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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121128

Dossier : IMM‑4820‑11

Référence : 2012 CF 1384

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

 

MUHAMMAD ASHRAF GONDAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction et contexte

[1]               Le demandeur est un citoyen pakistanais entré au Canada en juin 2003 pour y demander l’asile au motif qu’il craignait d’être persécuté par la Ligue musulmane du Pakistan (la LMP) du fait de ses liens avec le Parti du peuple pakistanais (le PPP). Il a formé sa demande d’asile peu après son arrivée.

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire a pour objet la décision en date du 14 juin 2011 par laquelle un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (agent chargé de l’ERAR) a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté pour l’un quelconque des motifs prévus par la Convention s’il rentrait au Pakistan et que, par conséquent, sa demande d’ERAR ne remplissait pas les conditions de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La décision de l’agent chargé de l’ERAR concluait également à l’absence de preuves suffisantes pour établir que M. Gondal serait exposé à l’un ou l’autre des risques visés à l’article 97 de la LIPR, plus spécialement à son sous-alinéa 97(1)b)(iii).

 

[3]               En septembre 2007, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la prétention de M. Gondal selon laquelle il était exposé à un risque sous le régime de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR.

 

[4]               L’audience devant la SPR était prévue pour le 8 décembre 2005, mais elle a été reportée au motif que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) avait reçu avis que « le demandeur d’asile avait été agressé à son lieu de travail au Canada [à Toronto], qu’il était grièvement blessé, qu’il avait passé beaucoup de temps à l’hôpital et qu’il était par la suite dans un centre de réadaptation, ce qui limitait sa mobilité et son aptitude à communiquer ».

 

[5]               Il est acquis aux débats que M. Gondal a été victime d’une agression brutale et haineuse le 21 juin 2005, à la station-service où il travaillait en attendant l’instruction de sa demande d’asile. Cette agression lui a causé une grave lésion cérébrale qui l’a rendu infirme, plus précisément aphasique, c’est‑à‑dire incapable d’expression orale ou écrite, ainsi que de compréhension du langage oral comme du langage écrit.

 

[6]               En fin de compte, la SPR a dû lui commettre un représentant d’office, mais il s’est révélé difficile pour ce représentant de communiquer avec M. Gondal à cause de la barrière linguistique et de son handicap d’expression. Le demandeur n’a pas témoigné de vive voix devant la SPR : il en était tout simplement incapable. La SPR a fondé sa décision sur les éléments d’appréciation produits par M. Gondal dans sa déclaration au point d’entrée et son Formulaire de renseignements personnels (FRP), sur des pièces justificatives, les éléments produits par le ministre, les observations de l’agent de protection des réfugiés (l’APR), celles du représentant commis d’office, ainsi que celles du conseil du demandeur, un consultant en immigration qui devait présenter des observations supplémentaires par écrit mais ne l’a pas fait. Pour ce qui concerne la procédure d’ERAR et la présente instance, M. Gondal y était représenté par un conseil compétent.

 

[7]               La SPR a conclu à la non-crédibilité du récit du demandeur. Elle disposait d’éléments produits par le ministre selon lesquels Interpol avait vérifié si les persécuteurs supposés du demandeur, soit des membres de la LMP, avaient bien porté une fausse accusation de viol contre lui, ainsi que l’affirmaient les représentants du PPP. Comme les renseignements communiqués par Interpol indiquaient qu’aucune accusation de cette nature n’avait été portée, la SPR en a conclu que les lettres du PPP contenaient de faux renseignements. La SPR a également conclu que l’état de santé de M. Gondal ne lui permettrait pas de subvenir seul à ses besoins, encore moins d’exercer des activités politiques, ajoutant qu’il « serait avantagé par son retour au Pakistan, puisque les membres de sa famille là‑bas peuvent prendre soin de lui ».

 

[8]               Notre Cour a rejeté le 2 avril 2008 une demande d’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la SPR.

 

II.  La décision de l’agent chargé de l’ERAR (en date du 14 juin 2011)

[9]               L’agent chargé de l’ERAR a examiné la décision prononcée par la SPR le 21 novembre 2007, dont il a cité la conclusion, ainsi rédigée :

En résumé, le tribunal estime que la raison principale invoquée par le demandeur d’asile pour expliquer le fondement de sa crainte est mise en doute par les renseignements présentés par le ministre, lesquels indiquent que le parti dont le demandeur d’asile serait partisan et membre a fourni des lettres affirmant que le demandeur d’asile faisait l’objet de fausses accusations de viol qui en fait sont inexistantes. Cela amène le tribunal à croire que ces lettres sont compromettantes et non authentiques.

 

 

[10]           L’agent chargé de l’ERAR a ensuite formulé les observations suivantes :

[TRADUCTION] Le demandeur n’a discuté dans la présente demande aucune des conclusions du tribunal de la SPR mettant sérieusement en doute sa crédibilité. Je reconnais qu’il n’a pas pu témoigner à l’audience de sa demande d’asile en raison de ses troubles d’expression, mais le tribunal de la SPR a conclu à sa non‑crédibilité sur la base d’éléments qu’il avait déjà communiqués aux autorités canadiennes. Bien que je ne sois pas lié par ces conclusions de la SPR, je leur attribue un poids considérable, au motif que cette instance décisionnelle se compose d’experts en matière de demandes d’asile. Qui plus est, la Cour fédérale a refusé par décision en date du 2 avril 2008 d’autoriser le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable de la SPR.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[11]           L’agent chargé de l’ERAR a pris acte que le conseil de M. Gondal avait produit, au soutien de la demande d’ERAR considérée et des observations y afférentes, divers documents sur la situation au Pakistan pour ce qui concerne les droits de la personne, la vie politique, la sécurité et la disponibilité de soins médicaux. [TRADUCTION] « L’analyse révèle [...], a constaté l’agent, que ces documents ne fournissent aucun élément nouveau d’appréciation qui donnerait à penser que le demandeur serait maintenant en danger s’il rentrait au Pakistan. » Il formule ensuite la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Je conclus de l’examen approfondi de la demande d’ERAR et des pièces y afférentes, qu’elles ne proposent pas d’éléments objectifs suffisants pour établir que la situation du demandeur, sur le plan des dangers qu’il courrait au Pakistan, ait changé depuis la décision de la SPR. Le risque invoqué par le demandeur a été examiné à l’audience de la demande d’asile. La demande d’ERAR n’est pas un recours contre une décision défavorable sur la demande d’asile, ni l’occasion de solliciter le contrôle d’une décision antérieure de la SPR, mais plutôt une procédure d’appréciation fondée sur des faits ou éléments nouveaux tendant à établir que le demandeur risque au moment considéré d’être persécuté, torturé, tué, ou soumis à des traitements ou peines cruels et inusités. Néanmoins, j’ai soigneusement examiné les pièces produites par le demandeur et la situation actuelle dans le pays en cause.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]           L’agent chargé de l’ERAR a également noté que le Pakistan avait tenu en 2008 des élections nationales qui avaient porté au pouvoir une coalition dirigée par le PPP, et il a examiné les observations de M. Gondal selon lesquelles, même si le PPP est maintenant au pouvoir au Pakistan, la situation politique de ce pays est tout à fait imprévisible et laisse encore beaucoup à désirer sur le plan des droits de la personne. Tout en reconnaissant une certaine valeur à ces observations, l’agent chargé de l’ERAR a constaté que M. Gondal n’avait pas produit d’éléments suffisants pour le convaincre qu’il serait pris pour cible à son retour au Pakistan, à quoi il ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION] Le demandeur est absent du Pakistan depuis huit ans, et je ne dispose pas d’éléments suffisants pour établir qu’une collectivité ou une personne déterminée y aurait le désir de lui faire du tort. En outre, le demandeur n’a produit aucun élément donnant à penser qu’un membre quelconque de sa famille resté au Pakistan y serait inquiété en raison de son appartenance au PPP. La possibilité que le demandeur rencontre des difficultés du fait de ses liens avec le PPP me paraît donc relever de la pure conjecture.

 

 

[13]           L’agent chargé de l’ERAR a ensuite examiné une autre prétention de M. Gondal, selon laquelle sa vie serait en danger au Pakistan du fait qu’il y perdrait le réseau de soutien médical dont il bénéficie au Canada et devrait s’y contenter d’un système de soins de santé rural et mal équipé.

 

[14]           Le fonctionnaire a analysé à ce sujet la preuve documentaire relative à la disponibilité de soins médicaux au Pakistan. Il ne me sera pas nécessaire de récapituler ces éléments de preuve, étant donné que l’agent chargé de l’ERAR était conscient de l’incidence des dispositions de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, plus spécialement de son sous-alinéa 97(1)b)(iv). Je cite de nouveau sa décision :

[TRADUCTION] Selon l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), « [a] qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée [...] à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : [...] (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats ». Le Canada n’accorde pas sa protection sous le régime de l’alinéa 97(1)b) lorsque le risque résulte de l’incapacité de l’État à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Cependant, si les soins sont disponibles dans le pays en question mais qu’il est probable qu’on les refusera au demandeur, ce dernier peut invoquer un risque sous le régime de l’alinéa 97(1)b). Après une analyse attentive de la preuve produite devant moi, je conclus qu’elle n’offre pas d’éléments suffisants pour établir que le demandeur serait incapable d’obtenir les services de santé, les médicaments ou les soins dont il pourrait avoir besoin une fois rentré au Pakistan. En outre, la preuve produite ne suffit pas à me convaincre que le demandeur se verrait refuser l’accès à de quelconques soins médicaux dont il pourrait avoir besoin une fois rentré dans ce même pays.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           L’agent chargé de l’ERAR a ici appliqué l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Covarrubias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 365, qui pose en principe au paragraphe 41 que l’exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv) ne s’applique pas aux cas où les soins médicaux sont refusés pour des raisons illégitimes, par exemple à des fins de répression.

 

III.  Les prétentions et moyens des parties

[16]           Le conseil du demandeur a fait valoir les arguments suivants : 1) l’agent chargé de l’ERAR n’a pas pris en considération les allégations de risques avancées par son client; 2) il n’a pas analysé la preuve médicale produite; 3) il n’a pas suivi la règle qui l’obligeait à prendre en considération l’ensemble de la preuve plutôt que chacun de ses éléments isolément.

 

[17]           L’avocat du défendeur soutient quant à lui que les motifs de l’agent chargé de l’ERAR montrent qu’il a tenu compte de tous les risques invoqués par le demandeur, à savoir : 1) le caractère explosif de la situation au Pakistan et le danger constant d’y voir resurgir la violence politique, et 2) le risque lié à son état de santé. Selon le défendeur, l’agent chargé de l’ERAR n’a pas commis d’erreur, contrairement à ce qu’avance l’avocate du demandeur, en ne prenant pas en considération le risque attribuable à la convergence de ses attaches politiques et de son état de santé. L’avocat du défendeur fait valoir que ces deux motifs ont été examinés comme ils ont été présentés : en tant que motifs distincts. Quant à l’argument du demandeur selon lequel l’agent chargé de l’ERAR a omis de tenir compte explicitement d’éléments de preuve déterminés, l’avocat du défendeur y répond que ledit agent n’était pas tenu de citer dans sa décision chacun des éléments produits. Enfin, l’avocat du défendeur soutient que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas accordé un poids excessif à la conclusion de la SPR sur la crédibilité du demandeur.

 

IV.  Analyse et conclusions

            a)  La norme de contrôle applicable

[18]           Les parties conviennent que la norme du caractère raisonnable doit être appliquée à la décision contrôlée. Selon le paragraphe 47 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, peut être dite raisonnable la décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

            b)  Conclusions de la Cour

[19]           Le demandeur n’a pas contesté les conclusions de la SPR sur sa crédibilité qui ont amené ce tribunal à décider qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté par la Ligue musulmane du Pakistan. Les observations que M. Gondal a présentées au soutien de sa demande d’ERAR invoquaient plutôt le bilan peu flatteur du Pakistan en matière de droits de la personne, son instabilité politique et l’absence dans ce pays de ressources médicales propres à répondre à ses besoins spéciaux.

 

[20]           Je conviens avec l’avocate du demandeur que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas suffisamment analysé la question de la disponibilité au Pakistan des soins médicaux qu’exige l’état de son client. L’avocat du défendeur a écrit, au paragraphe 11 de l’exposé des faits qu’il a déposé le 3 novembre 2011 en réponse à la demande d’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire, que le demandeur ne pouvait reprocher à l’agent de ne pas avoir cité les documents médicaux produits, étant donné que ledit agent [TRADUCTION] «  comprenait manifestement le point essentiel de ces documents, à savoir les faits de son handicap et les effets de celui‑ci sur sa vie ».

 

[21]           Cette omission a amené notre Cour à annuler la décision par laquelle l’agent avait rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de M. Gondal (voir Gondal c MCI, 2012 CF 1383).

 

[22]           Étant donné que l’alinéa 97(1)b) de la LIPR dispose que la protection n’est pas accordée lorsque le risque résulte de l’incapacité de l’État à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats, l’erreur commise par l’agent dans l’appréciation de la preuve médicale n’est pas décisive. C’est pourquoi la décision de l’agent sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était doublement importante.

 

[23]           Le demandeur n’a pas démontré en quoi la décision d’ERAR serait par ailleurs mal fondée. Cette décision n’est donc pas déraisonnable dans le contexte particulier de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’a été proposé aucune question à la certification.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4820‑11

 

INTITULÉ :                                      MUHAMMAD ASHRAF GONDAL c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melody Mirzaagha

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green et Spiegel
Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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