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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

Date : 20111220


Dossier : IMM-2111-11

Référence : 2011 CF 1493

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD ESSA

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 24 février 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur en vue d’obtenir la qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance infirmant la décision et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission en vue d’un nouvel examen.

 

Le contexte factuel

[3]               Le demandeur, âgé de vingt-cinq (25) ans, est citoyen de la Jordanie. Il sollicite la protection du Canada car il dit craindre d’être persécuté en tant que membre d’un groupe social en particulier – celui des homosexuels – s’il est renvoyé en Jordanie.

 

[4]               Le 27 juillet 1993, le demandeur a obtenu le statut de résident permanent au Canada en tant que personne à charge de son père, lequel a été admis à titre d’immigrant dans la catégorie des entrepreneurs. Cependant, comme le père du demandeur n’a pas respecté les conditions relatives au statut de résident permanent au Canada, le demandeur a plus tard perdu son statut et, le 5 février 2008, la Section de l’immigration a prononcé une mesure de renvoi contre lui. L’appel qu’il a interjeté à l’encontre de cette décision a ensuite été rejeté par la Section d’appel de l’immigration le 15 juin 2009. Ces faits sont expliqués de manière plus détaillée dans la décision Essa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2009] IAC no 1565 (CISR).

 

[5]               En l’espèce, le demandeur prétend que lors d’une visite faite aux membres de sa famille en Jordanie au cours de l’été de 2005, il a rencontré un homme du nom de Maher Awmy, avec lequel il a entamé une relation.

 

[6]               Le demandeur soutient qu’il est retourné en Jordanie en 2006 et que, lors de cette visite, dans une résidence appartenant à la famille, son oncle l’a découvert dans une situation compromettante avec M. Awmy.

 

[7]               Selon le demandeur, son oncle s’en est pris à lui et l’a roué de coups, ce qui l’a blessé au dos et lui a causé des problèmes dont il souffre encore aujourd’hui. De plus, il soutient que cet oncle, après avoir découvert son orientation sexuelle, a demandé à un dirigeant religieux de la Jordanie de prononcer une fatwa pour qu’on le tue.

 

[8]               Le demandeur prétend qu’après avoir été découvert, il s’est caché au domicile d’un ami et est ensuite parti pour le Canada, où il a demandé l’asile le 2 février 2008.

 

[9]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a entendu la demande du demandeur le 9 décembre 2010 et le 13 janvier 2011. La Commission a rendu sa décision le 24 février 2011.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens de la Loi car il ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir que, s’il retournait en Jordanie, il serait exposé à une menace à sa vie. Elle a statué que l’identité du demandeur avait été établie, mais elle a expliqué qu’elle avait des doutes à propos de sa crédibilité.

 

[11]           Essentiellement, la Commission a fait remarquer que le demandeur n’avait pas dit la vérité dans ses instances antérieures en matière d’immigration. De plus, son témoignage n’était pas digne de foi et sa demande d’asile comportait de nombreuses contradictions et incohérences.

 

Les questions en litige

[12]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La conclusion concernant la crédibilité du demandeur était-elle raisonnable?

 

2.         La Commission a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en suscitant une crainte de partialité?

 

Les dispositions législatives applicables

[13]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent en l’instance :

 

NOTIONS D’ASILE, DE REFUGIÉ ET DE PERSONNE À PROTÉGER

 

 

Définition de « réfugié »

A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

REFUGEE PROTECTION, CONVENTION REFUGEES AND PERSONS IN NEED OF PROTECTION

 

Convention refugee

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

La norme de contrôle applicable

[14]           Pour ce qui est des conclusions de fait de la Commission, y compris celles qui se rapportent à la crédibilité du demandeur, la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Houshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 650, [2010] ACF no 790). Quant à la seconde question en litige, les questions d’équité procédurale et de partialité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Ellis-Don Ltd. c Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 RCS 221; Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650).

 

Les arguments invoqués

La position du demandeur

[15]           Pour ce qui est de la première question, qui a trait aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité, le demandeur allègue que ces dernières ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

 

[16]           Le demandeur prétend que la Commission a fait preuve de zèle excessif en discréditant son témoignage et ses éléments de preuve. Il soutient qu’elle a fait entièrement abstraction de sa culture et de sa religion (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131).

 

[17]           Quant à la seconde question, qui a trait à la possibilité d’une crainte de partialité, le demandeur soutient que la Commission a formulé des commentaires stéréotypés et n’a pas fait mention de témoins importants et pertinents qui corroboraient les allégations du demandeur à propos de son orientation sexuelle.

 

[18]           Le demandeur allègue qu’au cours de la première audience, tenue le 9 décembre 2010, la Commission a déclaré qu’elle n’avait pas à entendre la déposition du témoin du demandeur, M. Riyad Hassan (un Palestinien originaire du Liban qui avait demandé l’asile au Canada du fait de son orientation sexuelle), car elle n’avait aucun problème avec le fait que le demandeur était homosexuel. M. Hassan a donc été renvoyé et il a quitté l’audience. Au cours de cette dernière, le demandeur a déclaré qu’il ne fréquentait pas les bars homosexuels ou le Village gai de Montréal car il était une personne privée, qui était discrète au sujet de sa sexualité. Cependant, après une pause de quinze (15) minutes, la Commission a changé d’avis et a déclaré qu’elle n’admettait plus que le demandeur était homosexuel à cause de [traduction] « la réticence du demandeur d’asile à approfondir un comportement si souvent caractéristique de la communauté gaie ». Le demandeur déclare que son avocat a expliqué que cela posait un problème parce que le témoin de son client était parti. Cet avocat a également présenté une requête pour que le commissaire se récuse à cause d’une possibilité de partialité (Dossier du tribunal, pages 223 et suivantes). D’après le demandeur, la Commission a ensuite annoncé une autre courte pause et a demandé l’avis du Service juridique de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il allègue qu’après la pause la Commission a rejeté la requête du demandeur [traduction] « disant qu’elle [devait] faire des recherches sur cet aspect du comportement homosexuel ». À la requête de l’avocat du demandeur, la Commission a ensuite reporté l’affaire pour que le témoin du demandeur puisse être présent.

 

[19]           Le demandeur allègue qu’au cours de la seconde audience, tenue le 13 janvier 2011, M. Hassan n’a pas pu être présent et que, de ce fait, il a fait appel à un autre témoin, M. Imad Khattadi, qui est musulman et bisexuel. M. Khattadi a témoigné pour le compte du demandeur. Ce dernier soutient cependant que la Commission n’a jamais interrogé M. Khattadi et n’a pas fait référence au témoignage de ce dernier dans sa décision.

 

[20]           Se fondant sur la décision Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1233, [2005] ACF no 1499 [Herrera], le demandeur avance que la Commission a suscité une crainte évidente de partialité et a donc manqué aux principes de justice naturelle.

 

La position du défendeur

[21]           Pour ce qui est de la première question, soit la crédibilité du demandeur, le défendeur passe en revue et met en lumière les contradictions et les incohérences relevées par la Commission dans sa décision. Il soutient qu’au vu des ces contradictions évidentes, la Commission était justifiée de tirer les conclusions défavorables auxquelles elle est arrivée au sujet de la crédibilité du demandeur (Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, [2009] ACF no 1591; Soto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 360, [2011] ACF no 446; Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, [2010] ACF no 673). Par ailleurs, signale-t-il, la Commission était en droit de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur, ne serait-ce qu’à cause de la seule invraisemblance de son témoignage. De plus, les explications du demandeur ne montrent pas que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables (Onofre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1219, [2010] ACF no 1516).

 

[22]           Quant à la question de la présumée crainte de partialité, le défendeur a présenté un résumé des principes applicables que la jurisprudence a établis. Il soutient que le demandeur se doit de réfuter la présomption d’impartialité s’il souhaite établir l’existence d’une crainte de partialité (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 39, [2005] 2 RCS 91).

 

[23]           Cela étant, le défendeur est d’avis que le seuil à franchir pour prouver l’existence d’une partialité est assez élevé, car un simple soupçon ne suffit pas. Il rappelle que le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité consiste à savoir si une personne raisonnable, bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, penserait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste.

 

[24]           Le défendeur soutient également que la Commission n’a nullement fait preuve de partialité car elle a [traduction] « gardé l’esprit ouvert » et a accepté de reporter l’audience pour que le demandeur puisse présenter ses témoins. Enfin, dit-il, il est possible de distinguer la présente espèce de la décision Herrera, précitée, car la Commission n’a pas indiqué dans ses motifs qu’elle a conclu que le demandeur était indigne de foi parce qu’il ne correspondait pas à un profil stéréotypé particulier. Le défendeur soutient plutôt que la présente espèce ressemble à l’affaire Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 861, 173 CRR (2d) 309, dans laquelle l’allégation de partialité était sans fondement.

 

Analyse

[25]           La Cour débutera son analyse en examinant les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité du demandeur.

 

[26]           Après avoir examiné la décision de la Commission, la Cour conclut que cette dernière a tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du demandeur en raison d’un certain nombre de contradictions et d’incohérences qu’elle a mises en lumière. Au nombre des contradictions et des invraisemblances que la Commission a relevées figurent les propos suivants, aux paragraphes 12 et 13 de la décision :

 

[12] Selon le témoignage, le demandeur d’asile s’est révélé être extrêmement discret et il a fait état d’un mode de vie très secret. Le demandeur d’asile affirme qu’on ne sait jamais qui pourrait vous voir et il y a un danger que [traduction] « le mot se passe » à des gens qui le connaissent dans le monde musulman. Cette discrétion était manifeste dans le témoignage au sens où le demandeur d’asile connaissait très mal des faits notoires, les bars et les lieux d’intérêt bien connus de la communauté gaie de Montréal. Le demandeur d’asile déclare qu’il choisit de ne pas participer à ce mode de vie plus ouvert.

 

[13] Le demandeur d’asile a été questionné à savoir comment, puisqu’il est si discret au Canada, il en est venu à agir de façon indiscrète en Jordanie en amorçant une relation avec M. Awmy dans un pub irlandais. Le demandeur d’asile a répondu que sa vie en Occident l’a rendu moins réservé. Le tribunal ne conclut pas que c’est une explication raisonnable, car le demandeur d’asile semble très discret à Montréal, ce qui laisse croire qu’il serait encore plus réservé en Jordanie.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[27]           De plus, la Cour signale qu’aux pages 28 et 29 de la transcription de l’audience datée du 9 décembre 2010, l’échange suivant est consigné :

[Traduction

Q : Très bien. Si je vous posais quelques questions au sujet du Village gai dans l’espoir d’établir votre orientation sexuelle et la façon dont vous l’avez manifestée à Montréal, seriez-vous en mesure de répondre à certaines questions?

R :  Pour être franc avec vous, je n’y ai jamais vécu. J’y suis allé quelquefois, à des occasions différentes.

Q : Et, en allant là quelquefois, c’était dans quelles circonstances?

R :  Pour m’amuser, principalement pour m’amuser, pour être honnête avec vous.

Q : Et où vous amusez-vous?

R :  Je suis allé au 182, c’est un club de strip-tease et…

Q : Quelle est l’adresse du 182?

R :  Je n’en suis pas sûr.

Q : Pouvez-vous dire sur quelle rue?

R :  Si vous me dites n’importe quelle adresse d’un club, je ne peux pas vous le dire. Je sais qu’il se trouve sur Sainte-Catherine, sur une rue latérale, mais si vous me donnez l’adresse de n’importe quel club je ne peux pas vous répondre.

Q : De quoi est-il proche?

R :  Il y a à proximité plusieurs bars et restaurants, un restaurant, il y a…

Q : Très bien. Où d’autre êtes-vous allé?

R :  Je ne me tiens pas dans le Village gai, pour être franc avec vous.

Q : Pourquoi pas?

R :  Parce que ce n’est pas là que je vis.

Q : Beaucoup de gens qui n’y vivent pas y vont à cause de leur orientation sexuelle.

R :  Je sais, mais cela ne veut pas dire que parce que je suis gai je vais nécessairement dans le Village gai, je regrette mais cela ne veut pas dire que j’y vais nécessairement.

Q : Avez-vous participé à la Fierté gaie?

R :  Je pratique ma sexualité de façon personnelle, c’est ma vie privée, je ne suis pas le genre à m’afficher et à dire que je suis gai. Pour moi, c’est une chose privée, je tiens à ce que vous le sachiez.

Q : J’essaie, Monsieur, de vous donner une chance d’établir votre orientation sexuelle.

R :  Je comprends parfaitement. Cependant, si vous allez commencer à me poser des questions sur le Village gai, je vous dis, je vous dis la vérité, je ne le fréquente pas.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           La page 30 de la transcription, datée du 9 décembre 2010, comporte l’échange suivant, qui a eu lieu après le départ de M. Hassan et après la série de questions sur l’homosexualité du demandeur :

[Traduction

Q : Très bien, nous voici de retour et l’enregistreur est de nouveau en marche. Il y a une question que j’aimerais soulever dans le dossier et il s’agit du fait que, compte tenu de ce que j’ai entendu, j’aimerais réintroduire la question de la crédibilité au sujet de l’homosexualité parce qu’elle n’a pas été introduite lors de la demande initiale. Et il semble aussi y avoir un certain équivoque au sujet de son comportement en rapport avec le Village gai et ce genre de questions-là.

C’est juste pour attirer votre attention sur le fait que je vais revoir cette question.

R :  Vous comprendrez donc, M. le président, que je vais dans ce cas avoir besoin de mon témoin.

Q : Oui, je comprends. Ce sera nécessaire…

      […]

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]           La Commission a poursuivi, aux pages 35 à 37 de la transcription, datée du 9 décembre 2010, en faisant les commentaires suivants :

[Traduction

Q : Très bien. S’il fallait que quelqu’un vous demande où il se situe dans la liste, que diriez-vous?

R :  Dans la liste en termes de quoi?

Q : Est-il du type A, du type B, du type C, êtes-vous au courant de la liste que l’on utilise?

R :  C’est ce qu’on utilise ici, ça je le sais.

Q : Mm-hmm.

R :  Mais c’est très différent là-bas.

Q : Compte tenu de ce que vous savez au sujet de la façon dont on utilise la liste ici, comment décririez-vous Mahar?

R :  Pour être franc avec vous, la façon dont je mène ma vie ici n’est pas la façon dont vit la communauté gaie ici; c’est-à-dire que je n’y vais pas, comme je l’ai dit plus tôt; je ne tiens pas à rouvrir le sujet mais je suis gai juste parce que je couche avec d’autres hommes, comprenez-vous? C’est‑à‑dire qu’il y a d’autres gais qui s’habillent comme des filles ou qui ont l’allure gaie, mais je ne suis pas comme ça. Je ne suis gai que parce que je couche avec d’autres hommes.

Q : Ouais.

R :  Et c’est ça qui fait que je suis gai, je couche avec d’autres hommes.

Q : Dans ce cas, expliquez-moi, comment faites-vous le lien entre votre religion, votre orientation sexuelle et votre réticence à afficher votre sexualité au Canada? Comprenez-vous ce que je veux dire?

R :  Non.

(À l’interprète)

Q : Peut-être, Mme Razuk, pourriez-vous le lui expliquer?

R :  Le lien entre votre…?

Q : Entre votre orientation sexuelle et…

L’AGENTE DU TRIBUNAL (à la personne concernée)

Q : Parce que comment faites-vous le lien entre le fait d’être un homme musulman et…

R :  Parce que je suis musulman.

Q : Vous êtes musulman.

R :  Parce que je suis musulman, Madame.

Q : Dites-nous pourquoi au Canada il y a peu de chances que vous sortiez et que vous affichiez votre orientation sexuelle?

R :  Parce que jusqu’à présent je suis sans statut. Jusqu’à présent, je ne suis pas…

Q : Très bien, vous ne m’avez pas compris. D’accord, vous aimez coucher avec d’autres, avec d’autres hommes.

R :  Ouais, ouais.

Q : Vous vivez au Canada depuis 2008; comment trouvez-vous – expliquez-nous comment vous faites pour coucher avec d’autres hommes.

R :  Jusqu’à présent, même si je vis ici depuis 2008, il est difficile pour moi de sortir en public et de mener la vie d’un gai (inaudible) parce que…

Q : Très bien. Y a-t-il un lien avec votre incapacité à vivre ouvertement votre vie de gai?

R :  Oui, bien sûr, parce qu’il y a la crainte que si je retourne, absolument, parce qu’il y a la crainte que je retourne dans mon pays parce que, je veux dire, jusqu’à présent les choses sont stables pour moi, jusqu’à présent, je ne peux pas vivre ma vie normalement. Et c’est ça ma principale crainte.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Les extraits susmentionnés que cite la Commission laissent perplexe. La Cour est d’avis que les propos de la Commission sont plus que des [traduction] « propos malencontreux ». À vrai dire, le fait que la Commission insiste pour dire qu’une personne, pour être gaie, doit forcément fréquenter le village gai est déraisonnable. À cet égard, un témoin a dit le contraire en déclarant qu’il connaissait un couple [traduction] « qui est ensemble depuis longtemps et qui n’est jamais allé dans le Village et n’a jamais participé à la Parade gaie » (Dossier du tribunal, page 263). Dans sa décision, la Commission n’a pas fait référence à cette preuve.

 

[31]           La Cour est consciente que la Commission a droit à un degré élevé de retenue à l’égard de ses conclusions de fait – y compris ses conclusions relatives à la crédibilité, mais elle estime que les commentaires de la Commission sont stéréotypés et donc déraisonnables.

 

[32]           Par ailleurs, la Commission a commis une erreur en faisant tout bonnement abstraction d’éléments de preuve pertinents que des témoins avaient fournis et qui corroboraient le témoignage du demandeur. Par exemple, M. Khattadi a déclaré que le demandeur était homosexuel (Dossier du tribunal, page 249). Il a également affirmé avoir rencontré le demandeur dans un club de Montréal et qu’il avait eu des relations sexuelles avec lui à sept (7) ou huit (8) reprises (Dossier du tribunal, pages 250 et 251). Par ailleurs, M. Beausoleil, psychologue à la retraite et témoin expert participant au mouvement de défense des droits des homosexuels à Montréal, a déclaré que la disposition ou la capacité d’une personne à parler ouvertement de son homosexualité comporte de nombreux stades. La Cour conclut donc que la Commission a également commis une erreur lorsqu’elle a fondé ses conclusions sur la crédibilité du demandeur sans tenir compte de la déposition de son témoin et de son témoin expert. Dans ces circonstances, il est donc justifié que la Cour intervienne.

 

[33]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que la Cour traite de la question de la partialité.

 

[34]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut qu’il y a lieu d’infirmer la décision de la Commission. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question à certifier, et aucune ne le sera.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accordée.

2.         L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’il réexamine l’affaire conformément aux motifs exposés dans le présent jugement.

3.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2111-11

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD ESSA c. MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken G. Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

Charles Jr. Jean

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allen & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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