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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121219

Dossier : IMM‑1711‑12

Référence : 2012 CF 1512

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

JINGSHU JIANG, XIUQING JIANG, YUHAO RAYMOND JIANG ET TONY YUFENG JIANG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent), datée du 8 décembre 2011, dans laquelle la demande de résidence permanente des demandeurs a été rejetée. L’agent a tiré cette conclusion, parce que, à son avis, il n’existait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire (CH) pour justifier une dispense et autoriser les demandeurs à déposer leur demande de résidence permanente à partir du Canada.

 

[2]               Les demandeurs demandent que la décision de l’agent soit annulée et que la demande soit renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin qu’un autre agent statue à nouveau sur l’affaire.

 

Le contexte

 

[3]               Jingshu Jiang, le demandeur principal, et sa femme, Xiuqing Jiang, sont citoyens de la Chine, alors que leurs fils sont citoyens des États‑Unis. Le demandeur principal a déposé une demande d’asile aux États‑Unis en 1993 en invoquant le fait qu’il avait participé au mouvement démocratique des étudiants chinois. Sa demande a été rejetée en 2002, et il a été débouté de son appel en 2009.

 

[4]               En juillet 2001, le demandeur principal a épousé Xiuqing Jiang qui avait quitté la Chine pour se rendre aux États‑Unis à cause de la crainte de persécution liée à la politique inhumaine de planification familiale en Chine. Les fils du demandeur principal sont nés aux États‑Unis pendant la période qui a précédé l’audition de l’appel du couple relatif à leur demande d’asile.

 

[5]               La femme du demandeur principal a commencé à pratiquer le Falun Gong en mars 2008, afin de traiter un problème d’insomnie et des maux de tête. Elle est entrée en communication avec d’ex‑compagnes d’études en Chine pour faire connaître son expérience, notamment en diffusant des brochures et des coupures de la revue Epoch Times.

 

[6]               Au moment où le demandeur principal a été débouté en appel aux États‑Unis, en mai 2009, sa femme a reçu un appel téléphonique du père de cette dernière qui l’informait que des membres du Bureau de la sécurité publique (le BSP) s’étaient rendus à leur domicile, avaient découvert les brochures et avaient demandé aux parents de faire savoir à la femme du demandeur qu’elle devait retourner en Chine afin de se présenter aux autorités. Ses compagnes d’études avaient déjà été arrêtées.

 

[7]               Le demandeur principal et les membres de sa famille sont arrivés au Canada le 22 août 2009 et y ont déposé une demande d’asile. La demande d’asile a été refusée le 24 décembre 2010, et la demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été refusée par la Cour le 13 avril 2011.

 

[8]               En mai 2011, les demandeurs ont déposé une demande d’ERAR et, en juillet 2011, une demande CH. Ces demandes ont été rejetées le 8 décembre 2011 et le 12 décembre 2011 respectivement, par le même agent.

 

La décision CH de l’agent

 

[9]               Dans une lettre datée du 8 décembre 2011, l’agent a informé les demandeurs de la décision défavorable qu’il avait rendue. Les motifs de la décision étaient aussi fournis.

 

[10]           L’agent a commencé par résumer les données biographiques relatives aux membres de la famille du demandeur principal et leurs antécédents en matière d’immigration. Selon l’agent, les questions en litige étaient : les difficultés dans le pays d’origine, le degré d’établissement et l’intérêt supérieur des enfants.

 

[11]           Vu que la date de dépôt de la demande CH était postérieure au 29 juin 2010, l’agent a fait remarquer que les facteurs de risque énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi ne pouvaient pas être pris en compte dans ce type de demande.

 

[12]           L’agent a résumé les allégations des demandeurs et a souligné la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle la femme du demandeur principal n’avait pas été considérée comme une adepte du Falun Gong par le BSP, qu’elle n’en était pas une véritable adepte et qu’elle était arrivée au Canada de façon frauduleuse. La SPR avait aussi établi que le témoignage du demandeur principal relatif à la pratique du Falun Gong par sa femme n’était pas crédible. En ce qui concerne l’allégation du demandeur principal quant à la persécution par le gouvernement chinois consécutive à la violation de la politique de l’enfant unique, la SPR a établi que les enfants seraient enregistrés dans le livret de famille après le paiement d’une amende.

 

[13]           L’agent a pris connaissance de la preuve sur la situation en Chine en ce qui concerne la persécution des adeptes du Falun Gong et il a souligné que ces derniers risquaient encore l’arrestation, la détention et l’emprisonnement. Même s’il est possible de pratiquer le Falun Gong à domicile, cette pratique peut devenir dangereuse si les autorités en sont informées. Le traitement des adeptes de ce mouvement varie d’une province à l’autre, et il y a plus de tolérance à cet égard dans le Sud du pays.

 

[14]           L’agent a ensuite passé en revue les éléments de preuve sur les politiques de planification familiale en Chine, il a décrit l’historique de la politique de l’enfant unique et il a fait état des amendes imposées aux familles qui comptent plusieurs enfants. L’agent a cité une réponse à une demande d’information (RDI) où il était précisé que l’avortement et la stérilisation forcés sont interdits par les lois chinoises, mais que certains fonctionnaires locaux ont déjà eu recours à la coercition. Il y était aussi mentionné que les citoyens chinois qui ont des enfants à l’étranger ne sont pas nécessairement soumis à la politique de l’enfant unique.

 

[15]           L’agent a conclu que la preuve n’étayait pas l’allégation des demandeurs selon laquelle le retour en Chine entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[16]           L’agent a ensuite examiné le degré d’établissement de la famille du demandeur principal. Ce dernier a été en chômage pendant un an et demi après son arrivée au Canada, mais il avait travaillé dans un restaurant de sushis, ce que confirmait une lettre d’employeur. Le demandeur principal n’a pas précisé si sa femme occupait un emploi. L’agent a examiné d’autres éléments de preuve documentaire relatifs aux études et à la participation à la vie de la collectivité. L’agent a jugé positif le fait que le demandeur principal travaillait au Canada, mais il a souligné qu’il n’avait commencé à travailler qu’après que la SPR eut rendu sa décision défavorable.

 

[17]           L’agent a souligné que les membres de la famille du demandeur principal avaient toujours eu une bonne conduite, mais que ce dernier n’avait jamais fourni de copies de relevés bancaires ou de relevés d’impôt.

 

[18]           L’agent a reconnu que, même si le départ du Canada après deux années de résidence dans ce pays pouvait être difficile, vu le degré d’intégration de la famille du demandeur principal, les difficultés éprouvées après un renvoi ne seraient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[19]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a mentionné que ces derniers possédaient la double nationalité américaine et chinoise. L’agent a établi que la preuve ne faisait pas état de l’existence d’un obstacle juridique qui empêcherait les enfants d’aller résider en Chine. Très peu d’éléments de preuve ont été fournis sur les commodités de base dont ils seraient privés. Il était raisonnable de s’attendre à ce que les enfants aient été familiarisés avec la culture chinoise et le mandarin par leurs parents en Amérique du Nord. L’agent a conclu que, de façon générale, les répercussions négatives sur les enfants d’un déménagement en Chine ne seraient pas significatives.

 

[20]           L’agent a conclu que la famille du demandeur avait démontré sa capacité de s’adapter à de nouveaux environnements et qu’elle pourrait aussi s’adapter à un retour à la vie en Chine. En effet, les compétences acquises en Amérique du Nord sont transférables et les membres de la famille élargie vivent en Chine.

 

[21]           En conclusion, l’agent a reconnu que les demandeurs devraient affronter certaines difficultés, mais qu’il ne s’agirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Par conséquent, il a rejeté la demande.

 

Les questions en litige

 

[22]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

            1.         L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’agir équitablement en ne faisant pas du tout état des observations écrites des demandeurs et de leur preuve documentaire?

            2.         L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’agir équitablement en fondant sa décision sur un examen sélectif de la preuve relative à la situation dans le pays?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de justifier sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, particulièrement lorsqu’il a invoqué des conclusions contradictoires?

            4.         Est‑ce que l’agent a commis une erreur en omettant d’apprécier adéquatement l’intérêt supérieur des enfants?

            5.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’apprécier correctement le degré d’établissement de la famille des demandeurs?

 

[23]           Je reformulerais ainsi les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[24]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision CH est la raisonnabilité, mais que la question de l’équité procédurale doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[25]           Selon les demandeurs, le Manuel IP 5 relatif aux demandes CH exige de l’agent qu’il examine et soupèse tous les éléments de preuve pertinents et prenne en compte l’ensemble de la situation. Il est aussi précisé dans le Manuel que le droit d’être entendu est un élément fondamental de la justice naturelle.

 

[26]           L’agent n’a pas tenu compte des observations écrites et des éléments de preuve à l’appui fournis par le conseil des demandeurs. L’argument du conseil, selon lequel la conclusion relative aux citoyens chinois qui travaillent à l’étranger qui figurait dans la RDI visait des citoyens qui travaillent dans des ambassades chinoises et n’englobait pas les demandeurs d’asile déboutés, n’a pas été pris en compte. Cette observation a été corroborée dans une correspondance avec l’auteur du rapport. Le défaut de l’agent de prendre en compte cet élément de preuve contrevenait à l’équité procédurale et constituait de la partialité.

 

[27]           Dans son analyse sur la situation dans le pays, l’agent a choisi uniquement des renseignements défavorables à la cause des demandeurs. Le rapport du Département d’État des États‑Unis décrivait un régime de limitation des naissances coercitif comprenant parfois avortement ou stérilisation forcés et détention des adeptes du Falun Gong. L’amende pour chaque naissance non autorisée peut s’établir à dix fois le revenu annuel disponible d’un citoyen. Les enfants non enregistrés n’ont pas accès aux services publics. Étant donné que l’agent n’a pas tenu compte de ces conclusions, il a violé les principes d’équité et de justice.

 

[28]           L’agent n’a pas motivé sa conclusion relative à l’absence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Les demandeurs ont le droit de savoir pour quels motifs ils n’ont pas réussi à convaincre l’agent du bien‑fondé de leurs arguments. L’agent a cité certains aspects de la situation difficile dans le pays, puis il a rejeté leur demande sans explication ou analyse. Les paragraphes cités concernant les risques de stérilisation et de détention des adeptes du Falun Gong contredisaient la conclusion de l’agent relative à l’absence d’éléments de preuve.

 

[29]           L’agent n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants en passant sous silence les difficultés relatives au fait qu’ils n’aient pas été enregistrés dans le livret de famille, y compris la discrimination, l’absence d’accès aux soins de santé et le risque d’enlèvement. L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants effectuée par l’agent était superficielle. La conclusion de l’agent, selon laquelle il n’existait aucun obstacle juridique qui empêchait les enfants d’obtenir leur citoyenneté chinoise, était fondée en partie sur le rapport du Département d’État qui concernait uniquement Hong Kong.

 

[30]           La conclusion de l’agent sur le degré d’établissement ne contenait aucune analyse. Or, la famille du demandeur est autonome sur le plan financier et ses membres fréquentent périodiquement l’église et des cours d’anglais langue seconde. On ne peut donc pas affirmer que leur degré d’établissement n’est pas différent de celui d’autres demandeurs d’asile.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[31]           Selon le défendeur, l’argument des demandeurs selon lequel les demandeurs d’asile chinois à l’étranger ne sont pas exemptés de la politique de l’enfant unique est une assertion non fondée, et la RDI sur laquelle s’appuyait l’agent n’établissait aucune distinction de cette nature. L’agent a donc établi de façon raisonnable que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle les demandeurs seraient exposés à des difficultés à leur retour en Chine.

 

[32]           Il était loisible à l’agent de conclure que la preuve ne révélait pas l’existence de difficultés dans le contexte de la persécution des adeptes du Falun Gong, étant donné que la SPR avait établi que la femme du demandeur principal n’en était pas une véritable adepte.

 

[33]           L’agent a mentionné expressément les sources qu’il avait consultées, y compris les observations des demandeurs. L’argument des demandeurs relatif à la situation dans le pays équivaut en fait à un désaccord relatif à l’appréciation de la preuve. La Cour doit prendre en compte l’essentiel de la preuve contraire, et non les particularités d’un élément en particulier. L’agent a donc examiné de façon appropriée l’ensemble de la preuve.

 

[34]           L’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Sa décision, fondée sur la preuve, a été rendue de façon raisonnable. Les demandeurs ont simplement allégué que les enfants ne seraient pas enregistrés dans le livret de famille, mais l’agent avait déjà souligné que les citoyens chinois dont les enfants sont nés à l’étranger ne sont pas soumis à la politique de l’enfant unique et peuvent retourner en Chine avec plusieurs enfants sans avoir à affronter de problèmes graves.

 

[35]           L’agent a correctement évalué le degré d’établissement de la famille des demandeurs et ces derniers demandent simplement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve.

 

Analyse et décision

[36]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déjà fixé la norme de contrôle applicable à une question dont une cour de révision est saisie, cette dernière peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[37]           Il est bien établi en droit que l’appréciation de la décision d’un agent relative à une demande CH déposée à partir du Canada fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, [2009] ACF no 1489, au paragraphe 14; De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868, au paragraphe 13).

 

[38]           Lorsqu’elle examine la décision d’un agent en fonction de la norme de raisonnabilité, la Cour ne doit pas intervenir, sauf si l’agent n’a pas tiré une conclusion justifiable, dans le cadre d’un processus décisionnel transparent et intelligible, et que cette conclusion n’appartient pas aux issues possibles acceptables selon la preuve dont il était saisi (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Khosa, précité, il ne revient pas à une cour de révision de substituer à la décision du tribunal administratif la solution qu’elle juge préférable et il ne lui revient pas non plus d’apprécier à nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[39]           Il est aussi bien établi en droit que la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne l’équité procédurale est la décision correcte (voir Khosa, précité, au paragraphe 43). Aucune déférence n’est due aux décideurs sur ces questions (voir Dunsmuir, précitée, au paragraphe 50).

 

[40]           Deuxième question

      L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale?

            Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale en omettant de prendre en compte ou de faire référence à certains éléments de preuve. Comme il a été expliqué aux paragraphes 45 et 46 de l’arrêt Khosa, précité, la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, précise que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique lors du contrôle relatif à des conclusions de fait :

[45] L’intervention judiciaire est de plus autorisée si l’office fédéral

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

[…]

 

[46] De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

 

[41]           L’extrait susmentionné contient l’expression « sans tenir compte des éléments dont il dispose », soit un des motifs de contrôle et celui qui est invoqué par les demandeurs en l’espèce. Cependant, cet extrait précise clairement que le contrôle doit être fait en fonction de la norme de la raisonnabilité et qu’il ne s’agit donc pas d’une question d’équité procédurale. Je vais plutôt aborder ci‑dessous cet argument selon la norme de contrôle générale de la raisonnabilité.

 

[42]           Troisième question

            L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

            L’agent est présumé avoir pris en compte l’ensemble de la preuve dont il était saisi (voir la décision Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, [2008] ACF no 411, , au paragraphe 33). Cependant, plus les éléments de preuve non mentionnés sont importants, plus la cour de révision sera portée à inférer de cette omission que le tribunal administratif a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de la preuve (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, [2012] ACF no 189, au paragraphe 35).

 

[43]           L’agent a correctement pris en compte la preuve relative à la situation dans le pays en ce qui concerne les adeptes du Falun Gong, mais il s’est appuyé sur la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité selon laquelle la femme du demandeur principal n’était pas une adepte de ce mouvement. Par conséquent, les éléments de preuve soulignés par les demandeurs ne sont pas suffisamment importants pour justifier que l’agent en fasse davantage état.

 

[44]           Je ne crois pas non plus qu’un agent commet une erreur en tenant compte explicitement d’éléments de preuve qui contredisent sa conclusion finale, comme l’allèguent les demandeurs. Une décision qui prend en compte les éléments de preuve qui vont dans les deux sens respecte la valeur de transparence du processus décisionnel.

 

[45]           Les demandeurs allèguent que l’agent a omis de prendre en compte leur argument selon lequel l’exemption de l’application de la politique de l’enfant unique aux citoyens chinois qui travaillent à l’étranger visait uniquement ceux qui travaillaient dans les ambassades. Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve à cet égard et que, par conséquent, l’agent n’a pas à aborder explicitement cet élément.

 

[46]           Le défendeur a raison de dire que la preuve fournie par les demandeurs à ce sujet n’est pas accablante. Les demandeurs ont formulé cette allégation dans des observations relatives au personnel des ambassades chinoises, sans établir de liens avec des éléments de preuve sur la situation dans le pays.

 

[47]           Cependant, les demandeurs ont bel et bien soumis des pièces de correspondance avec le professeur de sciences politiques cité dans la RDI à ce sujet. Le professeur déclarait qu’il ne se rappelait pas avoir formulé de conclusions définitives quant à la façon dont les enfants de demandeurs d’asile déboutés seraient traités à leur arrivée en Chine.

 

[48]           Cette pièce de correspondance n’étaye pas parfaitement l’allégation des demandeurs selon laquelle l’exemption de l’application de la politique de l’enfant unique s’applique exclusivement aux employés d’ambassades. Cependant, elle soulève certains doutes quant à la question de savoir si l’exemption de l’application de la politique de l’enfant unique, décrite dans la RDI, s’appliquait à tous les enfants nés à l’étranger ou si elle variait selon les circonstances.

 

[49]           Il s’agit d’un élément important dans le cadre de l’appréciation des arguments des demandeurs, et le silence de l’agent à cet égard devient une omission qui se situe dans une catégorie semblable à celle qui a été décrite dans la décision Pinto Ponce, précitée. Cet élément est particulièrement pertinent, étant donné que l’agent avait simplement conclu qu’il était possible qu’il y ait exemption de l’application de la politique de l’enfant unique aux enfants nés à l’étranger.

 

[50]           Cet élément de preuve ne débouche pas sur une issue en particulier, et il n’incombe pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Cependant, le défaut de l’agent d’expliquer le rejet de cet élément de preuve entre en contradiction avec une des valeurs énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, précité, soit la transparence du processus décisionnel. Cette omission est donc déraisonnable.

 

[51]           Je suis donc d’avis d’accueillir la demande et de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision par un autre agent.

 

[52]           Aucune des parties ne m’a proposé de certifier une question grave de portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

« John A. O’Keefe »

juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1711‑12

 

INTITULÉ :                                      JINGSHU JIANG, XIUQING JIANG,

                                                            YUHAO RAYMOND JIANG et

                                                            TONY YUFENG JIANG

 

-          et –

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 25 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 19 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jianhua Zhong

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jianhua Zhong

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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