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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

Date: 20111216

Dossier : IMM-801-11

Référence : 2011 CF 1481

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LESLY JOSEPH

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire introduite par le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) qui vise la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal) datée du 21 janvier 2011. Dans cette décision, le Tribunal a accueilli l’appel interjeté par le défendeur du refus de la demande de résidence permanente présentée par son épouse à titre de membre de la catégorie de regroupement familial en vertu de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (Règlement).

 

[2]               Le demandeur demande à la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision du Tribunal en vertu des alinéas 18.1(4) c) et 18.1(4) d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7. Il allègue que le Tribunal a erré en faits et en droit.

 

I.               Le contexte

A.    Le contexte factuel

[3]               Lesly Joseph (défendeur) est originaire d’Haïti. Il est résident permanent au Canada depuis le 19 octobre 1998.

 

[4]               L’épouse du demandeur, Marie-Michelle Annilus (requérante) est citoyenne d’Haïti. Elle allègue être née le 11 décembre 1976, approximativement six (6) ans avant la naissance du défendeur.

 

[5]               Le défendeur et la requérante se connaissent depuis leurs enfances. Après avoir appris que la requérante était nouvellement célibataire, le 24 décembre 2000, le défendeur a communiqué avec elle par téléphone. Après plusieurs conversations téléphoniques, le défendeur l’a éventuellement demandé en mariage le 11 décembre 2001 et ils se sont mariés le 21 juin 2002.

 

[6]               Le 28 juin 2006, le défendeur a déposé une demande de parrainage en faveur de la requérante.

[7]               Le 22 août 2007, la requérante a eu une entrevue avec une agente d’immigration à l’Ambassade du Canada à Port-au-Prince en Haïti.

 

[8]               Dans une lettre datée du 26 novembre 2007, l’agente d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente de la requérante en invoquant deux motifs: l’identité de la requérante et l’authenticité du mariage.

 

[9]               Concernant l’identité de la requérante, l’agente s’est questionnée sur le fait que la requérante avait soumis comme preuve une déclaration tardive de naissance émise en 1983 et le fait qu’elle n’avait pas de documents secondaires fiables pour appuyer la déclaration tardive.

 

[10]           Aussi, l’agente d’immigration a énoncé que l’identité n’ayant pas été établie, elle doutait de l’authenticité du mariage. Elle a déterminé que le mariage entre le défendeur et la requérante avait été contracté principalement dans le but d’obtenir la résidence permanente. L’agente est venue à cette conclusion en considérant la manière dont le défendeur et la requérante se sont rencontrés, le suivi de leur relation après leur mariage, le manque de connaissances de la requérante de son mari et la nature des documents produits. Par conséquent, l’agente d’immigration a déterminé que l’histoire de la requérante n’était pas crédible.

 

[11]           Dans une lettre datée du 22 mai 2008, l’agente d’immigration a refusé la demande et a conclu que la requérante était une personne visée à l’article 4 du Règlement.

 

[12]           Le 5 février 2008, le défendeur a interjeté appel de cette décision du Tribunal en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi.

 

[13]           L’audience devant le Tribunal s’est déroulée en deux temps.

 

[14]           La première séance du Tribunal a porté sur l’identité de la requérante – soit le premier motif de refus de l’agente d’immigration. Le Tribunal a rendu une décision interlocutoire le 5 février 2010 énonçant que l’agente d’immigration avait erré en concluant que l’identité de la requérante n’avait pas été établie.

 

[15]           La deuxième séance a abordé la question de l’authenticité du mariage entre le défendeur et la requérante (le deuxième motif de refus). Cette décision, rendue le 21 janvier 2011, a accueilli le pourvoi et a conclu que le mariage était authentique et de bonne foi.

 

[16]           Dans le cadre de ce contrôle judiciaire, la décision interlocutoire rendue le 5 février 2010 est la seule décision contestée par le demandeur.

 

B.    La décision contestée

[17]           Le Tribunal a déterminé que la déclaration tardive de naissance de la requérante était un document d’identité fiable, même si la prescription légale n’avait pas été tout à fait respectée. Le Tribunal a conclu que l’agente d’immigration n’avait pas indiqué que la déclaration tardive de naissance était un faux document, que le document n’a pas été émis conformément à la loi haïtienne ou que ce document a été émis de manière irrégulière, soit sur la foi de fausses déclarations ou par autres moyens non conformes à la Loi. Le Tribunal a déclaré que l’agente d’immigration n’avait pas énoncé de motifs suffisants pour rejeter le document et elle avait omis de considérer les explications de la requérante.

 

[18]           En outre, le Tribunal a conclu que l’agente d’immigration a omis de traiter de la validité du passeport ou de la carte d’identité nationale de la requérante bien qu’ils avaient été produits au dossier. En s’appuyant sur les causes Oumer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1353, [2003] ACF no 1739, Andryanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, [2007] ACF no 272, Mijatovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 685, [2006] ACF no 860, et Ogunmefun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1302, 188 FTR 317, le Tribunal a déclaré que le passeport de la requérante était un document émis légitimement par les autorités haïtiennes.

 

[19]           Le Tribunal a aussi considéré brièvement les documents secondaires soumis en preuve pour établir l’identité de la requérante. Le Tribunal a expliqué que les irrégularités relatives aux documents de sa présentation au temple étaient dues au « contexte et la situation propre au pays en question […] et que les registres sont parfois détruits, perdus ou ne sont pas toujours tenus en bonne et due forme » (Décision du Tribunal, p 7). Aussi, en ce qui concerne les documents scolaires de la requérante et le fait que certains épellent le nom de famille de la requérante différemment, le Tribunal a accepté l’explication de la requérante que ces erreurs étaient en fait la faute de la directrice de l’école Sainte-Catherine.

 

[20]           En conséquence, le Tribunal a conclu que le passeport et la carte d’identité nationale de la requérante étaient des documents d’identité fiables et que les témoignages étaient crédibles. Le Tribunal a donc affirmé que le défendeur s’est déchargé de son fardeau de prouver l’identité de la requérante selon la prépondérance des probabilités.

 

II.            Les questions en litige

[21]           Plusieurs questions ont été soulevées par les parties. La Cour est d’avis que la question pertinente en l’espèce est la suivante :

Le Tribunal a-t-il erré en faits et en droit dans son évaluation :

a)      de la déclaration tardive de naissance;

b)      du passeport de la requérante; et

c)      des documents secondaires?

 

III.          Les dispositions législatives applicables

[22]           L’article 12 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit :

Sélection des résidents permanents

 

Regroupement familial

 

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie            « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

[…]

Selection of Permanent Residents

 

Family reunification

 

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

 

[23]           L’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés énonce le suivant :

Notion de famille

 

Mauvaise foi

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

 

[…]

Family Relationships

 

Bad faith

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

 

IV.         La norme de contrôle applicable

[24]           La Cour rappelle que dans l’affaire Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a affirmé au para 51 qu’en « […] présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s'applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l'application de la norme de la décision correcte, mais certaines d'entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité ». Ainsi, la Cour est en accord avec les parties et la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.

 

 

 

V.            L’analyse

[25]           Deux commentaires introductifs s’imposent avant que la Cour puisse traiter des questions en litiges et des éléments de preuves contestées par les parties.

 

[26]           Premièrement, il convient de mentionner que les parties s’entendent sur le fait qu’en vertu de la doctrine de l’épuisement des recours, le demandeur a seulement déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision interlocutoire du Tribunal du 5 février 2010 après la décision finale du 21 janvier 2011 puisqu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles qui justifiaient une révision de la décision interlocutoire préalablement à la décision finale (voir C.B. Powell Ltd. c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, 400 NR 367; Direction de lAéroport international du Grand Moncton c Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, [2008] ACF no 312). Ce fait n’est pas contesté par le défendeur.

 

[27]           La Cour estime aussi qu’il convient également de rappeler que les appels devant le Tribunal sont des auditions de novo. Dans l’affaire Mendoza c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934, [2007] ACF no 1204, mon collègue, le juge de Montigny, s’exprimait comme suit :

[20] Il me suffit d’ajouter à cela que l’arrêt Kahlon a été maintes fois suivi par la Cour après l’adoption de la LIPR, et il est souvent écrit dans les décisions qui l’ont suivi que le pouvoir de la SAI de reprendre l’affaire depuis le début est admis et n’est pas un point de désaccord entre les parties : voir par exemple Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1673, paragraphe 8; Ni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 241, paragraphe 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Savard, 2006 CF 109, paragraphe 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Venegas, 2006 CF 929, paragraphe 18; Froment c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1002, paragraphe 19.

A ce stade-ci, la Cour abordera la question de la déclaration tardive de naissance de la requérante.

 

a)             La déclaration tardive de naissance de la requérante

[28]           Le demandeur affirme que même si la déclaration tardive de naissance de la requérante est un document légal, ce type de document est souvent émis frauduleusement. Le demandeur explique que la déclaration tardive de naissance de la requérante ne peut servir comme une confirmation de son identité puisqu’elle a été émise en 1983, soit sept (7) ans après la naissance de la requérante. Le demandeur soumet également que l’explication de la requérante soulève des contradictions. La requérante explique qu’au moment où elle devait être inscrite à l’école, ses parents avaient constaté qu’ils avaient égaré son acte de naissance. Ils ont donc dû obtenir cette déclaration tardive. Cependant, le demandeur souligne que la preuve révèle que la requérante était inscrite à l’école en 1982 soit un an avant l’obtention de cette déclaration tardive. Quoique cette contradiction ait été soulevée lors de l’audience devant le Tribunal, le demandeur constate que le Tribunal a ignoré cette irrégularité et a simplement énoncé qu’« au moment d’obtenir la déclaration tardive de naissance, soit le 25 juin 1983, elle était âgée de six ans. Le Tribunal ne met pas en doute son témoignage à l’effet qu’elle en avait besoin pour l’école » (Décision du Tribunal, para 10).

 

[29]           De plus, le demandeur soutient que le Tribunal aurait dû suivre ses propres décisions antérieures en considérant la question de la déclaration tardive (Durandisse c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), [2008] DSAI no 1594, 2008 CanLII 75911 (CISR) [Durandisse]; Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), [2007] DSAI no 527, 2007 CanLII 52912 (CISR) [Joseph]; Lubintus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), [2010] DSAI no 22, 2010 CanLII 38258 (CISR) [Lubintus] et celles de la Cour fédérale (Julien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), 2010 CF 351, [2010] ACF no 403 [Julien].

 

[30]           Essentiellement pour le demandeur, ces décisions ont affirmé que les déclarations tardives de naissance provenant d’Haïti ne sont pas des documents d’identité fiables. Bien que le demandeur ait plaidé la cause Durandisse devant le Tribunal, ce dernier reproche au Tribunal de l’avoir ignorée. Par conséquent, le demandeur avance que ce défaut de considérer les décisions antérieures de la SAI constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[31]           Pour sa part, le défendeur fait valoir que le Tribunal a déclaré que le demandeur n’avait pas fourni des preuves que la déclaration tardive de naissance était un faux document, qu’elle n’avait pas été émis selon la loi haïtienne ou encore qu’elle avait été émis de façon irrégulière. La Cour note que lors de l’audience, l’avocat du défendeur a avancé que la déclaration tardive de naissance a été obtenue un an après que la requérante ait commencé l’école parce qu’un acte de naissance n’est requis qu’au primaire et non à la maternelle. Aussi, le défendeur allègue que la déclaration tardive de naissance de la requérante n’est pas un extrait d’archives, mais plutôt un acte de naissance assorti d’un jugement du tribunal civil de St-Marc datée du 23 juin 1983.

 

[32]           Également, le défendeur écarte l’application des affaires Julien et Joseph car selon lui elles diffèrent de la présente cause (Mémoire du défendeur, para 19).

 

[33]           Dans un premier temps, la Cour observe que dans sa décision, le Tribunal a omis d’analyser l’irrégularité soulevée par le demandeur quant à l’émission de la déclaration tardive de naissance de la requérante. Sur ce point, les motifs du Tribunal au para 10 de la décision sont insuffisants puisqu’ils passent sous silence l’irrégularité dans la preuve soulevée par le demandeur. En vertu de l’affaire Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 [Cepeda‑Gutierrez], il incombait au Tribunal d’expliquer les raisons pour lesquelles il acceptait l’explication de la requérante relativement à l’écart d’un an entre le moment ou la déclaration tardive de naissance a été obtenue (1983) et le moment ou la requérante a commencé l’école (1982).

 

[34]           En effet, la preuve au dossier ne corrobore pas l’explication de la requérante. Par exemple, aucun document ou affidavit ne vient corroborer que le nom de la requérante puisse s’écrire différemment et que la déclaration tardive de naissance soit requise en première année (1983) et non à la maternelle (1982), année de l’inscription scolaire de la requérante. Par conséquent, la Cour estime que le Tribunal a commis une erreur en omettant d’analyser ces irrégularités qui contribuent à soulever un doute sur la déclaration tardive de naissance de la requérante. Les motifs du Tribunal sur ce point sont insuffisants.

 

[35]           En ce qui à trait à la jurisprudence citée par le demandeur – les affaires Julien, Joseph, Lubintus et Durandisse, – la Cour observe que le demandeur tente d’établir que les déclarations tardives de naissance sont a priori non fiables comme preuve d’identité en Haïti. Cependant, la Cour remarque que les faits de certaines de ces décisions diffèrent des faits en l’espèce.

 

[36]           Dans l’affaire Julien, la Cour a statué qu’un doute persistait concernant la fiabilité de la déclaration tardive de naissance d’une citoyenne haïtienne. Ce doute était dû au fait que la demanderesse avait indiqué que sa déclaration tardive avait été faite par son père, alors que la preuve démontrait que le père de la demanderesse était décédé.

 

[37]           Dans l’affaire Joseph, le Tribunal a estimé que la procédure d’obtention d’une déclaration tardive était viciée « puisqu’il suffit à quiconque de se présenter devant l’officier de l’État civil et de déclarer qu’une telle personne est sa fille pour que soit émise à cette personne une déclaration tardive de naissance puis par la suite, un passeport » (para 8). La Cour accepte l’argument du défendeur que la déclaration en l’espèce a été faite à la suite d’un jugement d’un tribunal civil et non d’un officier de l’État civil, et qu’il n’a pas été démontré que ce jugement comportait des vices tels qu’il aurait dû être écarté.

 

[38]           En ce qui concerne l’affaire Lubintus, la Cour prend note que le Tribunal a refusé d’accorder une valeur probante à un passeport haïtien délivré sur la base d’une déclaration tardive de naissance. Cependant, dans cette affaire, la demanderesse en question n’avait pas produit de documents secondaires. De plus, dans Lubintus, la déclaration tardive de naissance a été délivrée vingt-deux (22) années après la naissance de la demanderesse.

 

[39]           Finalement, dans l’affaire Durandisse, bien que le Tribunal ait déclaré qu’un passeport haïtien délivré sur la foi d’une déclaration tardive de naissance ne peut établir l’identité du titulaire de façon certaine, le Tribunal a aussi confirmé l’importance particulière des preuves d’identité secondaires en Haïti pour corroborer les déclarations tardives vu le taux très élevé de fraudes et de personnifications.

 

[40]           À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la détermination de la validité et la valeur probante d’une déclaration tardive de naissance est largement une question de faits. Les conclusions relatives à l’identité doivent être fondées sur l’ensemble de la preuve et la Cour ne peut tirer de conclusions définitives à partir des décisions soulevées par le demandeur. Cela étant, bien qu’il eut été préférable que le Tribunal traitent de certaines des décisions soulevées par le demandeur, ce manquement, en l’espèce, n’est pas fatal en soi.

 

b)             Le passeport de la requérante

[41]           Le demandeur soutient que le Tribunal a erré en concluant que le passeport de la requérante, étant un document authentique émis par l’État, pouvant servir comme preuve de son identité.

 

[42]           Le demandeur fait valoir que le Tribunal a ignoré le fait que le passeport de la requérante a été émis sur la foi de documents non fiables : sa déclaration tardive de naissance et sa carte d’identité nationale.

 

[43]           Le demandeur rappelle que l’apparence d’authenticité d’un document émis par un État étranger entraine une présomption réfutable de validité (voir Azziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 663, [2010] ACF no 767, para 67) et que les autorités canadiennes peuvent toujours contester la véracité des inscriptions contenues dans un passeport étranger (voir Azziz; Saleem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 389, [2008] ACF no 482, paras 28 à 31; Ariyaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1216, [2005] ACF no 1497, paras 8 et 9; Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, [2011] ACF no 530, para 14).

[44]           Pour sa part, le défendeur soutient que les motifs du Tribunal au sujet du passeport ne devraient pas faire l’objet d’une révision. Essentiellement, pour le défendeur, la jurisprudence applicable à la question de la fiabilité des passeports indique qu’une présomption de bonne foi s’applique à un passeport émis par une autorité nationale, mais cette présomption peut être renversée par une preuve contraire liée à son obtention. Toute personne qui désire écarter un tel document doit fournir des motifs détaillés, ce qui n’a pas été fait par l’agente d’immigration en l’espèce.

 

[45]           La Cour est d’avis qu’un passeport est une preuve suffisante à première vue de citoyenneté (Varin c Cormier (1937), DLR 588 (C.S.Q.); Radic c M.E.I (1994), 85 FTR 65; Adar c M.C.I, [1997] ACF 695). Cependant, cette présomption n’est pas irréfragable et peut être réfutée s’il existe des éléments de preuve contraire.

 

[46]           En l’espèce, le passeport de la requérante a été émis sur la foi de sa déclaration tardive de naissance. La validité du passeport est nécessairement compromise s’il repose sur un document potentiellement peu fiable ou sur lequel un doute persiste. Or, tel qu’expliqué plus haut, c’est le cas de la déclaration tardive de naissance de la requérante. Par conséquent, à la lumière des doutes soulevés par la déclaration tardive de naissance de la requérante, il s’en suit que le Tribunal a nécessairement erré dans son évaluation de la valeur probante du passeport de la requérante.

 

[47]           En dernier lieu, la Cour rappelle toutefois que ce doute peut être dissipé par des documents secondaires.

 

c)             Les documents secondaires de la requérante

[48]           Le demandeur conteste les conclusions du Tribunal par rapport aux documents secondaires et invoque plusieurs déficiences et lacunes dans les documents scolaires de la requérante, ses actes de présentation du temple, sa carte d’église et sa carte d’identité nationale qu’il avait soulevées auparavant lors de l’audience devant le Tribunal. Les défaillances sont notamment les suivantes :

·          La requérante a soumis en preuve un relevée de notes pour l’École la Providence pour l’année scolaire 1990-1991, émis le 19 février 2008. Par contre, la requérante a déclaré dans sa Demande de résidence permanente (DRP) y avoir étudié d’octobre 1982 à juin 1990. Aussi ce document indique qu’elle serait admise en 6e secondaire, mais elle a écrit que cette institution était une école primaire dans son DRP (pages 75 et 266 du dossier du tribunal);

·          La requérante a produit un relevé de notes du Collège Dumarsais Estime pour l’année scolaire 1995-1996, émis le 22 février 2008. Par contre, selon la DRP de la requérante, elle y aurait étudié d’octobre 1990 à juin 1995 (pages 75 et 267 du dossier du tribunal);

·          Le certificat de l’École d’Auxiliaires Sainte Catherine de la requérante présenté au Tribunal est daté du 12 septembre 2000. Or, selon la DRP, la requérante y aurait étudié d’octobre 2000 à décembre 2001 (pages 75 et 270 du dossier du tribunal);

·          Le certificat de l’Hôpital La Sainte-Famille daté du 25 avril 2002, qui est un document rédigé en français, comporte des mots en anglais tel que « nursing » et « miss » (page 276 du dossier du Tribunal);

·          Tous les documents scolaires de la requérante contiennent une erreur identique quant à l’épellation de son nom de famille (pages 268, 270, 271, 272, 274, 275 du dossier du tribunal).

 

[49]           En outre, le demandeur allègue que les certificats de présentation au Temple de la requérante ne sont pas des sources indépendantes et vérifiables. Le demandeur affirme que ces types de documents sont émis par des pasteurs pour aider leurs membres et que ces organisations ne détiennent pas de registres fiables.

 

[50]           Pour sa part, le défendeur plaide qu’après avoir entendu les témoignages et les explications du défendeur et de la requérante, le Tribunal a conclu qu’ils étaient crédibles. En ce qui concerne la question des erreurs d’épellation dans la documentation, le défendeur soumet que tous les documents comportant des erreurs tirent leur source de l’inscription initiale erronée de la requérante à l’École Ste-Catherine commise par la directrice de l’école. Selon la prépondérance des probabilités, le défendeur soutient que les explications franches et cohérentes données par la requérante étaient jugées crédibles par le Tribunal, qui leur a donné un poids important en l’espèce. Par conséquent, le Tribunal a déterminé que la requérante a réussi à établir son identité de façon fiable.

 

[51]           La Cour note que les documents secondaires de la requérante ont été déposés pour renforcer son identité face à la déclaration tardive de naissance. Bien que le Tribunal ait entendu les témoignages et s’est basée sur la déclaration tardive de naissance de la requérante pour rendre sa décision, l’ensemble des documents secondaires déposés au dossier ne dissipe pas le doute quant à l’identité de la requérante, au contraire.

 

[52]           Bien que les doutes et les contradictions qui émanent des documents secondaires fussent soulevés par le demandeur lors de l’audience devant le Tribunal, le Tribunal a omis d’en traiter certains et, en a ignoré d’autres entièrement. Par exemple, au para 19 de sa décision, le Tribunal se réfère aux documents scolaires de la requérante, mais omet de relever et d’expliquer les incongruités et les incohérences. Le Tribunal écrit simplement que « quant aux autres documents soumis en preuve pour établir l’identité, l’appelant a produit des documents scolaires ».

 

[53]           En outre, la Cour estime que le Tribunal ne peut pallier à ce manquement par son explication qui figure au paragraphe 21 de sa décision et qui se lit comme suit :

Dans son évaluation de l’identité de la demandeure, l’agente d’immigration n’a pas tenu compte des sérieux problèmes des citoyens haïtiens à obtenir des documents prouvant leur identité. Cette exigence de la part de l’agente d’immigration met les gens dans une situation difficile et peut même les inciter à obtenir toutes sortes de documents qui puissent établir leur identité.

 

En vertu de l’affaire Cepeda‑Gutierrez, la Cour réitère qu’en l’espèce le Tribunal avait l’obligation d’analyser les documents secondaires – spécifiquement les documents scolaires – et d’expliquer pourquoi il les acceptait malgré le fait qu’ils contredisent où mettent en doute certains faits soumis par la requérante.

 

[54]           La Cour estime que les conclusions du Tribunal concernant les documents scolaires, le passeport et la déclaration tardive de naissance n’étaient pas suffisamment bien motivées et qu’elles n’ont pas tenu compte de plusieurs éléments de preuve contradictoires dont elle disposait quant à l’identité de la requérante.

 

[55]           Dans ces circonstances, l’intervention de la Cour est justifiée. Aucune question ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision du Tribunal soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-801-11

 

INTITULÉ :                                       MCI c LESLY JOSEPH

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Normand Lemyre

Me Yaël Levy

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Luc R. Desmarais

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-ministre et Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

La firme d’avocat Luc Desmarais

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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