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Date : 20121012

Dossier : T-1148-01

Référence : 2012 CF 1192

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

UNIVERSAL SALES, LIMITED,
ATLANTIC TOWING LIMITED, J. D. IRVING,
LIMITED, IRVING OIL COMPANY, LIMITED
ET IRVING OIL LIMITED

 

demanderesses

 

et

 

EDINBURGH ASSURANCE CO. LTD.,
ORION INSURANCE CO. LTD., BRITISH LAW
INSURANCE CO. LTD., ENGLISH & AMERICAN
INS. CO. LTD., ECONOMIC INSURANCE CO.
LTD., ANDREW WEIR INS. CO. LTD.,
INSURANCE CO. OF NORTH AMERICA,
LONDON & EDINBURGH GENERAL INS. CO.
LTD., OCEAN MARINE INS. CO. LTD., ROYAL
EXCHANGE ASSURANCE, SUN INSURANCE
OFFICE LTD., SPHERE INSURANCE CO. LTD.,
DRAKE INSURANCE CO. LTD., EAGLE STAR
INSURANCE CO. LTD.
ET
STEPHEN ROY MERRITT, EN SA
QUALITÉ DE REPRÉSENTANT DES
ASSUREURS MARITIMES AYANT SOUSCRIT
À LA POLICE NO
 614/B94656-A/1582

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGMENT

(INTÉRÊTS ET DÉPENS)

[1]               Le 25 avril 2012, je me suis prononcé en faveur d’Universal Sales Limited, Atlantic Towing Limited et J.D. Irving Limited et contre les défendeurs, solidairement, mais non conjointement, et le montant accordé dans le jugement est de 4 946 001,86 $. Sur consentement, la décision relative aux intérêts et aux dépens a été reportée à une date ultérieure. Les demanderesses ont maintenant présenté une demande à cet égard, et les défendeurs y ont répondu. Les deux groupes ont présenté des éléments de preuve.

 

[2]               Le jugement doit être considéré comme s’il avait été rendu au même moment qu’ont été tranchées les questions de la responsabilité et du montant. Si je dis cela c’est que, depuis ce temps, certains des défendeurs ont conclu un règlement, tandis que d’autres ont interjeté appel. Le présent jugement fait abstraction de ce fait, étant donné que l’entente, quelle qu’elle soit, qui avait été conclue l’a été et que, manifestement, elle aura préséance. Les défendeurs n’étant pas conjointement responsables, les parties pourront effectuer pour elles-mêmes les calculs requis.

 

LES INTÉRÊTS

[3]               Pour ce qui est des intérêts, les questions en litige sont les suivantes :

a)      Étant donné qu’il incombe toujours à une partie demanderesse de faire avancer une affaire et qu’il a fallu onze ans pour en arriver au procès, faut-il priver les demanderesses d’une part des intérêts qui auraient pu par ailleurs leur être accordés?

b)      À partir de quand les intérêts doivent-ils courir : à compter de la date où la réclamation particulière a été transmise aux assureurs maritimes, de la date à laquelle l’action a été engagée, ou d’une date différente?

c)      À quel taux annuel les intérêts doivent-ils être accordés?

d)     Les intérêts doivent-ils être composés semestriellement, ou à un intervalle différent?

e)      Les intérêts postérieurs au jugement doivent-ils être calculés au même taux que les intérêts antérieurs au jugement?

 

LES DÉPENS

[4]               Pour ce qui est des dépens, les questions en litige sont les suivantes :

a)      Faut-il accorder aux demanderesses des dépens majorés et, dans l’affirmative, sur quel fondement?

b)      Faut-il réduire les dépens pour cause de succès partagé, vu que les demanderesses ont obtenu moins de 50 p. 100 de ce qu’elles réclamaient et n’ont pas obtenu gain de cause au sujet de questions importantes?

c)      Dans quelle mesure, le cas échéant, faut-il tenir compte des offres de règlement qui ont été retirées avant la tenue du procès?

d)     La complexité de l’affaire, le temps gaspillé ainsi que les nombreux autres facteurs énumérés à l’article 400 et aux articles suivants des Règles des Cours fédérales.

 

LES DÉLAIS

[5]               Dans mes motifs du jugement - 2012 CF 418, [2012] ACF no 536 (QL) - j’ai déclaré qu’il allait falloir m’expliquer pourquoi il avait fallu qu’il s’écoule onze ans avant que l’affaire soit instruite. Lors des plaidoiries, j’avais mentionné la décision que le juge Joyal avait rendue dans l’affaire Santa Marina Shipping Co SA c Madeg Holdings Inc, 6 FTR 269, 1 ACWS (3d) 302, [1986] ACF no 636 (QL) (Marina), une affaire dans laquelle il s’était écoulé, là aussi, onze années entre la date de l’institution de l’action et celle du procès. Le juge avait imputé une bonne part de ce délai à la demanderesse et il n’avait accordé que des intérêts équivalant à 60 p. 100 du taux préférentiel bancaire moyen à compter de la date de l’institution de l’action, soit quatre ans environ après la naissance de la cause d’action.

 

[6]               En l’espèce, la preuve a été présentée par M. David Jamieson, vice-président administratif et secrétaire adjoint de J.D. Irving Limited et secrétaire adjoint d’Universal Sales Limited et d’Atlantic Towing Limited, ainsi que par M. Martin Futter, l’expert en sinistres principal des assureurs maritimes souscrivant à la police de la Lloyd’s. Aucun des deux n’a été contre-interrogé.

 

[7]               Je suis convaincu que les demanderesses ne sont pas plus responsables que les défendeurs des délais subis. Les défendeurs ont changé de procureurs; les deux parties ont eu besoin d’un temps considérable pour recueillir des documents, car l’Irving Whale avait sombré en 1970; les questions de communication de documents et de privilège ont posé de sérieux problèmes; des appels ont été interjetés, et l’affaire a fait l’objet d’une gestion d’instance. M. Jamieson a été interrogé au préalable à quatre occasions distinctes. Les avocats ont généralement fait preuve de collaboration. Je conclus que les circonstances ne justifient pas que les demanderesses soient privées des intérêts qui leur seraient par ailleurs accordés.

 

LA DATE DE DÉBUT

[8]               Les parties sont bien conscientes qu’en matière de droit maritime, le juge de première instance jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire et que les intérêts sont fonction des dommages subis. L’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales traite des intérêts avant jugement, mais le paragraphe 7 dispose que cet article ne s’applique pas si la réparation est demandée en vertu du droit maritime canadien, ce qui est le cas en l’espèce. Pour ne citer qu’un seul exemple, dans la décision Kuehne + Nagel Ltd c Agrimax Ltd, 2010 CF 1303, 382 FTR 47, [2010] ACF no 1623 (QL), il a été conclu que, dans les affaires de nature maritime, les intérêts antérieurs au jugement dépendent en fait des dommages, ils sont laissés à l’appréciation de la Cour et, si les arguments à cet égard sont convaincants, ils courent à compter de la date à laquelle la dette est payable, et non de celle de l’institution de l’action.

 

[9]               En l’espèce, une réclamation particulière n’a été présentée aux assureurs maritimes que le 10 novembre 2000. Les demanderesses admettent qu’elles ne pouvaient pas s’attendre à obtenir un paiement par retour du courrier. Certains des faits pertinents remontaient à une trentaine d’années. Il manquait des documents, et il fallait faire enquête sur les nombreux aspects de l’affaire. Dans ces circonstances, je suis d’avis que la date de début qu’il convient de retenir est celle à laquelle la déclaration a été signifiée aux défendeurs : le 12 juillet 2001.

 

LE TAUX D’INTÉRÊT

[10]           Le témoignage de M. Jamieson a été quelque peu confus. Dans son premier affidavit, il a déclaré que les fonds payés à la Couronne en règlement de son action avaient été empruntés à la Banque Royale du Canada, dans le cadre de la marge de crédit de J.D. Irving. À cette époque, a‑t‑il déclaré, le taux annuel était de 5,22 p. 100.

 

[11]           Au départ, les deux parties ont fourni les taux d’intérêt de la Banque du Canada. J’ai fait remarquer que, quand la Cour parle de taux commerciaux, elle a invariablement à l’esprit les taux préférentiels des banques, et M. Jamieson a par la suite fourni des renseignements émanant de la Banque Royale du Canada, tant au sujet du taux préférentiel de cette dernière que du taux de crédit qu’elle avait consenti à J.D. Irving. Le paiement à la Couronne a été fait le 13 juillet 2000 ou aux environs de cette date. À cette époque, semble-t-il, le taux de crédit consenti par la Banque Royale du Canada à J.D. Irving était le taux préférentiel, soit 7,5 p. 100.

 

[12]           Je retiens le témoignage plus précis de M. Jamieson selon lequel J.D. Irving avait emprunté la somme de 4,7 millions de dollars à la Banque Royale du Canada au taux initial de 5,22 p. 100. M. Jamieson ne dit pas si des remboursements ultérieurs ont été expressément imputables au règlement relatif à l’Irving Whale.

 

[13]           Il ressort de la preuve que le taux préférentiel de 7,5 p. 100 de la Banque Royale a été réduit en janvier 2001 à 7,25 p. 100, et qu’il a continué de baisser. En fait, pendant une courte période en 2009, il n’a été que de 2,5 p. 100. Depuis octobre 2009, le taux se situe à 3 p. 100. Dans leur déclaration initiale, les demanderesses ont demandé des intérêts antérieurs au jugement conformément au droit maritime canadien. Comme il a été mentionné plus tôt, il s’agit là d’une requête d’une portée plutôt illimitée. Elles sollicitent maintenant des intérêts au taux annuel de 5 p. 100, conformément à la Loi sur lintérêt, dont le texte de l’article 3 est le suivant :

Chaque fois que de l’intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu’il n’est pas fixé de taux en vertu de cette convention ou par la loi, le taux de l’intérêt est de cinq pour cent par an.

Whenever any interest is payable by the agreement of parties or by law, and no rate is fixed by the agreement or by law, the rate of interest shall be five percent per annum.

 

 

[14]           La prémisse qui sous-tendait les décisions antérieures de la Cour d’accorder des intérêts au taux commercial, comme le taux préférentiel des banques, ou un ou deux pour cent de plus, était la suivante : le taux commercial était nettement plus élevé que le taux légal et ce que nous faisons en réalité, c’est évaluer les dommages subis. Cependant, comme l’illustrent les chiffres de la Banque Royale, son taux préférentiel est tombé en deçà du taux légal en novembre 2001, il a augmenté à un niveau supérieur en février 2006, et il est ensuite tombé et est resté en deçà de ce taux depuis mai 2008.

 

[15]           Dans l’affaire Marina, précitée, le taux préférentiel bancaire moyen, entre 1975 et 1986, avait été de 12,35 p. 100. Même si un taux contractuel a été convenu, la Cour peut, à son gré, accorder des intérêts à un taux différent (Mount Royal / Walsh Inc c Jensen Star (The), [1986] 17 FTR 289, 9 ACWS (3d) 61, [1988] ACF no 141 (QL), décision modifiée, mais non sur ce point, [1990] 1 CF 199, 99 NR 42 (CAF), [1989] ACF no 450 (QL).

 

[16]           Les défendeurs ont fait des calculs à partir du témoignage de M. Jamieson. En général, le taux d’Irving était le même que le taux préférentiel de la Banque Royale, mais, comme le taux préférentiel avait diminué, quelques points de base de plus que le taux préférentiel lui avaient été imputés. Le taux préférentiel moyen de la Banque Royale était de 4,28653846, et le taux applicable à la marge de crédit d’Irving s’élevait à 4,75769231.

 

[17]           Dans la décision Kuehne + Nagel, précitée, ainsi que dans la décision Société Telus Communications et al c Peracomo Inc et al, 2011 CF 494, 389 FTR 196, [2011] ACF no 602 (QL), confirmée par 2012 CAF 199, 433 NR 152, [2012] ACF no 855 (QL), j’ai accordé des intérêts au taux légal de 5 p. 100, car les taux commerciaux avaient été peu élevés. C’est ce que je fais également en l’espèce.

 

LES INTÉRÊTS COMPOSÉS

[18]           Bien qu’il soit commode, lorsqu’on fournit des motifs, de dissocier le taux d’intérêt de la question de savoir s’il faut les composer ou non, ces deux aspects sont en fait liés. Le raisonnement sous-jacent est d’accorder aux parties demanderesses une réparation intégrale.

 

[19]           La Cour a souvent accordé des intérêts composés sans fournir de motifs complets. Un motif parfois donné est qu’une partie demanderesse a déjà été privée d’un dédommagement complet en raison de dispositions limitatives; par exemple, les Règles de La Haye-Visby limitent la responsabilité en fonction du nombre de colis ou d’unités. En l’espèce toutefois la limite d’assurance de 5 000 000 $ a été convenue par voie contractuelle et elle se reflétait sans aucun doute dans la prime.

 

[20]           Je conviens que la Cour, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, exercé de façon judiciaire, peut accorder des intérêts composés. Voir, par exemple : Canastrand Industries Ltd c Lara S (Le ), [1993] 2 CF 553, [1993] ACF no (QL), décision confirmée par 1994 (176 NR 31, [1994] ACF no 1652 (QL)). Cependant, à mon avis, il faut démontrer au moyen d’éléments de preuve que les intérêts composés sont nécessaires pour dédommager équitablement les demandeurs (Alcan Aluminium Limitée c Unican International SA, 1996 113 FTR 81, 64 ACWS (3d) 11, 1996 ACF no 843 (QL); Elders Grain Co Ltd c M/V Ralph Misener (Le), 2004 CF 1285, 134 ACWS (3d) 320, [2004] ACF no 1558 (QL), de même que Telus, précitée).

 

[21]           Les demanderesses se fondent sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans Banque dAmérique du Canada c Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43, [2002] 2 RCS 601, [2002] ACS no 44 (QL), une affaire d’inexécution contractuelle dans laquelle l’entente envisageait des intérêts composés. Cet arrêt peut être distingué de la présente espèce. Ainsi que l’a déclaré le juge Nadon dans la décision Ralph Misener, précitée, aux paragraphes 9 et 10 :

9 Pour les motifs que j’expose ci-dessous, je ne suis pas disposé à accorder les intérêts demandés par les défendeurs. Et je n’ai qu’à citer le paragraphe 55 des motifs du juge Major dans l’arrêt Banque dAmérique du Canada, précité, où il déclare :

 

Règle générale, le tribunal n’accordera des intérêts antérieurs et postérieurs au jugement à taux composé que dans les affaires d’inexécution contractuelle où il est prouvé que les parties ont convenu, savaient ou auraient dû savoir que la somme faisant l’objet du litige porterait intérêt à un taux composé à titre de dommages-intérêts. Dans les autres affaires, des intérêts composés peuvent être accordés à titre de dommages-intérêts indirects, mais il faut alors satisfaire à l’exigence habituelle de prouver cet élément du préjudice.

 

10 Bien qu’il s’agisse en l’espèce d’une affaire d’inexécution contractuelle, il n’y a aucune preuve que les demanderesses « ont convenu, savaient ou auraient dû savoir que la somme faisant l’objet du litige porterait intérêt à un taux composé à titre de dommages-intérêts ». Par conséquent, l’espèce tombe dans l’autre catégorie d’affaires décrite par le juge Major, soit celles où il faut prouver que les intérêts composés font partie du préjudice. Les défendeurs n’ayant présenté aucune preuve sur ce point, leur demande d’intérêts composés doit échouer.

 

[22]           Ce seront des intérêts simples, et non composés, qui seront accordés, car aucune preuve n’a été présentée qui justifie l’octroi d’intérêts composés. En fait, le taux d’emprunt d’Irving est inférieur au taux légal de 5 p. 100.

 

LES INTÉRÊTS POSTÉRIEURS AU JUGEMENT

[23]           Étant donné que le taux préférentiel bancaire actuel est de 3 p. 100, que le taux d’emprunt actuel d’Irving est de 4,5 p. 100 et que les intérêts postérieurs au jugement courent à la fois sur le capital et sur les intérêts antérieurs au jugement, je considère qu’un taux annuel de 4,5 p. 100 est équitable et raisonnable.

 

LES DÉPENS

[24]           Les dépens relèvent, eux aussi, du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Les demanderesses soutiennent qu’elles devraient avoir droit à des dépens sur la base d’une indemnisation partielle. Je ne suis pas d’accord. L’affaire a effectivement été complexe, mais, en soi, cela ne suffit pas pour faire abstraction du tarif de la Cour fédérale (Canadian Pacific Forest Products Ltd c Termar Navigation Co, 146 FTR 72, 78 ACWS (3d) 674, [1998] ACF no 384 (QL)). Il n’y a eu aucune conduite répréhensible de la part des défendeurs qui justifierait qu’on les sanctionne de manière quelconque. En fait, s’ils ont perdu un certain temps à poursuivre des points pour lesquels ils n’ont pas eu gain de cause, il en a été de même des demanderesses.

 

[25]           Cela m’amène au point que les défendeurs ont soulevé, à savoir que les demanderesses n’avaient eu gain de cause qu’en partie. En fait, elles n’ont rien recouvré dans leur demande de mesures conservatoires.

 

[26]           Cependant, le principe général est que les dépens suivent l’issue de la cause et, en l’espèce, les demanderesses ont obtenu jugement. Dans la décision Liquilassie Ltd c MV Nipigon Bay (The), [1975] 2 Lloyds Rep 286, [1975] ACF no 209 (QL), une affaire d’accrochage, la demanderesse avait recouvré l’ensemble de ses dépens, bien qu’il ait été conclu qu’elle était à blâmer dans une proportion de 20 p. 100. Dans Sanofi-Aventis Canada Inc et al c Apotex Inc, 2009 CF 1138, [2009] ACF no 1626 (QL), au paragraphe 8, la juge Snider a fait remarquer que, en l’absence d’abus de procédure, la partie qui a gain de cause devrait avoir droit à ses dépens. Elle a ensuite donné quelques exemples d’affaires dans lesquelles le succès avait été véritablement partagé entre les parties. Je ne considère pas que c’est le cas en l’espèce. Les principales questions en litige consistaient à savoir s’il y avait une couverture d’assurance ou non et si Irving avait agi bénévolement en réglant l’action de la Couronne à hauteur du coût du renflouement de l’Irving Whale. Elle a obtenu gain de cause sur les deux points.

 

[27]           Les deux parties ont fait des offres qui ont été retirées avant le procès. Les demanderesses ont recouvré davantage que la dernière offre des défendeurs, laquelle aurait donc été peu pertinente, même si elle était restée ouverte jusqu’au procès. Comme l’a déclaré le juge Hugessen dans Barzelex Inc c Navire EBN Al Waleed et al, 94 ACWS (3d) 434, [1999] ACF 2002 (QL), pour donner droit à des dépens majorés, il faut que le montant offert soit non seulement proche, mais aussi suffisant. Cependant, le 20 juillet 2006, les demanderesses ont présenté une offre de règlement écrite d’un montant de 4 500 000 $, tout compris. Cette offre n’était pas assortie d’une date d’expiration. Elle a été rejetée par écrit dans la semaine qui a suivi, et les parties ont persévéré dans leurs efforts. Les défendeurs ont fait des offres croissantes. Ce n’est que le 10 février 2012, huit jours avant le procès, que les demanderesses ont retiré par écrit leur offre de règlement de 4 500 000 $. Elles ont fait mieux que cela au procès.

 

[28]           L’article 420 des Règles des Cours fédérales dispose que, sauf ordonnance contraire, lorsqu’un demandeur fait une offre écrite de règlement et obtient un jugement au moins aussi favorable, il a droit au double des dépens partie-partie à compter de la date de signification de l’offre, mais non au double des débours. Cependant, il est une condition que cette offre ne doit ni être révoquée ni expirer avant le début de l’instruction. La Cour peut néanmoins prendre en considération les offres de règlement qui ne tombent pas sous le coup de cette règle.

 

[29]           Une question qui se pose est de savoir si l’offre d’Irving a été valide six jours, ou six ans. Dans le processus normal des concessions mutuelles qu’impliquent une offre contractuelle et son acceptation, une offre ne survit pas à son refus. Contrairement à ce qui se fait dans certaines provinces, nos Règles des Cours fédérales ne traitent pas précisément de ce point. Selon Halsburys Laws of Canada, 1st Edition, Civil Procedure II (Markham : LexisNexis, 2008), à la page 763, le Manitoba, l’Ontario, l’Île-du-Prince-Édouard et les Territoires du Nord‑Ouest permettent à une partie de souscrire à une offre de règlement qui n’a pas été révoquée ou qui n’a pas expiré, même si elle a été initialement rejetée, ou si des contre-offres ont été faites. Dans MK Plastics Corp c Plasticair Inc, 2007 CF 1029, 161 ACWS (3d) 31, [2007] ACF no 1348 (QL), la demanderesse, qui avait refusé une offre de règlement valide, s’est fondée sur l’article 1392 du Code civil du Québec, lequel dispose qu’une offre rejetée devient caduque. Néanmoins, la juge Tremblay-Lamer a appliqué l’article 420 des Règles des Cours fédérales.

 

[30]           Dans la décision Termar, précitée, le juge Rothstein écrit, au paragraphe 15 :

[…] Dans le contexte d’un litige en cours, en l’absence d’une certaine forme d’action ou de correspondance selon laquelle l’offre est expressément ou implicitement révoquée, je ne vois aucun motif pour lequel une offre ouverte ne resterait pas ouverte indéfiniment.

 

 

[31]           Par souci de courtoisie, je conclus que cette offre a été ouverte pendant environ six ans, et qu’elle devrait avoir une incidence sur les dépens.

 

LES AUTRES FACTEURS

[32]           Le dernier facteur essentiel est la complexité de l’affaire. Plusieurs points difficiles étaient en jeu, comme la couverture d’assurance, la nuisance publique et la répartition des frais engagés pour la défense. Il est assez surprenant de constater, étant donné que la demande visait un montant de plus de 11 millions de dollars, que la différence entre la colonne III, la colonne par défaut, et la colonne V, la colonne la plus élevée, n’est pas si marquée que cela. Les honoraires que prévoit la colonne III seraient tout juste inférieurs à 60 000 $, tandis que dans le cas de la colonne V ils seraient tout juste supérieurs à 100 000 $. Dans les deux cas, les ébauches que les demanderesses ont fournies prévoyaient la présence d’un second avocat au procès. Les deux parties ont eu un second avocat au procès, et je considère qu’il est approprié d’accorder les honoraires relatifs à la présence d’un second avocat.

 

[33]           La Cour a tendance à accorder les dépens sous forme globale dans la mesure du possible. Mon idée était d’accorder les dépens en me basant sur l’extrémité inférieure de la colonne IV. Cependant, si je tiens également compte de l’offre qui a été faite, je fixe la partie « honoraires » des dépens taxables à 85 000 $, tout compris.

 

[34]           Quant aux débours, un certain nombre de questions se sont posées, et les avocats des défendeurs devraient avoir la possibilité d’obtenir de plus amples précisions. S’il est impossible d’arriver à un accord, les débours seront taxés de la manière habituelle.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR STATUE que :

1.                  les intérêts antérieurs au jugement doivent être calculés au taux simple de 5 p. 100 par année, du 12 juillet 2001 au 25 avril 2012;

2.                  les intérêts postérieurs au jugement doivent être calculés au taux simple de 4,5 p. 100 par année;

3.                  les honoraires taxables sont par les présentes fixés à 85 000 $, tout compris;

4.                  à défaut d’une entente, les débours demandés seront taxés.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1148-01

 

INTITULÉ :                                      UNIVERSAL SALES, LIMITED ET AUTRES c
EDINBURGH ASSURANCE CO LTD ET AUTRES

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 27 SEPTEMBRE 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT (INTÉRÊTS

ET DÉPENS) :                                  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 12 OCTOBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

John MacDonald

Mary Paterson

 

POUR LES DEMANDERESSES

Peter Cullen

Matthew Liben

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Stikeman Elliott s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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