d) 130, paragraphe 7).

 

[37]           La SPR a conclu en l’espèce que Sainte-Lucie était une démocratie parlementaire et multipartite dotée d’un gouvernement qui respectait en règle générale les droits de la personne de ses citoyens. C’est à juste titre que la SPR a conclu que la présomption de protection de l’État s’appliquait en l'espèce et qu’il incombait à la demanderesse de réfuter cette présomption.

 

[38]           La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante du fait qu’elle ne pouvait obtenir de l’État une protection adéquate. La SPR a pris en compte, en plus de la preuve documentaire précédemment mentionnée, la situation de fait particulière de la demanderesse. La SPR a fait remarquer que la demanderesse et sa mère s’étaient tournées une fois vers la police, en octobre 2002, et qu’alors Dave avait été arrêté, inculpé et déclaré coupable et qu'il s’était vu infliger une amende. Cela constituait la preuve, a conclu la SPR, que la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État. Je suis d’accord.

 

[39]           La demanderesse fait valoir que l’amende de 250 $ n’a pas dissuadé son conjoint violent d’agir. Il ne faut cependant pas oublier que toute peine infligée doit correspondre à l’infraction commise. Il est malheureux que l’arrestation et la déclaration de culpabilité de Dale ainsi que l’infliction d’une amende n’aient pas empêché la demanderesse de subir de nouveaux actes de violence. Ce qui est toutefois requis c’est une protection adéquate de l’État, pas une protection parfaite. Il aurait fallu que la demanderesse, pour pouvoir soutenir que la protection de l’État n’était pas adéquate ou pas disponible, signale à la police les nouveaux actes de violence dont elle avait été victime.

 

[40]           Dans le cas d’un état démocratique, comme Sainte-Lucie, le demandeur doit démontrer qu’il a épuisé, sans succès, tous les recours dont il pouvait disposer avant de demander l’asile (Kadenko c Canada (Solliciteur général) (1996), 143 DLR (4th) 532, 68 ACWS (3d) 334, paragraphe 5). En l’espèce, la demanderesse a obtenu l’aide de la police la seule fois où elle la lui a demandée. Et aucune preuve ne donne à penser qu’une telle aide ne serait pas accordée si à nouveau elle était sollicitée.

 

[41]           Je ne suis pas non plus de l’avis de la demanderesse lorsqu’elle soutient que la SPR a commis une erreur en se fondant sur les dispositions contre le harcèlement que renferme le code criminel modifié. La demanderesse fait valoir que les modifications en cause n’avaient pas encore été adoptées au moment où elle vivait à Sainte-Lucie, et que la SPR n’aurait donc pas dû les prendre en compte. Il ne faut cependant pas oublier que l’asile est de nature prospective (Baptiste c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 630, paragraphe 29). La SPR a eu raison d’examiner si la protection de l’État était adéquate en fonction de la situation actuelle, et il était raisonnable pour elle de conclure qu’elle l’était, le donnait à penser le code criminel modifié.

 

[42]           La demanderesse soutient finalement que la simple existence d’un cadre légal ne suffit pas pour démontrer qu’il y a une protection adéquate de l’État. Elle fait valoir la décision Franklyn au soutien de son argument. Je conclus toutefois après examen qu’on doit écarter cette décision, les faits alors en cause étant différents des faits d’espèce. Dans Franklyn, le juge de Montigny a déclaré ce qui suit :

 

[21]      En l'espèce, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas réussi à établir que l'État n'était pas capable de la protéger. S'appuyant sur l'arrêt Canada (M.C.I.) c. Kadenko et al. […] et sur l'arrêt Canada (M.E.I.) c. Villafranca […], la Commission a attaché beaucoup d'importance au fait que St-Vincent-et-les-Grenadines était un état démocratique doté d'une panoplie complète de droits garantis par sa Constitution, et que les autorités faisaient des efforts sérieux pour maîtriser la violence familiale, tant sur le plan législatif que sur le terrain. Cependant, en toute déférence, cela ne suffit pas pour démontrer que l'État est capable de protéger les femmes qui sont dans la situation de la demanderesse.

 

[Citations omises.]

 

 

Le juge mentionne ensuite que la demanderesse n’avait pas réussi à de nombreuses reprises à obtenir l’aide de la police. Une fois ainsi la demanderesse avait tenté de signaler une agression, et un policier s’était moqué d’elle, disant qu’il s’agissait d’une querelle d’amoureux, et qu’elle n’avait eu que ce qu’elle méritait si elle avait des tendances lesbiennes.

 

[43]           En l’espèce, à la différence de l’affaire Franklyn, la demanderesse a obtenu l’aide de la police lorsqu’elle l’a demandée. Je conclus que cela conforte la conclusion de la SPR selon laquelle le cadre légal en place à Sainte-Lucie y atteste l’existence d’une protection adéquate de l’État.

 

Conclusion

 

[44]           Je conclus qu’au vu de la preuve dont la SPR était saisie, sa décision relative à l’existence d’une protection adéquate de l’État à Sainte-Lucie était raisonnable. L’analyse de la SPR n’était entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle, et la Cour n’a pas à intervenir face à sa décision. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[45]           Aucune question de portée générale n’est certifiée.


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4493-10

 

 

INTITULÉ :                                       VERNETTE EMILE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 FÉVRIER 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 17 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Setzer

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Craig Collins-William

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laura Setzer

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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