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Date : 20130104

Dossier : T-855-12

Référence : 2013 CF 5

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

TREVOR S. ANNON ET

LEEANN C. MCLAREN

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Les défendeurs, le capitaine Trevor Annon et la copilote Leeann McLaren, travaillent comme pilotes à la compagnie aérienne Canadian North. En 2011, ils ont été soumis à une vérification compétence pilote (une PPC) effectuée par le capitaine Kyle Franczak qui, à son tour, était surveillé par l’inspecteur Duncan Wilson de Transports Canada.

 

[2]               Durant la PPC, la copilote McLaren a piloté l’avion pendant que le capitaine Annon effectuait les tâches non reliées au vol. Le capitaine Franczak a chargé l’équipage d’engager une procédure d’attente précise au moment d’atterrir à l’aéroport international de Vancouver. Cette manœuvre nécessitait le recours au pilote automatique sur leur aéronef Dash 8. La copilote McLaren a tourné un outil, le « curseur de cap », vers la droite pour effectuer un virage à droite. Toutefois, elle a tourné le curseur trop loin et l’avion a viré à gauche au lieu d’à droite.

 

[3]               Le capitaine Annon et la copilote McLaren ont tenté de réinitialiser le curseur, en vain. Préoccupée par des vents arrière qui risquaient de les détourner de leur route, la copilote McLaren a proposé de continuer leur virage à gauche et de modifier leur approche. Le capitaine Annon a accepté.

 

[4]               À ce moment, l’inspecteur Wilson a mis fin à la PPC parce que l’équipage avait démontré une incapacité à manœuvrer le pilote automatique sur l’aéronef. Par conséquent, les deux pilotes ont été suspendus. Ils ont demandé le contrôle de la décision de l’inspecteur devant le Tribunal d’appel des transports du Canada (le TATC). Le TATC a accueilli leur demande et a renvoyé l’affaire au ministre des Transports pour qu’il l’examine de nouveau.

 

[5]               Le ministre sollicite maintenant le contrôle de la décision du TATC, affirmant que le tribunal a commis une erreur en concluant que les actions des pilotes n’auraient pas dû entraîner un échec. Le ministre a demandé à la Cour d’annuler la décision du TATC. Toutefois, rien ne me permet d’infirmer la décision du TATC – elle n’était pas déraisonnable. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Deux questions se posent en l’espèce. D’abord, je dois déterminer la norme de contrôle à appliquer aux décisions du TATC. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, je dois ensuite déterminer si la décision du TATC était déraisonnable.

 

II.        La décision du TATC

[7]               Le TATC a entendu le témoignage de l’inspecteur Wilson selon lequel les pilotes étaient simplement incapables de manœuvrer le pilote automatique et que cette incapacité a suffi pour qu’ils échouent la PPC. Il a convenu que les pilotes font parfois des erreurs et doivent être en mesure de les corriger en temps opportun, mais ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[8]               La copilote McLaren a expliqué son erreur due au fait qu’elle a tourné le curseur trop loin. Dans les circonstances, elle estimait que la conduite la plus prudente était de continuer le virage à gauche et d’exécuter une entrée dans l’aéroport parallèle, plutôt que directe. Sinon, les vents arrière auraient pu les forcer à sortir de l’espace aérien protégé. Le capitaine Annon a accepté. Le capitaine Franczak aussi.

 

[9]               Le TATC a conclu que l’équipage a réagi à leur erreur d’une manière sécuritaire. Les pilotes ont analysé la situation, ont convenu d’une conduite et l’ont exécuté avec succès. La préoccupation de l’inspecteur était légitime, mais il restait amplement de temps durant l’examen pour donner à l’équipage une autre chance de démontrer leur capacité à manœuvrer le pilote automatique. Le tribunal a conclu que le ministre n’avait pas démontré que les pilotes n’avaient pas respecté la norme applicable et a renvoyé l’affaire au ministre pour qu’il l’examine de nouveau.

 

III.       Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[10]           Le ministre prétend qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue envers le TATC et, par conséquent, la Cour devrait infirmer sa décision si elle est mal fondée. La thèse du ministre est fondée sur le fait que la décision a été rendue par un seul membre du TATC. De plus, il n’y a aucune clause privative limitant le contrôle judiciaire des décisions du tribunal, ce qui indique que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer.

 

[11]           Je ne suis pas d’accord.

 

[12]           Les décisions du TATC peuvent généralement être portées en appel devant un comité d’appel formé de trois membres. Toutefois, le ministre n’a pas le droit d’interjeter appel. Par conséquent, le seul recours auquel il a droit est le contrôle judiciaire.

 

[13]           Il ne fait aucun doute que le contrôle judiciaire des décisions du comité d’appel est généralement effectué selon la norme de la raisonnabilité. Le comité d’appel est considéré comme ayant des compétences en matière de transports et est chargé de rendre des décisions pour protéger la sécurité publique. De même, un seul membre du TATC est un décideur compétent qui répond à un objectif similaire, ce qui indique que la norme de la raisonnabilité devrait s’appliquer à lui aussi.

 

[14]           En outre, tant le comité d’appel que le comité du TATC formé d’un seul membre rendent généralement des décisions fondées sur des conclusions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Cela milite aussi en faveur de la norme de la raisonnabilité : Asselin c Canada (Ministre des Transports), [2000] ACF no 256 (1re instance). Toutefois, les cas où l’on soulève des questions de compétence sont examinés selon la norme de la décision correcte : Air Nunavut c Canada (Ministre des Transports) (2000), [2001] 1 CF 138 (1re instance).

 

[15]           Il appert que la seule différence entre une décision rendue par un seul membre du TATC et une décision rendue par un comité d’appel est que la première n’est pas visée par une clause privative. Mais il ne s’agit que d’un facteur à examiner parmi tant d’autres; il n’est pas déterminant : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, par. 64.

[15]

[16]           De plus, le comité d’appel lui‑même doit faire preuve de retenue envers le TATC : il serait étrange qu’une personne sollicitant l’annulation d’une décision du TATC, afin d’avoir gain de cause, doive persuader un comité d’appel que la décision du tribunal était déraisonnable, alors que le ministre pourrait avoir gain de cause et faire annuler une décision du TATC en démontrant qu’elle était mal fondée. En l’absence d’une indication plus explicite que telle était la volonté du législateur, l’équité porte à croire que les parties devraient pouvoir invoquer des recours parallèles.

 

[17]           Je suis convaincu que la question en l’espèce est une question mixte de fait et de droit. Le TATC devait examiner la preuve et soupeser la conduite des pilotes par rapport à la norme établie dans les règles. Il est évident que la norme de contrôle à appliquer est celle de la raisonnabilité.

 

IV.       Deuxième question – La décision du TATC était‑elle déraisonnable?

[18]           Le ministre soutient que le capitaine Annon et la copilote McLaren n’ont simplement pas réussi à manœuvrer adéquatement le pilote automatique. Par conséquent, ils ont échoué la PPC. La conclusion du TATC selon laquelle leurs mesures correctrices étaient appropriées dans les circonstances n’était pas une issue défendable au vu de ces faits incontestables.

 

[19]           Au contraire, j’estime que la conclusion du TATC n’était pas déraisonnable. Le tribunal a renvoyé au Guide de test en vol publié par Transports Canada, lequel prévoit que les pilotes devraient être notés selon une note de passage équivalant à un « standard de base », même dans les situations où il y a des « écarts majeurs » par rapport à « la norme de qualification », pour autant que ces écarts soient  « perçus et corrigés de façon appropriée ». Le pilote qui reçoit une note « standard de base » est autorisé à répéter l’enchaînement demandé plus tard dans la PPC.

 

[20]           Le TATC a examiné tous les témoignages qui lui ont été soumis et a conclu que les pilotes ont pris la mesure la plus sécuritaire dans les circonstances, une mesure qui leur a permis de compléter avec succès l’exercice qui leur avait été assigné. Ils ont analysé les options et ont opté pour une conduite acceptable. Le TATC a indiqué qu’on ne devrait pas retirer à l’équipage de conduite ce genre de prise de décisions.

 

[21]           À mon sens, la décision du TATC est intelligible, transparente et justifiée. Elle constituait une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V.        Conclusion et disposition

[22]           Les décisions du TATC devraient généralement être examinées selon la norme de la raisonnabilité. En l’espèce, le TATC a fondé sa décision sur la preuve qui lui avait été soumise et est arrivé à une conclusion appartenant aux issues acceptables. Elle n’était pas déraisonnable. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« James W. O’Reilly »

juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-855-12

 

INTITULÉ :                                      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            c.

TREVOR S. ANNON ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 janvier 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Elford

POUR LE DEMANDEUR

 

Patrick Nugent

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Nugent Law Office

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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