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Date : 20130123

Dossier : IMM-5241-12

Référence : 2013 CF 62

Montréal (Québec), le 23 janvier 2013   

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

 

JOZSEF BALAZS

JOZSEFNE BALAZS

MIKLOS BALAZS

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 1er mai 2012, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a conclu que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

I.          Faits

[2]               Les demandeurs sont des citoyens hongrois et font partie de la minorité ethnique rom. Le demandeur principal a été désigné comme représentant légal de son fils mineur.

 

[3]               Les demandeurs ont fait l’objet de discrimination en Hongrie à plusieurs occasions. L’enfant du couple aurait fait l’objet de discrimination à l’école. La famille s’est vu refuser l’accès à un parc d’amusement, elle a déjà eu de la difficulté à effectuer un plein d’essence et elle sent qu’ils sont traités différemment dans les transports publics.

 

[4]               Les demandeurs ont quitté la Hongrie le 27 novembre 2009 pour se rendre au Canada et ils y ont demandé l’asile le jour même.

 

[5]               Le 4 avril 2012, les demandeurs ont amendé leur Formulaire de renseignements personnels [FRP] pour y ajouter les faits suivants.

 

[6]               Le 17 octobre 2009, la famille a effectué des achats à l’occasion de l’anniversaire de leur fils. Un gardien de sécurité les a suivis pendant qu’ils faisaient leurs achats. À la sortie du magasin, le système d’alarme s’est déclenché et le gardien de sécurité les aurait insultés en les traitant de voleurs. Il aurait exigé que le jeune demandeur enlève ses vêtements pour voir ce qu’il avait volé, sans que les parents puissent intervenir, étant retenus par deux autres gardiens de sécurité.

 

[7]               Le 1er novembre 2009, vers 23 h, les demandeurs ont été réveillés par un bruit. Ils ont regardé par la fenêtre et ont vu une voiture noire et des gardes en uniforme qui les menaçaient de mort. Ils ont constaté que leur voiture avait été endommagée et qu’un cocktail Molotov se trouvait sur le siège de leur voiture. Ils ont porté plainte à la police qui a indiqué qu’elle ne pouvait pas faire enquête sur des inconnus.

 

II.        Décision révisée

[8]               La SPR est arrivée à la conclusion que les demandeurs ne peuvent se voir conférer le droit à l’asile ni le statut de « personne à protéger », cette conclusion étant en grande partie basée sur un manque de crédibilité des demandeurs. Dans sa décision, la SPR relate les contradictions dans le témoignage des demandeurs qui lui semblent être les plus déterminantes.  

 

[9]               Dans un premier temps, la SPR a conclu qu’elle ne doute pas que les demandeurs soient d’origine ethnique rom.

 

[10]           Le membre instructeur a demandé aux demandeurs la raison pour laquelle les deux événements qui sont relatés dans la déclaration amendée du 4 avril 2012 ne figuraient pas dans leur FRP initial. Ceux-ci ont répondu qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ces événements n’y avaient pas été ajoutés, car les formulaires avaient été préparés chez leur premier avocat. La SPR n’a pas considéré cette explication comme étant satisfaisante. De plus, étant donné que les demandeurs affirment que l’incident du 17 octobre 2009 ait été le plus marquant, il est surprenant qu’ils n’en aient pas fait mention dans leur récit initial. La SPR a néanmoins conclu qu’elle croit les demandeurs lorsqu’ils affirment que cet incident a eu lieu, mais que celui-ci ne constitue pas un acte de persécution.

 

[11]           Questionnés à savoir s’ils ont été empêchés de gagner leur vie en Hongrie, ils ont déclaré qu’ils vendaient des vêtements dans des marchés aux puces et ont déclaré dans leurs ajouts déposés le 4 avril 2012 que des gens avaient refusé de leur acheter des vêtements, car ils étaient vendus par des gitans. Cependant, la SPR a noté que les demandeurs ne font pas mention du fait qu’ils étaient vendeurs en Hongrie et qu’ils n’ont pas fourni d’explication satisfaisante pour justifier cette omission. En conséquence, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils avaient été empêchés de gagner leur vie.

 

[12]           En ce qui a trait à l’incident du 1er novembre 2009, la SPR a relevé des contradictions entre le récit inclus dans le formulaire IMM 5611 et le témoignage au sujet de celui-ci. Les demandeurs ont allégué qu’un cocktail Molotov avait été lancé dans leur fenêtre et qu’il était tombé sur l’autobus, alors que leur témoignage est plutôt à l’effet qu’ils ont entendu des hommes en uniforme crier la nuit et que le cocktail Molotov a été trouvé dans leur voiture. La SPR a considéré que ce sont des incongruités non négligeables.

 

[13]           Ainsi, la SPR a conclu que les demandeurs ont été la cible de certains actes de discrimination à cause de leur ethnie rom et que ceux-ci n’équivalent pas à de la persécution, car ces actes n’ont pas eu de conséquences préjudiciables graves sur les demandeurs. Les demandeurs ont réussi à gagner leur vie en Hongrie, vivaient dans un logement convenable et ils ont une scolarité de base. Cependant, le fils a expliqué qu’en classe, les Roms s’assoient dans une rangée à part. Aussi, les demandeurs n’ont pas non plus établi qu’ils seraient à risque d’être persécutés advenant leur retour en Hongrie.

 

[14]           La SPR a ensuite procédé à l’analyse de la preuve objective au sujet de la situation des Roms en Hongrie. Elle a considéré que la Garde hongroise, un groupe paramilitaire ainsi que les skinheads sont à l’origine des actes de violence envers les Roms. La Garde hongroise a maintenant été dissoute et il est interdit de participer aux activités de toute organisation dissoute.

 

[15]           En ce qui a trait à la protection de l’État, la SPR a considéré que celle-ci était adéquate dans le cas des demandeurs. La SPR a souligné que la preuve documentaire est à l’effet que la Hongrie a pris des mesures juridiques et institutionnelles pour améliorer la situation de la minorité rom. De plus, quoique la situation ne soit pas parfaite, le gouvernement hongrois a mis en place des mesures, dont l’établissement d’une unité spéciale de cent policiers chargée d’enquêter sur les crimes commis contre les Roms. La SPR ajoute que si elle considère que l’incident du 1er novembre 2009 a réellement eu lieu, la protection de l’État s’est avérée adéquate, car les policiers se sont présentés au domicile des demandeurs, mais n’ont pas pu poursuivre l’enquête par manque d’informations. Ainsi, la SPR a considéré que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

III.       Position des demandeurs

[16]           Les demandeurs soumettent que les conclusions de la SPR au sujet de la situation des demandeurs ne sont pas raisonnables étant donné que la discrimination vécue par ces derniers est constante et répétitive et qu’elle constitue donc de la persécution au sens de la Convention.

 

[17]           Deuxièmement, ils ont établi avoir une crainte raisonnable advenant leur retour en Hongrie étant donné la violence subie par les Roms en Hongrie. La question de la crainte raisonnable de retour est distincte de l’analyse des actes de discrimination dont auraient fait l’objet les demandeurs. Ainsi, même si la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi que ces actes ont eu lieu, il était déraisonnable de conclure qu’ils ne sont pas exposés à un risque advenant leur retour. 

 

[18]           En effet, selon les demandeurs, la preuve documentaire établit clairement que les Roms courent constamment un risque en Hongrie et que la SPR a passé sous silence cette preuve lors de son évaluation de la crainte de retour des demandeurs en Hongrie.

 

[19]           En ce qui a trait à la protection de l’État, les demandeurs sont d’avis que la conclusion de la SPR selon laquelle les autorités hongroises pourraient apporter une protection appropriée aux demandeurs est erronée. En effet, la preuve documentaire fait état de persécution des Roms par les policiers et du profilage racial dont ils sont victimes. Ainsi, la constatation par la SPR est à l’effet que l’État hongrois fait des efforts pour protéger les Roms, mais selon les demandeurs, ces efforts sont insuffisants pour établir une protection efficace de la part de l’État hongrois. En effet, la volonté de l’État hongrois de protéger les Roms n’est pas suffisante pour établir qu’une protection concrète est mise en place.

 

IV.       Position du défendeur

[20]           Le défendeur soumet que la SPR n’a commis aucune erreur en concluant que les demandeurs, quoiqu’ils soient victimes de discrimination, n’ont pas fait l’objet d’actes qui  constituent de la persécution. Ainsi, les demandeurs n’ont pas prouvé que leurs vies seraient en danger advenant leur retour en Hongrie ou qu’ils y subiraient des actes de persécution.

 

[21]           En ce qui a trait à l’incident du 17 octobre 2009, la SPR a valablement conclu que les demandeurs auraient dû le mentionner dans leur FRP, ce qui n’a pas été fait. De plus, cet événement ne constitue pas de la persécution.

 

[22]           Le défendeur ajoute que les demandeurs s’appuient sur la preuve documentaire qui relate le fait que les Roms font l’objet de discrimination sans toutefois faire état d’une situation de discrimination qui leur est propre.

 

[23]           En ce qui a trait à la protection de l’État en Hongrie, la SPR a conclu, de façon juste, que l’État a mis des mesures en place afin de contrer la discrimination subie par les Roms. De plus, il n’est pas requis que la protection de l’État soit parfaite. Dans les circonstances, il incombait aux demandeurs de démontrer que la protection ne s’est pas concrétisée dans leur cas par la présentation d’une preuve claire et convaincante et de démontrer qu’ils ont épuisé tous les recours qui s’offrent à eux.

 

[24]           En l’espèce, suite à la découverte du cocktail Molotov, les demandeurs ont communiqué avec la police qui était prête à poursuivre une enquête, mais qui était dans l’impossibilité de le faire à cause d’un manque d’informations.

 

V.        Questions en litige

            1.    La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne sont pas          victimes de persécution?

 

            2.    La SPR a-t-elle erré en décidant que la protection de l’État est disponible aux demandeurs?

 

VI.       Norme de contrôle

[25]           La norme de la décision raisonnable est applicable à la décision de la SPR au sujet de la conclusion selon laquelle les demandeurs ne sont pas victimes de persécution et à la question de la protection de l’État, car il s’agit de questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

VII.     Analyse

1.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne sont pas

            victimes de persécution?

 

[26]           La décision de la SPR est raisonnable pour les motifs qui suivent. Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est parfois difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être assimilée à de la persécution.

 

[27]           Dans l'arrêt Sagharichi v Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 182 NR 398, 1993 CarswellNat 316 (CAF), il est établi que pour être qualifié de persécution, les incidents de discrimination ou de harcèlement doivent être sérieux, systématiques ou permettre de conclure qu'il existe une possibilité sérieuse de persécution à l'avenir. De plus, l'intervention de la Cour de révision n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

 

[28]           À cet effet, il est reconnu que les personnes d’ethnie rom font l’objet d’actes discriminatoires et que, dans certains cas, ces actes discriminatoires sont considérés comme étant de la persécution étant donné que les mesures discriminatoires auront des conséquences préjudiciables graves pour la personne affectée.

 

[29]           En l’espèce, la SPR n’a tiré aucune conclusion déraisonnable. En effet, la SPR a examiné le témoignage des demandeurs ainsi que leur récit écrit et a conclu que ceux-ci ont été victimes de discrimination, quoique la crédibilité des demandeurs n’ait pas été établie à l’égard de l’incident qui serait survenu le 1er novembre 2009. La SPR a cependant conclu que les actes de discrimination subis par les demandeurs n’équivalent pas à de la persécution, car ils ne sont pas répétitifs et systématiques.

 

[30]           Quoique certains événements regrettables aient eu lieu dans le cas des demandeurs, la SPR a tiré une conclusion raisonnable en mentionnant que ceux-ci ne peuvent donner droit à l’asile, car ils ne constituent pas de la persécution. Les événements subis par les demandeurs ne sont pas d’une gravité telle que le statut de réfugié devrait leur être conféré. Ils n’ont pas été empêchés d’étudier, de gagner leur vie et la SPR a considéré que les événements subis par les demandeurs, y compris le traitement des enfants à l’école, ne constituent pas en soi de la persécution, et ce, même si les incidents sont pris de manière cumulative.

 

[31]           Dans Zsuzsanna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1206 aux para 18-19, 2002 CarswellNat 3339, il fut décidé que les demandeurs d’asile roms, dont les enfants avaient été la cible de discrimination à l’école, ne pouvaient établir un cas de persécution, et ce, même pris cumulativement.

 

[32]           De plus, l’observation de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas été empêchés de gagner leur vie à cause de leur groupe ethnique, étant donné qu’ils n’ont pas fait la preuve de ce fait, selon la prépondérance des probabilités, ce qui tend à démontrer qu’ils ne sont pas persécutés, est conforme à la jurisprudence de cette Cour  (voir Lin c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 24 Imm LR (2d) 208 au para 6, 66 FTR 207; Soto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 768 au para 16, 2002 CarswellNat 1667).

 

[33]           Ainsi, la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ont fait l’objet de discrimination, mais non pas de persécution, est raisonnable et aucune intervention de cette Cour n’est requise.

 

2.                  La SPR a-t-elle erré en décidant que la protection de l’État est disponible aux demandeurs?

 

[34]           L’analyse par la SPR de la protection de l’État offerte aux demandeurs dans les circonstances est raisonnable. Dans un premier temps, la SPR est présumée prendre connaissance de toute la preuve documentaire qui lui est soumise (Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)).

 

[35]           La SPR a considéré que le gouvernement hongrois a dissout la Garde hongroise par voie de décret ministériel, décision entérinée par les tribunaux, ainsi que le fait que les autorités ont entrepris de sérieux efforts afin de contrer les actes de discrimination commis à l’égard des Roms, ont été jugés adéquats par la SPR (Banya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 313 au para 12, 2011 CarswellNat 1694).

 

[36]           La SPR a considéré le fait qu’il est reconnu que la Hongrie fait face à des problèmes de discrimination envers les Roms et que la protection offerte n’est pas parfaite. Elle a cependant conclu que les demandeurs n’ont pas démontré que, dans leur situation, la protection s’est avérée inefficace. En effet, la police a accepté de faire une enquête suite à l’événement du 1er novembre 2009, quoique sa survenance n’ait pas été établie selon la prépondérance des probabilités.

 

[37]           Les parties furent invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5241-12

 

INTITULÉ :                                      JOZSEF BALAZS ET AL

                                                            c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 21 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     le 23 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margarita Tzavelakos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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