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Date : 20130208

Dossier : T-1287-11

Référence : 2013 CF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

JOHANNES WHEELDON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de la continuation du litige concernant une décision du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada [CRSHC] refusant une bourse postdoctorale au demandeur [décision d’attribution].

 

[2]               Dans ma décision répertoriée Wheeldon c Canada (Procureur général), 2012 CF 355, 216 ACWS (3d) 367, l’affaire a été ajournée pour permettre la production du dossier certifié du tribunal [DCT], après quoi la possibilité a été donnée aux parties de mettre à jour leurs observations.

La présente instance est le contrôle judiciaire de la décision d’attribution sur le fondement d’un dossier en bonne et due forme.

 

II.        LES FAITS

[3]               Les faits ont été exposés de manière générale dans la décision précédente, mais ils sont relatés de nouveau ici par souci d’assurer le caractère complet de la présente décision.

 

[4]               En octobre 2010, le demandeur, M. Wheeldon, a postulé à une bourse postdoctorale de deux ans du CRSHC. Le CRSHC est un organisme fédéral créé pour promouvoir et appuyer la recherche et la formation aux niveaux postsecondaires en sciences humaines. Il accorde des bourses à chaque année.

 

[5]               Le 10 février 2011, le demandeur a été informé dans la décision d’attribution que sa candidature avait été rejetée. Chacune des deux catégories de critères en fonction desquels les candidats sont évalués comporte trois éléments essentiels. Le demandeur soutient qu’il y a en vérité 15 éléments et que, de l’aveu même du CRSHC, celui-ci accorde un poids égal à chacun de ces éléments. La décision d’attribution indiquait au demandeur ses notes aux titres du « Dossier de réalisations » et du « Programme de travail proposé ».

 

[6]               En réponse à des questions du demandeur au sujet de l’évaluation des candidatures, le CRSHC l’a informé qu’il pouvait interjeter un appel interne. Les motifs d’un tel appel étaient limités aux erreurs procédurales et aux erreurs factuelles.

 

[7]               Le demandeur a mené ses démarches plus loin, en remettant en question le processus de candidature et en demandant une copie de son dossier.

 

[8]               En réponse à la demande de son dossier, le demandeur a reçu un dossier administratif mais n’a reçu aucun dossier des membres du comité qui avaient procédé à l’évaluation de sa candidature.

 

[9]               En réponse à d’autres questions du demandeur, le CRSHC a fourni certaines données concernant le nombre de plaintes/appels que le CRSHC avait reçus en rapport avec des demandes de bourses postdoctorales depuis 2008 et le CRSHC a confirmé que les membres des comités employaient des critères précis pour évaluer ces demandes.

 

[10]           Le 5 mai 2011, le demandeur a interjeté officiellement appel du pointage accordé à sa demande de bourse en se plaignant d’un manquement à l’équité procédurale tenant au fait qu’il était incapable de comprendre utilement sur quoi le pointage était fondé.

 

[11]           La demande de contrôle judiciaire du demandeur alléguait essentiellement un manquement à l’équité procédurale découlant d’une insuffisance de motifs.

 

[12]           Suite à la décision précédente, le demandeur a reçu copie du DCT essentiellement composé d’une feuille de calcul qui avait contenu les notes totales finales des candidats postulant aux bourses postdoctorales du cycle 2011-2012 du CRSHC. La version communiquée au demandeur avait été caviardée de manière à supprimer les noms et les notes partielles des autres candidats.

 

[13]           Le demandeur a maintenu sa position selon laquelle le dossier ne lui permettait pas de connaître le fondement de la décision d’attribution. Le demandeur se plaint notamment de ce que des notes numériques non reliées à des critères et des sous-critères ne sont pas suffisantes pour permettre un examen en bonne et due forme; en bref, il n’y a pas suffisamment de rétroaction.

Le demandeur affirme également qu’il ne peut pas savoir de quelles façons il peut améliorer sa proposition dans le cadre de demandes futures. Il invoque la décision Teitelbaum c Canada (Procureur général), 2004 CF 398, 248 FTR 283 [Teitelbaum] au soutien de la thèse selon laquelle les demandeurs méritent de recevoir de la rétroaction afin de bien se positionner dans des concours de subventions futurs.

 

[14]           Le CRSHC attribue ses bourses sur le fondement des recommandations faites par des comités de sélection qui évaluent, notent et classent les candidatures au moyen d’examens effectués par des experts indépendants. Ces comités de sélection sont composés de chercheurs universitaires et, lorsqu’il y a lieu, d’experts n’appartenant pas au milieu universitaire. Chaque année, de 350 à 400 universitaires et experts canadiens et étrangers se portent volontaires pour siéger sur ces comités de sélection.

 

[15]           Les candidats postulant peuvent obtenir les renseignements régissant le processus d’attribution par l’intermédiaire du personnel du CRSHC ou sur Internet. On peut notamment lire ce qui suit dans la section « Questions fréquentes » :

[…] Étant donné le grand nombre de candidatures, les membres de comité ne fournissent pas d’évaluations écrites des demandes. De plus, on ne conserve pas de dossiers de décisions qui sont prises par consensus au sujet des atouts et des lacunes de ces demandes.

 

« Questions fréquentes concernant le processus de mise en candidature lié aux bourses de doctorat » en ligne : Conseil de recherches en sciences humaines du Canada <http://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/apply-demande/faqs-questions_frequentes/doctoral_awards-bourses_de_doctorat-fra.aspx? >.

 

[16]           Les membres des comités de sélection soumettent des notes préliminaires et classent chaque candidature selon une formule visant à distribuer les points d’un candidat donné de manière relative par rapport aux autres candidats participant au concours de cette année-là. Seules les candidatures des 20 à 25 rangs centiles les plus élevés donnent lieu à une recommandation de financement. Au terme du concours 2011-2012, seules 20 % des candidatures ont été acceptées.

 

[17]           Dans la décision d’attribution, le demandeur a reçu un bref énoncé au sujet du processus de sélection, il a été avisé du fait que 175 des 877 candidatures reçues avaient donné lieu à une offre de bourse, et il a obtenu la ventilation de ses points; premièrement, le pointage au titre du dossier de réalisations, puis le pointage au titre du programme de travail, et enfin la note totale.

 

[18]           La question décisive dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale envers le demandeur par voie d’atteinte à ses attentes légitimes. La question du caractère raisonnable de la décision est secondaire.

 

III.       ANALYSE

[19]           Au départ, le demandeur a soutenu que la décision était entachée d’un manquement à l’équité procédurale découlant d’une insuffisance de motifs – le tout présenté comme un chef de contestation autonome. Compte tenu de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, le demandeur ne pouvait pas invoquer une insuffisance de motifs comme motif autonome de contrôle judiciaire.

 

[20]           Les questions liées à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392).

Dans la mesure où la décision elle-même est attaquée, pour cause d’insuffisance de motifs, cette question est tranchée en fonction d’une analyse selon la norme de la décision raisonnable.

 

[21]           Le demandeur soutient qu’il avait droit à un processus et à un résultat qui lui donnaient des renseignements sur la façon dont il pourrait bonifier sa demande pour l’avenir. Il invoque abondamment la décision Teitelbaum, aux paragraphes 116 à 120, qui traitent des attentes légitimes créées par le Manuel d’évaluation par les pairs du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie [CRSNG] qui parle de « commentaires constructifs […] pour les candidats » et énonce que ces commentaires visent plusieurs objectifs, notamment aider les chercheurs à améliorer leurs demandes futures.

 

[22]           La présente affaire se distingue de l’affaire Teitelbaum, précitée, parce qu’aucune attente légitime semblable n’a été créée. Le site Web du CRSHC explique que, contrairement à ce que prévoit la politique du CRSNG, le CRSHC ne communique aucuns commentaires étant donné le grand nombre de candidatures.

Bien que le CRSH comprenne que les candidats non retenus désirent obtenir des renseignements afin d'augmenter leurs chances de réussite aux concours à venir, le grand nombre de demandes présentées dans le cadre de chaque concours ne permet pas au comité de sélection de fournir des explications écrites sur les notes attribuées ni de faire quelque autre observation que ce soit sur le classement des candidatures. Ainsi, pour toute demande, les seuls renseignements fournis par le comité de sélection sont les résultats de concours et les notes attribuées. Les résultats de concours ne sont communiqués ni par courrier électronique ni par téléphone.

 

« Annonce des résultats de concours : Bourses, en ligne : Conseil de recherches en sciences humaines du Canada » : <http://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/policies-politiques/f_notification-b_avis-fra.aspx? >

 

[23]           Étant donné cet avertissement de non-communication de commentaires, le demandeur ne peut pas prétendre avoir eu une attente légitime frustrée. Les éléments de preuve confirment que le demandeur a reçu ce qui lui avait été promis – une chance de se voir attribuer une bourse en conformité avec un processus de candidature qui a été suivi.

 

[24]            Dans la mesure où le caractère raisonnable de la décision de ne pas communiquer de commentaires ou le caractère raisonnable du pointage accordé et du refus d’attribuer une bourse sont remis en question, la Cour doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de la décision du CRSHC.

 

[25]           Lorsqu’il s’agit d’appliquer la norme de la décision raisonnable dans un contexte universitaire, il a été jugé qu’il y a lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des compétences spécialisées de l’organe décisionnel. Dans la décision Mohl c University of British Columbia, 2000 BCSC 1849, 101 ACWS (3d) 932, conf. par 2001 BCCA 722, 161 BCAC 276, autorisation de pourvoi à la CSC refusée 295 NR 199 (citant QL), la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a formulé au moins deux commentaires dignes d’être mentionnés ici.

[TRADUCTION] 13 Lorsqu’un comité sénatorial rend une décision s’en remettant à la faculté quant à des questions de jugement universitaire, je suis d’avis que le tribunal judiciaire devrait faire preuve d’une grande retenue à l’égard d’une telle décision. Comme nous le verrons, la décision sous-jacente consistait essentiellement en un exercice de jugement universitaire par la faculté quant à savoir si Mohl était en mesure de satisfaire aux exigences relatives à son stage. L’importance de cela deviendra évidente suite à l’examen des questions d’ordre procédural que Mohl a soulevées.

 

[…]

 

16 J’estime que la question du caractère raisonnable doit être reliée dans une certaine mesure à la question de la retenue. Autrement dit, le caractère raisonnable d’une conclusion doit être apprécié en fonction du degré de retenue dont il y a lieu de faire preuve envers le tribunal administratif relativement à la question en litige.

 

[26]           Les mêmes principes sont applicables à la décision du CRSHC. Il y a une justification au processus, il y a un organe informé qui rend une décision hautement discrétionnaire et, au terme de ce processus, le demandeur n’a aucun droit à un résultat précis et il n’y a pas de résultat clair.

 

[27]           Il ne s’agit pas d’une situation où un tribunal judiciaire serait justifié d’intervenir. Il s’agit d’une question à l’égard de laquelle l’organe décisionnel possède des compétences bien plus spécialisées.

 

[28]           Tel qu’il appert de sa demande de redressement modifiée, le demandeur souhaite que la Cour impose un processus au CRSHC en ce qui a trait aux procédures d’attribution de bourses puis soumette ce processus à un contrôle judiciaire dans l’année. Il n’y a aucun motif qui justifie que la Cour envisage d’accorder une telle mesure.

 

[29]           Je ne puis voir aucune raison de m’immiscer dans la décision d’attribution du CRSHC.

 

IV.       CONCLUSION

[30]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejeté avec dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1287-11

 

INTITULÉ :                                      JOHANNES WHEELDON

 

                                                            et

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 8 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Johannes Wheeldon

 

LE DEMANDEUR

 

Lynn Marchildon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Johannes Wheeldon

Ottawa (Ontario)

 

LE DEMANDEUR

 

M. William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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