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Date : 20130125

Dossier : IMM‑2719‑12

Référence : 2013 CF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

 

ENTRE :

 

DROUPATI JUDNARINE ET

 TULSIKUMAR JUDNARINE

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], visant la décision du 7 mars 2012 par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs. L’agent est arrivé à cette décision après avoir conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’octroi d’une dispense permettant demandeurs de présenter leur demande de résidence permanente depuis le Canada.

 

I.          Contexte

[2]               Mme Droupati Judnarine [la demanderesse principale, ou DP] et Tulsikumar Judnarine, son fils âgé de 15 ans, sont des citoyens de la Guyane. En 2007, l’époux de la DP, aussi le père du demandeur mineur, est décédé subitement. L’année suivante, soit plus précisément le 14 juillet 2008, les demandeurs sont arrivés au Canada munis de visas de séjour. La mère, deux frères et trois sœurs de la DP résident au Canada et sont des citoyens canadiens. Les frères et sœurs de la DP apportent leur soutien financier à celle‑ci et à son fils, qui habitent tous deux avec l’une des sœurs de la DP et sa famille.

 

[3]               Le ou vers le 26 août 2008, les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations humanitaires. Le 2 mars 2011, pour donner suite à une demande de Citoyenneté et Immigration Canada, ils ont produit des renseignements et documents additionnels. Ils ont prétendu qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées si on leur ordonnait de quitter le Canada, étant donné que toute la famille de la DP y vivait, qu’il était dans l’intérêt supérieur du demandeur mineur de demeurer au Canada et que les deux demandeurs seraient confrontés à une situation difficile advenant leur retour en Guyane. Les demandeurs ont produit des documents à l’appui, dont de nombreuses lettres d’appui et un récent bulletin du demandeur mineur.

 

[4]               Depuis la présentation de leur demande fondée sur des considérations humanitaires, il y a plus de quatre ans, les demandeurs ont pu demeurer au Canada grâce au renouvellement de leurs visas de séjour.

 

[5]               L’agent a examiné le degré d’établissement des demandeurs au Canada, l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la mesure de renvoi et le risque auquel la DP serait exposée dans son pays d’origine, et il a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré, au regard de l’un ou l’autre de ces motifs, qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[6]               Quant au degré d’établissement de la DP au Canada, l’agent a relevé que les cinq frères et sœurs, la mère, trois neveux, une nièce et deux tantes de la DP vivaient au Canada, le père de celle‑ci étant par ailleurs décédé. L’agent a déclaré que les membres de la famille de la DP avaient manifesté un solide appui dans leurs lettres et qu’ils s’étaient engagés à les aider financièrement, elle et son fils.

 

[7]               L’agent a reconnu que, selon ses frères et sœurs, la DP jouait un rôle essentiel en aidant ses frères malades, pour qui elle faisait le lavage et la cuisine, et en apportant aussi son aide à une de ses sœurs. Il a toutefois fait remarquer que la DP n’avait produit aucun élément de preuve attestant la moindre participation à d’autres activités − ce qui aurait pu démontrer une certaine intégration à la collectivité −, comme du bénévolat ou des études professionnelles ou linguistiques.

 

[8]               L’agent a conclu que la DP jouissait du soutien de sa famille, mais que sa mère et ses cinq frères et sœurs ayant décidé en toute connaissance de cause de venir au Canada et de laisser derrière eux la DP en Guyane, il était raisonnable qu’ils s’attendent à devoir être séparés de manière permanente des demandeurs.

 

[9]               Quant à l’intérêt supérieur du demandeur mineur, l’agent a reconnu la possibilité que les enfants résidant au Canada jouissent de meilleures perspectives sociales et économiques que les enfants de la Guyane, mais il a estimé qu’aucun élément de preuve ne donnait à croire que, dans ce pays, le demandeur mineur ne pourrait pas fréquenter l’école. L’agent a aussi reconnu qu’il était raisonnable de supposer que le fait de quitter ses amis et les membres de sa famille au Canada occasionnerait certaines difficultés au demandeur mineur, mais il s’est dit convaincu que celui‑ci pourrait surmonter ces difficultés avec l’aide de sa mère; en outre, a fait remarquer l’agent, le demandeur mineur retournerait vivre au sein d’une culture qu’il connaissait bien.

 

[10]           Enfin, s’agissant du risque couru par la DP en Guyane à titre de mère seule et veuve, l’agent a conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que la DP y serait exposée à un plus grand danger que toute autre mère dans la même situation, et il a fait état de la preuve documentaire mentionnant que la Guyane disposait de mécanismes efficaces pour enquêter sur les activités criminelles et pour punir leurs auteurs. L’agent a conclu que, s’il se pouvait que la DP éprouve certaines difficultés à se réadapter à la vie en Guyane, elle avait quitté son pays natal à 43 ans, elle en parlait la langue et en connaissait les us et coutumes, ses compétences, quelles qu’elles soient, étaient aisément transférables et les membres de sa famille étaient disposés à l’aider au plan financier.

 

[11]           L’agent a par conséquent rejeté la demande.

 

II.        Questions en litige

[12]           Les trois questions qui suivent sont soulevées dans le cadre de la présente demande.

A.                L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’appréciation du degré d’établissement des demandeurs au Canada et du risque auquel ils seraient exposés dans leur pays d’origine?

B.                 L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant?

C.                 L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

III.       Norme de contrôle

[13]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la raisonnabilité (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Sinniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1285, au paragraphe 23 [Sinniah]; Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 18 [Williams]).

 

[14]           Le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

 

[15]           Toutefois, le défaut de tenir compte du critère juridique applicable à l’intérêt supérieur de l’enfant est une question de droit, et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Segura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894, au paragraphe 27 [Segura]; Williams, précitée, au paragraphe 22).

 

[16]           Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50 :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

IV.       Analyse

A.        L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’appréciation du degré d’établissement des demandeurs au Canada et du risque auquel ils seraient exposés dans leur pays d’origine?

[17]           Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour l’agent de tirer une conclusion défavorable du fait que la DP n’avait [traduction] « aucunement entrepris d’études, notamment professionnelles ou linguistiques, qui auraient démontré son intégration à la société canadienne », comme il savait que la DP était autorisée à demeurer au Canada à titre de visiteur et qu’elle ne disposait d’aucun permis d’études.

 

[18]           Les demandeurs affirment également que l’agent a fait abstraction de la preuve relative à l’offre d’emploi faite à la DP, qui était conditionnelle à l’obtention par celle‑ci du statut de résidente permanente. En outre, l’agent aurait fait abstraction du fait que, depuis le décès de son mari, la DP n’avait pu subvenir à ses besoins et à ceux de son fils et que c’étaient les membres de sa famille au Canada qui s’en étaient chargés.

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a aussi commis une erreur en n’examinant pas s’ils pouvaient être considérés comme des membres de fait de leur famille au Canada, puisqu’ils dépendaient d’eux, alors même qu’ils lui avaient fait valoir cet argument. De plus, l’agent n’aurait pas tenu compte du fait que le décès de l’époux de la DP serait source de difficultés pour les demandeurs s’ils devaient présenter depuis l’étranger leur demande de résidence permanente au Canada.

 

[20]           Pour sa part, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de mentionner que la DP n’avait pas entrepris d’études au Canada dans le cadre de l’analyse du degré d’établissement des demandeurs, et qu’il n’en demeure pas moins que, si la DP l’avait voulu, elle aurait pu demander que son visa soit modifié pour pouvoir étudier au Canada, et que cela aurait renforcé son degré d’établissement au pays. 

 

[21]           Quant à l’offre d’emploi reçue par la DP, le défendeur soutient que ce n’était pas là un élément favorable au critère de l’établissement, puisqu’elle ne démontre pas que la DP a atteint un quelconque degré d’établissement au cours des quatre années qu’elle a passées au Canada. Le défendeur affirme par conséquent que l’agent n’avait pas à mentionner cette offre d’emploi.

 

[22]           Quant à l’argument des demandeurs concernant les répercussions du départ de la DP sur sa famille au Canada, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de souligner que les membres de la famille des demandeurs avaient choisi d’immigrer au Canada et qu’ils pouvaient s’attendre à ce qu’il en résulte leur séparation permanente d’avec les demandeurs.

 

[23]           La DP étant véritablement la fille et la sœur des autres membres de l’unité familiale au Canada, affirme aussi le défendeur, il ne serait pas raisonnable qu’on la considère comme un membre de fait de la famille.

 

[24]           Par ailleurs, le défendeur admet que l’agent n’a peut‑être pas mentionné expressément le décès de l’époux de la DP, mais il affirme que l’agent était néanmoins bien conscient de ce fait puisqu’il a fait état de la situation de mère seule et veuve de la DP.

 

[25]           Pour ce qui est de la situation financière des demandeurs si on les obligeait à présenter leur demande de résidence permanente depuis la Guyane, le défendeur fait valoir que l’agent a reconnu l’engagement pris par la famille d’aider financièrement les demandeurs, et que rien ne laissait croire que la famille retirerait son soutien si ces derniers devaient retourner en Guyane.

 

[26]           Le défendeur relève également qu’aucune observation n’a été présentée sur les liens entre les demandeurs et les membres de la famille de l’époux ou du père décédé, s’il en est, qui vivent en Guyane et qui pourraient offrir leur soutien psychologique et financier.

 

[27]           Enfin, le défendeur soutient qu’en tout état de cause le décès d’un proche, s’il attire la sympathie, n’est pas considéré comme un événement « inhabituel » ou imprévu au sens de la Loi.

 

[28]           Les demandeurs répliquent, quant au défaut de l’agent de mentionner l’offre d’emploi de la DP, qu’il ne revient pas au défendeur d’évaluer cet élément de preuve une fois la décision rendue, pour en dire qu’il ne constitue pas une preuve d’établissement. C’est plutôt à l’agent qu’il incombait d’apprécier cet élément et de lui accorder le poids qu’il estimait indiqué.

 

[29]           Quant au commentaire du défendeur concernant la famille en Guyane de l’époux décédé de la DP, les demandeurs le jugent non pertinent puisque l’agent n’a pas traité de la question dans sa décision et que ce facteur n’a pas constitué un motif de refus.

 

[30]           Enfin, en réponse à l’argument du défendeur voulant que le décès d’un proche ne soit pas considéré comme « inhabituel » pour l’application de la Loi, les demandeurs soutiennent qu’un tel décès peut néanmoins constituer un difficulté excessive et qu’en l’espèce, l’agent n’a aucunement examiné s’il en était ainsi du décès de l’époux de la DP.

 

[31]           Dans Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, [2003] ACF no 532, au paragraphe 19, [Raudales] la juge Eleanor Dawson a conclu que, sans une bonne évaluation du niveau d’établissement du demandeur au Canada, il était impossible de dire si le fait de l’obliger à demander la résidence permanente depuis l’étranger entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues. Apprécier le degré d’établissement sans faire état valablement de la situation particulière du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle (voir Raudales, précitée, au paragraphe 18, et Amer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 713, aux paragraphes 12 et 13).

 

[32]           Je ne partage toutefois pas l’opinion des demandeurs selon laquelle il était déraisonnable pour l’agent de tirer une conclusion défavorable du fait que la DP n’a pas entrepris d’études, notamment professionnelles ou linguistiques, pendant les quatre années qu’elle avait passées au Canada. Tel que le défendeur l’a fait remarquer, la DP aurait pu demander une modification à son visa et obtenir un permis d’études.

 

[33]           Je ne suis pas non plus d’avis que l’agent a commis une erreur en ne mentionnant pas l’offre d’emploi jointe à la demande de la DP, laquelle offre était conditionnelle à l’obtention par celle‑ci du statut de résidente permanente. Cette offre d’emploi est sans rapport avec le degré d’établissement des demandeurs au Canada au cours la période qui a précédé la présentation de leur demande.  

 

[34]           En outre, lorsqu’il a analysé le risque couru par les demandeurs dans leur pays d’origine, l’agent a fait état de la situation de « mère seule » et « veuve » de la DP, et il a évalué le risque auquel celle‑ci serait exposée si on l’obligeait à retourner en Guyane pour y demander le statut de résidente permanente au Canada. L’agent a également fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

La demanderesse a quitté son pays d’origine à l’âge de 43 ans; elle parle la langue du pays et connaît ses us et coutumes. L’anglais est également sa langue maternelle. Ses compétences, quelles qu’elles soient, sont aisément transférables. De plus, les membres de sa famille sont disposés à l’aider au plan financier.

 

[35]           Ces conclusions indiquent que l’agent a bel et bien pris en compte la situation à laquelle la DP serait confrontée en Guyane en tant que mère seule et veuve, et que sa décision n’était pas déraisonnable à cet égard.

 

[36]           Quant à savoir s’il était raisonnable pour l’agent de ne pas traiter directement de l’argument présenté par les demandeurs, dans leur demande fondée sur des considérations humanitaires, selon lequel leur situation de dépendance faisait d’eux des membres de fait de leur famille au Canada, soulignons que, dans le Guide IP‑5 sur le traitement des demandes présentées au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire [le Guide], on définit comme suit un membre de la famille de fait :

Les membres de la famille de fait sont des personnes qui ne satisfont pas à la définition de membres de la catégorie du regroupement familial. Ils se trouvent par ailleurs dans une situation de dépendance qui en fait des membres de fait d’une famille nucléaire qui se trouve au Canada.

 

[37]           Le Guide mentionne comme exemple d’une personne pouvant être membre de la famille de fait le fils, la fille, le frère ou la sœur sans famille propre, ou encore le parent âgé ou la personne non apparentée qui réside avec la famille depuis longtemps. Ainsi, même si la DP est bien la fille et la sœur d’autres membres de l’unité familiale, on pourrait toujours la considérer comme un membre de la famille de fait.

 

[38]           Le défendeur a raison de dire que les agents ne sont pas liés par le Guide, mais il convient de noter que, parmi les facteurs à prendre en considération par les agents, selon le Guide, lorsqu’ils évaluent une relation de famille de fait, il y a le degré de dépendance, la stabilité et la durée de la relation, la capacité et la volonté de la famille de fournir du soutien et le fait qu’à l’étranger il y ait ou non des membres de la famille qui peuvent et veulent fournir de l’aide (voir la section 12.6 du Guide).

 

[39]           Dans Frank c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270, [Frank] le juge Luc Martineau a tiré les conclusions suivantes (aux paragraphes 29 et 30) au sujet des sections en cause du Guide :

Il ressort clairement de ce qui précède que le statut de membre de la famille de fait se limite aux personnes vulnérables qui n’entrent pas dans la définition de membres de la famille au sens de la Loi et qui dépendent du soutien, tant financier qu’affectif, qu’ils reçoivent des personnes habitant au Canada. Par conséquent, le statut de membre de la famille de fait n’est pas généralement accordé à des adultes indépendants et fonctionnels qui ont un lien affectif étroit avec un parent habitant au Canada, comme c’est le cas en l’espèce.

 

Je ne crois pas que la décision John, précitée, crée une obligation pour tous les agents d’immigration d’examiner précisément la question des membres de la famille de fait dans chaque affaire. En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’agente a tenu compte de la relation du demandeur avec sa famille au Canada et, s’il n’est pas démontré que l’agente n’a examiné aucun autre critère pertinent pour trancher la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour ne doit pas intervenir. [Non souligné dans l’original]

 

 

[40]           Dans la même veine, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a déclaré ce qui suit, au paragraphe 9 du jugement Archibald c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 647, [Archibald] :

Je ne peux pas accepter la prétention de la demanderesse selon laquelle l’agente a appliqué les mauvaises directives et n’a pas tenu compte des membres de sa famille de fait qui vivent au Canada. Bien que le titre [traduction] « Les membres de la famille de fait » ne soit peut‑être pas utilisé dans la décision de l’agente, il ressort clairement de ses motifs qu’elle a tenu compte des membres de la famille de la demanderesse au Canada […]

 

 

[41]           Dans Okbai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 229, [Okbai] le juge Ronald J. Rennie a toutefois déclaré ce qui suit, au paragraphe 19 :

Enfin, l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs d’ordre humanitaire qui étaient pertinents pour trancher la demande, à savoir la réunification des familles et la dépendance de fait de la demanderesse envers sa sœur au Canada. La réunification des familles est l’un des objectifs énumérés dans la LIPR et les agents ont toute latitude lorsqu’il s’agit de pondérer les divers objectifs de la loi. Malgré cette latitude, les agents n’ont pas le droit de refuser d’examiner un facteur pertinent qui est étayé par la preuve présentée à l’appui d’une demande. Or, ni les notes du STIDI ni la lettre de décision ne permettent de penser que l’agent a accordé quelque attention que ce soit à la liste de facteurs dont il devait tenir compte pour trancher la demande CH. [Non souligné dans l’original]

 

[42]           Je conclus que la situation en l’espèce s’apparente davantage aux affaires Frank et Archibald, précitées, qu’à l’affaire Okbai, précitée. J’estime donc que l’agent n’a pas commis d’erreur en ne traitant pas explicitement de la question de l’appartenance à la famille de fait.

 

B.        L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[43]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a analysé l’intérêt supérieur de l’enfant en fonction d’un mauvais critère juridique, comme il leur a imposé le fardeau de démontrer l’existence de difficultés [traduction] « inhabituelles et injustifiées ou excessives ».

 

[44]           Le défendeur fait pour sa part valoir que tant la Cour que la Cour d’appel fédérale ont indiqué clairement qu’il ne fallait pas privilégier la forme d’une décision au détriment du fond (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 3; Segura, précitée, au paragraphe 29, citant De Zamora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1602, au paragraphe 18; Kamal Webb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060, au paragraphe 11). Le défendeur soutient qu’en l’espèce, comme la Cour l’avait aussi conclu dans Segura, on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et a procédé à une analyse appropriée.  

 

[45]           Je ne suis pas d’accord avec lui. L’agent n’a pas évalué l’intérêt supérieur du demandeur mineur en fonction du bon critère. Tout comme dans l’affaire Sinniah, l’agent semble avoir appliqué le mauvais critère juridique en l’espèce en exigeant des répercussions défavorables importantes sur l’enfant qui soient [traduction] « i) inhabituelles et injustifiées, ou ii) excessives », plutôt qu’en évaluant quel était véritablement l’intérêt supérieur de l’enfant, et en appréciant cet intérêt par rapport aux autres facteurs à considérer dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations humanitaires. L’agent s’est montré erronément exigeant dans l’application du critère de l’intérêt supérieur non seulement quant à la forme, mais aussi quant au fond.

 

[46]           Je reconnais que dans certaines décisions la Cour semble établir, pour l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant par un agent dans le cadre d’une demande pour considérations humanitaires, un critère légèrement différent de celui qu’elle a énoncé dans Sinniah. Le défendeur renvoie la Cour à la décision Segura, où le juge Russell Zinn a déclaré ce qui suit, au paragraphe 29 :

Comme l’a fait remarquer le juge Mosley dans la décision De Zamora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1602, au paragraphe 18, le fond devrait l’emporter sur la forme. « Je n’estime pas cependant que l’arrêt Hawthorne établisse que l’agent d’immigration qui emploie cette expression lorsqu’il examine l’intérêt supérieur des enfants commet une erreur susceptible de contrôle ou rend une décision qui est déraisonnable dans l’ensemble ». Je suis d’accord. Ce n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée.

 

 

[47]           J’estime qu’en l’espèce l’agent a rendu une décision erronée puisque, bien qu’il ait déclaré que son analyse portait sur [traduction] « l’intérêt supérieur de l’enfant » et qu’il était [traduction] « réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant », la question qu’il s’est manifestement posée en procédant à son analyse en la matière était de savoir si le fait de renvoyer l’enfant allait avoir [traduction] « sur lui des répercussions défavorables importantes aux plans financier, psychologique, social ou physique qui soient i) inhabituelles et injustifiées, ou ii) excessives ». Comme le juge James Russell l’a déclaré dans Williams, au paragraphe 67 :

L’intérêt supérieur de l’enfant n’est certainement pas le facteur déterminant dans le cas d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et il ne constitue qu’un des facteurs dont il faut tenir compte. Cependant, le fait d’exiger que certains des intérêts de l’enfant n’aient pas été « respectés » ou que l’enfant« souffre assez » pour que ce facteur milite en faveur de l’octroi d’une dispense, voire qu’il joue un rôle déterminant dans la décision, a également pour effet de contredire le principe bien établi suivant lequel l’agent doit être particulièrement réceptif, attentif et sensible aux conséquences que la décision aura en se plaçant du point de vue de l’enfant. De plus, une telle façon de procéder irait vraisemblablement à l’encontre de la directive formulée par la Cour suprême du Canada, selon laquelle cet élément est un facteur crucial à considérer lors de l’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, qui ne doit pas être minimisé. [Non souligné dans l’original]

 

 

[48]           En outre, l’agent n’a pas tenu compte de manière valable ou raisonnable des répercussions du décès du père sur le demandeur mineur, ni des difficultés auxquelles celui‑ci serait exposé si on l’obligeait à retourner en Guyane. L’agent n’a pas bien cerné ni défini l’intérêt de l’enfant en l’espèce.

 

[49]           Pour ce seul motif, il convient d’accueillir la présente demande. Il ne me sera donc pas nécessaire d’examiner la troisième question.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.)                La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

2.)                Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2719‑12

 

INTITULÉ :                                                  JUDNARINE ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MANSON.

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 25 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha Green

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d’Alesha A. Green

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada 

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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