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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111213

Dossier : IMM-2018-11

Référence : 2011 CF 1410

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

YUAN JI

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le 21 mars 2011, Yuan Ji (le demandeur) a déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), suite à la décision de R.S. Garner, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur a demandé l’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi, disant craindre d’être persécuté pour son appartenance religieuse à une église chrétienne clandestine dans sa province natale, le Fujian (Chine).

 

[3]               Le demandeur, selon son dire, a assisté en juillet 2007 à son premier office religieux clandestin en compagnie d’un ami afin de vaincre sa dépendance à l’égard des jeux de hasard sur Internet. Après ce premier office, il aurait continué de fréquenter l’église régulièrement. Il allègue de plus qu’après s’être débarrassé avec succès de sa dépendance et amélioré par la suite ses notes, son père l’a emmené en voyage. Lors de ce voyage, en 2008, il a visité le Canada au mois de juillet. Avant de retourner en Chine, comme c’était prévu au départ, le 22 juillet 2008 il aurait téléphoné à sa mère au pays, qui l’aurait informé que des agents du Bureau de la sécurité publique (BSP) s’étaient présentés à la maison et qu’ils le recherchaient à cause de ses activités religieuses illégales. C’est ainsi que le demandeur, dont le père rentrait en Chine comme prévu, a décidé de rester au Canada et de demander l’asile car il avait censément peur pour sa sécurité.

 

* * * * * * * *

 

[4]               Dans sa décision, la Commission, se fondant sur ses conclusions relatives à la crédibilité, a jugé que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

 

[5]               La Commission a commencé par tirer diverses conclusions de fait étayées par la preuve documentaire et a expliqué pourquoi elle ne considérait pas que le demandeur était digne de foi avant de rejeter en fin de compte sa demande.

 

[6]               Le demandeur conteste la décision de la Commission à cause des conclusions de fait qu’elle a tirées. Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de ces conclusions de fait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339 [Khosa]), notamment en ce qui concerne l’évaluation que fait la Commission de la preuve et de la crédibilité (He c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 525, au paragraphe 9 [He]). Pour contrôler les conclusions de fait de la Commission, la Cour doit appliquer la norme de raisonnabilité, et déterminer ainsi si elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; He, au paragraphe 8).

 

* * * * * * * *

 

[7]               Premièrement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en tirant une inférence défavorable de l’absence de convocations laissées par le BSP car il ressort de la preuve documentaire que, dans la région où il vivait, il ne s’agissait pas là d’une pratique habituelle : le BSP ne remettrait habituellement pas une convocation à des membres de la famille.

 

[8]               À cet égard, la Commission a conclu qu’en dépit de ce que le demandeur affirme, à savoir que le BSP, qui est à sa recherche, s’est présenté chez lui de dix à treize fois après sa première visite en juillet 2008, il est peu probable que le BSP le recherche réellement car il n’a pas laissé de documents dignes de foi, comme des mandats ou des convocations. Même s’il est expliqué dans certaines sources mentionnées par le demandeur qu’il arrive rarement que le BSP remette de tels documents à des membres de la famille, la Commission a traité ensuite d’un autre document où il est indiqué qu’il peut arriver qu’on remette des convocations à des membres de la famille. De plus, la Commission a dit douter de la véracité de la carte de visite de détenu que le demandeur avait produite en preuve, disant que l’ami qui l’avait initié au christianisme avait été incarcéré durant trente-six mois à cause de ses convictions religieuses. De l’avis de la Commission, si cet ami avait réellement été incarcéré à cause de son appartenance à l’église clandestine, le BSP aurait remis des convocations à la famille du demandeur.

 

[9]               Pour ce qui est de savoir si le BSP était bel et bien à la recherche du demandeur, la Cour aurait pu arriver à une décision différente, mais elle ne peut substituer sa propre opinion à celle de la Commission : la conclusion de cette dernière était raisonnable. Cette conclusion était justifiée, transparente et intelligible (He, au paragraphe 8; Dunsmuir, au paragraphe 47). La Commission mentionne la totalité des éléments de preuve documentaires dans ses motifs, dont le document indiquant que le BSP ne remet habituellement pas de convocations à des membres de la famille, et elle a conclu que, selon toute vraisemblance, les autorités n’étaient pas à la recherche du demandeur. La Commission est habilitée à arriver à de telles conclusions et il convient de faire preuve de retenue à son égard. Il y a lieu de faire preuve du même degré de retenue quand on contrôle la manière dont la Commission évalue les convictions religieuses du demandeur.

 

[10]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas un véritable chrétien pratiquant est déraisonnable car elle a fondé sa décision sur une évaluation des connaissances du demandeur et non sur ses convictions religieuses.

 

[11]           Dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 RCS 551 [Amselem], la religion est définie comme une croyance ou une conviction personnelle profonde. C’est la sincérité de la conviction qui importe, pas la question de savoir si, de l’avis de représentants religieux, la croyance ou la pratique est prescrite. Les tribunaux sont qualifiés pour statuer sur cette sincérité en tant que question de fait (Amselem). La crédibilité peut avoir une incidence sur la conclusion de fait que tire le tribunal : « une croyance sincère s’entend simplement d’une croyance honnête » et « le tribunal doit uniquement s’assurer que la croyance religieuse invoquée est avancée de bonne foi, qu’elle n’est ni fictive ni arbitraire et qu’elle ne constitue pas un artifice » (Amselem, aux paragraphes 51 et 52).

 

[12]           De plus, les tribunaux judiciaires et administratifs ne doivent pas appliquer une norme trop sévère quand ils évaluent la conviction religieuse. Dans Ullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1918 (1re inst.) (QL), il a été conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur en évaluant le degré de conviction religieuse d’une personne à partir de ses connaissances sur la religion. La Commission a plutôt commis une erreur en évaluant les connaissances du demandeur en se fondant sur une norme plus sévère qu’il le fallait, et ses conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient donc déraisonnables : la Commission semblait s’attendre à ce que les réponses du demandeur aux questions posées sur la pratique religieuses équivalent aux connaissances qu’elle-même avait (au paragraphe 11).

 

[13]           Il n’était donc pas erroné de la part de la Commission de prendre en considération le degré de connaissances qu’avait le demandeur au sujet du christianisme pour évaluer la sincérité de ses convictions religieuses. Le défendeur croit que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation car elle a pris en compte les observations du demandeur et a considéré que les réponses de ce dernier étaient fondées sur sa mémoire, et non sur sa foi : le demandeur n’était pas « authentique » dans ses réponses. Je souscris à cette opinion.

 

[14]           Enfin, le demandeur prétend que la Commission s’est trompée en concluant qu’il n’y avait aucune possibilité de persécution religieuse au Fujian parce que le demandeur n’avait pu citer au moins un seul incident de persécution commis depuis 2006.

 

[15]           La Commission a bel et bien tenu compte des éléments de preuve qui lui avaient été soumis, comme il est dit dans ses motifs, et elle a expliqué qu’à son avis les éléments de preuve étaient insuffisants pour prouver la crainte de persécution du demandeur car il y avait des incidents qui avaient documentés dans d’autres régions de la Chine.

 

[16]           Dans Yang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 811 [Yang], la Commission a conclu qu’il n’y avait aucune crainte de persécution, en dépit de l’existence de documents faisant état de la fermeture de maisons-églises au Fujian. La Cour a trouvé la conclusion de la Commission raisonnable parce que cette dernière a expliqué pourquoi elle avait décidé d’accorder peu de poids à ces documents, contrairement à Liang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 65, où la Commission n’avait aucunement tenu compte des documents (Yang, au paragraphe 25).

 

[17]           Par ailleurs, dans Lin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 108 [Lin], la conclusion de la Commission était elle aussi raisonnable parce que le manque de documents portant sur la persécution religieuse au Fujian n’en était pas le seul fondement (au paragraphe 24). Ce manque de documents, de pair avec la crédibilité amondrie du demandeur et la preuve documentaire décrivant les caractéristiques des églises qui risquaient de faire l’objet d’une rafle (dont leur taille), suffisait pour étayer la conclusion de fait de la Commission selon laquelle il n’y avait pas de risques de persécution (au paragraphe 25).

 

[18]           Comme dans Yang, la Commission a expliqué en l’espèce pourquoi elle n’avait pas accordé de poids aux documents traitant des maisons-églises et de la persécution : elle voulait une preuve de persécution récente. Même si la Commission n’avait pas tenu compte de la preuve concernant la destruction d’une maison-église unique, cet incident isolé à lui seul n’aurait pas nécessairement été suffisant pour que sa décision soit déraisonnable (Lin, au paragraphe 28).

 

[19]           En résumé, la décision de la Commission appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

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[20]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas de question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire concernant la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2018-11

 

INTITULÉ :                                       YUAN JI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jayson Thomas                                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

David Joseph                                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates                                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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