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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130115

Dossier : T-360-11

Référence : 2013 CF 30

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

MOHIE EL DIN ALI

 

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL,
BANQUE TORONTO-DOMINION

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), le 4 février 2011, de ne pas renvoyer sa plainte au Tribunal canadien des droits de la personne. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur allègue que la Banque Toronto-Dominion (la Banque TD) a refusé de lui fournir des services bancaires et l’a traité de manière préjudiciable du fait de sa race, de sa religion et de son origine nationale ou ethnique. Plus précisément, il soutient avoir été victime de discrimination parce qu’il est Arabe et musulman.

 

[3]               Le demandeur a un compte à la Banque TD depuis une quinzaine d’années. Le 3 novembre 2009, il s’est présenté à la succursale de la Banque TD avec laquelle il faisait habituellement affaire, au centre-ville d’Ottawa, et a voulu encaisser un chèque, payable à son ordre, d’un montant de 2 448 $ et tiré d’une autre banque. La caissière l’a avisé que les fonds seraient retenus durant cinq jours. Après discussion, un représentant du service à la clientèle a confirmé cette pratique. On a informé le demandeur qu’il pourrait avoir accès aux fonds immédiatement s’il obtenait un chèque certifié ou un mandat. Le demandeur prétend que le personnel de la Banque TD lui a posé des questions inopportunes, dont l’origine du chèque et des détails sur son emploi.

 

[4]               Le demandeur croit que la décision de la Banque TD a été motivée par son origine ethnique et sa religion, ainsi que par le fait que l’émetteur du chèque a un nom musulman. Il a trouvé insultant que la Banque TD craigne que le chèque puisse être frauduleux ou sans provision.

 

[5]               La Commission a désigné une enquêteuse, qui a effectué des entretiens et recueilli des preuves. La Banque TD lui a remis un exemplaire de sa Politique de retenue de fonds. C’est après avoir évalué les antécédents du client en matière de services bancaires et de crédit que la Banque TD décide si elle retiendra des fonds sur un chèque ou non.

 

[6]               La Banque TD a expliqué pourquoi elle avait décidé d’appliquer au demandeur la Politique de retenue de fonds. Premièrement, ce dernier n’avait pas déposé de fonds dans son compte depuis plus d’un an. Le demandeur a fourni un relevé bancaire faisant état d’un virement télégraphique le 15 octobre 2009, soit deux semaines plus tôt, mais la Banque TD a expliqué que ces virements sont des fonds garantis, contrairement aux chèques non certifiés. Deuxièmement, le solde de son compte était de 281 $ et sa marge de crédit de 13 000 $ avait été utilisée jusqu’à la limite autorisée. Troisièmement, le demandeur a déclaré que le chèque provenait de son employeur, mais l’émetteur du chèque ne correspondait pas aux informations que détenait la Banque TD au sujet de la situation d’emploi du demandeur. Quatrièmement, il n’y avait pas eu auparavant de dépôts semblables au chèque qu’il voulait encaisser.

 

[7]               Deux semaines après cet incident, dans une succursale différente de la Banque TD, le demandeur a déposé un chèque d’un montant de 14 800 $, sur lequel il a obtenu la somme de 1 800 $ en argent. Le demandeur s’est demandé pourquoi deux succursales appliquaient la même politique de façon différente. La Banque TD a répondu que, pour l’application de cette politique, les succursales avaient d’un pouvoir discrétionnaire. Comme le demandeur s’était servi du montant de 14 800 $ pour régler le solde de sa marge de crédit, qui était de 13 000 $ à ce moment‑là, la succursale avait choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de ne pas retenir une partie des fonds.

 

[8]               L’enquêteuse a produit un rapport d’évaluation préliminaire daté du 12 octobre 2010. Dans ce document, elle a conclu que la Banque TD avait agi d’une manière conforme à sa politique en décidant de retenir le chèque. Comme le demandeur n’avait que 281 $ dans son compte et avait atteint la limite de sa marge de crédit, il n’y aurait pas de fonds disponibles pour couvrir le montant du chèque si ce dernier était sans provision.

 

[9]               Les parties ont présenté chacune des observations en réponse à ce rapport.

 

[10]           Le 4 février 2011, la Commission a rejeté la plainte conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985 c H‑6 (LCDP), parce que la preuve n’établissait pas l’existence d’un lien entre la conduite de la Banque TD et un motif de distinction illicite. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Les questions en litige

 

[11]           La décision de la Commission est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité : voir Wu c Royal Bank of Canada, 2010 CF 307, au paragraphe 20. Le demandeur a également soulevé des questions relatives à l’équité procédurale, lesquelles sont contrôlées selon la norme de la décision correcte.

 

Analyse

 

Les questions préliminaires

 

[12]           Le demandeur allègue que la Banque TD a agi d’une manière contraire à diverses lois, dont la Loi sur la protection des renseignements personnels (LRC, 1985, c P‑21), la Loi sur les banques (LC 1991, c 46) et la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (LC 2001, c 9). Pour les besoins de la demande, la Cour contrôlera seulement la décision que la Commission a rendue en vertu de la LCDP. Elle n’examinera pas les allégations du demandeur qui sont liées à ces autres lois. Par ailleurs, même si le demandeur obtenait gain de cause en l’espèce, la Cour n’aurait pas le pouvoir d’ordonner que la Banque TD lui paie des dommages-intérêts dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

L’équité procédurale

 

[13]           Le demandeur soulève trois questions relatives à l’équité procédurale et il soutient que ces lacunes de nature procédurale de même que la conclusion ultime de la Commission dénotent l’existence d’une certaine partialité. Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. De plus, rien dans le dossier ne justifierait une crainte raisonnable de partialité.

 

[14]           Tout d’abord, le demandeur allègue que la Commission n’aurait pas dû accepter des observations de la Banque TD après l’expiration du délai qu’il lui était imparti pour présenter ses propres observations. Il prétend également que la Commission ne l’a pas tenu au fait des observations de la Banque TD.

 

[15]           À la suite du dépôt du rapport d’évaluation préliminaire, les parties ont eu la possibilité de fournir des observations écrites, et le délai a été fixé au 29 novembre 2010. Le 3 décembre 2010, la Commission a téléphoné au demandeur pour l’informer que la Banque TD avait déposé des observations supplémentaires, datées du 25 novembre 2010. Le demandeur a trouvé cela inéquitable parce qu’il n’avait pas eu la possibilité d’y répondre. La Commission lui a donc donné la possibilité de produire des observations supplémentaires, ce qu’il a fait le 20 décembre 2010.

 

[16]           Il n’y a pas d’iniquité dans ce processus. La Commission a informé le demandeur des observations supplémentaires de la Banque TD peu après leur dépôt, et elle a ensuite accordé au demandeur un généreux délai pour y répondre.

 

[17]           Deuxièmement, le demandeur allègue que certains éléments de preuve et certaines observations ne lui ont pas été communiqués. Il fait notamment état de la Politique de retenue de fonds, qui indique que la Banque TD a le pouvoir discrétionnaire de passer outre aux exigences, et il soutient qu’on ne lui a pas fourni ses antécédents bancaires remontant à 2008.

 

[18]           Il ressort du dossier que le demandeur a obtenu communication de diverses pièces. Il a expressément reconnu avoir reçu la Politique de retenue de fonds lors d’une conversation téléphonique avec l’enquêteuse le 31 août 2010, et il l’a fait par la suite par écrit. Pendant toute la période en cause, il avait également en main ses propres relevés bancaires.

 

[19]           Troisièmement, le demandeur allègue que la Commission n’a pas procédé à une enquête rigoureuse. Je ne relève aucune lacune dans l’enquête qui a été menée. L’enquêteuse a interrogé les deux parties et a demandé à la Banque TD de lui fournir des informations. Les deux parties ont eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et de formuler des observations écrites.

 

La raisonnabilité

 

[20]           Lorsque la Commission adopte les conclusions d’un enquêteur et ne rend que des motifs succincts, le rapport de l’enquêteur est considéré comme les motifs de la Commission : voir Sketchley c Canada, 2005 CAF 404, au paragraphe 37.

 

[21]           Je conclus que la décision est raisonnable. Aucune preuve ne liait les plaintes du demandeur à un motif illicite de distinction. Rien n’indique que la race ou la religion du demandeur ou de l’émetteur du chèque ont influencé les rapports que la Banque TD a eus avec le demandeur. La totalité de la preuve concorde avec une application équitable et raisonnable de la Politique de retenue de fonds.

 

[22]           Le demandeur a été offensé par certaines conduites de la Banque TD, en particulier le fait de sous-entendre que son chèque était peut-être frauduleux. Il considère aussi qu’il était inopportun de la part de la Banque TD de l’avoir interrogé sur son emploi. Il a trouvé la conduite du gestionnaire irrespectueuse, et cela inclut le fait que ce dernier ne s’était pas levé pour lui serrer la main. Le demandeur est insatisfait du service à la clientèle qu’il a reçu. Là encore, l’enquêteuse a conclu que les gestes de la Banque TD étaient fondés sur la Politique de retenue de fonds ou, dans le cas de la décision du gestionnaire de rester assis, sur le souhait de mieux gérer la relation avec un client mécontent. Le demandeur n’a fait état d’aucune preuve susceptible d’étayer le point de vue selon lequel la Banque TD faisait preuve de partialité envers les musulmans ou les Arabes.

 

[23]           Le demandeur a également invoqué plusieurs arguments quant à la question de savoir s’il avait [traduction] « encaissé » ou [traduction] « déposé » les chèques en question. Il soutient que la Commission s’est trompée en disant qu’il avait déposé certains chèques, alors qu’en réalité il les avait encaissés ou avait essayé de le faire. Cette distinction n’a aucune incidence sur la raisonnabilité de la décision contestée. Comme la Banque TD l’a expliqué, quand une personne souhaite [traduction] « encaisser » un chèque, celui-ci est tout d’abord déposé dans le compte de la personne et les fonds sont ensuite retirés. Il s’agit d’un processus en deux étapes. Les efforts que le demandeur a faits pour qualifier ce processus d’étape unique sont à la fois inexacts sur le plan juridique et non pertinents sur le plan factuel.

 

[24]           Le demandeur soutient par ailleurs que l’enquêteuse a qualifié à tort sa plainte en disant que celle-ci avait trait à la décision de la Banque TD de retenir son chèque. Il allègue plutôt avoir été privé de services bancaires et traité de manière préjudiciable pour des motifs illicites de distinction. Cependant, dans le rapport d’évaluation préliminaire, l’enquêteuse énonce de manière exacte la plainte du demandeur : [traduction] « l’intimée a refusé de lui fournir un service bancaire et l’a traité de façon différente du fait de sa race, de sa religion et de son origine nationale ou ethnique ». La conclusion finale de l’enquêteuse fait expressément référence à la retenue de fonds, mais cette dernière a bien saisi la portée de la plainte du demandeur.

 

[25]           De plus, le demandeur prétend que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs aux faits suivants :

1)                  la Banque TD a laissé entendre que son chèque pouvait être frauduleux et lui a demandé quelle en était l’origine, ainsi que des détails sur son emploi;

2)                  le demandeur a déposé la somme de 1 290 $ dans son compte le 15 octobre 2009, peu de temps avant l’incident en question;

3)                  le demandeur a déposé la somme de 13 000 $ en paiement de sa marge de crédit le 24 novembre 2009.

 

[26]           Je signale tout d’abord qu’un décideur n’est pas tenu de faire référence à tous les arguments ou tous les détails que les parties ont soulevés, ni de tirer une conclusion sur chaque question subordonnée : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, le dossier indique que la totalité des éléments de preuve qui précèdent ont été pris en considération.

 

[27]           Selon l’enquêteuse, [traduction] « la plainte allègue que le représentant du service et des ventes à la clientèle avec lequel il a fait affaire a été irrespectueux et a insinué que son chèque était faux ». L’enquêteuse a également examiné la réponse de la Banque TD, à savoir qu’il n’avait pas été dit que le chèque était frauduleux, pas plus qu’il n’avait été fait référence de quelque manière à l’origine ethnique du plaignant ou de l’émetteur du chèque.

 

[28]           Le demandeur aurait préféré que l’enquêteuse fasse expressément référence à son allégation selon laquelle la Banque TD avait été irrespectueuse envers sa religion et son origine ethnique, mais je suis persuadé que l’enquêteuse a pris en compte la totalité des allégations du demandeur.

 

[29]           Le rapport d’évaluation préliminaire ne fait pas état du virement télégraphique du 15 octobre 2009, mais il ressort du dossier que l’enquêteuse a pris cet incident en compte. Le 10 décembre 2010, le demandeur a présenté un relevé bancaire faisant état de ce virement. L’enquêteuse a communiqué avec la Banque TD et celle-ci a précisé qu’il s’agissait d’un virement télégraphique et non du dépôt d’un chèque non certifié.

 

[30]           Il aurait été préférable que la Banque TD fasse mention de ce virement télégraphique au début de l’enquête, mais je suis persuadé que l’enquêteuse a pris en compte cet élément de preuve et a accepté de manière raisonnable l’explication de la Banque TD, à savoir que les virements télégraphiques sont des fonds garantis et qu’ils ne présentent pas les mêmes risques que les chèques. L’argument du demandeur selon lequel la Banque TD n’a pas dit la vérité ou a falsifié des relevés est tout simplement dénué de fondement.

 

[31]           L’enquêteuse n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pas déposé de fonds dans son compte durant plus d’un an. À strictement parler, un virement télégraphique n’est pas un dépôt fait par le demandeur. L’enquêteuse n’a pas mentionné explicitement le virement télégraphique, mais cette omission ne change rien à la raisonnabilité générale de sa décision.

 

[32]           L’enquêteuse a également pris en compte le dépôt fait le 24 novembre 2009, y compris le montant de 13 000 $ imputé sur la marge de crédit. Elle a conclu que l’autre succursale avait exercé le pouvoir discrétionnaire dont elle disposait pour passer outre à la Politique de retenue de fonds en raison de la source des fonds et de l’usage auquel ces derniers serviraient.

 

[33]           En conclusion, l’enquêteuse a mené une enquête équitable et rigoureuse. Elle a pris en considération les allégations du demandeur et a conclu de manière raisonnable que rien n’indiquait que la Banque TD avait fait preuve de discrimination à l’endroit du demandeur. La Commission a souscrit à cette recommandation et a décidé de rejeter la plainte.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-360-11

 

INTITULÉ :                                      MOHIE EL DIN ALI c PROCUREUR GÉNÉRAL,
BANQUE TORONTO-DOMINION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mohie El Din Ali

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

D. Barry Prentice

POUR LA DÉFENDERESSE
Banque Toronto‑Dominion

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blaney, McMurtry, LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE
Banque Toronto‑Dominion

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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