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Date : 20121218

Dossier : IMM-1989-12

Référence : 2012 CF 1493

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Edmonton (Alberta), le 18 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

MANONMANY GOVINDASAMY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Survol

 

[1]               Madame Manonmany Govindasamy avec arrivée au Canada en 2000 en provenance du Sri Lanka. Elle a demandé l’asile du fait de son origine ethnique tamoule et de sa crainte d’être persécutée par l’armée du Sri Lanka (ASL) qui la soupçonnait d’être liée aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Cependant, en 2003, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que sa demande d’asile n’était pas fondée.

 

[2]               En 2011, Mme Govindasamy, alors âgée de 84 ans, a déposé une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Elle a allégué être exposée à un risque de harcèlement grave, d’extorsion, de discrimination et de persécution si elle était renvoyée au Sri Lanka. Elle a souligné que le risque allégué était lié à son sexe, à son âge, à son statut de veuve et au fait qu’elle était ciblée par des groupes de militants.

 

[3]               L’agente chargée de l’ERAR a estimé que Mme Govindasamy n’avait pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’elle était exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée au Sri Lanka.

 

[4]               Madame Govindasamy allègue que la décision de l’agente était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des extraits non représentatifs de la preuve documentaire, également périmée. Elle me demande d’annuler la décision de l’agente et d’ordonner qu’un nouvel examen soit effectué par un autre agent.

 

[5]               Je reconnais que la décision de l’agente était déraisonnable; par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.        Arguments de Mme Govindasamy

 

[6]               Dans ses observations faites à l’agente chargée de l’ERAR, Mme Govindasamy a puisé largement dans la preuve documentaire sur la situation existante au Sri Lanka. Les éléments suivants en ressortaient :

 

            •           les tensions ethniques sont vives, peut-être plus que jamais auparavant;

            •           les prétentions du gouvernement au sujet des réformes ne sont pas confirmées par la réalité;

            •           des Tamouls ont été arrêtés ou détenus de façon arbitraire à Colombo;

            •           les Sri-Lankais de retour de l’étranger sont considérés comme riches; par conséquent ils sont susceptibles d’être victimes d’extorsion;

            •           les disparitions et les enlèvements, y compris à des fins d’extorsion, sont très répandus, particulièrement en ce qui concerne les Tamouls, les femmes et les résidents du nord du pays;

            •           la violence à caractère politique et sexuel persiste.

 

III.       La décision de l’agente

 

[7]               L’agente a jugé que la preuve documentaire soumise par Mme Govindasamy avait un caractère général et qu’elle s’appliquait à l’ensemble de la population. Les seuls groupes spécifiquement visés selon la preuve sont les jeunes hommes tamouls. Globalement, la situation au Sri Lanka s’améliore. Règle générale, les citoyens sri-lankais de retour dans leur pays ne sont pas ciblés, sauf que les Tamouls du nord du pays font l’objet d’une attention plus grande de la part des autorités. Habituellement, les fonctionnaires sri‑lankais s’intéressent uniquement aux personnes contre lesquelles un mandat d’arrestation encore en vigueur a été lancé ou qui ont des liens avec les TLET. Plus particulièrement, les Sri-Lankais de retour du Canada n’ont pas fait l’objet d’un traitement défavorable.

 

[8]               L’agente a reconnu que la situation des femmes au Sri Lanka [traduction] « n’est ni idéale ni parfaite ». Les agressions sexuelles et la violence conjugale font encore problème, mais la situation s’améliore.

 

[9]               En ce qui concerne l’extorsion, l’agente a estimé que Mme Govindasamy se trouvait dans la même situation que le reste de la population. L’agente a reconnu que les femmes sont souvent victimes d’enlèvements, mais que Mme Govindasamy était exposée au même risque que l’ensemble de la population du Sri Lanka. De plus, le nombre d’enlèvements diminue.

 

[10]           À partir de cette preuve, l’agente a conclu que Mme Govindasamy ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle était exposée à un risque reconnu à l’article 96 ou à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (voir l’annexe).

 

IV.             La décision de l’agente était-elle déraisonnable?

 

[11]           Madame Govindasamy soutient que l’agente a écarté des éléments de preuve documentaires importants qui étaient pertinents eu égard à sa demande. Plus précisément, elle souligne les éléments suivants :

 

            •           les personnes considérées comme des sympathisants des TLET sont encore plus souvent victimes que d’autres de meurtre, de disparition et d’emprisonnement;

            •           les citoyens du Sri Lanka de retour de l’étranger sont parfois soumis à des interrogatoires à l’aéroport; et

            •           la violence contre les femmes est généralisée.

 

[12]           Madame Govindasamy souligne aussi que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve documentaire récente à laquelle elle avait accès. Plus précisément, l’agente s’est appuyée sur un rapport du International Crisis Group (ICG) daté de 2010, même si un rapport pour l’année 2011 avait été publié. De plus, l’agente a cité une réponse à une demande d’information (RDI) datant de 2006 au sujet du traitement des citoyens du Sri Lanka de retour dans leur pays, mais aucun élément de preuve plus récent.

 

[13]           J’estime que l’agente n’a pas répondu adéquatement aux allégations particulières figurant dans les observations de Mme Govindasamy et à la preuve documentaire qui lui avait été soumise. L’agent qui doit statuer sur une demande d’ERAR a l’obligation d’examiner « les sources d’information les plus récentes » (Hassaballa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, au paragraphe 33). De plus, l’agent doit tenir compte des éléments de preuve documentaire qui contredisent ses conclusions (Cepeda-GutierrezCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst.)).

[14]           En l’espèce, il existait des rapports plus récents qui auraient été pertinents dans le cadre de l’évaluation qu’effectuait l’agente. Certains d’entre eux avaient été mentionnés dans les observations de Mme Govindasamy. De plus, une RDI de 2011 avait été publiée plusieurs mois avant que l’agente ne rende sa décision. Il était précisé dans cette RDI que les demandeurs d’asile sri-lankais refoulés de l’étranger sont soumis à des interrogatoires particuliers et parfois détenus pendant des mois à leur retour au Sri Lanka, particulièrement lorsqu’aucun membre de la famille ne peut les aider.

 

[15]           À mon avis, l’agente n’a pas abordé et évalué adéquatement la preuve selon laquelle Mme Govindasamy était exposée à un risque à son retour au Sri Lanka. Certains éléments de cette preuve avaient trait à sa situation personnelle et non à celle de l’ensemble de la population. La décision de l’agente ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, elle est déraisonnable.

 

V.        Conclusion et décision

 

[16]           La décision de l’agente ne constituait pas une réponse adéquate à la preuve fournie par Mme Govindasamy ainsi qu’à ses allégations et elle ne tenait pas compte de la preuve documentaire la plus récente à laquelle le public a accès. Par conséquent, la décision de l’agente était déraisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre agent effectue un nouvel examen de la demande de Mme Govindasamy. Aucune des parties ne m’a demandé de certifier une question de portée générale, et aucune n’est soulevée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’un nouvel examen soit effectué.

2.                  Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

 

 

James W. O’Reilly

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


Annexe « A »

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001 c 27

 

Convention refugee

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1989-12

 

INTITULÉ :                                      MANONMANY GOVINDASAMY

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

POUR LA DEMANDERESSE

 

Norah Dorcine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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