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Date : 20120130


Dossier : IMM-4520-11

Référence : 2012 CF 119

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

NYOKA NFATITI WILLIAMS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Harrington

[1]               Mme Williams, une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines, est arrivée au Canada en 1995 alors qu’elle avait 15 ans. Elle est restée ici sans statut depuis cette date. En décembre 2010, elle a présenté une demande d’asile, qui était principalement fondée sur sa crainte d’être persécutée par son frère. Le décideur de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a reconnu que la demanderesse craignait son frère, et pour cause. Cependant, il était aussi d’avis que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, et il a par conséquent rejeté sa demande d’asile. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

LES FAITS

 

[2]               La propriété familiale à Saint‑Vincent est au cœur de la demande d’asile en l’espèce. Le père de Mme Williams est décédé en 1993 et il avait laissé en héritage une propriété, laquelle comprenait une maison et deux logements à louer. Naomi, l’épouse de ce dernier, avait reçu un intérêt viager à l’égard de cette propriété; par la suite, cette propriété serait divisée à parts égales entre leurs deux enfants, Jeremy et Nyoka, qui est la demanderesse en l’espèce.

 

[3]               Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaire en 1998, Jeremy a rejoint Nyoka au Canada et y a résidé de manière illégale pendant 10 ans. Malheureusement, il était devenu schizophrène et il a en fin de compte été renvoyé à Saint‑Vincent en 2008. Il s’est installé dans la maison familiale à son retour. Les choses se sont détériorées. Il devint de plus en plus violent, et, au fil du temps, il avait brisé des meubles, giflé sa mère, tiré une chaise alors que sa mère allait s’y asseoir et il avait proféré des menaces à des membres de sa famille.

 

[4]               Les policiers étaient souvent appelés sur les lieux, et ils s’y présentaient toujours, quoique peut‑être pas aussi rapidement que Naomi ne l’aurait espéré. Jeremy avait séjourné à plusieurs reprises dans un établissement psychiatrique, mais il ne prenait pas ses médicaments lorsqu’il en sortait. En fait, c’était un poteux.

 

[5]               Le testament du père est une question litigieuse. Jeremy veut que sa mère et sa sœur donnent leur autorisation, ce qu’elles refusent de faire. Il veut acheter une fourgonnette et elles croient que ce ne serait pas une bonne idée.

 

[6]               En fin de compte, Mme Naomi Williams avait quitté Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines en direction du Canada et elle a demandé l’asile. Elle fût déboutée et sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire fût rejetée. Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est en instance.

 

[7]               La demande d’asile de sa fille Nyoka repose en grande partie sur sa demande, parce qu’elle est dans la même situation. Cependant, à ce stade‑ci, des renseignements médicaux supplémentaires figuraient au dossier et on a fait droit à la demande d’autorisation.

 

LA DÉCISION DE LA SPR

 

[8]               Le commissaire a résumé succinctement les antécédents médicaux de Jeremy au Canada, où il avait été hospitalisé, les gestes de violence qu’il a posés ainsi que son renvoi à Saint‑Vincent et les incidents qui s’étaient produits par la suite.

 

[9]               Selon le commissaire, le cœur du problème était le suivant :

Jeremy est fâché contre sa mère et contre la demandeure d’asile en raison d’un différend concernant un bien. Il souhaite utiliser un bien qu’ils possèdent conjointement afin d’obtenir un prêt pour acheter un véhicule. Sa sœur, la demandeure d’asile et sa mère doivent donner leur consentement par écrit et elles ne veulent pas le donner.

 

Jeremy téléphone à sa sœur et la menace. Il veut une copie du testament, car il pense que le document lui permettra d’emprunter de l’argent.

 

La demandeure d’asile craint de retourner à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines en raison de son frère violent souffrant de troubles mentaux [...]

 

[...]

 

Ayant conclu que la demandeure d’asile est généralement crédible et que sa crainte subjective de Jeremy est authentique [...] La protection de l’État est la question déterminante à trancher en l’espèce [...]

 

[10]           Il a ensuite donné certains détails relativement à la protection de l’État. Il y a une forte présomption que la protection de l’État existe à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines, puisqu’il s’agit d’un État démocratique. Il a renvoyé à un rapport récent du Département d’État des États-Unis ainsi qu’à divers rapports canadiens. Il a tiré la conclusion suivante :

[18]      Selon la demandeure d’asile et sa mère, cette dernière a appelé la police au domicile familial à cinq reprises au cours des dernières années, et les policiers ont toujours répondu à ses appels à l’aide et, après avoir lutté physiquement pour le maîtriser, ont amené Jeremy au centre de santé mentale où il est demeuré pour des périodes toujours plus longues. Au début, le centre le gardait durant une semaine ou deux. À l’heure actuelle, Jeremy, qui est entré au centre en avril 2011, demeure sous la garde du centre de santé mentale. Selon le témoin, il est gardé au centre depuis environ six semaines.

 

[19]      Le témoin a souligné que, même si les policiers ont toujours répondu à ses appels à l’aide, ils ont souvent été lents à répondre; une fois, au moins, il leur a fallu plusieurs heures. J’ai également remarqué dans son témoignage que la police envoyait toujours environ cinq agents chez elle, sachant qu’ils auraient probablement à affronter Jeremy et à le maîtriser physiquement. Elle a également affirmé que son fils est imposant et très fort. Je conclus donc que, même si le délai d’intervention des policiers peut ne pas avoir été parfait, il était adéquat au sens où il me semble raisonnable que le poste de police ait eu besoin de temps pour rassembler un nombre suffisant de policiers pour traiter le cas de Jeremy.

 

LES OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

 

[11]           L’avocat soutient que l’examen de la situation dans le pays n’avait pas été fait de manière impartiale. Il a renvoyé à un certain nombre de décisions de la Cour, notamment certaines des miennes, dans lesquelles il était conclu que la protection de l’État est illusoire à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines en ce qui a trait à la protection des femmes victimes de violence familiale. L’avocat s’est fondé en particulier sur la décision que j’ai rendue dans l’affaire Alexander c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1305, 357 FTR 222. J’ai mentionné ce qui suit au paragraphe 7 :

Comme notre Cour est appelée à examiner le travail d’autres instances, certaines demandes de contrôle judiciaire sont accueillies et d’autres sont rejetées, en fonction du raisonnement exposé dans la décision sous-jacente. Néanmoins, il existe un grand nombre d’affaires pour lesquelles des demandes de contrôle judiciaire ont été accueillies parce que les conclusions selon lesquelles la protection de l’État est suffisante à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines étaient déraisonnables. Sans entrer dans tous les détails, un grand nombre de femmes semblent avoir vécu des situations similaires. Voir par exemple : Jessamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 20; Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1073; Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 871; Codogan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 739; Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249; Fraser c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1154; King c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 774; Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 171 F.T.R. 240.

 

[12]           Cependant, c’était le petit ami de Mme Alexander qui l’avait battue. Ce sont les cas de violence sexuelle que j’avais à l’esprit, comme le démontre clairement l’introduction de cette décision. J’ai écrit ce qui suit au paragraphe 1 :

Il y a quelque chose de fondamentalement mauvais dans les relations entre hommes et femmes à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Année après année, des femmes viennent au Canada à la recherche de protection contre des conjoints ou des partenaires violents. En vérité, 495 demandes d’asile ont été déposées l’année dernière par des citoyens de ce pays. Seulement dix autres pays comptent plus de demandeurs. L’Inde figure en 10e place avec 551 demandeurs. Comme l’Inde a une population de 1,2 milliard d’habitants et que celle de Saint-Vincent-et-les Grenadines en a 118 000, ces chiffres soulèvent des questions. À en juger d’après les affaires dont la présente cour est saisie en raison de demandes de contrôle judiciaire ou des demandes de sursis, presque tous les demandeurs sont des femmes qui soutiennent avoir été victimes de violence conjugale.

 

[13]           Il n’y a pas la moindre indication que les actes de violence dans la présente affaire sont de cette nature.

 

[14]           Selon la preuve dont disposait la Cour dans Alexander et dans les autres affaires, la police avait une attitude de « laissez‑faire » en ce qui a trait aux relations sexuelles. Cependant, dans la présente affaire, les policiers avaient toujours répondu aux appels de Mme Williams. Ils avaient mis du temps à arriver à l’une de ces occasions, mais cela est attribuable au fait qu’ils avaient rassemblé cinq policiers afin de maîtriser Jeremy, qui est de forte stature et violent. Ils connaissaient Jeremy et ses penchants. Aurait‑ce été préférable qu’un seul policier se présente sur les lieux et le tue avec son arme à feu?

 

[15]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62 (QL), la Cour suprême du Canada a énoncé qu’une cour qui procède au contrôle judiciaire de la décision d’un tribunal administratif peut examiner la question de savoir s’il y a des éléments qui ne sont pas pleinement détaillés au dossier et qui justifient l’issue.

 

[16]           En l’espèce, Naomi semble avoir été en sécurité tant et aussi longtemps qu’elle se tenait loin de la propriété familiale, et cela pourrait bien s’avérer être le cas pour sa fille, qui est dans une situation semblable. Naomi a relaté dans son témoignage que, lors d’un incident, Jeremy avait lancé tous ses effets personnels hors de la maison et il avait dit qu’elle ne pouvait pas revenir, et que sa propre sœur ne pourrait pas revenir non plus, parce qu’il [traduction] « est l’homme de la famille et que son père lui avait laissé la propriété ».

 

[17]           Je dois conclure que la décision relative à la protection de l’État était raisonnable.

 

[18]           La demanderesse soulève sa préoccupation selon laquelle elle n’a pas de place où vivre, à l’exception du domicile familial qu’occupe son frère Jeremy, dans l’éventualité où elle serait obligée de retourner à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Il s’agit d’une question qu’il serait plus adéquat de soulever dans une demande de résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[19]           L’état de santé de Jeremy pourrait être la goutte qui fait déborder le vase. Les rapports psychiatriques semblent indiquer que son état va de mal en pis. Effectivement, au cours de l’audience devant la SPR, il avait été mentionné que Jeremy était dans une unité psychiatrique. Il pourrait y avoir de nouveaux renseignements qui pourraient être pertinents dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi.

 

LA QUESTION AUX FINS DE LA CERTIFICATION

 

[20]           La demanderesse dispose d’une semaine pour proposer une question grave de portée générale. Le défendeur disposera d’une semaine par la suite pour y répondre, le cas échéant.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2012

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4520-11

 

INTITULÉ :                                      WILLIAMS

                                                            c

                                                            CIC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 25 JANVIER 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           LE 30 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques Despatis

 

POUR LA DEMANDERESSE

Orlagh O’Kelly

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jacques Despatis

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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