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Date : 20121220

Dossier : IMM-3262-12

 

Référence : 2012 CF 1529

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

 

EMRAH DEMIRSAHLAR

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté, le 9 mars 2012, la demande d’asile que le demandeur a présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, sur le fondement de son appartenance politique en Turquie.

 

[2]               À mon avis, la décision de la SPR est entachée d’une erreur susceptible de révision. Les passages fondamentaux de la décision à l’origine de cette conclusion sont les suivants :

À certains égards, c’était une audience inhabituelle. Le demandeur d’asile a indiqué au début qu’il ne pouvait pas témoigner, car il était nerveux et paniqué. En fait, un billet médical a été présenté à cet effet. Pour accommoder le demandeur d’asile, après plusieurs séances où aucune preuve directe n’a été recueillie, l’audience a finalement eu lieu. Le tribunal a consenti à l’accommodement de permettre à l’interprète qui a aidé le demandeur d’asile à remplir son FRP d’être le représentant désigné noté en l’espèce. Il a témoigné en anglais seulement, avec le consentement du conseil et du demandeur d’asile, sans traduire en turc au demandeur d’asile. Toutefois, le représentant désigné et le demandeur d’asile ont été avisés qu’ils pouvaient communiquer ensemble pendant l’audience, même en turc, si le représentant désigné avait besoin de renseignements supplémentaires. Cela a peu ou pas été nécessaire, car le représentant désigné a été en mesure de répondre à toutes ou à la majorité des questions posées. Le conseil et le demandeur d’asile ont confirmé, à deux reprises, que le demandeur d’asile serait lié par ce que dit le représentant désigné.

 

Vers la fin de l’audience, le demandeur d’asile a lui-même parlé soudainement et a insisté pour répondre lui-même à une question posée au témoin ou au représentant désigné. Il a répondu, et il lui a été demandé pourquoi — s’il est si perturbé psychologiquement qu’il l’allègue, de sorte que l’audience a dû être retardée à plusieurs reprises pour accommoder son incapacité alléguée à témoigner — s’est-il soudainement lancé et offert avec enthousiasme de témoigner. Il a simplement répondu qu’il voulait répondre à la question et il a ensuite nié qu’il aurait pu témoigner de vive voix tout au long de la procédure. Compte tenu de ce changement spectaculaire du comportement du demandeur d’asile, le tribunal tire une conclusion négative quant à sa crédibilité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphes 9 et 10)

 

[3]               Dans le très récent « billet médical » du 16 janvier 2012 mentionné par la SPR et signé par un médecin, celui-ci déclare qu’à son avis le demandeur souffre d’un trouble panique et [traduction] « a besoin d’un représentant désigné pour parler en son nom devant la Cour » (dossier du tribunal, pages 60 et 61). La SPR disposait également d’un rapport daté du 14 novembre 2011 dans lequel un psychiatre indique qu’il a diagnostiqué un état de stress post‑traumatique chez le demandeur (dossier du tribunal, pages 356 à 359).

 

[4]               L’« intervention » du demandeur découle d’une question que son avocate a posée à un témoin de ce dernier. Cette personne connaît le demandeur depuis 2005; ils ont tous deux assisté à une célébration de la fête du Travail le 1er mai 2006 en Turquie. Voici la partie pertinente de la transcription :

                        [traduction]

R.        Nous avons participé à la manifestation du 1er mai 2006.

 

Q.        Et où se tenait-elle?

 

R.         À Izmir.

 

Q.                Et pourquoi étiez‑vous là?

 

R.         Nous sommes des travailleurs et le 1er mai est une fête du travail, nous nous y sommes donc rendus pour célébrer.

 

Q.                Et comment le gouvernement voit‑il la célébration de la fête du Travail du 1er mai?

 

R.         La religion du gouvernement est la religion islamique, donc ils percevraient que (inaudible) et, par conséquent, ils sont contre.

 

Q.                Ces personnes qui participent au 1er mai, je veux dire sont‑elles – quelles causes soutiennent‑elles, s’agit‑il seulement des droits des travailleurs ou y a‑t‑il d’autres enjeux?

 

R.         En premier lieu, elles défendent ou soutiennent les droits des travailleurs.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Puis-je répondre à cette question?

 

CONSEIL DU DEMANDEUR D’ASILE : Non, parce que je ne pense pas M. le Commissaire permettrait ---

 

COMMISSAIRE : Ouais, bien sûr.

 

CONSEIL DU DEMANDEUR D’ASILE : Entendu. Merci, M. le Commissaire.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Pouvez‑vous poser la question à nouveau?

 

CONSEIL DU DEMANDEUR D’ASILE : La question était juste la suivante : Lorsque vous allez aux manifestations, quels enjeux les personnes présentes soutiennent‑elles, s’agissait‑il uniquement des droits des travailleurs ou y a‑t‑il d’autres enjeux?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Les droits des travailleurs et les droits de la personne, les droits des femmes et les droits des homosexuels, c’est tout.

 

COMMISSAIRE : Désolé, je dois vous poser une question maintenant. Pourquoi êtes‑vous intervenu à ce stade‑ci? Je pensais que vous étiez trop déprimé pour témoigner; alors, pourquoi êtes‑vous intervenu d’une façon aussi animée?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Je voulais juste répondre.

 

COMMISSAIRE : Auriez‑vous toujours été en mesure de témoigner comme vous venez de le faire?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

 

COMMISSAIRE : Entendu, merci. Désolé, Monsieur.

 

CONSEIL DU DEMANDEUR D’ASILE : Merci, M. le Commissaire.

 

                  [Non souligné dans l’original.]

                                    (Dossier du tribunal, pages 470 et 471)

 

[5]               À deux occasions au cours de l’audience, le représentant désigné a tenté d’expliquer que les contradictions présentes dans les exposés circonstanciés du FRP du demandeur découlaient du piteux état psychologique du demandeur : il a dit qu’il avait séjourné à New York pendant trois mois, pour ensuite affirmer qu’il avait séjourné à Seattle pendant trois mois (décision, paragraphe 15); et il a omis de mentionner dans un second exposé circonstancié les agents de persécution qu’il a identifiés dans son premier exposé circonstancié: les membres du parti « EMEP », les musulmans radicaux et les nationalistes (décision, paragraphe 22). Dans les deux cas, on s’est appuyé sur la conclusion défavorable relative à la crédibilité découlant de l’incident lié à l’« intervention » pour tirer d’autres conclusions défavorables quant à la crédibilité. À mon avis, cette ligne de conduite suivie par la SPR était injustifiée et a eu des conséquences particulièrement injustes sur la demande du demandeur.

 

[6]               Pour l’essentiel, par suite de l’intervention, la SPR a tiré une conclusion d’invraisemblance puis une autre conclusion fondée sur la première, à savoir qu’il est invraisemblable que le demandeur soit intervenu comme il l’a fait s’il n’était pas en mesure de témoigner et qu’il ne disait donc pas la vérité quant à son incapacité à témoigner. Ce raisonnement relève d’une pure conjecture. Le seul élément de preuve au dossier susceptible de montrer ce que l’on pouvait s’attendre de la conduite du demandeur tient au fait qu’il souffre d’un trouble panique et du syndrome de stress post‑traumatique. Selon moi, tout ce que l’on peut déduire avec certitude de l’intervention du demandeur est qu’il voulait répondre, ce qu’il a fait, en huit mots, rien de plus.

 

[7]               En conséquence, je conclus que la décision visée en l’espèce est entachée d’une erreur susceptible de révision et qu’elle est déraisonnable.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

La décision visée par le contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

            Aucune question n’est certifiée.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3262-12

 

INTITULÉ :                                                  EMRAH DEMIRSAHLAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 décembre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clarisa Waldman 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ndija Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman et associés

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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