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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111128


Dossier : IMM-2556-11

Référence : 2011 CF 1370

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

NACHHATTAR SINGH ET
SAMARJEET KAUR

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 24 mars 2001 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision d’un agent des visas; ce dernier avait rejeté la demande que Nachhattar Singh avait présentée en vue de parrainer Samarjeet Kaur à titre d’épouse en vue de l’obtention du statut de résident permanent au Canada. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

[2]               Le demandeur, Nachhattar Singh, est né en Inde et est devenu par la suite citoyen canadien. Il vit à Windsor (Ontario), où il exploite un garage de mécanique automobile. Il a déjà été marié deux fois. La première fois avec Rhonda Singh, à l’époque où il vivait aux États-Unis; ils ont divorcé et n’avaient pas d’enfant. La seconde fois avec Shashi Singh, au Canada. Ils ont divorcé. Ils ont un fils qui vit principalement avec sa mère et qui rend visite à son père généralement les fins de semaine.

 

[3]               Nachhattar Singh est retourné en Inde en 2006 et, à cette occasion, à la demande semble-t-il de son père malade, il a rencontré un certain nombre de femmes offertes comme d’éventuelles nouvelles épouses. Le 4 novembre 2007, le père de Singh est décédé. Ce dernier n’était pas en Inde à l’époque et il y est retourné pour les funérailles. À ce moment, il a fait la connaissance de la demanderesse, Samarjeet Kaur (Kaur), et l’a épousée huit jours plus tard. Après le mariage, Singh est rentré au Canada, mais il est retourné en Inde à six occasions, durant lesquelles il a rendu visite à son épouse Kaur.

 

[4]               Singh a demandé un visa de résident permanent pour Kaur à titre d’épouse. À New Delhi (Inde), un agent des visas les a interrogés tous les deux, ensemble et séparément. Cet agent a exprimé des doutes au sujet de l’authenticité du mariage et a donné aux demandeurs une occasion d’y répondre. Par une lettre datée du 17 octobre 2008, l’agent a informé les demandeurs que la demande de visa de résident permanent de Kaur était rejetée. Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAI.

 

[5]               Les demandeurs ont soumis un ensemble de documents à la SAI. Une audience a été tenue devant un commissaire, et Singh y a comparu en personne et Kaur par voie de conférence téléphonique. Chacun des demandeurs a témoigné et des observations ont été faites en leur nom par leur avocat. Ce dernier n’était pas le même que celui qui les a représentés à l’audience qui s’est déroulée devant moi. Le commissaire a sursis à sa décision et, le 24 mars 2011, il a rejeté l’appel dans une longue décision écrite. C’est cette décision-là qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]               Les questions suivantes sont ressorties des mémoires des parties ainsi que des arguments des avocats qui m’ont été présentés à l’audience :

 

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

b.      Le commissaire a-t-il fait abstraction d’éléments de preuve pertinents qui lui ont été soumis?

 

c.       Le commissaire a-t-il commis une erreur en tirant des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité des demandeurs?

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[7]               Les questions en litige sont essentiellement de nature factuelle. Les deux avocats ont déclaré, et j’y souscris, que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité. Pour examiner la raisonnabilité d’une décision en litige, la Cour, ainsi que l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 48, se doit de tenir compte du fait qu’une conclusion raisonnable est une conclusion qui appartient aux issues possibles acceptables. La Cour suprême a déclaré aussi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 à 62, qu’il y a lieu de faire preuve d'un degré élevé de retenue à l'égard d'une décision de la SAI au moment d’en examiner la raisonnabilité, car la SAI a eu l’avantage de tenir des audiences et d’analyser les éléments de preuve, y compris les témoignages des demandeurs eux-mêmes.

 

LES DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES APPLICABLES

[8]               La décision en litige a trait au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), DORS/2002-227, dans sa forme modifiée :

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

 

[9]               Ce Règlement exige que les demandeurs supportent le fardeau de prouver que le mariage n’avait pas principalement pour but de permettre à l’épouse non canadienne d’acquérir le statut de résident permanent au Canada (Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1131, au paragraphe 16).

 

[10]           Ce fardeau doit être pris au sérieux. Une personne souhaite entrer au Canada à titre d’épouse ou d’époux d’un Canadien ou d’une Canadienne. La demande qu’elle présente est une affaire importante dont cette personne et ses conseillers professionnels doivent s’occuper de manière bien préparée et compétente. Cette personne ne devrait pas, à un stade ultérieur, tenter de faire annuler un résultat défavorable en invoquant sa propre naïveté, son manque de préparation ou l’incompétence d’un conseiller professionnel. Quand il est allégué qu’un conseiller professionnel, tel qu’un consultant ou un avocat spécialisé en immigration, a fait preuve d’incompétence, il ne suffit pas de formuler simplement cette allégation; il faut présenter à la Cour suffisamment d’éléments de preuve pour cerner le problème, la portée de ce dernier, ainsi que les mesures prises pour le régler (voir, p. ex., Shakiban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1177).

 

LE COMMISSAIRE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN FAISANT ABSTRACTION D’ÉLÉMENTS DE PREUVE QUI LUI ONT ÉTÉ SOUMIS?

[11]           L’avocat des demandeurs a fait valoir que le commissaire a fait abstraction de deux éléments de preuve cruciaux :

 

1.      un rapport médical selon lequel la demanderesse Kaur avait fait une fausse couche après son mariage avec le demandeur Singh;

 

2.      le demandeur Singh s’était rendu à six reprises en Inde depuis qu’il avait épousé la demanderesse Kaur et, chaque fois, il lui avait rendu visite.

 

[12]           En ce qui concerne le rapport médical, le commissaire n’en fait mention nulle part dans ses motifs. Cela n’est pas surprenant. Ni les demandeurs ni l’avocat qui les représentait lors des instances devant la Commission n’ont fait mention de ce document à un moment quelconque, soit dans leurs témoignages, soit dans les observations qu’ils ont faites au commissaire. Il ressort de la transcription de l’audience que l’on a posé la question suivante à la demanderesse Kaur : [traduction] « Avez-vous des enfants issus de ce mariage? », ce à quoi elle a répondu : [traduction] « Je n’en ai pas encore » (notes sténographiques, page 27). Même si l’on fait abstraction de l’obligation positive qu’ont les demandeurs de produire une preuve de l’authenticité de leur mariage, il s’agissait d’une occasion claire de fournir une preuve de la fausse couche. Un contrôle judiciaire comme celui de la présente instance ne doit pas être considéré simplement comme une seconde chance ou une occasion donnée à un avocat différent pour reformuler les arguments.

 

[13]           Pour ce qui est des six visites que le demandeur Singh a faites en Inde, le commissaire a bel et bien traité de cet élément. Au paragraphe 38 de ses motifs, il écrit :

[38]      Dans bien des cas, l’appelant n’a pas répondu directement aux questions qui lui étaient posées par la conseil. L’appelant avait de la difficulté à se rappeler les dates exactes et la chronologie des événements, sauf au cours de la dernière journée de l’audience où il a été en mesure de se rappeler sans hésitation et avec exactitude les dates et la durée de ses six visites en Inde effectuées après son mariage.

 

 

[14]           Il est évident que le commissaire était au courant de ces visites quand il a tiré ses conclusions, qu’il a énoncées au paragraphe 47 de ses motifs :

[47]      Même si le tribunal dispose d’éléments de preuve corroborants concernant le mariage de l’appelant et ses visites en Inde effectuées par la suite, ces facteurs positifs doivent être soupesés en fonction de l’ensemble des éléments de preuve et de la façon dont ils ont été présentés. Par conséquent, le tribunal conclut que l’appelant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure et lui ont conclu un mariage authentique. De plus, le mariage visait principalement l’obtention d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

 

 

[15]           Il n’appartient pas à la Cour, au stade du contrôle judiciaire, de réévaluer les éléments de preuve, dans la mesure où les conclusions que le commissaire a tirées appartiennent aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Les conclusions que le commissaire a tirées sont raisonnables et appartiennent à ces issues. Rien ne justifie qu’on les infirme.

 

LE COMMISSAIRE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN TIRANT DES CONCLUSIONS DÉFAVORABLES AU SUJET DE LA CRÉDIBILITÉ?

 

 

[16]           À l’audience qui s’est déroulée devant moi, l’avocat des demandeurs a passé en revue plusieurs conclusions du commissaire dans lesquelles ce dernier critiquait les éléments de preuve que les demandeurs avaient fournis et la manière dont cela avait été fait, et où il avait conclu qu’il avait des doutes au sujet de la crédibilité de la demanderesse Kaur; de plus, selon le commissaire, une « mauvaise excuse » avait été donnée au sujet d’un incident au moins.

 

[17]           L’avocat des demandeurs a tenté d’étayer certains des témoignages apparemment contradictoires que ces derniers ont faits, en faisant référence à d’autres éléments de la transcription de l’audience et à certains éléments de la preuve documentaire. Cependant, il s’agissait simplement là d’une tentative pour soumettre à nouveau des observations qui auraient dû être présentées à l’issue de l’audience tenue devant le commissaire. À l’audience devant la Commission, l'avocat des demandeurs (et non pas l’avocat qui a comparu devant moi) a, dans ses observations présentées au commissaire, dit ceci au sujet du témoignage des demandeurs :

[traduction]

 

Le témoignage a été fait de manière très tortueuse. Il a été difficile d’obtenir des informations, des questions ont été posées et reposées de très nombreuses fois de façon différente. (Transcription, page 28).

 

 

[18]           La Cour doit se rappeler que le commissaire a eu l’avantage d’entendre le témoignage des demandeurs en direct et, dans le cas de Singh au moins, en personne. Il est évident qu’il a pris en considération la totalité des éléments de preuve (voir le paragraphe 47 de ses motifs, précité). Je ne suis pas persuadé qu’il a négligé ou mal saisi des éléments de preuve pertinents. Comme l’a écrit le juge Martineau dans la décision Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 347, au paragraphe 18 :

[18]      Les conclusions de fait et l’importance que doit attacher la Section d’appel aux éléments de preuve appellent une norme de retenue judiciaire très élevée. À moins d’une preuve contraire, on tient pour acquis que la Section d’appel a pris en compte tous les éléments de preuve dont elle dispose. À cet égard, la décision de la Section d’appel doit être interprétée dans son ensemble et ne devrait pas être soumise à un examen microscopique. Par conséquent, l’instance révisionnelle devrait refuser d’intervenir en présence de décisions fondées sur une appréciation de la crédibilité, dans la mesure où les explications fournies sont rationnelles ou raisonnables, ou encore qu’au vu du dossier il est loisible à la Section d’appel de tirer, selon le cas, une inférence négative quant à la crédibilité d’un demandeur ou d’un témoin.

 

CONCLUSION

[19]           En conséquence, je ne puis trouver aucun fondement qui me justifie d'infirmer la décision du commissaire au stade du contrôle judiciaire. La demande sera rejetée. Aucun des deux avocats n’a demandé qu’une question soit certifiée, et il n’y a pas lieu selon moi de le faire. Il n’y a pas de raison spéciale pour adjuger des dépens.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT :

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  la demande est rejetée;

2.                  aucune question n’est certifiée;

3.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2556-11

 

INTITULÉ :                                       NACHHATTAR SINGH ET SAMARJEET KAUR c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OSGOODE HALL LAW SCHOOL
TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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