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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20121029

Dossier : IMM-804-12

Référence : 2012 CF 1253

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2012

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

LULU LERATO TSIAKO
ALVIN KATLEGO TSIAKO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision, datée du 21 décembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi.

 

[2]               La demanderesse souhaite que la décision de la Commission soit infirmée et la demande renvoyée à la Commission afin qu’une formation différente la réexamine.

 

Le contexte

[3]               Lulu Lerato Tsiako (la demanderesse principale) et son fils sont citoyens du Botswana. Ils ont pris la fuite, craignant les actes violents de l’ancien conjoint de la demanderesse principale.

 

[4]               La demanderesse principale a amorcé une relation avec son ancien conjoint en 2003. La relation était heureuse au départ, mais ce dernier est devenu violent. L’incapacité du couple d’avoir un enfant était une source de conflit. Le conjoint a commencé à consommer de l’alcool et est devenu violent; les actes de violence comprenaient des voies de fait, des viols ainsi que des menaces de mort.

 

[5]               La demanderesse principale s’est plainte à la police, mais celle-ci lui a dit qu’il s’agissait d’une affaire de famille qui ne justifiait pas qu’elle intervienne. Son fils et elle ont décidé de fuir le Botswana. Ils sont arrivés au Canada le 6 août 2010 et leur audition devant la Commission a eu lieu le 28 octobre 2011.

 

La décision de la Commission

[6]               La Commission a rendu sa décision le 21 décembre 2011. Elle a résumé l’allégation des demandeurs et, dans sa décision défavorable, a indiqué que les questions déterminantes étaient la protection de l’État et une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[7]               La Commission a examiné et rejeté la possibilité que le fils de la demanderesse principale puisse obtenir la citoyenneté sud-africaine et que sa demande d’asile soit donc irrecevable.

 

[8]               La Commission a relevé des incohérences dans la preuve de la demanderesse principale et dans celle de son fils en rapport avec la disponibilité d’une protection de l’État et la profession du fils. Elle a conclu que la demanderesse principale ne craignait pas avec raison d’être persécutée car elle n’avait fourni aucune preuve que l’agent de persécution la pourchassait encore activement.

 

[9]               La Commission a énoncé les principes de la protection de l’État et a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption d’une telle protection, parce que la police était intervenue à la suite d’actes de vandalisme commis contre son automobile et que les lois contre le viol au Botswana sont appliquées de manière efficace, en faisant référence au rapport du département d’État des États-Unis.

 

[10]           Enfin, la Commission a conclu qu’il était raisonnable que la demanderesse principale et son fils trouvent refuge ailleurs sur le territoire botswanais. Comme il n’y avait aucune preuve que l’agent de persécution pourchassait encore la demanderesse principale ou serait disposé à se rendre à Francistown ou à Maun, une PRI était disponible. La demande d’asile des demandeurs a donc été rejetée.

 

Les questions en litige

[11]           Les demandeurs soulèvent les questions litigieuses qui suivent :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l’État?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’appliquer les Directives no 4, intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe? (les Directives fondées sur le sexe)?

 

[12]           Je reformulerais les questions comme suit :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’appliquer les Directives no 4, intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives fondées sur le sexe)?

3.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la protection de l’État ou à l’existence d’une PRI?

 

Les observations écrites des demandeurs

[13]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

 

[14]           La Commission n’a pas fourni de motifs pour expliquer pourquoi elle privilégiait la preuve relative à la situation dans le pays, qui dénotait l’existence d’une protection de l’État, plutôt que celle qui indiquait que cette protection n’était pas disponible. Il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle. Le rapport du département d’État des États-Unis sur lequel la Commission s’est fondée indiquait aussi que la violence à l’endroit des femmes était un problème persistant, mais la Commission n’a retenu que les éléments de ce rapport qui étaient favorables à sa conclusion.

 

[15]           La Commission n’a pas fait référence aux Directives fondées sur le sexe. Il s’agit là d’une preuve que celles-ci n’ont pas été prises en considération. Les questions que la Commission a posées lors des témoignages n’en ont pas tenu compte non plus.

 

Les observations écrites du défendeur

[16]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

 

[17]           Le défendeur souligne que la Commission a reconnu la crédibilité de la demanderesse principale et de son fils, mais qu’elle a rejeté la demande d’asile à cause de l’existence d’une protection de l’État et d’une PRI. Rien ne prouve que la demanderesse principale a demandé à l’État de la protéger, sauf à la suite des actes de vandalisme contre son automobile au sujet desquels la police a fait enquête. Même si la police locale n’a pas assuré une protection adéquate, cela n’établit pas l’existence d’un manque de protection pour l’État dans son ensemble.

 

[18]           Les conclusions relatives à la PRI sont des conclusions de fait et il convient de faire preuve de déférence à leur égard. Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve qui réfute l’existence d’une PRI.

 

[19]           Le défendeur est d’avis que la Commission a bel et bien examiné comme il se doit les preuves relatives à la situation dans le pays, y compris celles qui sont contraires. La demanderesse principale a dit qu’elle avait commencé à être victime de violence de la part de son conjoint en 2004 mais qu’elle ne s’était adressée à la police qu’après que son automobile avait été vandalisée, en 2010.

 

[20]           La Cour a clairement indiqué que le fait de ne pas mentionner explicitement les Directives n’est pas nécessairement une erreur. À l’audience, la Commission a fait preuve de la délicatesse et de la courtoise requises. Une application appropriée des Directives ne mène pas forcément à un certain résultat. Même si la Commission s’est trompée en traitant explicitement des Directives, les conclusions déterminantes concernaient la protection de l’État et l’existence d’une PRI et cette erreur n’aurait donc eu aucune incidence sur ces deux aspects.

 

Analyse et décision

[21]           La question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déterminé quelle est la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière qui lui est soumise, la cour de révision peut adopter cette norme-là (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[22]           L’importance relative attribuée à la preuve ainsi que l’interprétation et l’appréciation de cette dernière sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[23]           Pour contrôler la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables au vu des éléments de preuve soumis (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Comme l’a décrété la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à une cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il ne lui appartient d’évaluer de nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[24]           La question no 2

            La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’appliquer les Directives no 4, intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives fondées sur le  sexe)?

            Les Directives sont, pour la Commission, un outil fort important pour évaluer les demandes d’asile ancrées dans la violence conjugale. Cependant, la demanderesse principale n’a pas fait ressortir d’erreur distincte que l’on aurait commise dans la décision à cause de la non‑application de ces Directives. De plus, ces dernières sont surtout importantes pour évaluer la crédibilité, un aspect qui a peu joué dans l’issue dont il est question en l’espèce.

 

[25]           Le défendeur a raison de dire qu’il n’est pas nécessaire que la Commission fasse explicitement mention des Directives (voir Shinmar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 94, au paragraphe 19, [2012] ACF no 100). Après avoir examiné la décision et la transcription de l’audience, je ne puis relever aucune insensibilité ou aucun raisonnement inadmissible à propos de la situation de la demanderesse principale en tant que victime de violence conjugale. L’argument des demandeurs sur ce point n’est pas fondé.

 

[26]           La question no 3

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la protection de l’État ou à l’existence d’une PRI?

            Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis d’expliquer pourquoi elle privilégiait les preuves relatives à la situation du pays qui penchaient en faveur d’une conclusion de protection de l’État, plutôt qu’une preuve non favorable à une telle conclusion, car le rapport du département d’État des États-Unis contenait des preuves des deux types. Ils soulignent des extraits du rapport selon lesquels le viol conjugal n’est pas reconnu comme un acte criminel, ainsi que d’autres preuves selon lesquelles le Botswana n’applique pas de façon satisfaisante ses lois interdisant d’autres formes de violence.

 

[27]           Il est présumé que la Commission a pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis (voir Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, au paragraphe 33, [2008] ACF no 411).

 

[28]           Il est à souligner que quand la demanderesse principale s’est adressée à la police au sujet de son automobile, la police a essayé de l’aider.

 

[29]           À cause de la conclusion que je tire au paragraphe suivant au sujet de la PRI, je ne traiterai plus de la question de la protection de l’État.

 

[30]           Il est important de se rappeler que la Commission a également conclu que les demandeurs disposaient au Botswana de deux PRI différentes. Ces derniers n’ont pas mis en doute cette conclusion. Cela suffit donc pour faire échec à la demande d’asile, car on ne peut pas considérer qu’une personne a la qualité de réfugié ou de personne à protéger s’il existe pour elle, dans son propre pays, une PRI valable. Il incombe aux demandeurs de démontrer que la PRI n’est pas valable, et ils ne l’ont pas fait.

 

[31]           De ce fait, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[32]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont voulu me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-804-12

 

INTITULÉ :                                      LULU LERATO TSIAKO
ALVIN KATLEGO TSIAKO

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 22 OCTOBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 OCTOBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Obuba Kalu

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex C. Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Obuba Kalu

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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