Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121219

Dossier : T‑1140‑11

Référence : 2012 CF 1513

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Manson

 

 

ENTRE :

 

BANQUE DE MONTRÉAL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

ALEXANDRA KARATOPIS SHERMAN

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

[1]               Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la Banque de Montréal [BMO] demande à la Cour d’annuler la décision par laquelle l’arbitre David Murray [l’arbitre] ordonnait la réintégration de la défenderesse, Mme Alexandra Karatopis Sherman, que BMO avait congédiée sans motif, à un poste de représentante du service à la clientèle auprès de l’une des filiales de BMO au sein d’un territoire donné, ou, subsidiairement, d’annuler deux des termes de l’ordonnance en question. 

 

II.        Les faits

[2]               Mme Sherman a travaillé pour BMO du 4 mai 1987 au 28 octobre 2009, dans diverses filiales de la région du Niagara en Ontario. Au moment de son congédiement, Mme Sherman occupait le poste de représentante principale du service à la clientèle auprès de la filiale de BMO de Welland, en Ontario [la filiale de Welland], où elle avait travaillé sans interruption depuis 1999. À partir de 2000, la filiale de Welland était gérée par Molly Heise.

 

[3]               Le rendement de Mme Sherman à la filiale de Welland avait posé problème en 2007, 2008 et 2009 et a mené à son licenciement en 2009. Par exemple, Mme Sherman éprouvait des difficultés avec certaines tâches, par exemple commander à temps des liquidités pour la filiale; de plus, sa cote d’évaluation était inférieure à la moyenne. Mme Sherman a également omis de vérifier certains documents auprès des institutions financières émettrices, ce qui a entraîné, en 2008, une perte cumulative pour BMO d’environ 7 500 $. En outre, elle a omis de vérifier des montants plus élevés (ce qui n’a pas entraîné des pertes) et a laissé, à une occasion, 8 000 $ sans surveillance dans un endroit public. Mme Sherman s’est vu reprocher qu’elle passait trop de temps avec les clients.

 

[4]               Toutefois, BMO a fait valoir à l’arbitrage, tout comme en l’espèce, qu’elle n’avait pas de motif valable pour mettre fin à l’emploi de Mme Sherman et qu’elle a licencié celle‑ci sans motif.

 

[5]               En avril 2009, Mme Sherman a présenté, auprès de Boyd Hamblin, directeur de secteur pour la région du Niagara, une plainte de harcèlement portant sur la façon dont Mme Heise la traitait, ainsi que plusieurs documents à l’appui censés l’innocenter au regard de certaines erreurs que Mme Heise lui reprochait. Mme Sherman s’est plainte également auprès de M. Hamblin que Mme Heise lui avait crié après et qu’elle se sentait physiquement menacée par celle‑ci. M. Hamblin a conclu la réunion à cet égard en disant qu’il mènerait une enquête sur cette plainte et qu’il la tiendrait au courant. Or, il n’y a pas eu de suivi et le 28 octobre 2009, BMO a congédié Mme Sherman.

 

[6]               Le 8 décembre 2009, Mme Sherman a déposé une plainte de congédiement injuste auprès du Programme de travail des Ressources humaines et Développement des compétences Canada, suivant le paragraphe 240(1) du Code canadien du travail, LRC, 1985, c L‑2 [le Code]. Cette plainte a été ultérieurement renvoyée à l’arbitrage, conformément à l’article 242 du Code, plus précisément à l’arbitre dont la décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[7]               Selon la lettre de licenciement, BMO a versé à Mme Sherman son plein salaire pendant soixante‑huit (68) semaines suivant son congédiement. Les paiements ont pris fin le 18 février 2011.

 

III.       La décision contestée

[8]               L’audience sur cette affaire s’est déroulée à Grimsby, en Ontario, pendant dix jours, soit le 29 juillet, les 18 et 22 octobre, les 10,18, 19 et 23 novembre, le 6 décembre 2012 ainsi que le 30 mars et le 24 mai 2011. Les deux parties étaient représentées par avocat. Mme Sherman n’a appelé aucun témoin, à l’exception d’elle‑même; la banque a appelé cinq témoins, soit Mme Heise et quatre directeurs de secteur pour la région du sud de l’Ontario.

 

[9]               À l’audience, BMO a fait valoir qu’elle n’avait pas de motif pour congédier Mme Sherman, malgré sa lettre indiquant [traduction] « l’incapacité de satisfaire aux exigences de rendement de votre poste ». Par conséquent, l’arbitrage et la décision de l’arbitre ont porté uniquement sur la réparation appropriée. Mme Sherman a demandé qu’elle réintègre ses fonctions au sein de l’une des filiales de BMO qu’elle a nommées dans la région du Niagara et qu’elle obtienne des dommage‑intérêts, sans interruption des avantages sociaux et des prestations de retraite. BMO a dit que cette indemnité était juste, et qu’elle avait déjà payé le montant approprié à Mme Sherman en lui versant une indemnité équivalant à soixante‑huit semaines de salaire.

 

[10]           L’arbitre a accordé la plupart des réparations que Mme Sherman avait demandées, et a conclu que, bien qu’elle ne constitue pas un [traduction] « recours automatique », la réintégration était la solution fortement présumée pour remédier au congédiement injuste de Mme Sherman, aux termes du Code. 

 

[11]           En ce qui concerne la justesse de la réintégration en l’espèce, l’arbitre a appliqué aux faits dont il disposait [traduction] « sept circonstances généralement reconnues qui justifieraient la décision de ne pas réintégrer un employé » résumées dans la décision Yesno c Eabametoong First Nation Education Authority, [2006] CLAD no 352 [Yesno]. Ces facteurs et les conclusions de l’arbitre relatives à chacun d’entre eux sont résumés ci‑après :

[traduction]

1. La détérioration des relations personnelles entre le plaignant et la direction ou d’autres employés. C’est le cas sans doute, ce qui élimine donc la possibilité de réintégration au sein de la filiale de Welland. Cette détérioration des relations remonte jusqu’en 2004 lorsque Mme Sherman a demandé son transfert à une autre filiale, à St. Catharines, et a obtenu une rétroaction préliminaire positive de la part du directeur. Mme Sherman soutient que, lorsqu’elle a parlé à Mme Heise de sa demande, celle‑ci a élevé la voix en lui disant « Je suis la seule qui essaie de faire fonctionner cette filiale. Je me soucie peu de vous ou de vos enfants ». Mme Sherman ne s’est jamais vu offrir le poste en question ni n’a reçu de réponse par écrit au sujet de sa demande. Elle soupçonne que Mme Heise lui a fait obstacle. Aucune preuve n’a été présentée à cet égard.

 

2. La disparition de la relation de confiance qui doit exister, en particulier lorsque le plaignant occupe un poste élevé dans la hiérarchie de son entreprise. Le litige portait sur la compétence et le respect des politiques, non sur la confiance. D’ailleurs, Mme Sherman n’occupait pas un « poste élevé ».

 

3. La contribution du plaignant à la faute justifiant que son congédiement donne lieu à une moindre sanction. Applicable. [Voir l’ordonnance enjoignant à Mme Sherman de rembourser à BMO certaines sommes qu’elle avait perdues.]

 

4. Une attitude de la part du plaignant menant à croire que la réintégration n’améliorerait pas la situation. Tel n’est pas le cas. En fait, c’était le contraire. […] 

 

5. L’incapacité physique du plaignant de commencer à travailler immédiatement. Elle se dit prête à commencer immédiatement.

 

6. L’abolition du poste occupé par le plaignant au moment de son congédiement. Sans objet

 

7. D’autres événements subséquents au congédiement rendant la réintégration impossible, comme une faillite ou des mises à pied. Sans objet

 

 

[12]           L’arbitre a également examiné une liste encore plus longue de facteurs qu’il avait élaborés à partir de son « expérience personnelle » et qu’il a appliqués aux faits de l’espèce.

 

[13]           Comme il a conclu que la relation entre Mme Sherman et Mme Heise s’était détériorée, et que les autres facteurs ne jouaient pas fortement en défaveur de la réintégration, l’arbitre a ordonné que Mme Sherman soit réintégrée au sein d’une autre filiale de BMO dans les quatorze jours suivant son ordonnance, notamment à l’une des filiales de Grimsby, de St. Catherines, de Dunnville, ou de Hamilton East Mountain, ou, au choix de BMO, auprès tout filiale se trouvant à [traduction] « 50 km de route » du lieu de résidence de Mme Sherman en date du 30 octobre 2009. Cette dernière condition a été ajoutée par l’arbitre parce qu’il pensait que la liste de filiales proposées par Mme Sherman était [traduction] « déraisonnablement restrictive ».

 

[14]           Voici les autres conditions essentielles de l’ordonnance de l’arbitre :

‑ les jours de travail et l’horaire régulier de Mme Sherman avant son congédiement sont rétablis;

‑ Mme Sherman rembourse à BMO la somme de 7 500 $ en raison de la négligence survenue en 2008;

‑ le calcul de la rémunération et des avantages rétroactifs, moins les retenues, est renvoyé aux parties.

 

 

IV.       Questions en litige

 

[15]           BMO a présenté les questions suivantes devant la Cour :

[traduction]

                          i.      Était‑il déraisonnable pour l’arbitre de réintégrer Mme Sherman au sein d’une autre filiale de BMO, alors que la preuve montrait que cela aurait pour effet le congédiement d’un tiers innocent?

                        ii.      Subsidiairement, était‑il déraisonnable pour l’arbitre d’ordonner à BMO :

1.      de réintégrer Mme Sherman et de rétablir « les jours de travail et l’horaire régulier […] avant son congédiement », en l’absence de preuve concernant le caractère permanent des jours de travail et de l’horaire en question;

2.      de verser des dommages‑intérêts pour les avantages sociaux, en l’absence de preuve présentée par Mme Sherman concernant la valeur de ces avantages?

 

BMO conteste également le caractère raisonnable de la réintégration pour d’autres motifs, à savoir :

3.      la réintégration reposait sur une erreur de droit, en ce qu’elle était considérée comme la solution « présumée » pour remédier au congédiement injuste aux termes du Code;

4.      la réintégration reposait sur une conclusion de fait erronée, selon laquelle le « lieu de travail » de Mme Sherman se trouvait sur le territoire géré par M. Hamblin;

5.      la réintégration visait à punir BMO à la suite de la plainte de harcèlement que Mme Sherman avait déposée sept mois avant son licenciement.

 

V.        Dispositions législatives

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

 

 

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

 

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

 

 

 

 

 

 

 

242. […]

 

Cas de congédiement injuste

 

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

 

 

 

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

 

 

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

 

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

[Non souligné dans l’original.]

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

 

 

 

 

 

 

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

 

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

 

 

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers  the dismissal to be unjust.

 

242. […]

 

Where unjust dismissal

 

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

 

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

 

(b) reinstate the person in his employ; and

 

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

 

[emphasis added]

 

VI.       Analyse

A.        Norme de contrôle

[16]           BMO reconnaît que la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre. « [L]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

 

B.        Droit à la réintégration

[17]           Les parties conviennent qu’il est bien établi en droit que la réintégration ne constitue pas un droit absolu conféré par le Code à l’employé injustement congédié. Le paragraphe 242(4) du Code prévoit plutôt qu’il s’agit de l’une des réparations que l’arbitre peut ordonner s’il conclut que l’employé a fait l’objet d’un licenciement injuste (Sheikholeslami c Énergie atomique du Canada Ltée, [1998] ACF no 250, [1998] 3 CF 349, aux par. 11 et 12; Defence Construction Canada Ltd c Girard, 2005 CF 1177, au par. 66).

 

[18]           Il était aussi convenu que, pour décider la réintégration d’un employé, l’arbitre, tout comme en l’espèce, doit tenir compte des sept facteurs énoncés dans la décision Yesno, précitée.

 

[19]           Or, en l’espèce, l’arbitre a commis plusieurs erreurs dans son évaluation des faits dont il était saisi et en affirmant que  [traduction] « [l]a réintégration ne constitue pas un droit automatiquement accordé en l’absence de motif valable, mais elle constitue toujours un droit présumé. Une très grande prudence s’impose au moment d’invoquer l’exception à la réintégration, autrement l’employé congédié injustement risque d’être pénalisé en perdant son emploi » (p. 26 du dossier certifiée du tribunal). En outre, à la p. 20 du dossier, l’arbitre a dit qu’« il s’ensuit logiquement, en vertu de la stratégie “intégrale” de l’art. 242 que le premier recours au congédiement injuste serait la réintégration, puisque c’est la solution évidente pour permettre à l’employé non seulement de percevoir à l’avenir les avantages économiques liés à son emploi, mais également de restaurer la satisfaction psychologique qu’il tire de son emploi ».

 

[20]           Bien qu’il ait reconnu plus loin qu’il n’était pas tenu d’ordonner la réintégration, l’arbitre a estimé, après examen des sept facteurs énoncés dans la décision Yesno précitée, qu’il convenait d’ordonner cette réparation. Il a ainsi décidé :

a)      Mme Sherman ne pouvait pas retourner à la filiale de Welland où elle avait travaillé sans interruption de 1989 à 2009, en raison de la détérioration de ses relations personnelles avec la direction (en l’occurrence Mme Heise);

b)      les problèmes entre Mme Sherman et BMO portaient sur la compétence et le respect des politiques; [traduction] « ses erreurs sont importantes et son dossier (même s’il indique à présent une période d’inactivité d’environ deux ans en plus des défauts de sa titulaire) l’accompagnera au poste suivant auprès de BMO » (page 30 du dossier certifiée du tribunal); et pourtant, ces problèmes n’ont pas fait disparaître la relation de confiance;

c)      la contribution de la plaignante à la faute ne justifiait qu’une moindre sanction;

d)     la jurisprudence consacrait son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la réintégration de Mme Sherman à un « lieu de travail » autre que la filiale de BMO au sein de laquelle elle avait travaillé depuis 1999 jusqu’à son congédiement en 2009, compte tenu surtout de son licenciement par le directeur de secteur, M. Hamblin;

e)      élément « déterminant » pour sa décision, l’absence, à l’audience, de témoignage de la part M. Hamblin quant au retard à enquêter la plainte de harcèlement de Mme Sherman, a fait « pencher » la décision arbitrale en faveur de celle‑ci (p. 20 du dossier certifiée du tribunal);

f)       autrement, les facteurs énoncés dans Yesno ne s’appliquaient pas ou ne favorisaient pas Mme Sherman.

 

[21]           Je conclus que ces conclusions sont déraisonnables pour les motifs suivants. 

 

i. L’inconduite de Mme Sherman

[22]           Il s’agit en l’espèce du congédiement sans motif de Mme Sherman, qui ne reposait pas sur l’inconduite de celle‑ci. Néanmoins, pour déterminer si la réintégration constituait un redressement viable, l’arbitre a décidé déraisonnablement que les actes répétés de négligence de Mme Sherman, entraînant des pertes potentielles de 59 000 $ et de 47 000 $ et des pertes réelles de 7 500 $, n’étaient pas assez importants pour mener à une perte irréparable de confiance de la part de BMO quant à l’emploi permanent de Mme Sherman. L’arbitre a décidé ainsi compte tenu de sa conclusion selon laquelle « ses erreurs sont importantes et son dossier l’accompagnera au poste suivant auprès de BMO ». Cette conclusion est incroyable, indéfendable, et manifestement incompréhensible.

 

ii.   L’impossibilité de retourner à la filiale de Welland

[23]           Nonobstant sa conclusion selon laquelle Mme Sherman ne pouvait pas retourner à l’endroit où elle avait travaillé depuis 1999, soit la filiale de Welland, en raison d’un désaccord insurmontable avec Mme Heise, l’arbitre a statué qu’elle pouvait travailler auprès d’une autre filiale de BMO, parmi celles indiquées précédemment, dans le sud de l’Ontario. Il a rendu cette décision au vu des témoignages de tous les directeurs de secteur de BMO pour la région du sud de l’Ontario qui avaient indiqué qu’il n’y avait pas de poste vacant, à moins de licencier l’un des employés. L’avocat de Mme Sherman fait valoir que la décision rendue par le juge Michael L. Phelan dans Sprint Canada c Lancaster, 2005 CF 55, aux par 61 et 62, étaye ce point de vue. Selon cette décision, bien qu’il s’agisse d’un acteur  à prendre en compte, le fait de devoir évincer un titulaire n’est pas un obstacle à la réintégration et, en fait, « [c]’est à [l’employeur] qu’il appartient de voir comment composer avec le titulaire du poste ».

 

[24]           Dans l’arrêt Banque Royale du Canada c Cliche, [1985] ACF no 424, à la p. 3 (CAF) [Cliche], la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de l’arbitre de réintégrer une employée comme simple caissière en raison de l’incidence négative de l’ordonnance sur un tiers innocent :

Pour […] exécuter [l’ordonnance], l’employeur doit, soit créer un poste nouveau, soit libérer un poste existant en congédiant ou déplaçant l’employé qui l’occupe déjà. Et le caractère abusif du remède saute alors aux yeux : ou bien on impose à l’employeur l’obligation d’augmenter ou de réorganiser les cadres de son personnel ou bien on le force à transgresser les droits d’un tiers innocent.

 

[25]           L’arbitre a tenté d’établir une distinction entre la présente affaire et l’arrêt Cliche, précité, au motif (1) qu’il n’a pas été empêché d’exercer son pouvoir discrétionnaire que confère l’equity et qui est prévu à l’alinéa 242(4)c) et (2) que sa conclusion reposait sur ses hypothèses et sur ses « soupçons » et non sur le témoignage des directeurs de secteur. Il ne croyait pas que la réintégration de Mme Sherman au sein d’une autre filiale de BMO causerait un préjudice à un tiers innocent. Une fois de plus, cette conclusion est déraisonnable compte tenu de la preuve dont il disposait et, certainement, elle ne repose pas sur l’un des faits sur lesquels l’arbitre pouvait se fonder. Son affirmation selon laquelle BMO savait que l’issue de la présente affaire pourrait entraîner la réintégration de Mme Sherman à un poste auprès d’une filiale autre que celle de Welland n’est pas une raison valable pour écarter le témoignage clair et convaincant des directeurs de secteur de BMO.

 

iii.  La pertinence du traitement par BMO de la plainte de harcèlement de Mme Sherman

[26]           Aucun des critères invoqués par l’arbitre pour déterminer si la réintégration était la réparation appropriée ne portait sur [traduction] « l’inconduite » reprochée à l’employeur. L’inconduite peut importer pour évaluer la légalité du congédiement, mais, une fois que celle‑ci est établie, comme il est admis en l’espèce, il s’agit alors de déterminer la réparation appropriée. Le pouvoir réparateur prévu au paragraphe 242(4) du Code vise à indemniser l’employé congédié injustement et non à punir l’employeur pour l’inconduite reprochée (Baldrey c H&R Transport Limited, [2002] CLAD no 390, au par. 33; Bank of Nova Scotia c McGugan, [1993] CLAD no 1044, aux par. 94 à 108 [McGugan]).

 

[27]           Néanmoins, l’arbitre a indiqué en l’espèce qu’il s’est servi de la réintégration comme moyen de punir BMO, du moins en partie, pour la manière dont elle a traité la plainte de harcèlement de Mme Sherman.

[traduction] L’absence de témoignage de la part de M. Hamblin et le témoignage non contredit de Mme Sherman à ce sujet [sa plainte de harcèlement] constituent l’élément déterminant qui a fait pencher la décision arbitrale en faveur de celle‑ci.

 

Dossier certifiée du tribunal, p. 20

 

[28]           Il s’agit là encore d’une conclusion injustifiée et déraisonnable en l’espèce. Compte tenu des motifs que je viens d’exposer, selon lesquels la décision de l’arbitre de réintégrer Mme Sherman était injustifiée et déraisonnable, je n’ai pas à examiner les conditions proposées de réintégration concernant les jours et l’horaire de travail ou la perte d’avantages sociaux.

 

[29]           Toutefois, compte tenu de la longue carrière de Mme Sherman de plus de 22 ans au sein de BMO, avant son licenciement en 2009, j’estime qu’outre l’indemnité déjà payée équivalant à soixante‑huit semaines de salaire, l’affaire doit être renvoyée à l’arbitre pour qu’il décide s’il y a lieu d’accorder une autre indemnité pour le congédiement injuste, compte tenu des observations présentées à ce jour par les parties.

 

[30]           Je suis aussi d’avis que, tout comme dans l’affaire McGugan précitée, BMO devrait fournir à Mme Sherman une lettre de recommandation indiquant qu’elle avait exécuté les fonctions de son poste de manière satisfaisante au cours de sa carrière au sein de BMO, dont le contenu précis sera convenu par les parties. Si elles ne réussissent pas à s’entendre au sujet du contenu précis, les parties peuvent me présenter des observations avant le 10 janvier 2013, pour que je tranche cette question. Enfin, je ne vois aucun motif raisonnable ou justifiable permettant à l’arbitre d’ordonner à Mme Sherman de rembourser à BMO la somme de 7 500 $. Cette ordonnance est donc rescindée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de la demanderesse est accueillie à l’égard de la question de la réintégration; les dommages‑intérêts constituent un redressement adéquat;

2.                  L’affaire est renvoyée à l’arbitre pour qu’il décide s’il y a lieu d’accorder à Mme Sherman une indemnité supplémentaire en raison de son congédiement injuste, compte tenu des observations que les parties lui ont déjà présentées;

3.                  BMO fournira à Mme Sherman une lettre de recommandation, dont le contenu sera convenu par les parties ou par ordonnance ultérieure de la Cour;

4.                  L’ordonnance enjoignant à Mme Sherman de rembourser à BMO le montant de 7 500 $ est rescindée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1140‑11

 

INTITULÉ :                                                  BANQUE DE MONTRÉAL c.
ALEXANDRA KARATOPIS SHERMAN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 17 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 19 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me MacKillop

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Nieuwland

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me McGoogan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shields O’Donnell MacKillop LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ross & McBride LLP

Hamilton (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.