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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

Date : 20120202


Dossier : IMM-5410-11

Référence : 2012 CF 132

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

BUNOTI JAMES WOKWERA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), qui vise la décision, rendue le 18 juillet 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur, ayant conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. 

 

[2]               Le demandeur souhaite obtenir une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

 

Le contexte factuel

[3]               M. Bunoti James Wokwera (le demandeur) est citoyen de l’Ouganda. Il a trente-six (36) ans.   Le demandeur est médecin, est marié et a deux enfants. Il demande l’asile au Canada sur la base des opinions politiques qui lui sont imputées, c’est-à-dire la perception qu’il est un défenseur des homosexuels en Ouganda.

 

[4]               Pendant ses études en médecine, le demandeur s’est lié d’amitié avec un homosexuel et s’est intéressé au sort des homosexuels en Ouganda. En février 2001, l’ami du demandeur lui a révélé l’existence d’une fraternité secrète d’homosexuels, appelée la Fraternité de Samia, dans la région où il allait pratiquer. Les membres séropositifs de la fraternité avaient tout particulièrement besoin d’un médecin à qui ils pourraient se confier sans subir la stigmatisation associée aux cliniques désignées pour le traitement du VIH et sans craindre d’être dénoncés aux agents de sécurité du gouvernement.

 

[5]               Après avoir terminé son internat de médecine, le demandeur a accepté un poste de médecin au sein de l’administration locale de Busia en 2001. Étant le seul médecin dans le district, le demandeur a décidé de venir en aide aux membres de la fraternité en distribuant des médicaments et en offrant des consultations gratuites et des services de counselling à sa clinique. Les membres faisaient un signe secret au demandeur. Il leur prodiguait ensuite des soins médicaux de manière confidentielle. En guise de remerciement, la fraternité a décerné au demandeur le statut de membre honoraire de son groupe.

 

[6]               Après avoir travaillé à Busia pendant quelques mois, le demandeur aurait acquis la réputation d’être un [traduction] « défenseur des homosexuels ». Il a commencé à se buter à des difficultés administratives et à se voir refuser des fournitures et de l’équipement pour sa clinique; de plus, son superviseur a menacé de lui causer du tort s’il ne cessait pas de venir en aide aux patients homosexuels. Le demandeur recevait également des menaces de mort anonymes au téléphone et était surveillé par des gens qu’il soupçonnait d’être des agents de sécurité. Vers le milieu de 2001, un homme a menacé le demandeur avec une arme à feu et lui a dit de quitter Busia (le demandeur a signalé cette menace à la police). Après cette menace, la motocyclette du demandeur a été volée; il a signalé ce vol à la police, mais a reçu quelques jours plus tard un avis l’informant que la police le soupçonnait d’avoir pris part à l’organisation du vol. Une carcasse de chèvre a été déposée devant l’enceinte de sa clinique et de son domicile pour lui faire comprendre qu’il n’était plus le bienvenu dans le village. En juillet 2001, le demandeur a été mis en congé forcé pour un an. En juillet 2002, il a été congédié. Il a interjeté appel de son congé forcé et de son congédiement et il a ensuite été rétabli dans ses fonctions avec son plein salaire, mais le harcèlement s’est poursuivi.

 

[7]               Le demandeur a quitté son emploi dans la fonction publique à Busia et s’est mis à travailler sur une base contractuelle à Kampala en janvier 2005, jusqu’à ce qu’il décroche un poste à temps plein dans un hôpital à Kampala, en mai 2007. Le demandeur est resté en contact avec la fraternité pendant qu’il travaillait à cet hôpital, mais s’est rendu compte qu’il faisait l’objet de discrimination et ses supérieurs l’ont évincé de l’hôpital. Il a ensuite réintégré la fonction publique le 1er juillet 2008 tout en demeurant au même hôpital, si bien qu’il relevait du ministère de la Santé au lieu des administrateurs de l’hôpital. Toutefois, son contrat a été rompu le 24 septembre 2008 et le demandeur a signifié son intention de lancer une poursuite pour congédiement injustifié. Le demandeur a retiré cette poursuite parce qu’il craignait qu’elle expose davantage son aide aux homosexuels à Busia et nuirait à ses chances de quitter l’Ouganda. À sa demande, le demandeur a été affecté ailleurs dans l’ouest de l’Ouganda, où il a travaillé pendant environ un mois avant de partir pour le Canada.

 

[8]               Durant son séjour à Kampala, le demandeur aurait continué de recevoir de nombreux appels de menaces au sujet du travail qu’il avait accompli à Busia, et ce, bien qu’il ait changé de numéro de téléphone à plusieurs reprises. Le demandeur a cherché à signaler ces appels à la police, mais, comme il refusait de divulguer le motif de ces appels, la police n’a pas fait enquête. En octobre 2009, il a été agressé et poignardé par un homme qui soutenait que le demandeur était un défenseur des homosexuels. La lacération subie par le demandeur nécessitait des soins médicaux, qu’il s’est administrés lui-même avec l’aide d’un adjoint médical. Le demandeur a ensuite signalé l’agression à la police, indiquant toutefois qu’il s’agissait d’une tentative de vol. L’enquête n’a produit aucun résultat.

 

[9]               Le demandeur s’est présenté à l’examen d’évaluation du Conseil médical du Canada. En mars 2009, il a appris qu’il l’avait réussi. Il a demandé et obtenu un visa. Il est arrivé au Canada le 28 octobre 2009. Il a déposé sa demande d’asile le 15 mars 2010.

 

[10]           La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a entendu la demande d’asile le 20 juin 2011. La Commission a rendu sa décision le 18 juillet 2011.

 

La décision contestée

[11]           Selon la Commission, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour conclure que le demandeur serait persécuté pour un motif prévu dans la Convention s’il retournait en Ouganda. La Commission a admis l’identité du demandeur. Selon elle, les questions déterminantes dans la demande d’asile étaient la crédibilité du demandeur et l’absence d’un fondement objectif pour sa crainte.

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur avait répondu franchement aux questions à l’audience et qu’il n’y avait pas d’omissions, de contradictions ou d’incohérences importantes entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire. Toutefois, elle a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve fiables et dignes de foi pour démontrer qu’il avait été persécuté en Ouganda ou qu’il y avait un fondement objectif pour sa crainte de persécution.

 

[13]           La Commission a signalé que le demandeur avait fourni de nombreux documents attestant ses titres de compétences en médecine et confirmant ses antécédents professionnels. Toutefois, il n’a présenté aucun document le rattachant à une fraternité de soutien des homosexuels et aucun document venant corroborer ses déclarations selon lesquelles il traitait les homosexuels en Ouganda et leur offrait de l’aide psychologique dans une mesure plus importante que les médecins normalement appelés à traiter la population en général.

 

[14]           Le demandeur a répondu à des questions au sujet de l’absence de documents corroborants en faisant valoir qu’il aurait été trop dangereux pour lui de conserver des documents qui l’auraient lié à une fraternité secrète ou à la communauté homosexuelle en Ouganda. De l’avis de la Commission, cette explication était raisonnable pour la période où le demandeur se trouvait en Ouganda, mais elle a noté que le demandeur était au Canada depuis 2009, si bien qu’il avait eu le temps de demander aux personnes qu’il avait traitées ou qui étaient au courant de ses activités en Ouganda de lui fournir des documents.

 

[15]           La Commission a examiné les diverses pièces de correspondance entre le demandeur et l’autorité médicale, et n’a relevé aucune mention du travail effectué auprès de la communauté homosexuelle ou séropositive en Ouganda. Elle a rejeté les explications avancées par le demandeur pour justifier l’absence de toute mention de cette question.

 

[16]           Le demandeur n’a pas été en mesure d’obtenir une copie du rapport de police qu’il avait fait après avoir été poignardé en octobre 2009, ni de présenter une confirmation du traitement médical qu’il avait reçu. Selon le demandeur, il arrive souvent que de tels dossiers ne soient pas conservés en Ouganda. La Commission a rejeté cette explication et a conclu qu’un médecin ayant le statut social du demandeur aurait pu obtenir au moins des affidavits pour attester des événements.

 

[17]           La Commission a reconnu qu’il était possible que l’Ouganda, à titre de pays en voie de développement, ait des pratiques administratives moins rigoureuses que celles d’autres pays. Toutefois, elle a conclu qu’un médecin très instruit et très expérimenté, pouvant miser sur un avocat et un père qui est haut fonctionnaire à la retraite, aurait pu présenter de la documentation pour corroborer ses allégations.

 

[18]           De l’avis de la Commission, le fait que le demandeur ait tardé à quitter l’Ouganda, puis ait tardé à présenter sa demande d’asile une fois au Canada – sans porter de coup fatal à sa demande – affaibli sa crainte subjective de persécution en Ouganda. La Commission a noté que, selon le demandeur, le harcèlement avait commencé à Busia au début de 2001, mais que le demandeur avait quitté son emploi seulement en décembre 2004 et qu’il avait déménagé peu après à Kampala. Le demandeur est demeuré en Ouganda pendant cinq ans sans incident majeur avant l’agression au couteau en octobre 2009. La Commission a noté que, au moment de l’agression au couteau, le demandeur avait déjà planifié son départ pour le Canada. Elle a également noté que, une fois arrivé au Canada, le demandeur a attendu près de cinq (5) mois avant de demander le statut de réfugié.

 

[19]           De l’avis de la Commission, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer un fondement objectif pour la crainte de persécution du demandeur en tant que médecin qui offrait de l’aide psychologique aux homosexuels et des soins aux patients homosexuels et séropositifs. La Commission a admis que les homosexuels en Ouganda font face à la discrimination et à des restrictions juridiques, et que les personnes séropositives ou atteintes du sida sont victimes de discrimination et privées de soins et de soutien. Elle a également signalé l’avant-projet de loi [traduction] « anti-homosexualité » déposé au parlement ougandais en septembre 2009, lequel prévoit des mesures et des sanctions draconiennes envers les homosexuels et les personnes qui [traduction] « aident ou encouragent » l’homosexualité. Toutefois, la Commission n’a relevé aucune preuve que le projet de loi a été adopté ou qu’il contient des dispositions interdisant aux médecins d’offrir de l’aide psychologique ou de soigner les patients séropositifs. Elle a admis que la présentation du projet de loi en 2009 pourrait exposer les militants pour les droits des homosexuels à des risques accrus, mais elle a conclu que le demandeur n’a pas le profil d’un militant pour les droits des homosexuels, car son militantisme n’était pas public.

 

[20]           La Commission a également conclu qu’il n’y avait aucune documentation objective démontrant que quiconque offrait des services d’aide psychologique ou des soins médicaux serait automatiquement considéré comme étant un [traduction] « défenseur des homosexuels » en Ouganda. Elle a conclu que, malgré la discrimination contre les homosexuels dans la société ougandaise, les autorités médicales continuent d’aider ces patients.

 

Les questions à trancher

[21]           La seule question à trancher en l’espèce est la suivante :

1.         L’appréciation de la preuve par la Commission et sa conclusion concernant la crédibilité du demandeur étaient-elles raisonnables?

 

Les dispositions légales

[22]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent à l’espèce :

 

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

La norme de contrôle

[23]           En ce qui a trait aux conclusions de fait tirées par la Commission, y compris ses conclusions concernant la crédibilité du demandeur, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir les arrêts Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (l’arrêt Dunsmuir), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 (l’arrêt Khosa)).

 

Les arguments

La position du demandeur

[24]           Le demandeur soutient que la Commission a choisi de se fier uniquement aux renseignements qui concordaient avec la position de celle-ci, tout en ignorant les éléments de la documentation corroborante qui appuyaient la crédibilité du demandeur. Essentiellement, il soutient que son récit concorde entièrement avec la preuve documentaire, que la documentation confirme et prouve son récit et que la Commission n’a pas tenu compte de nombreuses preuves matérielles qui étayent la demande. Le demandeur fait valoir que la Commission a commis des erreurs dans son appréciation de plusieurs éléments de preuve :

           la Commission n’a accordé aucun poids au fait qu’une carcasse de chèvre avait été déposée devant l’enceinte de la clinique en guise de menace à la sécurité personnelle du demandeur, ou au fait que ce dernier avait soumis une lettre exprimant ses craintes à la suite de cet incident;

 

           la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant que les autorités gouvernementales ougandaises avaient ignoré les demandes du demandeur visant la prise de mesures de sécurité, notamment l’installation d’une clôture et de lumières, dans l’enceinte de la clinique;

 

           la Commission n’a pas analysé correctement les documents démontrant que le demandeur avait été miné sans motif valable par ses supérieurs à Kampala et congédié de manière injustifiée. De plus, le demandeur soutient que ces documents démontrent que, pendant qu’il habitait à Kampala, il faisait face à la menace de perdre son emploi et de se trouver ainsi dans une situation financière difficile – d’autres éléments ignorés par la Commission.

 

 

[25]           Le demandeur soutient que, à la lumière de la documentation et de son témoignage par affidavit, le motif du harcèlement qu’il a subi en Ouganda est établi : ce motif est l’aide accordée par le demandeur aux homosexuels. La Commission a commis une erreur en n’attribuant pas au récit du demandeur une crédibilité adéquate.

 

[26]           De plus, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que sa crainte subjective n’avait pas de fondement objectif. Bien qu’aucune documentation n’ait été soumise pour démontrer que quiconque prodigue des soins médicaux à des homosexuels serait considéré comme étant un [traduction] « défenseur des homosexuels », le demandeur soutient qu’il est évident qu’un médecin comme lui serait perçu comme tel. Il soutient également que, même si la Commission a pris note de l’avant-projet de loi [traduction] « anti‑homosexualité », elle a omis d’y voir le reflet d’une attitude négative généralisée envers les homosexuels en Ouganda.

 

[27]           Le demandeur soutient qu’il ne pouvait pas fournir de documents corroborant son aide à des homosexuels séropositifs parce que la tenue de tels documents exigerait l’identification de ces patients homosexuels, ce qui les exposerait à des sévices physiques et à des conséquences juridiques. De plus, il soutient que l’identification de ses anciens patients constituerait un manquement flagrant au code d’éthique de la profession médicale et au droit du patient à la confidentialité.

 

[28]           En réponse à la suggestion de la Commission et du défendeur qu’il pourrait obtenir des documents corroborants en s’adressant aux personnes qu’il avait aidées en Ouganda, le demandeur a fait valoir que cela serait trop dangereux pour ces personnes qui résident toujours en Ouganda. Selon le demandeur, pour présenter un affidavit à l’appui de sa demande, une personne aurait à révéler son identité et à s’exposer à des conséquences juridiques, car il est illégal d’être homosexuel en Ouganda.

 

La position du défendeur

[29]           Le défendeur soutient que le demandeur n’est pas d’accord avec l’interprétation de la preuve et le poids accordé à cette preuve par la Commission. Selon le défendeur, il s’agit de conclusions reposant grandement sur les faits, envers lesquelles un tribunal doit faire preuve d’une grande déférence. Le défendeur soutient qu’en l’espèce, la décision de la Commission fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

[30]           Le défendeur rejette l’argument du demandeur selon lequel ce dernier ne pouvait pas divulguer l’identité de ses anciens patients parce que cela les exposerait à des dangers et constituerait un manquement au code d’éthique de la profession médicale. Selon le défendeur, le demandeur n’explique pas pourquoi il lui serait impossible de demander à d’anciens patients leur consentement pour divulguer leurs identités, ou leur demander de rédiger volontairement des lettres corroborant son témoignage, ce que feraient sans doute certains membres de la fraternité. Le défendeur fait valoir que le demandeur n’explique pas comment les autorités ougandaises pourraient apprendre qu’une lettre ou un affidavit avait été écrit. De plus, le défendeur fait valoir que le demandeur n’explique pas pourquoi il n’aurait pas pu demander à une personne autre qu’un ancien patient de faire un affidavit corroborant son engagement auprès de la communauté homosexuelle en Ouganda.

 

[31]           Selon le défendeur, compte tenu de la situation, du niveau d’instruction et des liens familiaux du demandeur, la Commission pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur présente de la documentation pour corroborer ses liens avec la communauté homosexuelle, les motifs de sa poursuite pour congédiement injustifié et le rapport de police sur le vol. Le défendeur soutient que le demandeur a le fardeau de prouver toutes les facettes de sa demande d’asile et que, en l’espèce, le demandeur ne s’est pas déchargé de ce fardeau, si bien qu’il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable de l’absence de preuve corroborante.

 

[32]           Le défendeur affirme que la Commission a examiné attentivement la preuve documentaire avant de conclure que la demande d’asile n’avait pas de fondement objectif. Il fait valoir que la Commission a tiré la conclusion raisonnable voulant que le demandeur ne correspondait pas au profil du militant pour les droits des homosexuels, car il offrait ses services en secret. De plus, le défendeur soutient que la Commission a tiré la conclusion raisonnable que rien n’indiquait que le demandeur serait considéré comme un [traduction] « défenseur des homosexuels » et exposé à la persécution en Ouganda pour avoir soigné des homosexuels.

 

Analyse

[33]           Il est bien établi en droit que la Commission a le pouvoir discrétionnaire de tirer des conclusions de fait, de tirer des conclusions concernant la crédibilité des témoins et d’apprécier la preuve. En l’espèce, la Cour conclut que la Commission a effectué une analyse exhaustive de la preuve déposée et qu’elle a tiré la conclusion raisonnable que cette preuve était insuffisante pour établir le bien-fondé de la demande d’asile.

 

[34]           La Cour n’est pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel la Commission aurait ignoré des faits ou des éléments de preuve, ou aurait commis des erreurs dans l’appréciation de ces faits ou éléments de preuve; les exemples relevés par le demandeur sont tous abordés dans la décision et ont fait l’objet d’un examen en bonne et due forme par la Commission. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier de nouveau la preuve présentée à un autre décideur envers qui la Cour doit faire preuve de déférence, mais à s’assurer de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[35]           Plus précisément, la Commission a signalé ce qui suit au paragraphe 13 de la décision :

[…] [Le demandeur d’asile] a présenté une abondance de documents attestant ses titres de compétence en médecine et ses antécédents professionnels en Ouganda. Toutefois, il n’a présenté aucun document le rattachant d’une quelconque manière à la « fraternité » de soutien des homosexuels, ni aucun document venant corroborer ses déclarations selon lesquelles il traitait les homosexuels en Ouganda et leur offrait de l’aide psychologique dans une mesure plus importante que les médecins normalement appelés à traiter la population.

 

[36]           De plus, la Commission a noté ce qui suit au paragraphe 15 de la décision :

En examinant les divers échanges entre le demandeur d’asile et l’autorité médicale qui l’employait à Busali et à Kampala, je ne trouve aucune mention du travail que le demandeur d’asile a effectué auprès de la communauté homosexuelle ou séropositive en Ouganda.

 

[37]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve, car l’ensemble de la documentation atteste de la persécution exercée contre le demandeur, qui ne peut être attribuée qu’à son aide médicale aux homosexuels. Après un examen attentif de la preuve présentée à la Commission, la Cour rejette cette affirmation du demandeur : aucun élément de cette documentation ne fait état de l’aide fournie par le demandeur aux homosexuels ou n’établit de lien entre les incidents difficiles que celui-ci a vécus et son aide aux homosexuels. La Commission s’est penchée expressément sur la question de savoir si la preuve touchant les rapports entre le demandeur et ses employeurs démontrait qu’il faisait l’objet d’un traitement défavorable à cause des soins qu’il prodiguait aux homosexuels à sa clinique. Au paragraphe 15 de la décision, la Commission a rejeté cette conclusion et a signalé que la preuve pouvait soutenir une conclusion contraire :

[…] Les questions soulevées par rapport à l’emploi font plutôt état de son [traduction] « attitude » et du fait qu’il [traduction] « cherchait à vanter son professionnalisme »; par ailleurs, il se dégage clairement des documents qu’il y avait un conflit entre le demandeur d’asile, la police et l’autorité sanitaire à propos du vol d’une motocyclette. Toutefois, il n’est mentionné nulle part dans ces documents que le demandeur d’asile s’était investi auprès de patients homosexuels ou séropositifs. Lorsque j’ai abordé cette question à l’audience, le demandeur d’asile a renvoyé la lettre dans laquelle il interjetait appel de son [traduction] « interdiction », où il est écrit qu’un de ses amis pense que cette [traduction] « interdiction résultait d’une conspiration fomentée par des personnes qui cherchaient à le punir de son manque de souplesse manifeste à l’égard de plusieurs principes administratifs appliqués dans le district de Busia. Je ne suis pas d’avis que cette déclaration témoigne de l’implication du demandeur d’asile auprès de patients homosexuels ou séropositifs ni qu’elle explique l’absence d’indications à ce sujet dans d’autres documents. En effet, une simple lecture du passage permet de constater que ces problèmes résultent du manque de souplesse affiché par le demandeur d’asile à l’égard des ratés administratifs au sein de l’autorité sanitaire, comme il l’a lui‑même indiqué dans l’exposé circonstancié du FRP, ce qui comprend notamment le refus de l’autorité de lui fournir une voiture ainsi que l’équipement médical qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de ses fonctions.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[38]           De plus, les articles de journaux soumis par le demandeur ne permettent pas de conclure que le demandeur n’avait pas le profil d’un militant public des droits des homosexuels. Au contraire, il ressort de la preuve que le demandeur prodiguait des soins secrètement. Même s’il est vrai que la Commission n’a pas mentionné clairement « l’incident de la chèvre », la Cour conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve objective et de la décision, que la Commission était consciente de la situation et que cette omission n’est pas importante en l’espèce. Enfin, la Cour note que l’avocat du demandeur a confirmé à l’audience que l’avant-projet de loi [traduction] « anti‑homosexualité » déposé en 2009 n’avait pas été adopté et que, par conséquent, il n’est pas en vigueur.

 

[39]           La Cour note également que la question centrale en l’espèce est celle de savoir si la Commission pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur soit en mesure de présenter et à ce qu’il présente une preuve corroborante, et s’il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du défaut de présenter une telle preuve. Pour la présente analyse, la Cour se reporte à la décision Lopera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 653, [2011] ACF no 828 (la décision Lopera), qui était fondée sur la décision Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, 146 ACWS (3d) 705. Dans la décision Lopera, précitée, la Cour affirme que : « [l]a question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque cas » (au paragraphe 31). Ces deux décisions établissent qu’il est raisonnable de la part de la Commission d’exiger une preuve corroborante dans les situations où il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur en question puisse avoir accès à cette preuve.

 

[40]           À l’audience, la Commission a expressément demandé au demandeur s’il avait de la preuve corroborante (transcription de l’audience, à compter de la page 15) :

[traduction]

Q : Avez-vous de la documentation qui vous établit un lien quelconque entre votre travail et la communauté homosexuelle? Laissons de côté la fraternité pour l’instant, mais simplement du travail auprès de patients séropositifs et de la communauté homosexuelle en Ouganda?

 

R : Rien de lié expressément à la communauté homosexuelle. Je dirais que j’ai soigné des gens séropositifs tout au long de ma carrière en Ouganda et je me suis assuré que toute documentation qui établirait un lien entre moi et… cette documentation me causerait des problèmes. Je devais m’assurer qu’il n’y ait pas de telle documentation.

 

[41]           Au paragraphe 14 de sa décision, la Commission a indiqué qu’elle avait examiné cette explication, mais qu’elle l’avait finalement rejetée, ayant conclu que le demandeur aurait pu soumettre des éléments de preuve corroborants :

Bien qu’il ait peut‑être été raisonnable pour lui de se montrer prudent à l’égard de toute documentation risquant de l’incriminer pendant qu’il se trouvait en Ouganda, je souligne que le demandeur d’asile est au Canada depuis l’automne 2009 et j’estime qu’il aurait pu chercher à obtenir des affidavits ou des lettres d’appui de personnes qu’il a traitées ou qui le savaient impliqué auprès des homosexuels en Ouganda, et pourtant, il ne l’a pas fait.

 

[42]           Au paragraphe 18 de la décision, la Commission a également conclu qu’on pouvait s’attendre à ce qu’une personne très instruite comme le demandeur, ayant le soutien d’un avocat et de ses liens familiaux en Ouganda, soit en mesure de présenter des éléments de preuve pour corroborer ses affirmations.

 

[43]           Le demandeur insiste sur le fait qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il produise des preuves de sa prestation de soins à des homosexuels, car cela l’obligerait à identifier des personnes qui seraient ainsi exposées à des conséquences juridiques et à des sévices physiques en Ouganda. Toutefois, la Cour note que, en fait, le demandeur a nommé deux personnes dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels : le premier est décrit comme un homosexuel que le demandeur affirme avoir rencontré durant ses études; et le deuxième est décrit comme étant un membre de la Fraternité de Samia et un employé de l’administration du district de Busia.

 

[44]           Il était également raisonnable de la part de la Commission de supposer que le demandeur, très instruit, pouvait obtenir des éléments de preuve corroborants – sous la forme d’affidavits ou de lettres d’appui – de sources autres que des personnes qui seraient exposées à des dangers. Il en est de même pour la preuve corroborante qui pourrait étayer la crainte subjective du demandeur d’être persécuté pour un motif prévu dans la Convention et sa crainte objective à titre de médecin qui a prodigué des soins à des homosexuels en Ouganda.

 

[45]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la décision de la Commission était raisonnable et que rien ne justifie l’intervention de la Cour. Aucune des parties n’ayant proposé de question pour la certification, aucune question ne sera certifiée.

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5410-11

 

INTITULÉ :                                      Bunoti James Wokwera c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Boivin

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Devinderjit S. Purewal

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie G. Freitag

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Venkatraman, Purewal & Pillay

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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