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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111208


Dossier: IMM-2307-11

Référence : 2011 CF 1436

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

YONG BIN CAO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon laquelle le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, sera rejetée.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine). En août 2007, sa mère a appris qu’elle souffrait d’un cancer de l’utérus. Oncle Lui, un voisin de la famille, lui a fait connaître le Falun Gong afin de l’aider à surmonter ses problèmes de santé.

 

[3]               Malgré le fait que le Falun Gong était illégal en Chine depuis 1996, la mère du demandeur en est devenue une adepte. Elle pratiquait le Falun Gong avec oncle Lui et son groupe pendant les fins de semaine – le demandeur faisait parfois le guet pendant ses rencontres – et également seule chez elle pendant la semaine. Tous, y compris son médecin, ont constaté une amélioration de son état de santé.

 

[4]               En décembre 2007, le demandeur s’est joint à sa mère et au groupe et a commencé à pratiquer le Falun Gong à son tour. Près d’un an plus tard, le 7 septembre 2008, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a fait une descente chez oncle Lui pendant une rencontre du groupe. Le demandeur a réussi à prendre la fuite, mais sa mère a été arrêtée.

 

[5]               Rien n’indique que le BSP était alors à la recherche du demandeur, mais ce dernier est demeuré chez sa tante à la demande de son père. Le BSP s’est rendu chez la famille du demandeur et a informé le père de celui‑ci que la mère avait été arrêtée et était en voie de [traduction] « réhabilitation ». Le BSP est entré dans la maison et a saisi des livres sur le Falun Gong dans la chambre de la mère.

 

[6]               Le 27 novembre 2008, le demandeur est venu au Canada avec l’aide de son père et d’un passeur. Le 2 juin 2009, il a appris que le BSP avait à nouveau rendu visite à sa famille, cette fois dans le but de le retrouver. Il a demandé l’asile le 11 juin 2009.

 

[7]               La Commission a déterminé que certains aspects du témoignage de M. Cao n’étaient ni crédibles ni dignes de foi. Elle a conclu que la connaissance qu’il avait du Falun Gong avait été acquise au Canada seulement dans le but d’appuyer une demande d’asile frauduleuse. Les aspects de son témoignage décrits ci‑dessous ont amené la Commission à conclure qu’il n’était pas crédible.

 

[8]               La Commission a constaté que le demandeur n’était au courant d’aucun plan de fuite en cas de descente des autorités dans un endroit où des personnes pratiquaient le Falun Gong. Elle a mentionné que le plan de fuite avait été exposé et expliqué à la mère du demandeur, mais que cette dernière n’en avait pas parlé à son fils. La Commission a conclu qu’il était déraisonnable que la mère n’ait pas communiqué cette information au demandeur au cours des dix mois pendant lesquels ce dernier avait pratiqué avec le groupe.

 

[9]               La Commission a déclaré que ce n’est qu’après avoir eu plusieurs occasions de décrire les autres mesures prises par le BSP, lorsque celui‑ci s’était rendu chez son père dans les jours ayant suivi la descente, que le demandeur a mentionné que des livres sur le Falun Gong avaient été saisis. Selon la Commission, il était déraisonnable que le demandeur ait oublié ce fait, étant donné que les livres saisis étaient la preuve de la participation directe de sa mère aux activités du Falun Gong et la raison de l’arrestation de celle‑ci.

 

[10]           La Commission a cité des documents produits en preuve qui indiquaient que, [traduction] « [s]i [les] adhérent[s] [du Falun Gong] ne collabor[ent] pas avec les autorités, les membres de [leur] famille s’exposent également à des châtiments : [...] harcèlement de la part de la police (visites inattendues de la police), interrogatoires arbitraires, perte [d’un] emploi, évanouissement de [l’]espoir d’une promotion, perte [de la] pension ou d’un logement de l’État, etc. » La Commission a souligné que le BSP savait que le demandeur était un adepte du Falun Gong et qu’il se serait rendu chez lui le 2 juin 2009, parce qu’il était à sa recherche. Elle a conclu qu’il était déraisonnable et invraisemblable que le père du demandeur n’ait subi aucune répercussion en conséquence.

 

[11]           La Commission a aussi exprimé des doutes quant à la connaissance que le demandeur avait du Falun Gong. Elle a déterminé qu’il avait « une connaissance de base de l’histoire du Falun Gong, ainsi que des concepts et des croyances » du mouvement, mais qu’il n’était « ni un pratiquant ni un disciple authentique du Falun Gong ».

 

[12]           La Commission a constaté que, lorsqu’on lui a demandé quand le fondateur du Falun Gong, maître Li, avait quitté la Chine, le demandeur a répondu que c’était en 1999, avant de se reprendre et de dire que c’était en 1996. Selon la Commission, c’est en 1996 que le fondateur du Falun Gong a quitté la Chine. La Commission a aussi constaté que le demandeur n’avait pas bien indiqué la ville dans laquelle le fondateur habitait dorénavant. En outre, le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer l’importance de faits très médiatisés survenus le 23 janvier 2001. La Commission a rappelé que, ce jour‑là, un certain nombre d’adeptes du Falun Gong s’étaient immolés par le feu en signe de protestation sur la place Tiananmen, à Pékin. Elle a conclu que le demandeur ne connaissait pas bien plusieurs des dates et des faits importants qu’un adepte du Falun Gong devrait connaître.

 

[13]           La Commission a constaté que la définition donnée par le demandeur à l’expression [traduction] « Loi perverse » ne correspondait pas à celle figurant dans le livre de maître Li, Zhuan Falun : le demandeur avait indiqué qu’il s’agissait de se débarrasser de toxines et avait parlé de [traduction] « pensées perverses », alors que, dans la leçon cinq du Zhuan Falun, la [traduction] « Loi perverse » désigne la recherche de la gloire, des avantages et de la richesse par certaines personnes, ou le « karma », une substance noire composée de mauvaise énergie. La Commission a constaté que le demandeur savait que le « karma » était une substance noire et qu’une personne peut en accumuler une grande quantité lorsqu’elle agit mal.

 

[14]           La Commission a constaté que le demandeur pouvait nommer correctement les cinq éléments analysés dans le livre Zhuan Falun, mais qu’il ne se souvenait pas de ce qui se produit lorsqu’une personne est capable de les transcender.

 

[15]           La Commission a ensuite parlé d’autres aspects du témoignage du demandeur qui étaient conformes à la philosophie du mouvement. Il a nommé correctement les cinq exercices du Falun Gong, il savait que, dans le cadre de l’un de ces exercices, vous devez vous imaginer entre deux grands barils vides et il connaissait le nom des mouvements associés au premier exercice.

 

[16]           Dans le but de vérifier davantage les connaissances du demandeur, la Commission lui a demandé de se placer à l’arrière de la salle d’audience et d’effectuer le troisième exercice du Falun Gong. Elle a constaté que le demandeur effectuait correctement tous les mouvements, mais que, pendant la première des trois répétitions requises, il n’avait pas fait, pour l’un des mouvements, le nombre de fois prévu. Le demandeur a admis avoir manqué l’un des mouvements [traduction] « à cause du stress ». La Commission a indiqué qu’elle ne s’attendait pas à des erreurs de ce genre de la part d’un adepte expérimenté du Falun Gong.

 

[17]           Le demandeur est arrivé au Canada le 27 novembre 2008, mais il n’a commencé à pratiquer le Falun Gong au sein d’un groupe qu’en mai 2009. La Commission a estimé que, comme maître Li indique que la pratique en groupe est bénéfique, il serait déraisonnable qu’un véritable adepte attende si longtemps avant de se joindre à un groupe. Elle a aussi souligné que le demandeur n’avait participé qu’à une activité du Falun Gong depuis son arrivée au Canada, soit le défilé ayant eu lieu à Toronto le 13 mai 2010.

 

[18]           Pour ces motifs, la Commission a conclu que le demandeur n’adhérait pas à la pratique, aux croyances et aux concepts associés au Falun Gong.

 

Les questions en litige

Le demandeur soumet à la Cour les questions suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en déterminant que le demandeur n’était pas recherché par les autorités chinoises en raison de sa participation aux activités du Falun Gong en Chine?

 

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en utilisant un critère trop rigoureux pour apprécier la connaissance que le demandeur avait du Falun Gong?

 

3.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant ses conclusions concernant la connaissance que le demandeur avait du Falun Gong sur l’information contenue dans un livre qui n’avait pas été présenté en preuve?

 

Analyse

[19]           Les première et deuxième questions concernent des conclusions de fait et sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité. La troisième question a trait à l’équité procédurale et est assujettie à la norme de la décision correcte.

 

[20]           En ce qui concerne la première question, le demandeur fait valoir que, contrairement à la conclusion de la Commission, son père avait subi des répercussions en raison de la participation de son épouse et de son fils aux activités du Falun Gong. Il renvoie aux documents cités dans la décision de la Commission selon lesquels [traduction] « les membres de [la] famille [d’un adhérent du Falun Gong] s’exposent […] à des châtiments : [...] harcèlement de la part de la police (visites inattendues de la police), interrogatoires arbitraires, perte [d’un] emploi […] », et il rappelle que le BSP a rendu visite à son père et l’a interrogé. Il fait donc valoir que son père a subi des répercussions qui sont étayées par la preuve documentaire, de sorte que la conclusion différente à laquelle la Commission est parvenue était déraisonnable.

 

[21]           Le dossier révèle cependant que le demandeur a lui‑même déclaré à l’audience devant la Commission que son père n’avait subi aucune répercussion.

[traduction]

 

LE COMMISSAIRE : Votre père a-t-il subi des répercussions?

 

LE DEMANDEUR D’ASILE : Non.

 

LE COMMISSAIRE : Il ne lui est rien arrivé, il n’a pas été privé de services de santé – aucun service ne lui a été refusé?

 

LE DEMANDEUR D’ASILE : Non. Parce que mon père ne pratiquait pas le Falun Gong. Ils ne peuvent donc pas le pénaliser.

 

 

[22]           Le demandeur peut difficilement reprocher à la Commission de l’avoir cru sur parole. La conclusion de la Commission à cet égard n’était pas déraisonnable.

 

[23]           En ce qui concerne la deuxième question, le demandeur soutient que la décision de la Commission contredit sa conclusion selon laquelle « [il] n’avait qu’une connaissance de base de l’histoire du Falun Gong, ainsi que des concepts et des croyances qui y sont associés ». Le demandeur fait valoir qu’une telle conclusion rend inutile le reste de l’examen de sa connaissance des détails de la pratique et de l’histoire du Falun Gong effectué par la Commission. Je ne suis pas de cet avis.

 

[24]           Il y a une différence importante entre connaître l’histoire, les concepts et les croyances de base d’une religion et être un adepte de celle‑ci. Par exemple, le commissaire en l’espèce connaît manifestement l’histoire, les concepts et les croyances de base du Falun Gong, mais on ne peut pas en déduire qu’il le pratique. C’est pour cette raison que le commissaire s’est livré à un interrogatoire exhaustif, au cours duquel il a notamment demandé au demandeur d’exécuter des exercices du Falun Gong. Cette démonstration était utile pour trancher la véritable question en litige : le demandeur était‑il un adepte du Falun Gong en Chine?

 

[25]           Le demandeur soutient que les erreurs ou les faiblesses de sa preuve étaient [traduire] « mineures » et que le commissaire n’a pas tenu compte des nombreux domaines dans lesquels il était en mesure de répondre correctement à ses questions. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec lui lorsqu’il dit que les erreurs et les faiblesses étaient mineures. Il y en avait cependant plusieurs, et le demandeur conteste vraiment le poids accordé à certains aspects de sa preuve par le commissaire. Or, il n’incombe pas à la Cour de se pencher sur cette question dans le cadre d’un contrôle judiciaire, sauf si l’interprétation du commissaire était abusive ou si le dossier révèle que celui‑ci a insisté sur de très petites erreurs pour conclure à une faute et au manque de crédibilité. Si je lis la décision dans son ensemble, je ne peux conclure que le commissaire a agi de cette façon. Ses préoccupations concernant le défaut de la mère du demandeur d’informer ce dernier du plan de fuite, le fait qu’une longue période de temps s’est écoulée avant que le demandeur se joigne à un groupe de Falun Gong et son manque de connaissance de certains des principes de base du mouvement duquel il prétendait être un adepte étaient suffisantes pour tirer la conclusion quant à la crédibilité à laquelle le commissaire est parvenu.

 

[26]           En ce qui concerne la troisième et dernière question, on prétend que la Commission a commis une erreur en fondant ses conclusions concernant la connaissance du Falun Gong sur une comparaison entre le témoignage et le livre Zhuan Falun. Or, ce livre ne faisant pas partie de la preuve, la Commission n’aurait pas dû s’appuyer sur lui.

 

[27]           Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que Zhuan Falun est le livre fondamental du Falun Gong; la prétention du demandeur équivaut à un chrétien qui se plaint de se faire poser des questions sur la Bible.

 

[28]           La Cour a statué que, lorsque la preuve peut être obtenue de sources publiques, la Commission n’a pas l’obligation de dire au demandeur qu’elle s’appuiera sur elle dans la décision : Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 120. Compte tenu du contexte de la demande d’asile, je ne pense pas que le demandeur ou son conseil ont été pris par surprise lorsque la Commission a fait référence à ce livre. Le demandeur a même admis qu’il l’avait lu avant l’audience.

 

[29]           Aucune partie n’a proposé de question à des fins de certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2307-11

 

INTITULÉ :                                       YONG BIN CAO c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lindsey Weppler

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neal Samson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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