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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120106

 

Dossier : DES-6-08

 

Référence : 2012 CF 21

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

ENTRE :

 

DANS L’AFFAIRE D’un certificat signé en vertu

du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la

protection des réfugiés (LIPR);

 

DANS L’AFFAIRE DU renvoi d’un

certificat devant la Cour fédérale en vertu du

paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET DANS L’AFFAIRE DE

MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge HANSEN.

  • [1] La présente requête traite de l’admissibilité de renseignements sur lesquels s’appuie les ministres dans la procédure contre M. Jaballah (défendeur). En particulier, le défendeur demande une ordonnance en vertu de l’alinéa 83(1)(h) et du paragraphe 83(1.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (L.C. 2001, c 27) (LIPR) excluant tout renseignement sur lequel s’appuient les ministres dans cette procédure, y compris toute procédure liée à sa libération en raison de la présence de motifs raisonnables de croire que les renseignements ont été obtenus directement ou indirectement par suite du recours à la torture, au seins de l’article 269.1 du Code criminel du Canada, (L.R.C. (1985), c C-46), ou à la torture età d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (TCID) au sens de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies, 10 décembre 1984, [1987] Can. T.S. No 36.

 

  • [2] Antérieurement, dans le dossier de la Cour DES-7-08, une autre instance portant sur un certificat de sécurité, la personne nommément désignée sur le certificat, M. Mahjoub, a déposé la même requête dans cette affaire. Le juge Blanchard a rendu deux décisions en ce qui concerne la motion de Mahjoub, la première le 9 juin 2010, (2010 CF 787) (373 F.T.R. 36) et la deuxième le 31 août 2010, (2010 CF 937). Dans la présente requête fondée sur le principe de la courtoisie judiciaire, les ministres exhortent la Cour de suivre les décisions du juge Blanchard. En revanche, les ministres ont demandé à la Cour de rejeter l’approche présentée par les avocats spéciaux et le défendeur en ce qui a trait au paragraphe 83(1.1).

 

  • [3] Le 18 juillet 2011, j’ai émis une ordonnance indiquant que pour cause de la courtoisie judiciaire, j’ai adopté et j’appliquerais les décisions du juge Blanchard en ce qui concerne les renseignements contestés dans cette procédure. Le 2 août 2011, j’ai émis des motifs très secrets dans lesquels je tenais compte des éléments d’information précis dont l’admissibilité était contestée par les avocats spéciaux. Une version publique de ces motifs a été émise le 12 août 2011.

 

  • [4] Ces motifs ne traitaient que des présentations des parties et des avocats spéciaux sur la question de l’application du principe de la courtoisie judiciaire. Bien que les avocats spéciaux et le défendeur soient d’accord avec de nombreux aspects de l’approche du juge Blanchard pour déterminer l’admissibilité de la preuve en question, ils contestent certains autres aspects de son approche. Dans le but de fournir un contexte pour les présentations des avocats spéciaux et du défendeur, un résumé des conclusions pertinentes tirées des décisions du 9 juin 2010 et du 31 août 2010 est nécessaire. Au paragraphe 230 de ses motifs du 9 juin 2010, le juge Blanchard a fourni ce résumé de ses conclusions :

 

Compte tenu de la preuve dont je suis saisi et des motifs précédemment exposés, mes conclusions dans le cadre de la présente requête se résument ainsi :

 

1. Il incombe aux ministres de démontrer que les renseignements qu’ils invoquent sont dignes de foi et valables. Ils doivent établir l’admissibilité de ces renseignements. Lorsque la personne visée allègue la torture ou des TCID, c’est à elle qu’il revient de faire valoir l’obtention par suite du recours à la torture ou à d’autres TCID des renseignements invoqués par les ministres. Pour s’acquitter de ce fardeau initial, la personne visée n’a qu’à démontrer l’existence d’un lien plausible entre le recours à la torture ou à des TCID et les renseignements présentés par les ministres. Ceux-ci peuvent alors produire, en fonction de la force de la preuve de la personne visée, les éléments de preuve appropriés en réponse. La Cour décidera ensuite, après avoir entendu les arguments des parties et pris en considération l’ensemble de la preuve dont elle est saisie, s’il y a des motifs raisonnables de croire que la preuve proposée a été obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

2. Compte tenu des éléments dont la Cour dispose, l’approche adoptée par le Service pour [caviardé] [filtrage] des renseignements qu’il recueille pour s’acquitter de son mandat ne suffit pas, malgré les politiques et pratiques mises en œuvre, pour s’assurer que tous les renseignements obtenus de pays ayant un piètre bilan en matière de droits de la personne et invoqués par les ministres en l’instance satisfont au critère d’admissibilité énoncé à l’alinéa 83(1)h) et au paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

 

3. L’alinéa 83(1)h) et le paragraphe 83(1.1) prescrivent d’exclure de l’instance relative au certificat de sécurité les éléments de preuve primaire et de preuve dérivée dont on a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

4. Au vu du dossier, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que tous les renseignements d’origine inconnue émanant de [caviardé] ont été obtenus grâce à la torture ou à des TCID.

 

5. Il y a des motifs raisonnables de croire que les renseignements tirés de l’interrogatoire de [caviardé] ont été obtenus au moyen de la torture. Ces renseignements sont par conséquent non admissibles en preuve, en application de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

 

6. Il y a des motifs raisonnables de croire que les déclarations de culpabilité de M. Mahjoub, [caviardé] [et d’autres personnes mentionnées dans le RRS public] dans le cadre du procès des expulsés d’Albanie ont découlé du recours à la torture. Les renseignements en cause sont par conséquent non admissibles en preuve, en application de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

 

 

 

  • [5] Des détails supplémentaires sont nécessaires en ce qui concerne son analyse liée à la preuve dérivée. Dans ses motifs du 9 juin 2010, au paragraphe 60, le juge Blanchard a défini la preuve dérivée comme « de[s] renseignements ou d[es] éléments de preuve découverts à la suite d’une information obtenue en conséquence du recours à la torture ou à des TCID ». Au paragraphe 72 des mêmes motifs, le juge Blanchard a constaté qu’une détermination à savoir si la preuve est une preuve dérivée est une question de fait. En ce qui concerne la question liée au fardeau de la preuve, il a conclu que si la preuve supposément dérivée de la torture est une preuve sur laquelle les ministres s’appuient, les ministres assument le fardeau de la preuve d’établir son admissibilité. Dans ce cas, il suffit que lapersonne nommément désignée « établisse un lien plausible entre la preuve précédemment exclue et la preuve offerte ». Une fois qu’un lien plausible a été démontré, l’approche utilisée pour déterminer l’admissibilité de la preuve primaire est appliquée pour déterminer l’admissibilité de la preuve présumée dérivée de la torture.

 

  • [6] Dans ses motifs du 31 août 2010, au paragraphe 7, le juge Blanchard a présenté la question comme [traduction] « si les renseignements identifiés par les avocats spéciaux doivent être exclus pour que le RSI révisé corresponde à la décision du 9 juin 2010 ». La prise en considération de la question, au paragraphe 44, à savoir [traduction] « […] si les renseignements obtenus par les procédures d’enquête autorisées par un mandat ont été obtenus de façon dérivée par la torture dans les cas où le mandat a été autorisé en fonction des renseignements qui ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID est particulièrement pertinente pour la présente requête. »

 

  • [7] Le juge Blanchard a comparé l’objet des dispositions pertinentes de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (L.R.C. (1985), c C-23 et de la LIPR ainsi que le rôle de la Cour relativement à chacun. Le juge Blanchard a rejeté l’argument des ministres voulant que les renseignements obtenus au moyen de mandats valides légalement sont amissibles et que la Cour ne devrait pas examiner ex post facto les motifs du juge ayant accordé l’autorisation. À son avis, cette position ne donnerait pas effet au paragraphe 83(1.1) et sa conclusion antérieure voulant que la preuve indirectement obtenue par la torture est inadmissible. De plus, l’omission de prendre en considération les renseignements utilisés à l’appui de l’application du mandat pourraient indiquer que la Cour admet les renseignements de la preuve dérivée de la torture ou des TCID.

 

  • [8] Le juge Blanchard a conclu que si certains renseignements contenus dans l’affidavit à l’appui du mandat avaient été jugés inadmissibles par la Cour en vertu du paragraphe 83(1.1), le fardeau initial de démontrer un lien plausible entre la preuve exclue précédemment et la preuve proposée par les ministres aurait été satisfait. Le juge devait ensuite tenir compte de l’ensemble de la preuve pour déterminer s’il existait des motifs raisonnables de croire que les renseignements obtenus grâce aux pouvoirs conférés par le mandat ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

  • [9] Lorsque le mandat est autorisé en fonction de renseignements qui n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID et de renseignements qui ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID, le juge Blanchard a fait allusion au critère tel qu’il figure au paragraphe 51 [traduction] « […] Si ce n’était la preuve obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID, aurait-on pu obtenir les renseignements contestés? Plus précisément : Si ce n’était la preuve obtenue par la torture ou les TCID dans l’affidavit à l’appui du mandat, le mandat aurait-il été émis et aurait-on pu obtenir les renseignements découlant des interceptions? Dans l’affirmative, il est impossible de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements obtenus au moyen du mandat ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. »

 

  • [10] Il a ajouté au paragraphe 53 que [traduction] « … le juge chargé d’examiner la preuve dans l’affidavit présenté à l’appui du mandat doit être convaincu que, si ce n’était les renseignements qui, selon des motifs raisonnables, auraient été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID, les éléments probants restants étaient suffisants pour justifier l’émission du mandat ». C’est-à-dire les exigences législatives pour l’émission du mandat. Si les éléments de preuve la preuve était suffisante pour justifier l’émission du mandat, il est impossible d’affirmer que le mandat a été émis en fonction de renseignements obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Il y aurait des renseignements non entachés pour justifier l’émission du mandat.

 

  • [11] Avant d’aborder les aspects précis du différend, il est important de souligner qu’en fonction d’une entente entre les parties, les dossiers ouverts et clos dans la requête Mahjoub font partie du dossier dans cette requête. De plus, le défendeur n’a présenté aucune preuve supplémentaire concernant cette requête.

 

  • [12] Les avocats spéciaux sont en désaccord avec deux éléments de l’analyse du juge Blanchard. Le premier désaccord traite de son approche en ce qui concerne les renseignements de source inconnue. Ils conviennent que les ministres assument le fardeau de convaincre la Cour que les renseignements sur lesquels ils s’appuient sont fiables et approprié et, par conséquent, admissibles; que le fardeau d’établir qu’il existe des motifs raisonnables de croie que les renseignements n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID revient aux ministres; que la personne nommément désignée n’a qu’à démontrer un lien plausible entre le recours à la torture ou à des TCID et les renseignements présentés par les ministres.

 

  • [13] Ils sont également d’accord avec la conclusion selon laquelle en fonction du dossier, aucun élément objectif ne permet de croire que tous les renseignements de source inconnue en question ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Cependant, ils soutiennent que dans son application des principes qu’il a formulés en ce qui concerne les renseignements de source inconnue, en fait, le juge Blanchard a permis que le fardeau des ministres soit levé. En particulier, ils contestent sa conclusion [traduction] « implicite » selon laquelle le fardeau de la preuve n’incombe pas aux ministres de prouver que les renseignements de source inconnue utilisés dans le cas de la procédure n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. De plus, les avocats spéciaux soutiennent que, par déduction, le juge Blanchard a placé le fardeau de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements de source inconnue ont été obtenus par le recours à la torture ou à des TCID sur la personne nommément désignée ou sur les avocats spéciaux.

 

  • [14] Les avocats spéciaux proposent l’approche suivante. Pour veiller à ce que le fardeau lié aux renseignements de source inconnue ne revienne pas à personne nommément désignée, les avocats spéciaux affirment qu’une fois que la personne nommément désignée a révélé un lien plausible entre le recours à la torture des TCID et les renseignements présentés par les ministres, conformément aux pratiques générales de l’organisme en question, il y a présomption que tous les renseignements provenant de cet organisme ont été obtenus par le recours à la torture ou à des TCID ou comportaient un tel recours. Pour réfuter la présomption, les ministres doivent prouver qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’un élément particulier des renseignements obtenus par le recours à la torture ou à des TCID ou comportaient un tel recours. En l’absence d’éléments prouvant le contraire, la présomption contraint à formuler une conclusion de fait selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

  • [15] Les avocats spéciaux soutiennent que leur approche ne fait qu’ajouter ou approfondir les principes formulés par le juge Blanchard et offre un mécanisme qui correspondent à ses motifs pour s’assurer que le fardeau d’établir l’admissibilité de la preuve continue d’incomber aux ministres. Pour cette raison, les avocats spéciaux mentionnent que leur approche de présomption réfutable n’implique pas le principe de la courtoisie judiciaire.

 

  • [16] Le deuxième point de désaccord des avocats spéciaux qui, ils le reconnaissent, implique le principe de la courtoisie judiciaire concerne l’analyse du juge Blanchard en ce qui a trait à la preuve dérivée. Avant d’aller plus loin, certaines précisions s’imposent en ce qui concerne la terminologie. Le juge Blanchard, dans ses motifs, a utilisé les expressions preuve « primaire » et preuve « dérivée ». Plutôt que l'expression preuve « dérivée », les avocats spéciaux et le défendeur qualifient cette preuve de preuve [traduction] « secondaire » ou obtenue [traduction] « indirectement ».

 

  • [17] Les avocats spéciaux sont d’accord avec la conclusion du juge Blanchard selon laquelle le paragraphe 83(1.1) avait pour but d’exclure les éléments de preuve la preuve primaire que la preuve obtenue indirectement. Cependant, ils contestent sa définition de preuve obtenue indirectement sur laquelle il fonde son critère pour l’exclusion de la preuve obtenue indirectement. Ils soutiennent que sa définition de preuve obtenue indirectement, notamment selon laquelle [traduction] « la preuve dérivée est constituée des renseignements ou de la preuve découverts grâce à des renseignements obtenus par le recours à la torture ou à des TCID » provient de la définition de preuve dérivée qui figure au paragraphe 24(2) de la Charte, jurisprudence qui ne s’applique pas dans le contexte du paragraphe 83(1.1) de la LIPR. Selon cette définition contraignante du terme « preuve obtenue indirectement », c’est-à-dire la preuve obtenue par suite de, le juge Blanchard a encadré le critère pour l’exclusion d’une telle preuve [traduction] « mais pour la preuve obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID, si les renseignements contestés avaient été obtenus ». Les avocats spéciaux soutiennent que ce critère « si ce n’était » envisage un lien causal très solide et en l’absence d’un tel lien, la preuve obtenue indirectement seraient admissibles. En ce qui concerne le paragraphe 83(1.1) et ses justifications sous-jacentes, les avocats spéciaux affirment que l’expression preuve indirectement obtenue par le recours à la torture ou à des TCID devrait être définie de façon plus générale comme toute preuve obtenue grâce à la preuve obtenue par le recours à la torture ou à des TCID.

 

  • [18] En ce qui concerne l’application du principe de la courtoisie judiciaire, ils font référence à la décision du juge Lemieux dans Re Almrei, 2007 CF 1025. Aux paragraphes 61 et 62, il a mentionné que :

 

[61] Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. Je cite les causes suivantes :

 

Haghighi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 272;

 

Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461;

 

Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446;

 

Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283;

 

Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1008;

 

Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1005

 

Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., (1996), 67 C.P.R. (3d) 377;

 

Bell c. Cessma Aircraft Co., [1983] 149 DLR (3d) 509 (C.A. C.‑B.)

 

Glaxco Group Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al., 64 C.P.R. (3d) 65;

 

Steamship Lines Ltd. c. M.N.R., [1966] R. C. de l’É. 972.

 

 

[62] Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci-dessus; ce sont les suivants :

 

1. Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes ;

 

2. Les cas cas où la question à trancher est différente;

 

3. Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est‑à‑dire lorsque la décision était manifestement erronée;

 

4. Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

 

  • [19] Les avocats spéciaux sont d’avis que les exceptions formulées par le juge Lemieux ne devraient pas être considérées comme exhaustives. À cet égard, ils affirment qu’en vertu de la troisième exception, une décision pourrait être manifestement erronée pour d’autres raisons qu’une omission de tenir compte de la loi pertinente ou de suivre des dispositions faisant autorité. En particulier, la troisième exception dans Almrei peut également être formulé comme [traduction] « la décision précédente a omis de tenir compte […] “autorité convaincante” ». Les avocats spéciaux soutiennent que si le juge précédent, pour en arriver à la décision, n’a pas tenu compte de l’autorité convaincante, un juge de compétence coordonnée devrait refuser de suivre la décision si l’autorité convaincante rend une décision préférable au chapitre de l’évolution du droit. Les avocats spéciaux affirment que la prise en considération importante devrait porter sur la détermination à savoir si le juge est persuadé que la décision précédente était manifestement erronée. L’objectif ultime est de rendre justice dans l’affaire dont la Cour est saisie actuellement.

 

  • [20] Les avocats spéciaux soutiennent que la décision du juge Blanchard est manifestement erronée pour deux raisons : il a omis de tenir compte des autorités convaincantes internationales et sa décision constitue une incohérence interne. Ils soulignent qu’en ce qui concerne la question de l’attribution du fardeau de la preuve, en fait, le juge Blanchard a adopté l’approche de la majorité de la Chambre des lords dans la décision A and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2005] UKHL 71. À leur avis, cela est particulièrement évident en ce qui concerne le seuil très élevé qu’il a établi pour l’exclusion de la preuve obtenue indirectement par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

  • [21] Les avocats spéciaux soulignent que dans le rapport de 2006 du Rapporteur spécial à l’Assemblée générale des Nations Unies sur la torture ou les TCID, le Rapporteur spécial a critiqué l’attribution du fardeau de la preuve dans l’application de l’article 15 de la Convention contre la torture par la majorité de la Chambre des lords dans A and Others. Le Rapporteur spécial endosse l’approche dans l’opinion minoritaire en soulignant qu’il s’agissait de l’approche du comité contre la torture dans son application de l’article 15 de la Convention contre la torture. Les avocats spéciaux prétendent que le juge Blanchard n’a pas examiné ces autorités internationales, les experts dans l’application de la Convention contre la torture. À leur avis, une prise en considération de ces autorités aurait vraisemblablement entraîné un résultat différent.

 

  • [22] En ce qui concerne les incompatibilités internes dans la décision, les avocats spéciaux soutiennent que la conclusion implicite selon laquelle ce n’est pas aux ministres qu’il incombe de prouver que les renseignements de source inconnue contenus dans le Rapport de service d’intelligence ne sont pas le produit de la torture ou des TCID et, par inférence, place le fardeau de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements de source inconnue ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID contre la personne nommément désignée ou les avocats spéciaux ne correspond pas aux principes que le juge Blanchard a formulés dans sa décision.

 

  • [23] Les avocats spéciaux soulignent que leurs présentations concernant la troisième exception chevauchent leur position concernant la quatrième exception sur laquelle ils s’appuient principalement. C’est-à-dire que la décision, si elle était suivie, créerait une injustice. Les avocats spéciaux soutiennent que même si le défaut de tenir compte des autorités convaincantes ne constitue pas une erreur manifeste, une injustice est tout de même constatée. Les avocats spéciaux affirment que le critère pour l’admissibilité de la preuve secondaire que le juge Blanchard a formulé place de façon injuste le fardeau sur la personne nommément désignée, fardeau qu’elle ne pouvait pas assumer, et est contraire aux principes généraux relativement auxquels le fardeau de prouver l’admissibilité revient aux ministres. Ce fardeau est attribué aux ministres non seulement par la loi en tant que telle, mais aussi pour des raisons pratiques et, plus important encore, pour des raisons d’équité fondamentale.

 

  • [24] Les avocats spéciaux soutiennent que le critère [traduction] « si ce n’était » du juge Blanchard pour déterminer l’admissibilité de la preuve obtenue indirectement est contraire aux principes d’équité qu’il reconnaît dans ses motifs. Par conséquent, s’il est appliqué dans le présent cas, il créerait une injustice, car cela nuirait à l’équité de cette procédure. Le défendeur pourrait donc être privé de liberté et de sécurité en fonction de la preuve condamnée à l’international et dans la loi canadienne.

 

  • [25] Le défendeur adopte et appuie les présentations des avocats spéciaux sur la question de la courtoisie judiciaire et formule les présentations supplémentaires suivantes. S’appuyant sur le cas de Zuria c. Mission Institution, 2010 BCSC 970, le défendeur soutient que le principe de la courtoisie judiciaire n’est pas une règle de droit. Il fournit plutôt une structure pour l’exercice du pouvoir de discrétion judiciaire guidé par le principe très important des meilleurs intérêts de la justice dans le contexte du cas particulier dont la Cour est saisie. Bien que ces intérêts comportent manifestement la pertinence, la certitude et la prévisibilité dans la loi et dans son application, ils comprennent également d’autres intérêts.

 

  • [26] Le défendeur insiste sur le fait que le principe de la courtoisie judiciaire et les exceptions énumérées pour l’application du principe ne devraient pas être appliqués de façon mécanique ou restreinte ou être considérées comme exhaustives. Il affirme que la Cour peut s’écarter de la décision du juge Blanchard si elle est persuadée que la décision est manifestement erronée ou que, dans ce cas, les intérêts de la justice nécessitent qu’elle le fasse. En ce qui concerne ce dernier aspect, les intérêts de la justice nécessitent une évaluation des facteurs pertinents au cas par cas.

 

  • [27] De plus, en déterminant si le principe de la courtoisie judiciaire peut être appliqué dans le présent cas, la Cour doit garder à l’esprit le contexte dans lequel l’affaire se déroule, en particulier es répercussions du processus de certificat de sécurité sur la sécurité et la liberté d’une personne et l’existence de violations flagrantes des droits de la personne impliquant le recours à la torture ou à des TCID qui sont condamnés par la société et condamnés par l’administration de la justice. De plus, le défendeur souligne la nature sui generis des procédures ne matière de certificat de sécurité et que l’application du principe de la courtoisie judiciaire dans ce contexte n’a pas été pris en considération auparavant dans la jurisprudence.

 

 

  • [29] Le défendeur est d’avis que les événements qui se sont produits dans l’affaire Mahjoub placent clairement le présent cas dans la troisième exception, ou, en revanche, sont si analogues aux circonstances sur lesquelles se fondent l’exception qu’ils devraient, de façon similaire, aller à l’encontre du principe de la courtoisie judiciaire. Le défendeur prétend que les circonstances entourant l’audience de la requête dans l’affaire Mahjoub empêchaient effectivement la tenue d’une pleine consultation des autorités pertinentes par le juge Blanchard et l’ont empêché de bénéficier de présentations complètes et raisonnablement documentées par les avocats du secteur public. De plus, les circonstances dans ce cas ont entraîné des répercussions sur le respect du principe de la transparence des tribunaux.

 

  • [30] Le défendeur conteste la déclaration des ministres selon laquelle la requête présentée devant le juge Blanchard à laquelle son avocat a participé était exhaustive et toutes les questions soulevées dans la présente requête auraient pu être soulevées à ce moment. Le défendeur souligne que, contrairement au présent cas, la requête dans l’affaire Mahjoub était bifurquée et a entraîné deux décisions liées, mais particulières. Dans sa décision du 9 juin 2010, le juge Blanchard a traité de l’admissibilité de la preuve primaire et a soutenu que le paragraphe 83(1.1) avait également trait à la preuve dérivée ou secondaire. Dans sa décision du 31 août 2010, il a déterminé l’admissibilité de la preuve secondaire.

 

  • [31] Le défendeur souligne qu’il est clair qu’au moment des présentations écrites de l’avocat du secteur public dans la requête Mahjoub, la question de la preuve secondaire n’était pas envisagée. La question de la preuve secondaire a d’abord été soulevée dans l’argument oral dans le contexte de la discussion à savoir si le paragraphe 83(1.1) englobait la preuve secondaire. Sur invitation de la Cour, l’avocat du secteur public a fait des présentations sur le caractère applicable de la jurisprudence en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte élaboré dans le contexte du droit criminel et, plus tard, présentés des observations écrites sur l’historique législatif de la disposition en vue d’aborder la question à savoir si la disposition englobait non seulement les renseignements et la preuve directement obtenus, mais également les renseignements et la preuve obtenus indirectement par suite du recours à la torture ou à des TCID. Cependant, ces présentations ne traitaient pas de la nature de la preuve obtenue indirectement ou du critère pour l’admissibilité de renseignements ou de la preuve obtenus indirectement. Au cours de l’audience à laquelle les anciens avocats de M. Mahjoub ont participé, leurs présentations se limitaient à la façon dont la preuve obtenue indirectement ou la preuve secondaire ne devrait pas être définie et à une brève déclaration voulant que la preuve obtenue indirectement devrait être exclue, à moins que les ministres puissent établir qu’elle est suffisamment distincte ou qu’il a été démontré qu’elle était atténue dans une chaîne de causalité afin de convaincre la Cour qu’elle est issue d’une source indépendante qui n’est pas entachée par la torture ou les TCID. Par la suite, lorsque la Cour a été confronté à la question du critère pour l’admissibilité de la preuve obtenue indirectement, la Cour, pour des raisons entièrement hors de son contrôle, n’a pas eu la possibilité de solliciter et d’examiner les présentations sur cette question de l’avocat du secteur privé. Le défendeur insiste sur le fait que la position prise en ce qui concerne la présente requête ne devrait pas du tout être interprétée comme une critique du comportement du juge Blanchard dans l’affaire Mahjoub.

 

  • [32] Avant de déterminer si le principe de la courtoisie judiciaire devrait être appliqué dans le cas présent, la première question est de déterminer si l’approche de la présomption réfutable présentée par les avocats spéciaux implique le principe de la courtoisie judiciaire. À mon avis, c’est le cas. Les avocats spéciaux reconnaissent que cette approche nécessite de lire une présentation légale au paragraphe 83(1.1). Cela va à l’encontre de l’interprétation de la disposition voulant qu’elle ne sert que « pour préciser que les éléments de preuve dignes de foi et utiles n’incluent pas les informations qui, a‑t‑on des motifs raisonnables de croire, ont été obtenues sous la torture » formulée par le juge Justice Dawson dans Jaballah II, 2010 CF 224, au paragraphe 65, adoptée par le juge Blanchard dans sa décision. De plus, dans sa décision du 9 juin 2010, le juge Blanchard a constaté qu’en tant que partie qui présente la preuve, le fardeau d’établir son admissibilité repose sur les ministres. Cependant, il a souligné que lorsque la personne visée allègue la torture ou des TCID, « c’est à elle qu’il revient de faire valoir l’obtention par suite du recours à la torture » en montrant un lien plausible entre le recours à la torture ou à des TCID et la preuve sur laquelle les ministres souhaitent s’appuyer. Le fait qu’il s’agisse d’un faible seuil à atteindre n’est pas contesté. En effet, il s’agit du moyen par lequel la personne nommément désignée conteste l’admissibilité de la preuve en vertu du paragraphe 83(1.1) et nécessite que les ministres assument leur fardeau d’établir l’admissibilité de la preuve. En revanche, l’approche de présomption réfutable ne nécessiterait rien de plus que l’atteinte du faible seuil du lien plausible pour obliger le juge des faits, en l’absence d’une preuve du contraire, à constater que la preuve est inadmissible en vertu du paragraphe 83(1.1). Comme le soulignent les ministres, l’approche de présomption réfutable l’emporterait sur la norme d’origine législative de la preuve de « motifs raisonnables de croire ». À mon avis, l’approche de présomption réfutable est plus qu’un mécanisme pour s’assurer que le fardeau de la preuve incombe toujours aux ministres et représente un éloignement du cadre d’analyse formulé par le juge Blanchard.

 

  • [33] En ce qui concerne l’application du principe de la courtoisie judiciaire, en particulier les deux premières exceptions identifiées par le juge Lemieux dans Almrei, précité, il n’est pas contesté que les questions soulevées dans cette requête sont les mêmes que celles qui sont soulevées dans la requête Mahjoub. De plus, bien que les fais et le fondement probatoire dans la procédure sous-jacente en matière de certificat de sécurité dans ce cas ne soient pas les mêmes que ceux dans l’affaire Mahjoub, les requêtes en vertu du paragraphe 83(1.1) dans les deux cas sont fondées sur le même dossier probatoire et il n’existe aucun fait différent important.

 

  • [34] En ce qui a trait à la troisième exception, conformément à ce qui est établi ci‑dessus, les avocats spéciaux affirment qu’une décision peut être manifestement erronée parce qu’une autorité convaincante n’a pas été suivie. Il n’est pas nécessaire, aux fins de ces motifs, de traiter de la question à savoir si les deux autorités internationales dont ont parlé les avocats spéciaux sont des autorités convaincantes. La troisième exception permet à un juge de s’éloigner d’une décision antérieure d’un juge d’une compétence coordonnée parce qu’elle est manifestement erronée. Que ce soit dans la jurisprudence d’appel ou de première instance, une décision manifestement erronée concerne une omission d’appliquer la législation pertinente ou l’autorité prévue par la loi n’a pas été suivie : voir par exemple, Miller c Canada (procureur général), 2002 CAF 370; 220 DLR (4th) 149; Janssen Pharmaceutical Inc. c Apotex Inc. (1997), 208 N.R. 395; Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2007] 1 RCF 107. Les avocats spéciaux ne font référence à aucune autorité pour la proposition selon laquelle une omission de suivre l’autorité convaincante entraînera une décision manifestement erronée, et je n’ai pas été en mesure de constater une telle autorité.

 

  • [35] En ce qui concerne l’argument voulant que la décision Mahjoub soit manifestement erronée parce qu’elle constitue une incohérence interne, je souligne que cet argument est fondé sur l’affirmation qu’en ce qui a trait aux renseignements de source inconnue, le juge Blanchard a constaté de façon implicite que les ministres n’assument pas le fardeau de prouver leur admissibilité et, par déduction, la personne nommément désignée assume le fardeau de prouver leur admissibilité. Je rejette cette affirmation.

 

  • [36] Dans Mahjoub, il était soutenu qu’en présence d’une pratique des États de torture ou de TCID systémique et persuasive, la Cour peut tirer une conclusion raisonnable selon laquelle les renseignements de source inconnue ont été obtenu par la torture ou les TCID. Il se peut qu’en l’absence de toute autre preuve, cela pourrait constituer une conclusion raisonnable. Cependant, dans l’affaire Mahjoub, une autre preuve a été présentée. Comme l’a déclaré le juge Blanchard dans sa décision du 9 juin 2010, au paragraphe 168 :

  On l’a dit, pour que soit respecté le critère des « motifs raisonnables de croire », il faut qu’on ait davantage que de simples soupçons, sans qu’il soit toutefois nécessaire d’atteindre la norme de preuve de la prépondérance des probabilités, qui s’applique habituellement dans les affaires civiles. Essentiellement, il existe des motifs raisonnables lorsque ce que l’on croit repose – sur la foi de renseignements déterminants et crédibles – sur un fondement objectif. Or au vu du dossier dont je suis saisi, je conclus en l’absence de fondement objectif permettant de croire que tous les renseignements de source inconnue émanant de [caviardé] ont été obtenus par recours à la torture ou à des TCID. La preuve démontre qu’une part importante des renseignements recueillis [caviardé] le sont par des méthodes autres que la torture ou les TCID. [Non signalé dans l’original.]

 

  • [37] À mon avis, cela ne correspond pas à une levée du fardeau des ministres de prouver l’admissibilité de la preuve. Cela correspond plutôt à une prise en considération de l’ensemble de la preuve en tenant compte des conclusions formulées au paragraphe 59 de la décision du 9 juin 2010 résumée au paragraphe 4 ci-haut. Je ne constate aucune incohérence dans la décision du 9 juin 2010 et je tiens à souligner que dans la décision du 31 août 2010, le juge Blanchard a tout simplement appliqué sa conclusion antérieure en ce qui concerne les renseignements de source inconnue.

 

  • [38] Conformément à ce qui est souligné ci-haut, les avocats spéciaux s’appuient principalement sur les quatre exceptions identifiées par le juge Lemieux, notamment que [traduction] « la décision, si elle est suivie, créerait une injustice ». Les ministres soutiennent qu’en fonction de la jurisprudence de la Cour, il doit s’agir d’une [traduction] « injustice grave ». Les ministres soulignent également que bien que l’exception d’« injustice grave » soit répétée dans la jurisprudence subséquente de la Cour fédérale, elle ne figure pas dans la jurisprudence subséquente de la Cour d’appel fédérale. Plus particulièrement, elle ne figure pas dans la décision de la Cour d’appel dans Janssen Pharmaceuticals Inc. ci-haut. De plus, étant donné l’absence de jurisprudence concernant cette exception, les ministres soutiennent que l’injustice grave doit être liée d’une certaine façon à la justification pour les autres exceptions à la courtoisie judiciaire, c’est-à-dire qu’elle doit viser à approfondir la cohérence, la clarté et la prévisibilité dans la common law.

 

  • [39] Il est utile d’examiner les cas étudiés par le juge Lemieux dans lesquels il a soustrait les exceptions qu’il a identifiées au paragraphe 62 de ses motifs. Dans la jurisprudence citée, la première fois qu’une exception fondée sur l’injustice qui serait créée si la décision antérieure n’était pas suivie figure dans Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 64 C.P.R. (3d) 65. Dans Glaxo, au paragraphe 10, le juge Richard faisant référence à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 D.L.R. (3d) 509 à 511 a déclaré :

[traduction]

 

Le principe de la courtoisie judiciaire a été énoncé de la manière suivante :

 

Il est généralement admis que la présente cour doit se conformer à ses décisions antérieures à moins qu’il ne soit possible de démontrer que ces décisions antérieures étaient manifestement erronées ou ne devraient plus être appliquées lorsque, par exemple, (1) la cour n’a pas tenu compte dans ses décisions de dispositions législatives ou de décisions antérieures qui auraient entraîné un résultat différent ou (2), si elles sont suivies, la décision entraînerait une injustice grave. La raison qui est invoquée en règle générale pour justifier cette attitude est la courtoisie judiciaire. Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’une raison fondamentale justifiant une telle approche, je pense qu’il existe un motif tout aussi fondamental sinon plus impérieux et il s’agit de la nécessité d’une certaine certitude quant au sens de la loi, dans la mesure où celle-ci peut être établie. La position des avocats serait intenable lorsqu’ils conseillent leurs clients si une section de la cour était libre de rendre sa décision sur un appel sans tenir compte d’une décision antérieure ou du principe qui y était en cause.

 

 

  • [40] Outre ces cas dans lesquels la déclaration « la décision, si elle était suivie, entraînerait une injustice grave » du juge Richard est précisément citée, aucun des cas cités par le juge Lemieux ne mentionne une exception en fonction de l’injustice qui serait créée si la décision antérieure était suivie. Puisque la différence entre l’injustice et l’injustice grave n’est pas abordée dans Almrei et étant donné que la formulation des exceptions à la courtoisie judiciaire formulée par le juge Lemieux était fondée sur son examen des décisions citées, je présume qu’une reformulation de l’exception n’était pas visée. Je constate un certain soutien de ce point de vue dans la décision du juge Mosley dans Almrei (Re), 2009 CF 3 alors qu’au paragraphe 85, il établit les exceptions identifiées par le juge Lemieux et, au paragraphe 89, il ajoute que [traduction] « [l]es autorités indiquent que le point de vue généralement reconnu est que la Cour n’est pas tenue de suivre une décision antérieure lorsque la décision, si elle était suivie, causerait une injustice grave ou lorsque des décisions subséquentes ont nui à la validité du jugement contesté : Glaxo Group, précité, au paragraphe 10; Re Hansard, précité, aux paragraphes 4 et 5. » Cependant, comme je le ferai ressortir, aux fins de la présente requête, il est inutile de déterminer si l’exception est liée à une injustice grave ou une injustice.

 

  • [41] Conformément à ce qui figure ci-haut, les avocats spéciaux s’appuient principalement sur les quatre exceptions identifiées par le juge Lemieux. En résumé, ils affirment que le critère du juge Blanchard en ce qui concerne l’admissibilité de la preuve secondaire place de façon injuste un fardeau sur la personne nommément désignée et créerait une injustice s’il était appliqué dans le présent cas. Je rejette cet argument. En fait, il est fondé sur le désaccord des avocats spéciaux quant à la décision du juge Blanchard en ce qui concerne le critère pour l’admissibilité de la preuve secondaire dans leur conclusion selon laquelle elle est erronée, car il n’a pas adopté l’approche des autorités internationales. Avant d’aller plus loin, je dois souligner que je n’accepte pas le point de vue des avocats spéciaux voulant que le critère du juge Blanchard place le fardeau sur la personne nommément désignée. Cela mis à part, à mon avis, pour justifier un éloignement d’une décision antérieure, l’injustice alléguée doit découler d’autre chose que d’un désaccord avec la décision, autrement le principe de la courtoisie judiciaire serait vide de sens.

 

  • [42] En ce qui concerne la présentation du défendeur fondée sur la troisième exception dans Re Hansard, le défendeur n’exerce aucune pression concernant la présentation selon laquelle la décision du 31 août 2010 était une décision nisi prius dans le sens d’une décision immédiate donnée au cours d’un procès, sans avoir la possibilité de tenir compte des autorités pertinentes. Le défendeur affirme plutôt que les événements entourant la requête Mahjoub sont analogues aux circonstances sur lesquelles l’exception est fondée.

 

  • [43] Voici un résumé des circonstances entourant l’audience de la requête dans l’affaire Mahjoub. Après la seizième journée d’audience de la requête qui s’est conclu en avril 2010, le juge Blanchard a émis des motifs et une ordonnance sur la portée et l’application du paragraphe 83(1.1) le 9 juin 2010. Le 14 juin 2010, l’avocat de M. Mahjoub a été retiré comme avocat inscrit au dossier. Le 7 juillet 2010, les ministres ont produit un Rapport de service d’intelligence (RSI) ainsi qu’un résumé public du RSI au moyen des exclusions de renseignements proposées qui, selon eux, étaient conformes à l’ordonnance du 9 juin 2010. Le 8 juillet 2010, les avocats spéciaux ont mentionné que les renseignements supplémentaires et les références de source correspondante devaient être exclus du RSI. Le14 juillet 2010, au cours d’une audience à huis clos, la Cour a entendu les arguments sur la question à savoir si les renseignements supplémentaires devaient être exclus. Les nouveaux avocats de M. Mahjoub ont déposé leur nomination comme avocats le 21 juillet 2010 et informé la Cour qu’ils avaient besoin de temps pour examiner le dossier avant de procéder. Conformément à ce qui est souligné ci-haut, le juge Blanchard a émis des motifs très secrets le 31 août 2010.

 

  • [44] La présentation du défendeur voulant qu’en formulant sa décision, le juge Blanchard n’avait pas eu la possibilité d’examiner pleinement les présentations des avocats et de consulter les autorités pertinentes certaines affirmations. En ce qui concerne l’absence d’une occasion de faire des présentations sur la question de la preuve dérivée, bien qu’il soit vrai que la question n’a pas été abordée dans les présentations écrites, l’avocat du secteur public avait la possibilité de discuter des questions juridiques soulevées dans la requêtes avec les avocats spéciaux, avant de présenter leurs observations de vive voix. Dans ses observations de vive voix le 16 avril 2010, l’avocat du secteur public a soulevé la question de la preuve dérivée et a fait allusion à un critère « si ce n’était ». L’avocat a également averti la Cour lorsqu’il s’agissait d’aborder certains genres de preuve dans le contexte de la preuve dérivée, à la lumière de la preuve de l’un des témoins experts. Je comprends que l’avocat du secteur public ne connaissait pas la nature et la portée des renseignements sur lesquels s’appuyaient les ministres, mais la question à savoir si la preuve dérivée relevait du paragraphe 83(1.1) et portant sur le critère pour l’admissibilité de la preuve dérivée étaient des questions d’actualité à ce moment. Conformément à ce qui figure ci-dessous, la décision du 31 août 2010 a été rendue à la suite de l’application contestée du 9 juin 2010.

 

  • [45] En ce qui concerne le processus en tant que tel, le défendeur qualifie la requête Mahjoub de requête bifurquée. Bien que le juge Blanchard ait rendu deux décisions, la deuxième a soulevé, à la suite de l’application contestée de la première décision pour le RSI, un différend qui, étant donné la nature des renseignements, devait être traité au cours d’une audience à huis clos. Il ne s’agissait pas d’une situation pour laquelle il était envisagé dès le début que la requête serait traitée en deux étapes avec des audiences publiques à chaque étape. À mon avis, la différence est importante, puisqu’à la conclusion de l’audience publique de la requête, les présentations supplémentaires de l’avocat du secteur public n’étaient pas envisagées, à moins que, conformément à la discussion tenue à la fin de l’audience, la Cour était d’avis que l’aide supplémentaire de l’avocat du secteur public était requise.

 

  • [46] Le défendeur souligne que lorsque la Cour a tenu compte du critère pour l’admissibilité de la preuve secondaire, [traduction] « en fait, il n’y avait aucun avocat du secteur public sur qui elle pouvait compter pour obtenir de l’aide ». Cette affirmation est aussi problématique. Cette affirmation expose la suggestion voulant que la Cour n’aurait pas demandé l’aide des at du nouveaux avocats du secteur public et a pris des dispositions quelconques, selon les circonstances, pendant qu’ils se familiarisaient avec le dossier, si leur aide ou leur participation était requise.

 

  • [47] Dans l’argumentation orale, le défendeur a souligné qu’au cours de l’audience du 14 juin 2010 sur la requête déposée par l’avocat du secteur public pour qu’il soit retiré des avocats inscrits au dossier, la Cour a précisé clairement à M. Mahjoub que l’affaire allait se poursuivre à huis clos. Après que la Cour a déclaré que la requête serait accordée, une discussion a eu lieu avec les avocats spéciaux et les avocats des ministres au sujet des travaux qui pouvaient être accomplis pendant que M. Mahjoub cherchait un nouvel avocat, en particulier les questions découlant de l’ordonnance du 9 juin 2010 qui devaient être traitées à huis clos. Bien que la Cour ait précisé avec insistance à M. Mahjoub l’importance de nommer un nouvel avocat du secteur public sans attendre et la nécessité de faire avancer l’affaire, rien n’indiquait que, sauf en ce qui concerne les questions identifiées, l’affaire allait se poursuivre sans avocat du secteur public.

 

  • [48] Après avoir examiné le dossier dans la requête Mahjoub, je ne suis pas en mesure de soutenir que les circonstances entourant l’audience de la requête dans cette affaire sont telles que dans le présent cas, le principe de la courtoisie judiciaire ne devrait pas être appliqué.

 

  • [49] Pour les motifs précisés ci-hauts, j’ai conclu que le principe de la courtoisie judiciaire d’applique et j’ai adopté et appliqué le cadre d’analyse formulée par le juge Blanchard dans ses décisions du 9 juin et du 31 août 2010.

 

 

 

 

« Dolores M. Hansen »

Judge

 

Ottawa (Ontario)

Le 6 janvier 2012

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :    DES-6-08

 

 

INTITULÉ : 

 

DANS L’AFFAIRE D’un certificat signé en vertu

du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la

protection des réfugiés (LIPR);

 

DANS L’AFFAIRE DU renvoi d’un

certificat devant la Cour fédérale en vertu du

paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET DANS L’AFFAIRE DE

MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE : Les 20, 24, 25, 26, 27 et 28 janvier 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  La juge Hansen

 

 

DATE :  Le 6 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me M. Edwardh  Pour M. Jaballah

Me B. Jackman

Me A. Weaver

Me S. Boyd

 

Me D. MacIntosh

Me R. Batt

Me A. Cameron

Me J. Provart

Me T. Kroeker

Me D. Joseph

Pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

 

Me John Norris  Avocat spécial

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marlys Edwardh Barristers Prof. Corp.   Pour M. Jaballah

Toronto (Ontario)

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

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