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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20120201

Dossier : IMM-2725-11

Référence : 2012 CF 129

Ottawa (Ontario), le 1er février 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

ROY FLORES VARGAS

MARIA ELENA RIVERA TAPIA

MAYRA FLORES RIVERA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR], qui vise la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après le tribunal), rendue le 25 mars 2011, selon laquelle M. Roy Flores Vargas, Mme Maria Elena Rivera Tapia et leur fille mineure, Mayra Flores Rivera (les demandeurs), n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger aux termes de l’article 96 et de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire est accueillie.

 

II.        Faits

 

[3]               Les demandeurs sont citoyens mexicains.

 

[4]               Le 5 août 2007, Mme Tapia trouve des bulletins de vote déchirés dans un sac en plastique suite aux élections municipales de Calvillo, Aguascalientes. Elle décide de rapporter le sac chez-elle pour le montrer à son conjoint, M. Vargas, et au frère de ce dernier. Les deux hommes lui suggèrent alors de les apporter au maire, M. Humberto Gallegos.

 

[5]               Elle donne suite et se rend au bureau de M. Gallegos. En voyant les bulletins de vote déchirés, M. Gallegos devient très agressif. Il demande à Mme Tapia de ne rien dire à défaut de quoi il la ferait disparaître avec sa famille.

 

[6]               Six semaines plus tard, les demandeurs décident d’aller voir le candidat municipal du Parti Révolutionnaire Démocratique [PRD], M. Martinez, afin de dénoncer la fraude électorale. Toutefois, M. Martinez leur mentionne qu’il ne peut rien pour eux.

 

[7]               Le 18 octobre 2007, des officiers de l’Agence fédérale d’investigation [AFI] se présentent chez les demandeurs et y interrogent Mme Tapia, tout en précisant qu’ils viennent de la part de M. Gallegos.

 

[8]               Le 15 décembre 2007 et le 5 janvier 2008, les demandeurs participent à des manifestations dénonçant les fraudes électorales au Mexique.

 

[9]               Le 10 janvier 2008, des officiers de l’AFI forcent M. Vargas et son frère à monter à bord d’une camionnette. Une fois à l’intérieur, les officiers les agressent physiquement.

 

[10]           Les demandeurs participent néanmoins à une troisième manifestation, le 25 janvier 2008. Les officiers de l’AFI se présentent une seconde fois au domicile des demandeurs et y agressent physiquement M. Vargas.

 

[11]           La même journée, les demandeurs décident de quitter leur résidence pour se réfugier au domicile de la sœur de M. Vargas, Mme Rocio Flores, à Colonia Estrella, Aguascalientes. Le 3 mars 2008, les demandeurs aperçoivent une camionnette de l’AFI avec les mêmes agents persécuteurs à son bord.

 

[12]           La sœur de M. Vargas exige que les demandeurs quittent son domicile car elle ne veut pas mettre sa propre famille en danger. Les demandeurs retournent alors à leur domicile.

 

[13]           Le 23 mars 2008, les officiers de l’AFI arrivent à l’improviste chez les demandeurs et tentent de forcer leur porte d’entrée. La demanderesse s’enfuit par la porte arrière et crie à l’aide. Elle aperçoit des gens dans un parc avoisinant et leur demande de l’aide. L’intervention des voisins fait fuir les agents de l’AFI.

 

[14]           Les demandeurs quittent le Mexique le 6 juin 2008 à destination du Canada. Ils arrivent à Montréal et déposent leur demande d’asile le 7 juin 2008.

 

III.       Législation

[15]           L’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR se lisent comme suit :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.                Questions en litige

 

[16]           Cette demande de révision  judiciaire soulève deux questions en litige :

 

1.         Le tribunal commet-il une erreur en concluant que le récit factuel des demandeurs n’est pas crédible?

 

2.         Le tribunal commet-il une erreur en concluant qu’il existe une possibilité de refuge interne [PRI] pour les demandeurs?

 

B.        Norme de contrôle

 

[17]           La Cour précise, dans l’affaire Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, [2009] ACF no 438, au para 26, que la norme de contrôle applicable, quand il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un demandeur, est celle de la décision raisonnable (voir aussi l’affaire Zarza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 139, [2011] ACF no 196 au para 16).

 

[18]           Quant à l’existence d’une PRI, la Cour écrit, au paragraphe 24 de la décision Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF no 1543 :

La décision Ortiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] ACF no 1716, résume les éléments des conclusions relatives à une PRI en contrôle judiciaire : "[Le juge Richard] a statué au paragraphe 26 qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard de ces décisions rendues par la Commission parce que cette question relève directement du champ d'expertise de celle-ci. Ces décisions exigent l'appréciation de la situation des demandeurs, telle qu'ils l'ont expliquée dans leur déposition, et une compréhension experte de la situation existant dans le pays" (voir Sivasamboo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] ACF no 2018). Compte tenu de ces questions, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui existait avant l'arrêt Dunsmuir [c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9] […].

 

Ainsi, la norme de contrôle applicable aux questions relatives à une PRI est celle de la décision raisonnable.

 

V.        Position des parties

 

A.        Position des demandeurs

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que les conclusions du tribunal concernant leur absence de crédibilité et la PRI sont déraisonnables, arbitraires et capricieuse parce qu’elles vont à l’encontre de l’équité procédurale. Le tribunal tire une inférence négative de crédibilité sur la base d’une contradiction apparente entre les notes prisent par l’agente d’immigration et le Formulaire de renseignements personnels [FRP] des demandeurs. Le tribunal ne confronte pas les demandeurs sur cette contradiction à l’audience. Ils prétendent donc qu’ils n’ont pu se faire entendre sur cette question importante.

 

[20]           Le tribunal écrit, au paragraphe 26 de sa décision : « bien que [Mme Tapia] n’est pas été confrontée à ce sujet, le tribunal tire une inférence négative du fait que dans les notes prises par l’agent d’immigration dans le cadre de l’entrevue avec la demander[esse], il est indiqué "le 3 mars 2008, les agents se sont présentés encore, ont forcé la porte. J’ai été chercher de l’aide dans un parc de baseball"; alors que dans son FRP, elle allègue que cet incident s’est produit le 23 mars et que le 3 mars, elle était chez sa belle-sœur à Mexico ». Les demandeurs soutiennent que ces conclusions sont contraires aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. En conséquence, la conclusion du tribunal, quant à leur crédibilité, est déraisonnable dans son ensemble.

 

[21]           Les demandeurs soulignent que le tribunal s’attache à des détails périphériques et mineurs afin de conclure qu’ils ne sont pas crédibles. Aux paragraphes 13 à 27 de sa décision, le tribunal fait une analyse microscopique de leur demande d’asile. Les demandeurs affirment qu’il n’est pas invraisemblable qu’ils aient attendu 6 semaines avant de dénoncer le maire auprès de son adversaire à la mairie, M. Martinez. Ils affirment aussi qu’il n’est pas absurde que des membres de certains partis politiques mexicains se livrent à des magouilles.

 

[22]           Les demandeurs soutiennent que lorsqu’un tribunal apprécie la crédibilité d’un demandeur, il doit présumer que les allégations faites sous serment sont véridiques, à moins que des motifs sérieux l’amènent à douter de leur véracité (voir les décisions Moldano c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF no 248; Miral c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 254). C’est donc avec beaucoup de circonspection qu’un tribunal comme la Commission de l’immigration et du statut de réfugié doit conclure à l’invraisemblance d’un récit.

 

[23]           Cette prudence est de mise surtout lorsqu’un demandeur est d’origine mexicaine et que la culture et les mœurs sont différentes des nôtres (voir la décision Gunes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 664).

 

[24]           Finalement, selon les demandeurs, le tribunal conclut, sans motifs valables, qu’ils peuvent bénéficier d’une PRI. Dans sa décision, le tribunal ne tient pas compte des agents persécuteurs de l’AFI qui possèdent les moyens et ont la motivation pour retrouver les demandeurs partout au Mexique. Selon les demandeurs, la preuve documentaire  présentée au sujet  du Mexique nous apprend que l’AFI peut accéder au système gouvernemental de l’Institut fédéral des élections. Ce système permet à l’AFI de retrouver les demandeurs grâce à leurs cartes d’électeur.

 

[25]           De plus, les demandeurs soutiennent que leur employeur  éventuel peut involontairement révéler leur lieu de refuge car tous les employeurs doivent s’inscrire dans le système informatique Clave Unica de Registro de Poblacion [CURP].

 

[26]           Les demandeurs allèguent qu’une PRI ne peut être supposée ou théorique, mais doit présenter plutôt être une option réaliste et abordable (Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586 [Huerta]). Ils mentionnent également qu’ils ne peuvent subir d’épreuves indues pour se rendre dans une autre région au Mexique ou se cacher dans une région isolée du pays (voir Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]). Il ne fait aucun doute, selon les demandeurs, que la PRI n’est pas une option réaliste et abordable.

 

B.        Position du défendeur

 

[27]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile appartient au tribunal qui est spécialisé en la matière (voir les décisions Bunema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 774 au para 1 [Bunema]; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62; Encinas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 61; et Kengkarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 714). L’intervention de la Cour doit se limiter aux cas qui présentent de sérieuses erreurs d’appréciation des faits ou des témoignages (voir l’affaire Bunema précitée, au para 17; et Navarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358 aux paras 12-14).

 

[28]           En l’espèce, le tribunal ne croît pas les demandeurs sur des éléments centraux de leur récit puisqu’il est imprécis, manque de clarté et comporte plusieurs invraisemblances et contradictions qui entachent leur crédibilité.

 

[29]           Le défendeur souligne d’abord que le témoignage des demandeurs, concernant la dénonciation de la fraude électorale, est invraisemblable. Le tribunal trouve curieux que Mme Tapia ait rapporté les bulletins de vote à la maison au lieu de les remettre aux autorités responsables. Elle ignore également le nombre de bulletins de vote qui se trouvaient dans le sac.

 

[30]           Deuxièmement, le tribunal considère invraisemblable que M. Martinez soit de connivence avec son opposant défait et l’informe de la fraude commise à son égard.

 

[31]           Troisièmement, le tribunal s’interroge à savoir pourquoi Mme Tapia a rapporté les bulletins de vote au candidat sortant.

 

[32]           Quatrièmement, le défendeur souligne que le tribunal trouve invraisemblable que les fraudeurs soient si négligents qu’ils laissent un sac de bulletins de vote à l’abandon par terre.

 

[33]           Finalement, les demandeurs n’expliquent pas pourquoi ils attendent six semaines avant de dénoncer M. Gallegos.

 

[34]           Le défendeur soutient que le tribunal constate avec raison les contradictions dans le témoignage des demandeurs. En outre, les demandeurs affirment que les officiers de l’AFI se sont rendus chez-eux pour fouiller la maison à la recherche des bulletins de vote. Pourtant, la demanderesse a déjà remis les bulletins de vote à M. Gallegos.

 

[35]           De plus, lorsque le Tribunal questionne les demandeurs quant aux motivations de M. Gallegos et à la possibilité d’une PRI, ils affirment que les agents persécuteurs de l’AFI les surveillaient. Invitée par le tribunal à expliquer pourquoi deux ans s’écoulent entre les nombreuses visites de l’AFI et leur visite chez sa mère, Mme Tapia ajuste son témoignage en affirmant qu’elle voyait souvent les officiers devant la maison et qu’elle faisait l’objet d’une surveillance constante.

 

[36]           Le défendeur soutient que les éléments soulevés par le Tribunal, lorsqu’il apprécie la véracité du témoignage des demandeurs, vont au cœur de leur demande et minent grandement leur crédibilité.

 

[37]           Quant à l’existence d’une erreur d’équité procédurale, le défendeur soutient que l’absence de crédibilité suffit pour rejeter la demande d’asile des demandeurs.

 

[38]           Le tribunal  conclut que les demandeurs peuvent trouver refuge au Mexique en s’établissant à Mexico D.F. ou à Guadalajara. En effet, les demandeurs reconnaissent qu’un frère du demandeur est retourné vivre à Puebla sans y éprouver de difficultés indues (voir la décision du tribunal, paras 30-33). Le défendeur soutient qu’il s’agit donc d’une conclusion raisonnable.

 

[39]           Finalement, les demandeurs prétendent, dans leur mémoire, que leurs informations personnelles disponibles par l’entremise du CURP permettraient aux officiers de l’AFI de les retracer. Ils craignent aussi que les agents se servent de leurs cartes d’électeur pour les retrouver. Toutefois, le défendeur affirme qu’aucune preuve documentaire n’est déposée pour appuyer ces prétentions.

 

VI.       Analyse

 

1.         Le tribunal commet-il une erreur en concluant que le récit factuel des demandeurs n’est pas crédible?

 

[40]           La Cour tient à rappeler que « la crédibilité est centrale à la plupart, sinon à toutes les conclusions tirées par la [CISR] lors de l'appréciation d'une demande d'asile » (voir la décision Umubyeyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 69, [2011] ACF no 76 au para 11). La CISR peut tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur si elle relève des contradictions entre son témoignage et les éléments de preuve présentés (voir Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 732 [Aguebor]).

 

[41]           D’autre part, « la Cour n'a pas à intervenir dans les conclusions de fait tirées par la [CISR] à moins qu'elle ne soit convaincue que ces conclusions sont fondées sur des considérations non pertinentes ou qu'elles ne tiennent pas compte des éléments de preuve dont la [CISR] était saisie » (voir l’affaire Kengkarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 714, [2007] ACF no 970 au para 7 ; voir aussi l’affaire Miranda c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 437). Il est établi, par la jurisprudence, que l’appréciation des éléments de preuve et des témoignages, ainsi que l’évaluation de leur valeur probante, appartiennent à la CISR (voir les décisions Aguebor, précitée et Romhaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 534, [2011] ACF no 693 au para 21).

 

[42]           Le tribunal constate plusieurs invraisemblances dans le récit des demandeurs. Il mentionne qu’il trouve curieux que Mme Tapia ait rapporté les bulletins de vote déchirés à la maison et qu’elle ne se rappelle plus du nombre de bulletins de vote trouvés. Il souligne aussi qu’il est invraisemblable que des partis politiques opposés puissent être de connivence entre eux. D’autre part, le tribunal trouve improbable le fait que des fraudeurs puissent être à ce point négligents dans leur tentative d’altérer le résultat du vote. Finalement, le tribunal ne comprend pas pourquoi les demandeurs ont attendu six semaines avant de dénoncer M. Gallegos.

 

[43]           Les conclusions du tribunal se fondent sur des considérations non pertinentes. Il s’attache à des détails mineurs qui ne peuvent miner la crédibilité des demandeurs au point d’amener  le rejet de leur demande d’asile. Les conclusions du tribunal ne peuvent résister à une analyse plus poussée tant et si bien que si sa décision ne reposait que sur ces points, la Cour n’aurait aucune difficulté à accueillir cette demande de révision judiciaire.

 

[44]           Toutefois, la Cour doit également se pencher sur la conclusion du tribunal voulant qu’il existe une PRI à Mexico ou Guadalajara.

 

2.         Le tribunal commet-il une erreur en concluant qu’il existe une possibilité de refuge interne [PRI] pour les demandeurs?

 

[45]           Le tribunal n’a pas raisonnablement conclu qu’il existe une PRI à Mexico ou Guadalajara pour les demandeurs.

 

[46]           La Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706 précise les critères qui s’appliquent afin d’établir s’il existe une PRI. Ces critères sont repris dans l'arrêt Thirunavukkarasu précité, au paragraphe 12 :

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté [à l'endroit de la PRI] et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation [au lieu de la PRI] était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

 

[47]           Il faut aussi souligner qu’«…il est bien précisé dans l'arrêt [Thirunavukkaras] qu'il ne suffit pas pour un demandeur d'asile d'alléguer que dans cette partie plus sûre du pays, il n'a ni amis, ni parents ou qu'il risque de ne pas y trouver le travail qui lui convient (Thirunavukkarasu, précité, aux para 13 et 14) » (voir la décision Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1191, [2007] ACF no 1536 au para 8).

 

[48]           Les demandeurs tentent de renverser  la conclusion du tribunal  voulant qu’ils peuvent déménager à Mexico D.F. ou Guadalajara. Les demandeurs présentent leur témoignage comme seul élément de preuve pour établir que les officiers de l’AFI vont tenter de les retrouver ailleurs au Mexique. Ils affirment de plus que l’AFI possède les ressources et moyens nécessaires pour les retrouver et qu’ils ne se sentiraient pas en sécurité car ils devraient sortir et travailler mais aucun élément de preuve documentaire n’est déposé devant le tribunal au soutien de leur allégation.

 

[49]           Toutefois, les éléments de preuve établissent que le frère de M. Vargas se trouve dans une situation analogue. Les demandeurs admettent qu’il a trouvé refuge à Puebla et qu’il y vit « discrètement ». La jurisprudence est claire : une personne qui se réfugie ailleurs dans le pays doit pouvoir y vivre en sécurité et à l’abri de la menace qui pesait initialement contre elle. Ainsi, l’existence d’une PRI nous apparaît déraisonnable et peu réaliste en l’espèce.

 

[50]           La décision du tribunal, concernant la PRI, n’appartient pas aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit dans les circonstances particulières du présent litige.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La demande de révision judiciaire est accueillie; et

2.                  Il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2725-11

 

INTITULÉ :                                      ROY FLORES VARGAS

                                                           MARIA ELENA RIVERA TAPIA

                                                           MAYRA FLORES RIVERA

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               28 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              monsieur le juge Scott

 

DATE DES MOTIFS :                      1er février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Noël Saint-Pierre

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Anne-Renée Touchette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Perron Leroux, avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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