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Date : 20121127

Dossier : IMM‑800‑12

Référence : 2012 CF 1367

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MARIA ISABEL MENDOZA‑RODRIGUEZ et GUSTAVO ADOLFO GARCIA‑ACOSTA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision, datée du 28 décembre 2011 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse principale et son époux, le demandeur secondaire, sont des citoyens colombiens. Le demandeur secondaire s’est fondé sur la demande d’asile de sa femme, de sorte que tout au long des présents motifs la Cour appellera cette dernière « la demanderesse principale ». La demanderesse principale a demandé l’asile le 4 avril 2011. Voici sa description des faits.

 

[3]               La demanderesse principale a été élevée par sa mère, Miryam Rodriguez de Mendoza, avec son frère, Diego German Mendoza (Diego), à Bogota (Colombie), dans un quartier appelé Santa Elena de Baviera. Devenue adulte, elle a continué à entretenir des liens très étroits avec sa famille et ils vivaient tous à proximité les uns des autres dans le même quartier.

 

[4]               Le 7 mai 2000, Diego a été arrêté pour enlèvement et extorsion, et la demanderesse principale a appris qu’il faisait l’objet d’une enquête parce qu’il était membre d’un groupe paramilitaire. Diego était sous les ordres de Miguel Angel Hernandez (Miguel), un ami de Diego, qui avait grandi dans le même quartier que la famille de la demanderesse principale. L’oncle de Miguel était Victor Carranza, un trafiquant d’émeraudes bien connu en Colombie, qui participait aux activités d’organisations paramilitaires depuis des années. La demanderesse principale a appris que Diego était sous le commandement de Victor Carranza et d’Angel Gaitan (Angel), qui avaient également été arrêtés.

 

[5]               Le jour où Diego a été arrêté, il a appelé la demanderesse principale et lui a demandé de venir le voir en détention. Diego lui a dit qu’il faisait partie du groupe paramilitaire de Victor Carranza et que cette organisation le ferait sortir de prison. Les paramilitaires ont retenu les services d’un avocat pour Diego et ont obtenu qu’il soit transféré dans l’unité à sécurité maximale de la prison.

 

[6]               Un ou deux jours après l’arrestation de Diego, Miguel et d’autres paramilitaires se sont rendus au domicile de la demanderesse principale. Ils étaient armés et ont utilisé un langage agressif et violent. Ils ont dit à la demanderesse principale et à sa famille qu’elles feraient mieux de suivre les ordres des paramilitaires, que si elles ne le faisaient pas, ils les tueraient quand ils le voudraient. Les paramilitaires leur ont ordonné de ne rien dire à personne et leur ont interdit d’embaucher un avocat pour défendre Diego et de parler aux autorités gouvernementales. Ils ont également dit à la demanderesse principale que ses téléphones étaient sous écoute et que sa famille était surveillée.

 

[7]               La demanderesse principale a commencé à recevoir des menaces par téléphone de la part des paramilitaires. Ces derniers lui ont dit de se tenir tranquille et d’obéir à leurs ordres. Miguel et ses hommes venaient chaque semaine à la maison de la demanderesse principale et la surveillaient constamment. Miguel tenait la demanderesse principale au courant de ce qui se passait dans le dossier de Diego parce que les paramilitaires ne lui permettaient pas de communiquer avec l’avocat de son frère. La demanderesse principale visitait son frère en prison tous les dimanches, mais ces visites étaient surveillées par les gardes de sécurité d’Angel, qui faisaient partie du groupe paramilitaire.

 

[8]               Compte tenu de ses croyances religieuses, la demanderesse principale pensait que Diego devait quitter le groupe paramilitaire, et elle le lui disait souvent lorsqu’elle allait le voir en prison. Diego s’inquiétait constamment de la sécurité de sa famille et lui disait de ne pas se mêler de ce qui arrivait. Diego disait toujours à la demanderesse principale de ne rien dire à qui que ce soit au sujet du harcèlement dont sa famille faisait l’objet ou de la corruption qui régnait dans les prisons. Diego ne lui parlait jamais de ses activités au sein du groupe paramilitaire, mais Miguel a dit à la demanderesse principale que son frère était son homme de confiance et qu’il avait ouvert des comptes bancaires et mis des biens immobiliers à son nom.

 

[9]               La demanderesse principale avait peur, de sorte qu’en novembre 2000, elle et sa famille ont déménagé dans un appartement situé dans le secteur nord de la ville de façon à s’éloigner de tout cela. Le nouvel appartement se trouvait à environ 45 minutes de voiture de leur ancien quartier.

 

[10]           En décembre 2000, la demanderesse principale a été invitée à se rendre dans une église aux États‑Unis; elle y est donc allée avec sa famille pendant un mois. Toujours en décembre 2000, la mère de la demanderesse principale a appris qu’elle souffrait d’un cancer du col de l’utérus. Compte tenu de l’état de santé de sa mère et des problèmes juridiques de Diego, la demanderesse principale est revenue en Colombie en janvier 2001.

 

[11]           En février 2001 environ, la demanderesse principale a commencé à recevoir des appels de menaces et elle a constaté qu’elle était suivie. Elle a conclu que les paramilitaires avaient découvert l’appartement où vivait sa famille. Elle a également pensé qu’ils avaient de nouveau mis sa ligne téléphonique sous écoute, parce qu’au cours d’une de ses visites à Diego, celui‑ci lui a dit de faire attention à ce qu’elle disait au téléphone.

 

[12]           Au cours du même mois, Miguel et ses gardes du corps se sont rendus sur le lieu de travail du mari de la demanderesse principale. Ils ont prétexté vouloir acheter un véhicule et ont demandé à un des collègues de son mari quel était l’horaire de ce dernier et le genre de travail qu’il effectuait. La demanderesse principale et son mari ont été très inquiets et ont décidé de se procurer des titres de voyage au cas où ils seraient obligés de quitter le pays. Ils ont obtenu des visas de touriste pour les États‑Unis en mars 2001.

 

[13]           Miguel a été assassiné à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai 2001. À la même époque, des gens qui travaillaient pour lui, comme le faisait Diego, ont été assassinés un après l’autre. Cette série d’assassinats a effrayé la demanderesse principale; elle a donc décidé de quitter le pays avec sa famille.

 

[14]           Au cours de la dernière semaine d’avril 2001, la demanderesse principale a déménagé dans un autre appartement situé à environ 40 minutes de voiture de l’ancien appartement. Sa famille a emménagé avec elle dans le seul but de se préparer à partir pour les États‑Unis et d’attendre que la mère obtienne son visa de visiteur. Compte tenu du nombre de personnes assassinées, la demanderesse principale a décidé qu’il était trop risqué pour elle et sa famille de rester plus longtemps en Colombie. La demanderesse principale, son mari et sa fille ont quitté la Colombie le 29 mai 2001. En juin 2001, sa mère lui a dit que la sœur et la mère de Miguel avaient été torturées et assassinées.

 

[15]           Le 4 juillet 2001, Diego devait sortir de prison parce que le groupe paramilitaire avait versé à la poursuite un pot‑de‑vin important pour obtenir sa libération et que la poursuite n’était pas en mesure de prouver qu’il était coupable de quoi que ce soit. Le 3 juillet 2001, Diego a été emmené hors de sa cellule et a été exécuté. Selon la version officielle du gouvernement, Diego a été tué au cours d’une émeute survenue à la prison, mais l’émeute s’est produite dans un secteur différent de celui où Diego était détenu. La demanderesse principale a cru que Diego voulait quitter les paramilitaires et que c’est la raison pour laquelle il a été assassiné. Sa mère lui a également dit que les paramilitaires recherchaient les membres de la famille dans des endroits comme son salon de beauté et son église, et qu’il était trop dangereux pour eux de revenir pour assister aux funérailles de Diego. La demanderesse principale est donc demeurée aux États‑Unis.

 

[16]           La demanderesse principale pensait qu’après la mort de son frère, les paramilitaires laisseraient sa famille tranquille. Cependant, peu de temps après le meurtre de Diego, sa mère a commencé à recevoir des appels de menaces de la part d’Angel. Il voulait avoir les documents que Diego avait donnés à sa mère concernant les comptes bancaires et les propriétés qui étaient à son nom. La mère de la demanderesse principale a remis à Angel les documents qu’il demandait, et Angel lui a dit que si quelqu’un de la famille divulguait qu’il avait des liens avec les paramilitaires ou blâmait ces derniers pour la mort de Diego, alors il serait tué aussi.

 

[17]           En août 2001, la demanderesse principale et sa sœur ont retenu les services d’un avocat du nom de Tulio Nieto Arbelaez pour qu’il engage des procédures contre l’institution chargée de l’administration des prisons en Colombie. En septembre 2001, Angel a été assassiné. Le 10 décembre 2001, la mère de la demanderesse principale a reçu son visa pour les États‑Unis et, le 18 décembre 2002, elle rejoignait la demanderesse principale et sa famille.

 

[18]           Dès leur arrivée aux États‑Unis, la demanderesse principale et sa famille ont demandé l’asile. La mère de la demanderesse principale est retournée en Colombie en décembre 2002, parce qu’elle ne pouvait pas assumer les frais médicaux exigés aux États‑Unis. Depuis, elle déplace constamment pour tenter d’éviter les paramilitaires.

 

[19]           La demanderesse principale a obtenu l’asile politique aux États‑Unis en décembre 2003, mais cette décision a été portée en appel et elle a perdu son statut. Elle a interjeté appel de cette décision et l’instance a finalement pris fin en décembre 2010, alors qu’elle s’est vu refuser l’asile. Risquant d’être renvoyée en Colombie, la demanderesse principale a quitté les États‑Unis pour se rendre au Canada.

 

[20]           La demanderesse principale a présenté une demande d’asile le 4 avril 2011. Elle craint d’être tuée par le groupe de paramilitaires dont faisait partie son frère si elle retourne en Colombie, parce que, selon elle, ces gens pensent ou présument que son frère leur a fourni, à elle et à sa famille, des renseignements au sujet de leurs activités. Les paramilitaires savent également que la demanderesse principale a conseillé à son frère de quitter le groupe et qu’elle a déposé auprès des autorités une plainte au sujet de la mort de son frère. Sa plainte a été rejetée le 28 décembre 2011.

 

La preuve documentaire

 

[21]           La demanderesse principale a présenté de nombreux documents à l’appui de sa demande. Elle a notamment fourni les documents personnels suivants :

                     une copie des documents présentés à l’appui de sa demande d’asile aux États‑Unis;

                     des lettres corroborant ses déclarations au sujet du harcèlement dont sa famille a fait l’objet de la part des paramilitaires;

                     des documents au sujet de la poursuite intentée par suite du décès de son frère;

                     des éléments de preuve et des articles de journaux corroborant les décès de Diego, d’Angel et d’autres paramilitaires.

 

[22]           La demanderesse principale a également présenté de nombreux documents concernant les conditions dans le pays et les groupes paramilitaires en Colombie. Parmi ces documents, trois présentent un intérêt particulier en l’espèce. Le premier consiste en un article provenant d’une publication intitulée In Sight, dont le titre était « Emerald Czar a Test for Colombian Justice », daté du 22 mars 2011. On peut le consulter à la page 1060 du dossier certifié du tribunal (le DCT). L’auteur y traite du pouvoir politique et économique de Victor Carranza, et affirme que [traduction] « Carranza est l’homme téflon de la Colombie; pendant plus de 30 ans, il a réussi à échapper à de nombreuses tentatives d’assassinat et poursuites. Sa capacité de survivre n’est surpassée que par son sens des affaires – il demeure l’un des plus grands trafiquants d’émeraudes au monde et l’un des plus grands propriétaires terriens de la Colombie en plus d’avoir des liens politiques étroits avec ses têtes dirigeantes ». L’article décrit les différentes tentatives infructueuses qui ont été faites pour poursuivre Carranza en raison de ses activités illégales. Carranza a même réussi à éviter la prison après que l’on eut découvert sur sa propriété un charnier contenant une cinquantaine cadavres. L’article évoquait également ses nombreux liens avec des politiciens très influents.

 

[23]           Le deuxième document consiste en un article de Gendercide Watch intitulé « Case Study : Columbia ». À la page 1069 du DCT, on peut lire à propos de Carranza qu’il est un [traduction] « trafiquant d’émeraudes légendaire, un propriétaire de ranch et le chef d’un groupe paramilitaire associé à des centaines de meurtres politiques dans le département de Boyaca et dans les plaines de l’est de la Colombie ». Un autre article traitant de Carranza est daté de janvier 2001 et est intitulé « Columbia’s paramilitaries »; on le trouve à la page 1072 du DCT. Il y est question des luttes pour le contrôle des territoires riches en émeraudes qui ont mené à la « guerre verte » de 1988, dont Carranza est sorti victorieux. Dans les années 1990, Carranza est devenu l’une des personnes les plus riches et les puissantes du pays. On dit également que Carranza poursuit ses acquisitions avec l’aide des groupes paramilitaires.

 

[24]           La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse principale le 12 décembre 2011, et elle l’a rejetée dans une décision rendue le 28 décembre 2011.

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[25]           La SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’elle pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Colombie, et qu’elle n’avait pas fait de tentatives raisonnables pour s’en prévaloir.

 

[26]           La SPR commence son analyse de la protection de l’État en disant que le demandeur d’asile qui allègue que la protection de l’État est insuffisante doit présenter des éléments de preuve susceptibles de convaincre la Commission que c’est le cas. L’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, établit une présomption selon laquelle l’État est capable de protéger ses citoyens, sauf dans le cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique. Après avoir examiné les documents relatifs aux conditions dans le pays, la SPR a jugé que la Colombie était une démocratie et que, même si la situation n’était pas parfaite, l’État exerçait un contrôle réel sur son territoire et était en mesure de faire appliquer les lois. Le fait de ne pas solliciter la protection de l’État sera habituellement fatal pour un demandeur d’asile si, dans l’État en question, le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question, et plus la démocratie fonctionne bien, plus il est difficile au demandeur d’asile d’établir qu’il a épuisé toutes les ressources qui s’offraient à lui.

 

[27]           Au paragraphe 24 de la décision, la SPR dit que la demanderesse principale « craignait les paramilitaires en Colombie, et particulièrement Victor Carranza, le chef de l’organisation paramilitaire […] Elle a ajouté que Victor Carranza, et d’autres membres de l’organisation s’étaient rendus chez elle à plusieurs reprises […] ». La SPR a souligné que, lorsqu’elle a été interrogée à propos des renseignements compromettants qu’elle détenait à propos des forces paramilitaires, la demanderesse principale a dit que des membres de l’Organisation étaient venus chez elle régulièrement et avaient fait mention des permis d’armes illégales obtenus du ministère de la Défense ainsi que du matériel scientifique utilisé par leurs hommes. La demanderesse principale a déclaré qu’on lui avait divulgué ces renseignements parce que les paramilitaires voulaient que sa famille comprenne qu’ils avaient du pouvoir. Elle a également déclaré que les paramilitaires ne voulaient pas qu’elle embauche un avocat pour faire libérer son frère parce qu’ils voulaient que leurs propres avocats se chargent des dossiers de tous leurs membres incarcérés.

 

[28]           La SPR s’est ensuite penchée sur les conditions en Colombie. Elle a constaté que la Colombie possédait des institutions démocratiques fonctionnelles et qu’elle était dotée d’un système judiciaire relativement indépendant et impartial. La SPR a déclaré que des éléments de preuve convaincants démontraient que la Colombie s’efforçait de régler ses problèmes passés de criminalité et de corruption. La SPR a constaté que la preuve documentaire comportait certaines incohérences (paragraphes 27 à 33 de la décision), mais a jugé que la prépondérance des éléments de preuve donnait à penser que la protection offerte par l’État en Colombie était adéquate. La SPR a également conclu, au paragraphe 27 de la décision, qu’« une personne recherchée par les groupes paramilitaires doit avoir suffisamment de valeur à leurs yeux pour qu’ils la recherchent ailleurs en Colombie ».

 

[29]           La SPR a indiqué que la demanderesse principale avait expliqué qu’elle ne s’était jamais adressée aux autorités parce qu’elle craignait pour sa vie, ainsi que pour celle de Diego. La SPR a ajouté que bien que « la peur des demandeurs d’asile fût justifiée, j’estime qu’il était déraisonnable de ne pas demander la protection de la police, étant donné qu’ils savaient que l’État voulait et pouvait appréhender les membres des forces paramilitaires comme en témoignent l’arrestation et l’incarcération du frère de la demandeure d’asile et de deux autres dirigeants du groupe ». La SPR a conclu que ces autres arrestations démontraient la capacité de l’État à protéger ses citoyens et sa volonté à traduire en justice les membres dirigeants des paramilitaires. Comme la demanderesse principale n’a jamais signalé ces incidents aux autorités, elle a privé l’État de la possibilité de la protéger. Il n’est pas possible de réfuter la présomption relative au caractère adéquat de la protection de l’État en n’invoquant que des réticences à faire intervenir l’État. La SPR déclare que le fait de mettre en doute « l’efficacité de la protection de l’État sans l’avoir vraiment vérifiée n’a pas pour effet de réfuter la présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens ».

 

[30]           La SPR a jugé que la preuve était insuffisante pour étayer l’affirmation selon laquelle la demanderesse principale serait exposée à un risque accru du fait des procédures intentées en 2001; sa sœur et sa mère sont restées en Colombie et n’ont pas fait l’objet d’autres menaces. La SPR a également déclaré que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que les paramilitaires recherchaient toujours la demanderesse principale. Encore une fois, la mère et la sœur de la demanderesse principale et sa sœur vivent en Colombie sans problème, et la demanderesse principale a déclaré qu’elle pensait que personne ne les recherchait, elle ou sa famille. La SPR a également déclaré, après avoir procédé à un examen prospectif, qu’il était très peu probable que la demanderesse principale soit recherchée par les groupes paramilitaires en Colombie.

 

[31]           La SPR a jugé que la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, de sorte que sa demande de protection ne pouvait être accueillie. La demanderesse principale a établi son identité et la SPR a reconnu sa crédibilité. La demanderesse principale a prouvé que son frère avait été assassiné par une organisation paramilitaire et que ce groupe avait harcelé sa famille. Il existe toutefois une présomption selon laquelle un État démocratique, comme la Colombie, est en mesure de protéger ses citoyens (présomption que la demanderesse principale n’a pas réfutée). Il incombait à la demanderesse principale de démontrer qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour demander la protection de l’État et de soumettre des éléments de preuve clairs et convaincants attestant l’incapacité de l’État à assurer une protection. Ce n’est pas ce qu’elle a fait dans la présente affaire. La SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi. Étant donné que la demande d’asile du mari de la demanderesse principale reposait uniquement sur la sienne, cette demande a également été refusée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[32]           Les demandeurs soulèvent la question suivante dans la présente instance :

a.                   La SPR a‑t‑elle écarté la preuve relative à l’agent de persécution (Victor Carranza) lorsqu’elle a effectué son analyse de la protection de l’État?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[33]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie a été bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut tout simplement adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit se pencher sur les quatre facteurs que comprend l’analyse de la norme de contrôle.

 

[34]           La demanderesse principale affirme que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve qui indiquait que Victor Carranza était au‑dessus de la protection que peut assurer la Colombie. La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la raisonnabilité. Dans Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 36, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était celle de la décision raisonnable. Le juge Leonard Mandamin a suivi cette approche dans Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17. De plus, dans Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a conclu, au paragraphe 11, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était celle de la décision raisonnable.

 

[35]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTATIONS

Les demandeurs

 

[36]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a examiné la preuve relative aux groupes paramilitaires colombiens en général, mais qu’elle n’a pas pris en compte celle concernant le chef paramilitaire que les demandeurs craignent tout particulièrement. La demanderesse principale a fourni des éléments de preuve au sujet du pouvoir et de l’influence exercés par le principal agent de persécution et il est déraisonnable que ces éléments n’aient pas été pris en compte dans la décision.

 

[37]           La SPR a estimé que la demanderesse principale était crédible et n’a pas mis en doute la véracité des événements relatés par elle dans son FRP. La décision de la SPR repose sur sa conclusion voulant que la demanderesse principale n’ait pas réfuté la présomption selon laquelle la Colombie, un État démocratique, est en mesure de la protéger adéquatement. La SPR n’a pas remis en question les autres éléments de la demande d’asile présentée par les demandeurs.

 

[38]           Une des principales conclusions de la SPR est que les autorités colombiennes ont démontré qu’elles étaient disposées à traduire devant les tribunaux les membres des organisations paramilitaires et que rien ne justifiait objectivement les demandeurs de ne pas avoir cherché à obtenir la protection de l’État. Les demandeurs soutiennent que la SPR est arrivée à cette conclusion sans tenir compte de la preuve concernant Victor Carranza, leur principal agent de persécution.

 

[39]           Selon la preuve documentaire, le gouvernement colombien a démontré qu’il était disposé, en général, à traduire les paramilitaires devant les tribunaux, mais qu’il n’avait pas réussi à le faire dans le cas de Victor Carranza à cause de son immense pouvoir et de son influence.

 

[40]           Les demandeurs citent la décision Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 234 [Torres]. Dans cette affaire, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas pris des mesures raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État au Mexique et que cet État était en mesure de le protéger. Cependant, la SPR est arrivée à cette conclusion sans tenir compte du profil particulier de l’agent de persécution. Le juge Russel Zinn a jugé cette conclusion déraisonnable et a déclaré, au paragraphe 39 :

Le profil de l’auteur présumé des violations des droits de la personne est important car, même dans les pays démocratiques, certains individus peuvent être au‑dessus des lois. La suffisance de la protection de l’État dépend souvent des caractéristiques de l’auteur des violations. Si ce dernier est en position de force ou entretient des liens étroits avec la police ou d’autres instances, il peut être fort difficile, voire impossible, pour un demandeur d’obtenir une protection.

 

[41]           Le juge Zinn a ajouté, au paragraphe 43 :

En l’espèce, la Commission a examiné en détail les incidents d’abus dont le demandeur a été victime. Cependant, elle n’a fait qu’une analyse minimale du profil des auteurs des violations. Il n’y a pas eu d’analyse de fond sur les allégations du demandeur selon lesquelles M. Almendariz entretenait des liens avec le crime organisé, ou sur la question de savoir s’il avait des liens politiques, ou s’il avait des contacts dans la police. Ces questions sont importantes pour décider si les autorités mexicaines auraient la capacité et la volonté d’assurer une protection, compte tenu surtout du dossier documentaire, qui révèle que des individus puissants au Mexique peuvent commettre des crimes en toute impunité.

 

[42]           La SPR n’a fait qu’une analyse minimale de l’agent de persécution. En fait, Victor Carranza est mentionné une seule fois, en passant. La SPR n’a rien dit au sujet de son pouvoir et de son influence et n’a jamais reconnu qu’il n’avait pas vraiment le profil d’un chef paramilitaire ordinaire.

 

[43]           Les demandeurs ont présenté trois articles portant expressément sur Victor Carranza : In Sight, « Emerald Czar a Test for Colombian Justice », daté du 22 mars 2011, Gendercide Watch, « Case Study : Columbia », non daté et Afn.org, « Columbia’s Paramilitaries », daté de janvier 2001.

 

[44]           La publication In Sight permet d’apprendre ce qui suit :

                     Sur une période de 30 ans, M. Carranza a fait l’objet de nombreuses poursuites ainsi que de nombreuses tentatives d’assassinat;

                     M. Carranza a résisté à un grand nombre d’attaques juridiques, politiques et physiques, et sa capacité à survivre à ces attaques lui a valu le surnom d’« homme téflon de la Colombie »;

                     Malgré les nombreux témoignages d’anciens membres d’organisations paramilitaires, M. Carranza a toujours échappé aux poursuites;

                     M. Carranza n’a pas été condamné même après que l’on eût découvert sur sa propriété un charnier contenant une cinquantaine de cadavres;

                     M. Carranza est l’un des plus grands trafiquants d’émeraudes au monde et l’un des plus grands propriétaires terriens de la Colombie en plus d’avoir des liens politiques étroits avec ses têtes dirigeantes;

                     De nouveaux éléments de preuve liant M. Carranza à des groupes paramilitaires ont été découverts, mais il est peu probable que cela aboutisse à une condamnation;

                     M. Carranza a été emprisonné en 1998 après avoir été accusé de trafic de stupéfiants et de participation à une organisation paramilitaire, mais il a été libéré en 2001. Il a par la suite été blanchi de toutes les accusations portées contre lui et a même obtenu des dommages‑intérêts pour emprisonnement illégal;

                     L’Espagne a tenté d’extrader M. Carranza en 2002 et en 2010, mais en vain;

                     L’existence de liens entre M. Carranza et le président colombien, Juan Manual Santos, et d’autres personnes influentes comme l’ancien ministre de la Défense, a été établie;

                     M. Carranza jouit d’un énorme pouvoir économique et pendant qu’il était en prison, les revenus de la Colombie provenant du commerce des émeraudes ont connu une baisse importante.

La demanderesse principale souligne que ce document a été invoqué dans les observations finales qu’elle a présentées à l’audience.

 

[45]           Les demandeurs soutiennent que la seule conclusion raisonnable que l’on puisse tirer de cette preuve est que Victor Carranza est [traduction] « au‑dessus des lois ». Il est également fort probable que cette conclusion reste la même parce qu’il y a peu d’indications que la situation pourrait changer. Cette preuve contredit la conclusion de la SPR selon laquelle l’État est en mesure d’offrir une protection adéquate aux demandeurs et qu’il est disposé à le faire. Elle étaye également son argument suivant lequel il serait dangereux et futile de porter plainte contre Victor Carranza à la police.

 

[46]           La preuve concernant Victor Carranza était très importante pour la demande d’asile des demandeurs. Elle n’a pas été contredite et la SPR n’a pas expliqué dans sa décision pourquoi elle ne lui avait accordé aucun poids. La SPR n’a tout simplement pas tenu compte de cette preuve. Elle a peut‑être raison lorsqu’elle dit que certains paramilitaires ont été arrêtés et poursuivis, mais cela ne concerne guère l’agent de persécution des demandeurs. La SPR a reconnu que le système judiciaire en Colombie était surchargé, inefficace et entravé par la subordination et l’intimidation des juges, des procureurs et des témoins. Dans ces circonstances, on peut comprendre que les demandeurs n’aient pas pris le risque de s’opposer directement à Victor Carranza.

 

[47]           Les demandeurs soutiennent qu’il ne s’agit pas en l’espèce de savoir si cette preuve aurait nécessairement convaincu la SPR, mais si elle était suffisamment importante pour que celle‑ci en tienne compte expressément dans sa décision. Les demandeurs soutiennent qu’elle l’était. La SPR a admis, au paragraphe 24 de sa décision, que la demanderesse principale craignait « particulièrement » Victor Carranza. Il incombait donc à la SPR de s’intéresser au pouvoir et à l’influence de ce dernier et non pas seulement à ceux des paramilitaires en général.

 

[48]           La SPR a également déclaré que rien n’indiquait que les paramilitaires s’étaient intéressés à la demanderesse principale ou à sa famille au cours des dernières années. La demanderesse principale fait remarquer que sa mère, qui a 72 ans, est retournée en Colombie entre autres pour y recevoir un traitement contre le cancer, dont le coût était exorbitant aux États‑Unis. Depuis son retour en Colombie, elle a souvent changé de résidence pour échapper aux paramilitaires. La demanderesse principale soutient également que sa mère ne se trouve pas dans une situation semblable à la sienne et qu’il est possible que son âge et sa mauvaise santé l’aient protégée. Elle ajoute que sa demi‑sœur n’est pas non plus dans une situation semblable parce que c’est elle, la demanderesse principale, qui a joué un rôle actif en allant voir son frère après son arrestation et que c’est dans ce contexte qu’elle a reçu des menaces.

 

[49]           Bien que la SPR n’ait pas véritablement procédé à une analyse de la possibilité d’un refuge intérieur, elle a néanmoins mentionné que la demanderesse principale ne présentait pas assez d’intérêt pour que les paramilitaires la poursuivent dans d’autres régions de la Colombie. La demanderesse principale soutient que l’omission de la SPR de prendre en compte le profil de son agent de persécution a également eu une incidence sur cette analyse. Cet aspect a également été abordé dans Torres, et le juge Zinn a déclaré ce qui suit au paragraphe 53 :

La Commission conclut également que M. Almendariz n’aurait pas eu le bras assez long dans tout le pays pour pouvoir suivre le demandeur jusqu’à l’une ou l’autre des PRI proposées, mais elle ne justifie pas cette conclusion. Comme il a été déjà été mentionné, le demandeur a allégué que M. Almendariz avait des liens avec le crime organisé et des figures politiques influentes, en plus de son rôle de président de l’Association des hôtels et motels du Mexique. La Commission n’a pas traité de ces questions et, comme il a été dit, elle n’a pas examiné les PRI en tenant compte du profil de l’agent de persécution. Son analyse de l’existence d’une PRI, compte tenu de l’identité de l’agent de persécution, était déraisonnable.

 

 

[50]           Les demandeurs soutiennent que cette preuve suffit à démontrer que la décision aurait pu être différente si la SPR n’avait pas commis d’erreurs (voir Pankou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 203; Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4; Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 601). Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable et ils demandent qu’elle soit renvoyée à la SPR pour qu’elle rende une nouvelle décision. Les demandeurs soutiennent également que le litige ne portant que sur la question de l’accès à la protection de l’État, il serait approprié que la Cour ordonne à la SPR de limiter son examen à cette question.

 

Le défendeur

 

[51]           Le défendeur soutient que la SPR est un tribunal administratif spécialisé et un expert dans son domaine. La preuve relative aux conditions dans le pays fait partie de son domaine d’expertise et la SPR a le droit d’attribuer l’importance qu’elle estime appropriée à chaque élément qui lui est soumis (voir Meija c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 NR 315 (CAF); Medarovik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61). Il incombait à la demanderesse principale de réfuter la présomption selon laquelle elle avait accès à une protection étatique adéquate (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 709; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1172 (CAF), aux paragraphes 5 et 6), ce qu’elle n’a pas réussi à faire en l’espèce.

 

[52]           La SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, compte tenu des éléments suivants :

                     La demanderesse principale a déclaré qu’elle n’avait jamais recouru aux services d’un avocat pour défendre son frère et qu’elle n’avait jamais signalé aux autorités les menaces qu’elle avait reçues;

                     Le fait que le frère de la demanderesse principale et deux autres paramilitaires ont été incarcérés démontrait que l’État était à la fois disposé à arrêter les membres des organismes paramilitaires et en mesure de le faire.

 

[53]           La SPR a également tiré les conclusions suivantes :

                     En ne signalant pas certains incidents à la police, la demanderesse principale a privé l’État de la possibilité de lui accorder sa protection;

                     La preuve n’était pas suffisante pour démontrer qu’un membre de l’organisation paramilitaire était actuellement à la recherche de la demanderesse principale.

 

[54]           L’asile n’est accordé que lorsque le pays de nationalité du demandeur d’asile n’offre pas de protection (Carrillo, précité, au paragraphe 25). Il incombe à la demanderesse principale d’établir qu’elle ne souhaite pas se prévaloir de la protection de la Colombie ou qu’elle n’est pas en mesure de se prévaloir de cette protection. Il ne suffit pas que la demanderesse principale démontre que le gouvernement colombien n’a pas toujours réussi à protéger efficacement ses citoyens contre les groupes paramilitaires. Qui plus est, une réticence subjective à s’adresser à l’État pour obtenir sa protection n’a pas pour effet d’établir que cette protection ne pouvait être obtenue (Ward, aux pages 724 et 725; Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 830; Canada c Villafranca, (1992) 18 Imm LR (2d) 130 (CAF), aux pages 132 et 133).

 

[55]           Sauf en cas d’effondrement complet, l’État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens. La SPR a admis qu’en Colombie, la police tolère certaines activités illégales des paramilitaires; cela ne veut toutefois pas dire que la demanderesse principale courait un risque accru. Le défendeur soutient que de nombreux éléments de preuve confirment que la Colombie a fait des progrès importants dans sa lutte contre les groupes paramilitaires. La SPR pouvait préférer certains éléments plutôt que d’autres (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada, [1998] A.C.F. no 1425 (CF) [Cepeda‑Gutierrez], au paragraphe 16; Szucs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1614, au paragraphe 11).

 

[56]           Le défendeur soutient que les articles dans lesquels il est expressément question de Victor Carranza ne minent pas la conclusion de la SPR selon laquelle l’État a démontré sa volonté à traduire devant les tribunaux les membres des groupes paramilitaires. Ces articles ne permettent pas d’affirmer que le gouvernement colombien laisse Victor Carranza agir en toute impunité. On y indique que le gouvernement colombien n’a pas réussi à poursuivre Victor Carranza, mais sans dire pourquoi. Dans l’un d’eux, on avance l’hypothèse que, faute de preuves suffisantes, il n’est pas possible pour le moment de le traduire en justice. Les deux autres articles ne font que mentionner Victor Carranza en passant, indiquant qu’il s’agit un chef paramilitaire mêlé à des assassinats. Il n’est nullement mentionné qu’on ait tenté de l’arrêter ou de le poursuivre. Le défendeur soutient que ces articles ne contredisent pas la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse principale aurait pu obtenir la protection des autorités si elle s’était adressée à elles.  

 

[57]           Le défendeur soutient également qu’il n’est pas logique que la demanderesse principale ait craint de communiquer avec les autorités au sujet de Victor Carranza parce que celui‑ci était en prison au moment de ces faits. Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle ne s’était pas adressée aux autorités pour obtenir une protection, la demanderesse principale n’a pas mentionné expressément Victor Carranza, mais elle a déclaré qu’elle craignait que la police ait été infiltrée par des paramilitaires et qu’elle en subisse les conséquences si elle s’adressait à elle. Le défendeur affirme que cela démontre que Victor Carranza avait peu, sinon rien, à voir avec la décision de la demanderesse principale de ne pas s’adresser aux autorités.

 

[58]           Le défendeur affirme également que l’affaire Torres se distingue de la présente espèce. Dans l’affaire Torres, le demandeur s’était adressé aux autorités et on lui avait dit expressément que sa plainte n’aurait pas de suite compte tenu du profil de son persécuteur. Les vaines tentatives déployées par le demandeur en vue d’obtenir une protection ont joué un rôle important dans l’affaire Torres et le juge Zinn a déclaré, au paragraphe 40, que ces efforts étaient « cruciaux » et qu’ils étaient tout ce qui pouvait réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Il a ajouté au paragraphe 41 que la réponse que le demandeur avait reçue des autorités était essentielle pour déterminer le caractère adéquat de la protection obtenue.

 

[59]           En outre, dans l’affaire Torres, les agresseurs – qui avaient un profil influent – participaient directement à la persécution. En l’espèce, rien n’indique que Victor Carranza ait joué un quelconque rôle actif dans les incidents ayant touché la demanderesse principale. Les menaces qu’elle a reçues ont été faites par d’autres chefs paramilitaires pendant que Carranza était en prison. La demanderesse principale a clairement mentionné qu’elle avait été persécutée par le groupe dans son ensemble, de sorte que la SPR s’est demandé si les autorités seraient disposées à prendre des mesures contre les dirigeants du groupe. Elle a raisonnablement conclu, vu l’emprisonnement de trois dirigeants paramilitaires, que les autorités avaient démontré qu’elles étaient prêtes à intervenir. La SPR a donc conclu que la demanderesse principale n’avait pas pris des mesures raisonnables pour obtenir de l’État une protection.

 

[60]           En outre, le défendeur fait remarquer que la sœur et la mère de la demanderesse principale vivent toujours en Colombie et qu’elles n’ont pas été menacées par les paramilitaires depuis 2001. La SPR a non seulement conclu que rien ne laissait croire que les paramilitaires s’intéressaient encore à la demanderesse principale, mais aussi qu’ils ne la rechercheraient pas si elle retournait en Colombie. Le défendeur soutient que cette conclusion permet à elle seule de trancher la présente demande.

 

[61]           La demanderesse principale soutient qu’elle est exposée à un plus grand risque que les membres de sa famille, mais les raisons qu’elle avance ne la distinguent pas vraiment des membres de sa famille. Une des raisons pour lesquelles la demanderesse principale affirme être en danger est que sa famille a intenté une poursuite par suite du décès de son frère. Or, la poursuite a été engagée par l’ensemble de la famille, y compris sa mère et sa sœur, et personne n’a été maltraité.

 

[62]            La demanderesse principale prétend aussi être en danger parce qu’elle possède des renseignements importants au sujet des paramilitaires, mais elle a déclaré que sa mère était présente lorsqu’elle avait pris connaissance de ces renseignements. La demanderesse principale soutient également qu’elle est exposée à un plus grand risque parce qu’elle a joué un rôle actif en allant voir son frère en prison. Or, elle mentionne à plusieurs reprises dans son FRP que d’autres personnes sont également allées le voir; elle a dit, par exemple, [traduction] « nous sommes allés à la prison » et [traduction] « nous sommes allés voir mon frère. »

 

[63]           La demanderesse principale affirme également qu’elle n’est pas dans une situation comparable à celle de sa mère en raison de l’âge et de la mauvaise santé de celle‑ci. Cependant, d’après son exposé des faits, sa mère était autant ciblée par les paramilitaires qu’elle l’était elle‑même; sa mère a même été personnellement menacée. Tout comme la demanderesse principale, la mère a engagé des poursuites judiciaires et possède des renseignements concernant les paramilitaires. Le défendeur fait remarquer que la SPR a souligné la discrétion de la mère de la demanderesse principale en Colombie, mais qu’elle était tout de même arrivée à la conclusion que le fait qu’elle n’ait plus eu de contact avec les paramilitaires indiquait que ces derniers ne s’intéressaient plus à la demanderesse principale, ni à sa famille.

 

[64]           Le défendeur soutient que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la SPR pouvait conclure que la protection de l’État, quoiqu’imparfaite, était adéquate. Le défendeur demande que la présente demande soit rejetée.

 

La réplique des demandeurs

 

[65]           Les demandeurs soutiennent que le défendeur n’a pas démontré qu’il était raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable au sujet de la protection de l’État sans au moins faire mention de la preuve concernant directement Victor Carranza. La question n’est pas de savoir si la SPR a préféré certains éléments de preuve à d’autres, mais plutôt si elle a tenu compte des éléments concernant Victor Carranza.

 

[66]           Considérant l’importance de la preuve en question, la demanderesse principale soutient qu’elle a réfuté la présomption selon laquelle la SPR l’avait examinée. La SPR a examiné en détail la preuve documentaire générale; il est donc tout à fait raisonnable de s’attendre à ce que, dans que sa décision, elle fasse à tout le moins mention de la preuve concernant l’agent de persécution que craint la demanderesse principale. Si la SPR a vraiment apprécié cette preuve et qu’elle n’y a, pour une raison quelconque, accordé aucune valeur, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elle laisse voir certains indices de cette appréciation dans ses motifs détaillés. Si la SPR renvoie de façon détaillée aux éléments de preuve appuyant sa conclusion tout en passant sous silence les éléments qui tendent à indiquer le contraire, il est facile de conclure que ces derniers ont été écartés (Cepeda‑Gutierrez, précité, par 17). Les demandeurs soutiennent qu’en reconnaissant cette erreur, la Cour ne se trouve pas à substituer son opinion sur la preuve à celle de la SPR. Cela revient tout simplement à dire qu’elle doit être convaincue que la SPR a examiné la preuve.

 

[67]           Les éléments de preuve dont il est question ne sont pas ceux soulignant les imperfections de la protection qu’offre l’État colombien; ce sont plutôt ceux qui portent sur l’impunité complète dont bénéficie le dirigeant paramilitaire en question. En outre, les demandeurs font remarquer que le défendeur n’a pas tenté d’établir une distinction avec l’arrêt Torres, qui est, selon eux, tout à fait pertinent.

 

[68]           La demanderesse principale soutient que le fait qu’elle n’ait pas cherché à obtenir la protection de l’État n’est pas déterminant. Il n’est pas absolument nécessaire pour un demandeur d’asile de s’adresser à l’État, en particulier s’il peut être dangereux ou futile de le faire. Il ne s’agit pas toujours de « réticence subjective ». Il incombait à la SPR de déterminer si l’omission de la demanderesse principale de s’adresser à l’État était justifiée et si, dans le cas de la demanderesse principale, il était raisonnable de s’attendre à ce que l’État la protège.

 

[69]           Pour ce qui est des allégations du défendeur selon lesquelles les événements en question se sont produits il y a plus de 10 ans, la demanderesse principale fait remarquer que la SPR n’a pas tiré de conclusions défavorables en matière de crédibilité au sujet de la preuve qu’elle avait soumise. Qui plus est, la preuve documentaire montre qu’[traduction] « en raison de leur présence étendue sur le territoire de la Colombie et de la grande portée de leurs réseaux d’information, il est probable que les FARC, l’ELN et les groupes ayant succédé à l’ancienne milice AUC [les paramilitaires] arrivent à retrouver leurs victimes, même si elles ont passé de nombreuses années à l’étranger ». Un rapport du Haut‑commissariat des Nations Unies pour les réfugiés indique également que les paramilitaires [traduction] « se servent souvent de bases de données et de réseaux informatiques extrêmement sophistiqués qui leur permettent de retracer des gens même des années après leur recherche initiale ». Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit là encore d’un élément qui aurait dû être considéré dans la décision.

 

[70]           Les demandeurs reconnaissent qu’il appartient à la SPR de rendre une décision, mais seulement après avoir assuré aux parties qu’elle a examiné l’ensemble de la preuve. Les demandeurs soutiennent que ce n’est pas ce qui s’est passé dans la décision contestée et ils demandent qu’elle soit réexaminée.

 

ANALYSE

 

[71]           Les demandeurs s’appuient principalement sur la décision du juge Zinn dans l’affaire Torres. Or, la décision Torres portait sur une PRI, du moins en partie, et le profil de l’agresseur principal, M. Almendariz, de même que le contrôle qu’il exerçait dans l’ensemble du Mexique revêtaient une importance particulière dans le contexte de cette affaire. De plus, la preuve démontrait que M. Almendariz avait commis des actes de violence à l’endroit des demandeurs, et ce, dans un passé assez récent, de sorte qu’il ressortait à l’évidence qu’il s’intéressait toujours à eux. En outre, le juge a beaucoup insisté dans cette décision sur le fait que les demandeurs avaient tenté d’obtenir une protection; en l’espèce, aucune tentative de ce genre n’a été faite.

 

[72]           La présente affaire ne présente guère de ressemblance factuelle avec l’affaire Torres. La demanderesse principale a déclaré ce qui suit au sujet de l’homme qu’elle appelle « le principal agent de persécution » :

[traduction]

Nous vivions paisiblement, mais le 7 mai 2000, tout a changé pour nous lorsque j’ai appris par le téléjournal que mon frère avait été arrêté par la police de Gaula. Il était accusé d’enlèvement et d’extorsion, et faisait l’objet d’une enquête pour savoir s’il était membre d’un groupe paramilitaire. Ma famille et moi avons été surprises parce que nous ne savions absolument pas que mon frère appartenait à ce groupe et qu’il était apparemment sous les ordres de Miguel Angel Hernandez, un homme que ma famille connaissait parce qu’il avait grandi dans le même quartier que nous et qu’il était un ami de mon frère. Miguel était le neveu de Victor Carranza. Nous ne connaissions Victor que parce que nous savions qu’il était l’oncle de Miguel et que nous pouvions le voir, mais très rarement, dans le quartier ou au centre commercial du quartier. Avec le temps, nous avons appris par mon frère que Miguel était sous les ordres de Victor et d’Angel Gaitan, qui avaient également été arrêtés. Victor Carranza était visé par une enquête de l’unité de police DAS et il était aussi détenu. Victor Carranza a été libéré moyennant une caution de 286 millions de pesos.

 

 

[73]           La SPR traite expressément de la preuve soumise par la demanderesse principale au sujet de Victor Carranza, au paragraphe 24 de la décision :

De son propre aveu, la demandeure d’asile craignait les forces paramilitaires en Colombie, et particulièrement Victor Carranza, le chef de l’organisation paramilitaire. La demandeure d’asile a affirmé que son frère, qui était un dirigeant de l’organisation paramilitaire, avait été arrêté et incarcéré en mai 2000. Elle a aussi indiqué que deux autres dirigeants de l’organisation paramilitaire avaient aussi été arrêtés et incarcérés. Elle a ajouté que Victor Carranza et d’autres membres de l’organisation s’étaient rendus chez elle à plusieurs reprises pour l’avertir, ainsi que son époux et sa mère, de ne pas obtenir des services juridiques pour son frère et de ne pas divulguer de renseignements à propos de l’organisation à quiconque. La demandeure d’asile a déclaré qu’ils avaient été prévenus que, s’ils ne respectaient pas ces deux exigences, ils seraient assassinés. Interrogée à propos des renseignements compromettants qu’elle détenait à propos des forces paramilitaires, la demandeure d’asile a répondu que des membres de l’organisation étaient venus chez elle régulièrement et avaient fait mention des permis d’armes illégales obtenus du ministère de la Défense ainsi que du matériel scientifique utilisé par leurs hommes. La demandeure d’asile a indiqué que, parce qu’elle connaissait ces renseignements, elle et les membres de sa famille étaient devenus des cibles militaires, sans égard au fait qu’ils aient divulgué ou non ces renseignements. Questionnée à savoir pourquoi des membres des forces paramilitaires leur avaient révélé des renseignements incriminants, alors qu’ils craignaient leur divulgation, la demandeure d’asile a répondu que c’était pour leur montrer qu’ils avaient du pouvoir. À la question de savoir pourquoi l’organisation paramilitaire ne voulait pas que sa famille retienne les services d’un avocat pour libérer son frère, la demandeure d’asile a indiqué que les membres de l’organisation lui avaient dit vouloir embaucher leurs propres avocats pour se charger des dossiers de tous leurs membres incarcérés.

 

 

[74]           La SPR n’a pas tiré de conclusion au sujet d’une PRI dans la présente affaire. Elle a conclu que personne ne recherchait actuellement les demandeurs :

En outre, j’estime que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que M. Hernandez ou tout autre membre de l’organisation paramilitaire recherche actuellement la demandeure d’asile. La demandeure d’asile a déclaré que sa mère est toujours en Colombie, mais qu’elle est discrète et ne reste jamais longtemps au même endroit, néanmoins elle n’a pas rencontré de membres de groupes paramilitaires depuis que la demandeure d’asile a quitté la Colombie. Cette dernière a aussi déclaré que sa sœur aussi vit en Colombie et qu’aucun des membres de sa famille n’a rencontré M. Hernandez ou l’un de ses hommes depuis qu’elle a quitté la Colombie. Elle ne sait pas non plus si, actuellement, elle ou sa famille sont recherchées.

 

Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi et probants pour indiquer que des membres des forces paramilitaires recherchent actuellement la demandeure d’asile ou continuent de s’intéresser à elle en raison des incidents qui sont survenus en 2000 et au début de 2001. En conséquence, j’ai procédé à un examen prospectif, et j’estime qu’il est très peu probable que la demandeure d’asile soit recherchée par les groupes paramilitaires advenant son retour en Colombie.

 

 

[75]           La décision porte principalement sur la protection de l’État, mais la SPR conclut aussi clairement qu’aucun membre de l’organisation paramilitaire ne recherche les demandeurs.

 

[76]           Les demandeurs affirment que, conformément aux principes énoncés dans Cepeda‑Gutierrez, il était déraisonnable que la SPR n’aborde pas expressément la preuve présentée au sujet de Victor Carranza, le principal agent de persécution.

 

[77]           La conclusion de la SPR selon laquelle aucun membre de l’organisation paramilitaire en question ne recherche à l’heure actuelle les demandeurs est fondée sur la notion de personne se trouvant dans une situation comparable. La mère et la sœur de la demanderesse principale sont restées en Colombie et n’ont pas « rencontré de membres de groupes paramilitaires depuis que la demandeure d’asile a quitté la Colombie ». J’estime que cette conclusion est raisonnable.

 

[78]           Les raisons avancées par la demanderesse principale pour expliquer pourquoi elle se sentait menacée par les paramilitaires, et par M. Carranza en particulier, sont qu’elle détenait de l’information à propos du groupe paramilitaire, que celui‑ci savait qu’elle était allée voir son frère en prison et qu’elle voulait qu’il quitte le groupe, et que la famille avait embauché un avocat après le décès de son frère pour engager des procédures judiciaires. Tous ces facteurs s’appliquent également à sa mère. La preuve relative à l’impunité dont jouit actuellement Victor Carranza n’a aucune pertinence si ni lui ni son groupe ne recherchent la demanderesse principale. La preuve concernant les compétences avancées des groupes militaires en matière de collecte de données n’est pas non plus pertinente. Ni la sœur ni la mère de la demanderesse principale n’ont été importunées par Victor Carranza ou son groupe depuis que la demanderesse principale a quitté la Colombie en 2001.

 

[79]           En ce qui concerne l’analyse relative à la protection de l’État, les demandeurs affirment qu’il était raisonnable pour eux de ne pas s’adresser à la police à cause de l’impunité dont jouit Victor Carranza, et que la SPR a tout simplement omis de faire état du profil du principal agent de persécution, ou d’aborder cet aspect, comme c’était le cas dans Torres.

 

[80]           Toutefois, s’agissant de la conclusion de la SPR selon laquelle aucun membre d’une organisation paramilitaire n’est actuellement à la recherche des demandeurs, j’estime que même si cette conclusion ne peut à elle seule justifier le rejet de la demande d’asile, il faut quand même en tenir compte dans notre examen de l’analyse relative à la protection de l’État effectuée par la SPR.

 

[81]           La SPR s’appuie essentiellement sur ce qui suit :

Il n’en demeure pas moins que la demandeure d’asile n’a jamais demandé la protection de l’État, même si elle a été un témoin direct de la volonté et de la capacité de l’État d’arrêter et d’incarcérer trois dirigeants de l’organisation qu’elle craignait.

 

 

[82]           La demanderesse principale affirme que, pour déterminer s’il était raisonnable de sa part de ne pas s’adresser à l’État, la SPR a fait fi de la preuve établissant le pouvoir et l’impunité dont jouissait Victor Carranza.

 

[83]           D’après l’ensemble de la décision, je ne pense toutefois pas que cela soit le cas.

 

[84]           La SPR a conclu qu’aucun membre d’une organisation paramilitaire (y compris Victor Carranza) ne recherchait actuellement les demandeurs. J’ai déjà conclu que, compte tenu de l’expérience vécue par la mère et la sœur de la demanderesse principale, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de tirer cette conclusion. Si Victor Carranza avait voulu punir la demanderesse principale, il aurait aussi voulu punir sa mère et sa sœur, mais il n’a rien fait contre elles depuis longtemps.

 

[85]           La SPR évalue le danger potentiel et l’existence d’une protection de l’État contre la violence des paramilitaires dans le cas où les demandeurs retourneraient en Colombie. Comme elle a conclu, de façon raisonnable, que la demanderesse principale ne faisait l’objet d’aucune menace de la part de « M. Hernandez ou tout autre membre de l’organisation paramilitaire », elle ne pouvait considérer M. Carranza comme le principal agent de persécution. M. Carranza ne s’intéresse pas à la demanderesse principale, tout comme il ne s’intéresse pas à la mère ou à la sœur de la demanderesse principale. Par conséquent, la SPR n’avait aucune raison d’examiner l’article de In Sight qui parle en termes généraux des prouesses « téflonnesques » de Victor Carranza. Rien dans cet article ne laisse croire que Victor Carranza s’intéresse aux demandeurs. La demanderesse principale n’a jamais fait aucune démarche pour obtenir la protection de l’État, alors que la police avait pris des mesures concrètes contre Victor Carranza et son groupe paramilitaire, et rien n’indique que ces gens s’attaqueront aux demandeurs s’ils sont renvoyés en Colombie. Comme il ressort clairement de la décision, c’est là la raison pour laquelle la SPR a estimé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection suffisante de l’État, s’agissant de ce qui leur était arrivé dans le passé et de ce qui risquait de leur arriver à l’avenir. La SPR n’était pas tenue de mentionner expressément les éléments de preuve relatifs à Victor Carranza alors que celui‑ci ne représentait aucune menace directe.

 

[86]           Les documents auxquels renvoient les demandeurs à propos de Victor Carranza traitent de ses liens avec un groupe paramilitaire et de la façon dont il se sert de ce groupe pour protéger ses intérêts commerciaux.

 

[87]           La preuve indique que Victor Carranza a très souvent réussi à échapper « à de nombreuses tentatives d’assassinat et poursuites ». À mon avis, les tentatives d’assassinat dont a fait l’objet Victor Carranza n’ont rien à voir avec le caractère adéquat de la protection de l’État dont les demandeurs pouvaient se prévaloir.

 

[88]           L’article révèle également que Victor Carranza a réussi à éviter d’être condamné dans le cadre de plusieurs poursuites intentées contre lui dans le passé. On y mentionne également qu’il a été poursuivi et condamné et qu’il a passé du temps en prison. Aucun de ces éléments n’est suffisamment lié aux demandeurs pour qu’il soit expressément mentionné dans l’analyse relative à la protection de l’État effectuée par la SPR.

 

[89]           J’estime que la décision n’a rien de déraisonnable.

 

[90]           Les avocats ont convenu qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est d’accord avec eux.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑800‑12

 

INTITULÉ :                                                  MARIA ISABEL MENDOZA‑RODRIGUEZ et GUSTAVO ADOLFO GARCIA‑ACOSTA

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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