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 Date : 20111128


Dossier : IMM-2211-11

Référence : 2011 CF 1371

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

VIJAYATHEEPAN JEEVARATNAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande a été déposée initialement par Vijayatheepan Jeevaratnam, citoyen du Sri Lanka, et ses cinq répondants canadiens. Les demandeurs souhaitent faire annuler une décision par laquelle une agente des visas du haut‑commissariat du Canada à New Delhi a refusé la demande d’asile de M. Jeevaratnam à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. La décision contestée est fondée sur la conclusion de l’agente des visas selon laquelle M. Jeevaratnam n’est pas une personne à protéger. 

 

[2]               M. Jeevaratnam conteste la décision au motif qu’elle est déraisonnable. De plus, il soutient que l’agente des visas a manqué à son obligation d’équité en ne considérant pas certains documents corroborants qui auraient été expédiés par courrier en son nom au bureau des visas. Le défendeur réfute ces arguments et maintient que les répondants doivent être radiés en tant que parties, n’ayant pas qualité pour agir comme demandeurs. En conséquence, le défendeur affirme que le délai de 60 jours pour le dépôt de la demande n’a pas été respecté, cette conclusion étant fondée sur la supposition que M. Jeevaratnam a probablement été avisé de la décision de l’agente des visas à une date antérieure à celle indiquée dans l’avis de demande. 

 

Les questions de procédure

[3]               Le défendeur fait valoir que seul M. Jeevaratnam a qualité pour agir en l’espèce et que les autres demandeurs désignés, en tant que répondants canadiens de M. Jeevaratnam, doivent être radiés comme parties aux présentes. Normalement, cette conclusion serait sans conséquence pour l’examen au fond de la demande. En l’espèce toutefois, le défendeur soutient que la demande pourrait être hors délai étant donné que l’avis de demande précise simplement que la décision a été signifiée aux [traduction] « demandeurs » le 3 février 2011. Selon le défendeur, cela soulève des doutes quant à la date à laquelle M. Jeevaratnam a été avisé de la décision et à savoir si les demandeurs ont déposé la demande dans les 60 jours suivant la réception de l’avis de décision par M. Jeevaratnam. 

 

[4]               Je souscris à l’opinion du défendeur selon laquelle les personnes qui parrainent un demandeur d’asile n’ont pas qualité pour agir comme demandeurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire comme celui‑ci : voir Douze c Canada (MCI), 2010 CF 1337, aux paragraphes 14 à 19, [2010] A.C.F. no 1680 (QL). Ces demandeurs sont donc radiés en tant que parties aux présentes. 

 

[5]               À mon avis, cependant, il n’a pas été établi que la demande a été déposée hors délai. L’avis de demande est conforme à première vue, et l’affidavit de Suventhirakumar Lingaratnam fourni à l’appui précise que les demandeurs ont reçu l’avis de décision le 3 février 2011. L’avocat du défendeur affirme que la date à laquelle M. Jeevaratnam a reçu l’avis de décision [traduction] « n’est pas claire ». M. Lingaratnam n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit et je ne suis pas en mesure de conclure, à la lumière de la preuve qui m’a été fournie, que M. Jeevaratnam a reçu l’avis de décision à une date antérieure à celle indiquée. 

 

La question d’équité

[6]               M. Boulakia soutient que le dossier certifié du tribunal (DCT) est incomplet. Partant, il allègue que l’agente des visas a égaré les documents que les demandeurs ont prétendument envoyés au bureau des visas et qu’elle n’en a donc pas tenu compte. Il affirme essentiellement que le DCT n’est pas fiable et qu’il faut en déduire que les documents [traduction] « manquants » ont été envoyés et reçus, puis égarés. Il s’agit d’une question à examiner selon la norme de la décision correcte. 

 

[7]               Je ne crois pas que le DCT soit incomplet. Les notes du STIDI indiquent que certains documents ont été renvoyés à M. Jeevaratnam, et il ne semble manquer rien d’autre selon le dossier. Il ne reste donc que la simple affirmation que les demandeurs ont envoyé les documents manquants au bureau des visas dans un colis contenant d’autres pièces. Il est établi dans la jurisprudence qu’une preuve de ce genre ne suffit pas, en général, pour prouver que des documents ont réellement été envoyés au décideur : voir Khatra c Canada (MCI), 2010 CF 1027, au paragraphe 6, [2010] A.C.F. no 1291. À la lumière de la preuve qui m’a été présentée, je ne suis pas convaincu que les documents prétendument manquants ont été réellement envoyés au bureau des visas. 

 

[8]               M. Boulakia soutient néanmoins que l’agente des visas avait une obligation d’équité envers M. Jeevaratnam, en tant que partie non représentée, soit de consigner expressément chacun des documents reçus dans le but d’éviter un problème de ce genre. Ce défaut, selon lui, constitue un manquement à l’obligation d’équité. Je conviens qu’il est d’une pratique administrative prudente pour un décideur de consigner fidèlement les documents reçus et examinés, mais je ne crois pas que cette pratique soit obligatoire aux fins d’assurer l’équité procédurale. Il est loisible aux deux parties à un échange de documents de consigner les documents qui ont été envoyés et reçus. Le fait que M. Jeevaratnam n’était pas représenté par un conseil et qu’il a négligé de défendre correctement ses intérêts ne justifie pas l’imposition d’une obligation d’équité plus grande à l’agente des visas. L’argument d’iniquité est par conséquent rejeté. 

 

Les questions de fond

[9]               M. Bechard a formulé un argument convaincant à l’appui de la décision de l’agente des visas comme quoi une décision aurait pu être écrite, et il souligne plusieurs incohérences dans la preuve de M. Jeevaratnam. L’agente des visas a dûment soulevé quelques‑unes de ces incohérences durant l’entrevue tenue avec M. Jeevaratnam, mais elle n’a pas abordé les autres. M. Bechard a raison de dire que la preuve de M. Jeevaratnam présentait suffisamment de problèmes pour justifier le refus de la demande d’asile. Toutefois, les problèmes de crédibilité que l’agente des visas a relevés durant l’entrevue n’ont pas été suffisamment circonstanciés pour appuyer la conclusion que M. Jeevaratnam n’était pas une personne à protéger. En fait, la décision est principalement fondée sur des conclusions de vraisemblance qui sont indéfendables et déraisonnables. 

 

[10]           L’événement principal invoqué par M. Jeevaratnam pour établir le risque est le soi‑disant meurtre de son frère par des agents sri lankais alors que c’est le demandeur qui était leur cible. Selon celui‑ci, le meurtre de son frère est un cas d’erreur sur la personne. Lorsque les autorités ont appris qu’elles avaient assassiné la mauvaise personne, elles sont reparties à la recherche de M. Jeevaratnam. Ces événements l’ont obligé à déménager et, finalement, à quitter le Sri Lanka. 

 

[11]           M. Jeevaratnam prétend que l’armée sri lankaise voulait le tuer parce qu’il était perçu comme un sympathisant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Cette perception avait mené à son arrestation et à huit mois de détention, un épisode qui s’est terminé seulement avec l’aide d’un avocat et contre le paiement d’un pot‑de‑vin par le père du demandeur. 

 

[12]           L’agente des visas a jugé ce récit invraisemblable et a exprimé ses doutes dans les termes suivants :

[traduction]

Votre récit du décès de votre frère n’étaye pas de manière crédible une crainte fondée de persécution. Il est invraisemblable que l’armée vous détienne pendant huit mois puis qu’elle vous relâche en échange d’un pot‑de‑vin si elle vous croyait membre des TLET. Il est également difficile à croire que l’armée ou des groupes associés retournent ensuite à votre domicile pour vous tuer un mois après votre de sortie de détention, ou que ces assaillants partent après avoir assassiné votre frère sans plus chercher à vous retrouver.

 

Dossier certifié du tribunal, pages 2 et 3

 

 

[13]           Le principal problème dans cette conclusion, c’est que cette partie du récit de M. Jeevaratnam est entièrement plausible, telle qu’il l’a relatée du moins. Contrairement à la conclusion de l’agente des visas, M. Jeevaratnam a déclaré qu’il était perçu non pas comme un membre, mais comme un sympathisant des TLET. Lorsque les événements en question se sont produits, les détentions illégales et les exécutions extra‑judiciaires étaient courantes; il est donc tout à fait vraisemblable qu’un détenu soit relâché contre le paiement d’un pot‑de‑vin et qu’il risque ensuite de se faire assassiner. En fait, on ne peut fonder une conclusion de vraisemblance de la sorte sur le comportement rationnel auquel on pourrait s’attendre de la part d’agents de l’État qui sont prétendument impliqués dans des affaires de corruption et de meurtre. 

 

[14]           La décision est affaiblie par ailleurs par le fait que l’agente des visas n’a pas considéré l’élément de preuve établissant le meurtre du frère de M. Jeevaratnam. Cet événement se trouve au cœur même de la demande d’asile. M. Jeevaratnam a également produit une preuve documentaire corroborant l’assassinat. Il est difficile d’envisager un refus raisonnable de la demande d’asile de M. Jeevaratnam en l’absence de conclusions claires à savoir si le meurtre a eu lieu et qui pourrait en être responsable. 

 

[15]           Il y a au moins une autre conclusion de vraisemblance qui ne peut être maintenue. L’agente des visas a remarqué dans la preuve que l’armée ou des groupes associés n’avaient pas persécuté les autres membres de la famille depuis le départ de M. Jeevaratnam. L’agente des visas a conclu qu’il n’était pas crédible que la famille de M. Jeevaratnam n’ait pas été harcelée par les autorités, si celles‑ci s’intéressaient à lui. Cette conclusion est totalement injustifiée. C’est M. Jeevaratnam qui prétend courir un risque en tant que sympathisant présumé des TLET, et les autorités n’avaient aucune raison de poursuivre sa famille étendue après qu’il eut quitté le Sri Lanka. Quoi qu’il en soit, il est risqué de fonder des conclusions sur des choses qui ne se sont pas produites, surtout dans un contexte de guerre civile.

 

[16]           Pour les raisons susmentionnées, cette décision est déraisonnable et doit être annulée. 

 

[17]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.  


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que les demandeurs Selvachandiran Tharmarajah, Ranjit Selvarajah, Gunanithy Jeegatheswaran, Sathithanantham Kandiah et Suventhirakumar Lingaratnam sont radiés en tant que parties aux présentes.

 

            LA COUR STATUE ÉGALEMENT que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire doit faire l’objet d’un nouvel examen au fond par un décideur différent. 

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2211-11

 

INTITULÉ :                                       JEEVARATNAM c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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