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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111212


Dossier : IMM-2870-11

Référence : 2011 CF 1451

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

VEHBI LICI
FITNETE LICI
STELA MAIO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 8 avril 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 7 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.                    Les faits

[3]               Le demandeur principal, Vehbi Lici, son épouse, Fitnete Lici, et leur fille, Stela Maio, sont des citoyens albanais arrivés au Canada au début 2008 après que leur demande d’asile fondée sur des motifs politiques a été rejetée aux États-Unis d’Amérique (États-Unis) .

 

[4]               Le demandeur principal a déclaré qu’il avait été maltraité par des policiers de l’ancien régime socialiste albanais parce qu’il était membre du Parti démocratique (PD). Ayant assisté aux funérailles d’un autre membre de ce parti en avril 1991, il a été emprisonné et passé à tabac. En février 1998, la police a effectué une descente chez lui et menacé des membres de sa famille. Le demandeur principal a de nouveau été emprisonné en septembre 1999, puis a été battu et menacé dans un commissariat après une manifestation en avril 2000.

 

[5]               Sa fille aînée, Ridvana, a aussi rejoint les rangs du PD. Ayant assisté aux funérailles d’un chef de ce parti, elle a été emprisonnée pendant trois jours puis violée en octobre 1998.

 

[6]               En raison de ce traitement, le demandeur principal et son épouse ont quitté l’Albanie le 31 mai 2000 et sont arrivés aux États-Unis où ils ont retrouvé leur fils et leur fille qui avaient déjà quitté le pays.

 

[7]               La fille du demandeur principal a déclaré à l’audition de la demande d’asile qu’elle avait épousé un citoyen américain en mars 2003 et présenté une demande pour qu’il la parraine. Elle a l’intention de regagner les États-Unis pour y devenir résidente permanente.

 

II.                 La décision sous contrôle

[8]               La Commission a tenu compte du changement de situation survenu en Albanie. Le demandeur principal craignait les communistes de l’ancien régime, mais il se trouve que le PD est à présent au pouvoir. Aucune preuve convaincante n’a permis d’établir qu’il serait pris pour cible en tant que partisan du PD peu connu sur la scène politique.

 

[9]               La Commission a ensuite examiné la demande d’exception fondée sur des raisons impérieuses, susceptibles d’être invoquées dans les affaires où les raisons ayant fondé la demande d’asile n’existent plus. L’avocat a demandé que ces motifs soient pris en compte, car les demandeurs avaient [traduction] « terriblement souffert ». La Commission a toutefois conclu que l’exception fondée sur des raisons impérieuses ne s’appliquait pas aux demandeurs. Même s’ils avaient été victimes de persécution, la preuve qu’ils ont présentée, quoique triste, n’a pas établi que les traitements qu’ils avaient subis étaient épouvantables ou atroces.

 

[10]           Finalement, les demandeurs n’avaient pas produit de preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de protection de l’État. L’Albanie est une démocratie parlementaire et le PD est actuellement au pouvoir. La Commission a reconnu que la protection de l’État n’était pas parfaite dans ce pays, mais rien n’indiquait que les membres d’un quelconque parti politique ne pouvaient pas bénéficier de la protection des autorités en cas de besoin.

 

III.               La question en litige

[11]           La demande soulève la question suivante :

 

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse des raisons impérieuses eu égard au paragraphe 108(4) de la LIPR?

 

IV.              La norme de contrôle

[12]           L’analyse des raisons impérieuses est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (voir Decka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 822, [2005] ACF no 1029, au paragraphe 5; Luc c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 826, 2010 CarswellNat 2880, au paragraphe 22).

 

[13]           La raisonnabilité « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.                 Analyse

[14]           L’alinéa 108(1)e) de la LIPR prévoit qu’une demande d’asile doit être rejetée lorsque les raisons qui ont fait demander l’asile n’existent plus. Aux termes du paragraphe 108(4), certains demandeurs d’asile peuvent toutefois se prévaloir de l’exception suivante :

Exception

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Exception

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 

[15]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Obstoj, [1992] 2 CF 739, [1992] ACF no 422, aux pages 747 et 748 (CAF), la Cour a souligné que « [l]es circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe [108(4)] doivent certes s’appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. »

 

[16]           Avant que la Commission puisse même envisager si des raisons impérieuses justifient de leur accorder l’asile, les demandeurs d’asile doivent prouver qu’ils ont, à un moment ou à un autre, satisfait à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Il doit également être établi que ces définitions ne s’appliquent plus à eux en raison d’un changement de situation (voir Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, [2004] ACF no 771; Nadjat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 302, [2006] ACF no 478).

 

[17]           Si elle estime que ces conditions sont remplies, la Commission doit alors déterminer si la persécution subie était « atroce et épouvantable » (Obstoj, précité; Shpati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 237, 2007 CarswellNat, page 550, aux paragraphes 9 et 13).

 

[18]           La Commission a respecté cette approche dans son analyse puisqu’elle a reconnu le changement de situation survenu en Albanie et admis que le demandeur avait été victime de  persécution dans le passé. Elle a conclu, néanmoins, que la preuve produite n’avait pas démontré que ces persécutions avaient été atroces ou épouvantables.

 

[19]           Les demandeurs allèguent que cette conclusion était déraisonnable, compte tenu des traitements qu’ils ont subis. Ils n’ont pas manqué de faire valoir la preuve qui montre que Lici a été battu et torturé par la police à plus d’une reprise, et que sa fille aînée Ridvana a été violée en octobre 1998. D’après les demandeurs, cette preuve ne justifie pas la conclusion que les traitements n’ont pas été atroces ou épouvantables.

 

[20]           Le défendeur soutient que la Commission a examiné les allégations des demandeurs, mais qu’elle a tout de même conclu que les circonstances, quoique tristes, ne les empêchaient pas aujourd’hui de retourner en Albanie. Ce désaccord tient à la pondération de la preuve. Le défendeur suggère également que la décision selon laquelle les raisons impérieuses étaient insuffisantes pour justifier l’octroi du statut de réfugié était appuyée par l’autre conclusion de la Commission voulant que les activités politiques du demandeur principal aient été peu connues et que la protection de l’État fût disponible en Albanie.

 

[21]           J’estime devoir me ranger à la position de l’intimé. Si l’on garde à l’esprit que les raisons impérieuses ne s’appliquent que dans des circonstances exceptionnelles (voir Obstoj, précité), la Commission était en droit de pondérer la preuve ayant trait aux persécutions subies par les demandeurs, et de conclure qu’elles restaient en deçà du seuil des souffrances « atroces et épouvantables ». Le demandeur principal a évoqué quatre incidents durant lesquels il aurait subi de mauvais traitements aux mains de la police et ses activités politiques étaient peu connues. Sa fille aînée a été violée, mais elle n’était pas visée par cette demande d’asile.

 

[22]           La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne pouvaient bénéficier de l’exception fondée sur des raisons impérieuses aux termes du paragraphe 108(4) était raisonnable. La Commission a examiné les persécutions endurées, mais a conclu qu’elles ne satisfaisaient pas au seuil requis.

 

VI.              Conclusion

[23]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2870-11

 

INTITULÉ :                                       VEHBI LICI ET AUTRES c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me John Rokakis

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me John Rokakis

Avocat

Windsor (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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