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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120201

Dossier : T-1852-10

Référence : 2012 CF 124

Ottawa (Ontario), le 1er février 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

SOCIÉTÉ ANGELO COLATOSTI INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R., 1985, ch. F-7, à l’encontre d’une décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) par laquelle elle a refusé la demande d’allègement des pénalités et intérêts qu’elle a présentée en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC, 1985, ch. 1 (5e suppl.) (LIR). 

 

I. Contexte et décision contestée

[2]               La demanderesse et la Société Buffet Lazio (1985) Inc. (Buffet Lazio) sont des compagnies liées dont M. Angelo Colastosti était le seul actionnaire. La demanderesse était propriétaire d’un immeuble commercial dans la ville de Laval qu’elle louait à Buffet Lazio qui y exploitait un commerce de salles de réception. Un bail entre les deux sociétés a été signé en 1988.

 

[3]               L’immeuble requérait par ailleurs des travaux majeurs et les sociétés ont convenu que Buffet Lazio paierait le coût des réparations et que le paiement du loyer serait suspendu pendant cette période; il était entendu que les sociétés opéreraient compensation à la fin des travaux entre les montant dus pour les travaux et le loyer.

 

[4]               En 1996, la demanderesse et Buffet Lazio ont fait leurs comptes et ont jugé que le montant des travaux et le montant dû en loyer s’équivalaient et, sur la recommandation de leur comptable, elles ont toutes deux effacé leurs créances et dettes respectives. La demanderesse soutient que son comptable l’avait informé qu’une telle transaction pouvait être faite sans incidence fiscale puisque les deux sociétés étaient liées. Des états financiers pour l’année 1996, reflétant ces transactions, ont été préparés pour chacune des sociétés.

 

[5]               Le 17 août 1998, le comptable de la demanderesse a fait parvenir à Revenu Québec une lettre incluant les formulaires T2S(8) corrigés concernant la fraction non amortie du coût en capital pour les années pour les années1996 et 1997. Revenu Québec a ensuite demandé au comptable de la demanderesse, lors d’une conversation téléphonique et ensuite par le biais d’une lettre datée du 2 septembre 1998, de corriger le formulaire T2S(8) ou C175S. Le comptable a envoyé une lettre à Revenu Québec expliquant la compensation opérée entre la demanderesse et Buffet Lazio pour les travaux et les loyers dus, mais il a omis d’envoyer un formulaire T2S(8) corrigé.

 

[6]               Le 8 avril 1999, n’ayant pas reçu le formulaire demandé, le sous-ministre du Revenu du Québec a cotisé la demanderesse en ajoutant 616 960 $ à ses revenus pour l’année d’imposition se terminant le 31 mars 1996 à titre de gain provenant d’un règlement de dette. Le 2 juillet 1999, la demanderesse a soumis un avis d’opposition à l’encontre de cette cotisation au motif qu’il y avait eu compensation pour ce montant entre elle et Buffet Lazio.  

 

[7]               Le 1er octobre 1999, l’ARC a, elle aussi, ajouté le montant de 616 960 $ aux revenus de la demanderesse pour l’année 1996 et a émis des avis de cotisation pour l’année d’imposition se terminant le 31 mars 1996 et celle se terminant le 31 mars 1997. [1]La demanderesse a contesté ces avis de cotisation en déposant un avis d’opposition le 18 octobre 1999.       

 

[8]               Le 14 juin 2000, Revenu Québec a rejeté l’opposition de la demanderesse. Le 28 juillet 2000, la demanderesse a déposé une requête pour en appeler de cette décision devant la Cour du Québec.

 

[9]               Entre temps, la demanderesse et l’ARC ont convenu de suspendre le dossier au niveau fédéral en attendant que les recours exercés par la demanderesse à l’encontre de la cotisation émise par Revenu Québec soient épuisés et d’appliquer au niveau fédéral, le résultat à l’issue des contestations au niveau provincial.

 

[10]           L’audition de l’appel devant la Cour du Québec a eu lieu les 13 et 14 décembre 2006. La demanderesse soutient que c’est lors de cette audition qu’elle a appris qu’en 1998 Revenu Québec avait demandé à son comptable d’envoyer un formulaire T2S(8) corrigé et que ce dernier avait omis de l’envoyer. Elle soutient que c’est à cette occasion qu’elle a également pris connaissance des impacts fiscaux de cette erreur. La demanderesse soutient que son comptable a commis deux erreurs : il ne l’a pas informé de la teneur de la lettre envoyée par Revenu Québec et il n’a pas effectué la correction demandée. La demanderesse soutient que si son comptable avait envoyé le formulaire corrigé, Revenu Québec et l’ARC n’auraient pas émis les avis de cotisation. La demanderesse reproche également à Revenu Québec de ne pas l’avoir informé de ses exigences, se contentant de communiquer avec son comptable.

 

[11]           La Cour du Québec a rejeté l’appel de la demanderesse le 23 octobre 2008. Elle a conclu que la transaction entre la demanderesse et Buffet Lazio n’était pas une compensation, mais une radiation de dette qui devait être incluse dans le calcul du revenu. La Cour d’appel a confirmé ce jugement le 23 octobre 2008 et conclu que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau d’établir qu’elle et Buffet Lazio avaient opéré compensation.

 

[12]           Le 15 février 2010, la demanderesse a soumis à l’ARC une demande d’allègement visant à obtenir une annulation des intérêts et pénalités liés aux montants cotisés le 1er octobre 1999.

 

[13]           Le paragraphe 220(3.1) de la LIR accorde au ministre le pouvoir d’alléger le fardeau fiscal d’un contribuable en renonçant aux pénalités et intérêts qui lui sont dus :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Waiver of penalty or interest

 

 

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

[14]           L’ARC a par ailleurs adopté la circulaire d’information IC07-1 traitant des demandes d’allègement (la circulaire d’information). La circulaire d’information énonce les circonstances dans lesquelles un allègement des pénalités et intérêts peut être justifié, notamment lorsque les intérêts ou pénalités en cause découlent soit de circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du contribuable, d’actions de l’ARC ou lorsque le contribuable est dans l’incapacité de payer ou éprouve des difficultés financières (articles 23 à 28). L’article 35 de la circulaire d’information traite par ailleurs comme suit de la faute des tiers :

Actions de tiers

¶35.     Les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs faites par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. Les tiers qui perçoivent des honoraires et qui fournissent des conseils inexacts ou qui font des erreurs de calcul ou de comptabilité sont généralement considérés comme responsables face à leur client si le contribuable s’est vu imposer des pénalités et des intérêts en raison des actions de ce tiers. Cependant, il peut exister des situations exceptionnelles dans lesquelles il pourrait être approprié d’accorder un allègement au contribuable en raison d’erreurs ou de retards dus à un tiers.

 

[Je souligne]

 

 

[15]           Au soutien de sa demande d’allègement, la demanderesse a invoqué les éléments suivants : (1) que son comptable lui avait dit que les deux sociétés pouvaient opérer compensation sans impact fiscal parce qu’elles étaient des sociétés liées; (2) que le défaut d’avoir soumis un formulaire T2S(8) corrigé est attribuable à son comptable; (3) que son comptable ne l’a jamais informé de la demande de Revenu Québec et que Revenu Québec a transigé uniquement avec son comptable; (4) que si son comptable n’avait pas commis d’erreur, Revenu Québec et l’ARC n’auraient pas émis les avis de cotisation; (5) qu’elle a appris la demande de Revenu Québec et l’erreur commise par son comptable en décembre 2006 dans le cadre de l’audition devant la Cour du Québec.

 

[16]           Le 11 mai 2010, M. Robert Croteau de la Division de vérification de l’ARC a refusé la demande d’allègement de la demanderesse au motif qu’elle était prescrite.

 

[17]           La demanderesse a fait une demande de révision de cette décision. Au soutien de sa demande, elle a notamment invoqué que le délai de prescription ne devrait pas lui être opposé puisque les délais ne devaient commencer à courir qu’au moment où elle a appris les faits, soit en 2006.

 

[18]           Le dossier de la demanderesse a été analysé par Mme Julie Duval qui a recommandé que la demande soit rejetée parce qu’elle était prescrite et parce qu’elle était sans mérite.

 

[19]           Le 7 octobre 2010, M. John Lyssikatos, directeur adjoint de la Division de la vérification du Bureau des services fiscaux de Laval (le directeur adjoint), a refusé la demande de révision de la demanderesse.

 

II. Question en litige

[20]           La seule question en litige a trait au caractère raisonnable de la décision du directeur adjoint.

 

[21]           La contestation vise deux volets de la décision du directeur adjoint : le refus de la demande fondé sur le délai de prescription et le refus de la demande fondé sur le mérite de la demande.

 

[22]           Dans Bozzer c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2011 CAF 186; 333 DLR (4th) 385 [Bozzer], la Cour d’appel fédérale a jugé que le délai de 10 ans mentionné au paragraphe 220 (3.1) de la LIR devait être interprété comme autorisant le ministre à annuler les pénalités et intérêts accumulés au cours de toute année d’imposition se terminant dans les 10 ans précédant la demande d’allègement du contribuable, et ce, indépendamment du moment où la dette fiscale sous-jacente a pris naissance. Le défendeur a admis qu’à la lumière de ce récent arrêt, le ministre ne pouvait rejeter la demande d’allègement de la demanderesse sur la seule base de la prescription.

 

[23]           Le seul réel débat a donc trait au refus de la demande d’allègement à son mérite. 

 

III. Norme de contrôle

[24]           Les deux parties ont soumis, et je partage leur avis, que la décision du directeur adjoint devait être révisée suivant la norme de la décision raisonnable (Canada (Agence du revenu) c Telfer, 2009 CAF 23 aux para 24-28 (disponible sur CanLII) Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 FCA 299 au para 20 (disponible sur CanLII) [Stemijon Investments].

 

IV. Analyse

[25]           La demanderesse soutient qu’ayant fondé principalement sa décision sur le motif de la prescription, le directeur adjoint n’a pas fait une analyse exhaustive de sa demande d’allègement et des motifs qu’elle a invoqués au soutien de sa demande. Elle soumet que dans sa décision, le directeur adjoint s’est contenté de mentionner le principe général énoncé dans la circulaire d’information suivant lequel le contribuable est généralement responsable de la faute des tiers qui agissent en leur nom, sans indiquer s’il avait analysé les motifs qu’elle avait invoqués, ou le cas échéant, sans expliquer pourquoi ces motifs ne pouvaient être considérés comme des circonstances exceptionnelles.

 

[26]           Le défendeur soutient, pour sa part, qu’il appert de la décision du directeur adjoint et de la recommandation de Madame Duval sur laquelle le directeur adjoint s’est appuyé, qu’une analyse des circonstances invoquées par la demanderesse a été faite et que ces circonstances ne justifiaient  pas une demande d’allègement.

 

[27]           La décision du directeur adjoint se lit en partie comme suit :

 

[…]

 

Nous avons pris connaissance des observations se rapportant à la demande, puis nous avons considéré attentivement les faits qui ressortent de votre dossier, à la lumière des dispositions législatives qui s’appliquent. Nous pouvons renoncer aux intérêts et/ou pénalités selon les lignes directrices de la circulaire d’information IC07-1 dans les circonstances suivantes :

 

a.          circonstances exceptionnelles

b.          actions de l’Agence du revenu du Canada

c.          incapacité de payer ou difficultés financières

 

Nous avons considéré avec soin les faits dans votre dossier. Malheureusement, tel que mentionné dans notre réponse à votre première demande en date du 11 mai 2010, il n’est possible d’accorder l’allègement des intérêts ou pénalités que pour les années d’imposition qui se terminent 10 ans avant l’année civile au cours de laquelle la demande ou la déclaration de revenus est produite et non en fonction de l’année où le contribuable prend connaissance des faits.

 

En l’occurrence, il ne nous est pas possible d’accéder à votre demande d’annuler les pénalités et les intérêts pour les déclarations de 1996 et 1997 puisque le délai de 10 ans durant lequel le Ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire est expiré. Il n’est pas possible de revoir ce délai ou son point de départ malgré les circonstances que vous invoquez.

 

Par ailleurs, il importe de souligner que les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs faites par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. Les tiers qui fournissent des conseils inexacts ou qui font des erreurs sont généralement considérés comme responsables face à leur client. Ces situations ne constituent donc pas des circonstances exceptionnelles nous permettant d’accéder à votre demande dans le cadre des dispositions d’allègement.

 

[…]

 

[Les passages soulignés le sont dans l’original]    

 

 

[28]           J’estime que cette décision est déraisonnable, et ce, pour les motifs suivants.

 

[29]           D’abord, la décision est plutôt laconique et il n’est pas aisé de déterminer si le directeur adjoint a véritablement fait une analyse du mérite de la demande d’allègement de la demanderesse. Il est vrai qu’après avoir indiqué que le délai au cours duquel le ministre pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire était expiré, le directeur adjoint a ajouté un paragraphe dans lequel il a énoncé le principe qui s’applique généralement aux demandes d’allègement fondées sur l’erreur d’un tiers , et ce, en citant une partie de l’article 35 de la circulaire d’information. Il a ensuite indiqué que les circonstances – tiers qui fournissent des conseils inexacts ou qui font des erreurs – ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles leur permettant d’accéder à la demande d’allègement. Il n’est toutefois pas possible de savoir si le directeur adjoint a jugé que le motif fondé sur la faute d’un tiers ne pouvait jamais justifier une demande d’allègement ou s’il a plutôt fait un examen des circonstances précises dans le cadre desquelles la demanderesse a invoqué l’erreur de son comptable et jugé qu’elles ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles justifiant un allègement.

 

[30]           Le paragraphe 220 (3.1) de la LIR accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire. Bien que le délégué du ministre puisse se baser sur les principes énoncés dans une circulaire d’information ou dans des lignes directrices, de tels énoncés de principes ne peuvent et ne doivent pas limiter le pouvoir discrétionnaire dévolu au ministre. En l’espèce, la décision du directeur adjoint ne mentionne aucunement le paragraphe 220(3.1) de la LIR et se limite à énoncer les trois circonstances qui sont prévues dans la circulaire d’information. Il semble donc avoir limité son examen aux circonstances prévues à la circulaire d’information. Toutefois, même l’article 35 de la circulaire d’information mentionne le pouvoir discrétionnaire résiduel du ministre d’accorder un allègement lorsque la demande est fondée sur l’erreur d’un tiers dans des « circonstances exceptionnelles ». En l’espèce, la demanderesse ne s’est pas limitée à invoquer l’erreur d’un tiers; elle a invoqué un ensemble de circonstances qui expliquaient et justifiaient sa demande d’allègement et le directeur n’a jamais traité de ces circonstances dans sa décision. Il n’y a donc, dans la décision, aucune indication qui permet de savoir si le directeur adjoint a examiné les circonstances invoquées par la demanderesse au soutien de sa demande. Si par ailleurs cette analyse a été faite, je considère que la décision du directeur adjoint n’est pas suffisamment motivée pour en comprendre le fondement; nous ne savons absolument pas pourquoi il a jugé que les circonstances invoquées n’étaient pas des circonstances exceptionnelles.

 

[31]           Le défendeur m’a invitée à examiner le rapport de recommandation de Mme Duval sur lequel le directeur adjoint s’est vraisemblablement appuyé et qui est plus détaillé que la décision du directeur adjoint. Je reconnais qu’il est parfois utile d’examiner le dossier pour comprendre les motifs d’une décision et pour évaluer le caractère raisonnable de la décision (Stemijon Investments Ltd, précité, au para 37). La Cour suprême a récemment déclaré dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (disponible sur CanLII), que les motifs d’une décision devaient être analysés en corrélation avec le résultat et qu’il était possible d’examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision. La juge Abella s’est exprimée comme suit :

14        Je ne suis pas d'avis que, considéré dans son ensemble, l'arrêt Dunsmuir signifie que l'"insuffisance" des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l'une portant sur les motifs et l'autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), à s. 12:5330 et 12:5510). Il s'agit d'un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c'est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si "la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité" (par. 47).

 

15        La cour de justice qui se demande si la décision qu'elle est en train d'examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de "respect [à l'égard] du processus décisionnel [de l'organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit" (Dunsmuir, au par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

 

[32]           Je vais donc examiner le rapport de recommandation de Mme Duval qui fait partie du dossier pour voir s’il permet de jeter un éclairage additionnel sur l’examen du mérite de la demande d’allègement déposée par la demanderesse.

 

[33]           Les extraits pertinents de son rapport se lisent comme suit :

Le contribuable invoque une erreur ou une négligence de son comptable à remplir un formulaire à la demande de revenu Québec. Or, l’action de tiers, tel un comptable agissant pour le compte du contribuable, ne peut être invoquée comme une circonstance exceptionnelle aux fins des dispositions d’allègement tel que mentionné dans la circulaire IC07-1 au par. 35.

 

Le contribuable invoque aussi que le délai de 10 ans permettant au Ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être considéré comme expiré tel que mentionné dans notre réponse à la première demande d’allègement. Il allègue que le délai de prescription devrait courir à partir de 2006 lorsqu’il a eu connaissance des faits et non à partir de l’année civile au cours de laquelle la déclaration a été produite, soit ici 1996 et 1997. Les par. 13 et 14 du circulaire IC07-1 sont très clairs à l’effet que le délai de prescription est de 10 ans à compte de l’année civile où la déclaration, pour laquelle la demande d’allègement est faite, a été produite. Il n’est pas possible de requérir une annulation des pénalités et intérêts en vertu des dispositions d’allègement dans ce cas. Il n’est pas non plus en notre pouvoir de revoir le point de départ de la prescription de 10 ans.

 

Finalement, la requête du contribuable a été rejetée par les appels de Revenu Québec et par la cour du Québec. Il nous apparaît que la requête n’est apparue fondée à aucun des paliers de recours que le contribuable a assigné.

 

[34]           Au chapitre de la recommandation, Mme Duval a indiqué que le délai de 10 ans était expiré pour les années d’imposition en cause (1996-1997). Elle a également indiqué que le motif invoqué par le demandeur – une erreur de son comptable dont il n’était pas conscient – n’était pas valide. Elle a ajouté «  Or, le paragraphe 35 de la circulaire d’information IC07-1 stipule clairement que les actions de tiers, dont celles d’un comptable agissant pour le compte du contribuable, ne sont pas visées par les dispositions d’allègement ». Elle a donc ensuite recommandé que la demande d’allègement soit refusée parce qu’elle ne cadrait pas avec les lignes directrices de la circulaire et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait le recours au pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

[35]           Il ressort, à mon avis, du rapport de Mme Duval qu’elle a bel et bien procédé à un examen du mérite de la demande d’allègement de la demanderesse et qu’elle ne s’est pas limitée à l’argument relatif à la prescription. Sa recommandation laisse toutefois sous-entendre qu’elle a estimé que l’action d’un tiers, en l’occurrence le comptable de la demanderesse, ne pouvait tout simplement pas être invoquée comme circonstance exceptionnelle et ce, peu importe les circonstances entourant cette action. Je comprends de son rapport qu’elle opposait une fin de non‑recevoir au motif invoqué par la demanderesse  l’erreur de son comptable  sans qu’il ne soit nécessaire de faire un examen des circonstances ayant entourées cette erreur. Elle ne semble donc pas avoir examiné si les circonstances invoquées par la demanderesse pouvaient constituer des circonstances exceptionnelles justifiant une demande d’allègement.

 

[36]           Le défendeur a maintenu qu’il ressort du rapport de Mme Duval qu’elle a analysé l’ensemble du dossier et qu’elle s’est valablement appuyée sur les conclusions des jugements de la Cour du Québec et de la Cour d’appel qui ont conclu que le comptable n’avait pas commis d’erreur. Avec égard, c’est à mon avis faire dire au rapport beaucoup plus qu’il n’en dit réellement. Mme Duval mentionne que « la requête du contribuable a été rejetée par les appels… » et qu’il lui apparaît que la « requête n’est apparue fondée à aucun des paliers de recours que le contribuable a assigné. » D’abord, il m’est impossible de comprendre les inférences que Madame Duval tire du résultat des procédures d’appel du demandeur. L’appel du demandeur avait trait à l’opposition qu’il avait formulée à l’endroit des avis de cotisation. C’est donc le caractère approprié des avis de cotisation qui était en cause et non une demande d’allègement. La « requête » à laquelle Madame Duval réfère est donc d’une nature tout autre qu’une demande d’allègement. D’autre part, je ne comprends pas le lien qu’elle fait entre le fait que la « requête du demandeur n’est apparue fondée à aucun des paliers de recours » et la demande d’allègement. Si la demanderesse avait eu gain de cause dans son appel, une demande d’allègement aurait été inutile puisque les avis de cotisations auraient été annulés. La demande d’allègement a été faite justement parce que l’appel a été rejeté et les cotisations maintenues. Enfin, je ne vois, dans le rapport de Mme Duval, aucune référence aux conclusions tirées par la Cour du Québec quant à l’erreur alléguée du comptable de la demanderesse.

 

[37]           Je conclu donc que le rapport de recommandation n’apporte rien de plus au dossier et, tel qu’indiqué précédemment, je considère donc que la décision du directeur adjoint est déraisonnable parce qu’il est impossible de connaître l’étendue de l’examen qu’il a fait des circonstances invoquées par la demanderesse.

 

[38]           Le défendeur m’a invitée, si j’en arrivais à la conclusion que la décision du directeur adjoint était déraisonnable, à ne pas renvoyer le dossier pour que la demande d’allègement soit réexaminée et à exercer mon pouvoir discrétionnaire de refuser la demande d’allègement parce que les motifs invoqués par la demanderesse ne sont pas valables. Il a appuyé sa demande sur Stemijon Investments Ltd., précité, aux paras 44-46. La demanderesse m’a demandé, pour sa part, de renvoyer le dossier avec des directives.

 

[39]           Je n’entends faire droit à ni l’une ni l’autre des demandes. Je considère qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner si les motifs et les circonstances invoqués au soutien de la demande d’allègement de la demanderesse justifient qu’une mesure d’allègement soit émise et contrairement aux circonstances qui prévalaient dans Stemijon Investments Ltd., je ne suis pas prête à conclure que les circonstances et les motifs invoqués par la demanderesse n’étaient pas valables et qu’il serait inutile de renvoyer le dossier au ministre pour un nouvel examen. Je ne vois pas non plus l’utilité d’émettre des directives.

 

[40]           Le dossier sera donc retourné au ministre pour qu’un nouvel examen de la demande d’allègement déposée par la demanderesse soit fait.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est renvoyé à l’ARC pour une nouvelle révision de la demande d’allègement de la demanderesse. Le tout avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

                      


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1852-10

 

INTITULÉ :                                       SOCIÉTÉ ANGELO COLATOSTI INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Konstantinos Voggas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gilles Robert

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sweibel Novek S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] En date du 8 mars 2011 le montant dû par la demanderesse pour l’année d’imposition se terminant le 31 mars 1996 était de 192 684,12$ plus 63 799,24$ en intérêts pour un total de 256 483,36$; le montant dû pour l’année d’imposition se terminant le 31 mars 1997 était de 3 683,17$ plus 1057,51$ en intérêts pour un total de 4 740,68$.

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