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Date : 20130204

Dossier : T‑815‑12

Référence : 2013 CF 122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2013

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

DAVID SALIE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le gouvernement du Canada a, cinq mois après lui avoir payé l’équivalent de 26 semaines de salaire tenant lieu de préavis, versé par erreur à M. Salie le même montant une seconde fois. M. Salie conteste maintenant les tentatives que fait le défendeur pour récupérer le trop‑payé en faisant valoir qu’il a été traité injustement au cours de ce processus et que le défendeur devrait être irrecevable à récupérer l’argent par application du principe de l’irrecevabilité résultant d’une promesse.

 

[2]               Le défendeur fait valoir que notre Cour n’a pas compétence pour juger la présente affaire, au motif que M. Salie aurait dû contester les agissements du gouvernement en recourant à la procédure de règlement des griefs prévu par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 [la LRTFP ou la Loi]. Le défendeur affirme en outre que la demande de M. Salie est prématurée, étant donné qu’aucune décision définitive n’avait encore été prise au sujet du remboursement du trop‑payé au moment où il a introduit sa demande de contrôle judiciaire. Enfin, le défendeur soutient que les éléments nécessaires pour créer une irrecevabilité résultant d’une promesse n’étaient pas réunis dans le cas qui nous occupe.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivée à la conclusion que notre Cour a effectivement compétence pour juger la présente affaire et que la demande de M. Salie ne devrait pas être rejetée comme étant prématurée. Je conclus également que M. Salie n’a pas démontré qu’une promesse claire et non ambiguë lui avait été faite par le gouvernement du Canada ou que, par sa conduite, celui‑ci l’avait amené raisonnablement à penser qu’une telle promesse lui avait été faite. On ne m’a pas non plus convaincue que M. Salie avait été traité injustement au cours de ce processus. Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte

[4]               Comme l’issue de la présente affaire dépend en grande partie de la chronologie exacte des faits survenus entre les parties, il est nécessaire d’examiner les faits en détail.

 

[5]               M. Salie a travaillé pour le gouvernement du Canada pendant une trentaine d’années. Le dernier poste qu’il a occupé s’intitulait « conseiller spécial, secteur des opérations gouvernementales, Direction des opérations et des services gouvernementaux » au niveau EX‑01 au Conseil du Trésor.

 

[6]               Le 24 novembre 2009, M. Salie a été informé par écrit que son poste avait été déclaré [traduction] « excédentaire par suite de la suppression d’une fonction » à compter du 31 décembre 2009. La lettre offrait à M. Salie deux choix : il pouvait soit se chercher du travail ailleurs dans la fonction publique, soit quitter l’administration publique centrale en échange d’un règlement en espèces dont le montant n’était pas précisé ou d’un règlement prévoyant une contrepartie autre qu’en espèces. À cet égard, on a référé M. Salie à la Directive sur la transition dans la carrière des cadres supérieurs (la Directive sur la transition) du Conseil du Trésor pour plus de détails au sujet des choix qui s’offraient à lui.

 

[7]               Le 30 novembre 2009, M. Salie a informé son employeur qu’il avait choisi la seconde option. Il a par la suite été convenu que le 4 janvier 2010 serait sa dernière journée de travail.

 

[8]               Dans l’intervalle, le 9 décembre 2009, on a remis à M. Salie une liste détaillée de ce à quoi il avait droit lors de la cessation de son emploi, ce qui comprenait notamment un montant forfaitaire équivalant à 26 semaines de salaire tenant lieu de préavis, 28 semaines de salaire à titre d’« indemnité de départ accumulée », ainsi que d’autres avantages.

 

[9]               Le 31 décembre 2009, M. Salie a reçu une entente de règlement dans laquelle il était notamment fait mention du paiement d’une somme forfaitaire à titre de salaire tenant lieu de préavis et d’indemnité de départ ainsi que d’autres montants auxquels il avait droit. Le document énumérait également certaines restrictions au sujet des règles de conduite à suivre après avoir quitté son poste au sein de la fonction publique. Ce document renfermait aussi ce que le défendeur a qualifié de clause de confidentialité « standard ».

 

[10]           Le document informait notamment M. Salie qu’il lui faudrait rembourser le salaire tenant lieu de préavis (ou une portion déterminée au prorata) s’il était engagé par un organisme faisant partie de l’« administration publique centrale » au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11 [la LGFP] au cours du délai de préavis.

 

[11]           On a également informé M. Salie qu’advenant le cas où il réintégrerait l’administration publique centrale à contrat, il ferait l’objet d’un plafond de 5 000 $ pour la période visée par les versements de sommes forfaitaires et qu’il serait également visé par la « politique sur la réduction d’honoraires » du Conseil du Trésor concernant les contrats pour une période supplémentaire de 12 mois après l’expiration du délai de préavis.

 

[12]           Il y avait dans l’entente du règlement un espace prévu pour sa signature pour permettre à M. Salie de signifier son acceptation de l’entente. M. Salie n’a pas signé le document à l’époque.

 

[13]           M. Salie explique que, lorsqu’il a pris sa décision de quitter la fonction publique, il prévoyait travailler comme consultant pour l’administration publique centrale. Il explique qu’il avait conçu ce projet en raison de ce qu’il croyait comprendre des restrictions régissant l’après‑mandat. Bien qu’il ne se soit pas renseigné à ce sujet, il affirme qu’il croyait comprendre qu’il lui serait interdit pendant un an de travailler pour des organismes avec lesquels il avait eu des liens étroits en tant que fonctionnaire et qu’il serait également assujetti à la formule de réduction des honoraires pendant un an.

 

[14]           M. Salie aurait mis au point son projet de travail après son départ de la fonction publique après avoir reçu l’entente de règlement le 31 décembre 2009. Il tient à souligner que, jusqu’alors, il n’était pas conscient des autres restrictions importantes qui affectaient sa capacité de gagner sa vie.

 

[15]           M. Salie affirme qu’il avait pris un certain nombre de mesures pour préparer le lancement de son entreprise de consultation en fonction de ce qu’il croyait comprendre des restrictions touchant ses activités après son départ de la fonction publique.

 

[16]           Malgré le fait qu’il a reçu l’entente de règlement le 31 décembre 2009, M. Salie n’a pas fait part à son employeur des préoccupations qu’il pouvait avoir au sujet des modalités de cette entente avant de quitter son emploi le 4 janvier 2010, notamment en ce qui concerne la clause de confidentialité ou les restrictions régissant l’après‑mandat qui y étaient mentionnées.

 

[17]           M. Salie reconnait que, le 25 janvier 2010, il a reçu 39 180,30 $, ce qui équivalait à 26 semaines de salaire net, et que cette somme lui a été versée à titre d’indemnité de préavis conformément à l’entente de règlement. M. Salie n’avait pas encore signé l’entente de règlement et il n’avait pas exprimé son intention de la modifier.

 

[18]           En raison d’une erreur de codage interne du Conseil du Trésor, les fonctionnaires des ressources humaines du Conseil du Trésor n’étaient pas au courant du montant que M. Salie avait reçu le 25 janvier 2010.

 

[19]           Le versement d’un salaire tenant lieu de préavis est normalement déclenché par la réception d’une entente de règlement signée par l’employé touché. On ne sait pas avec certitude pourquoi M. Salie a reçu cette somme le 25 janvier 2010 sans avoir d’abord signé l’entente.

 

[20]           Compte tenu du fait que M. Salie n’avait pas signé l’entente de règlement, une gestionnaire des ressources humaines du Conseil du Trésor, Mme Isabelle Grenier, a présumé que ce paiement n’avait pas été effectué. Par conséquent, Mme Grenier a communiqué avec M. Salie par lettre datée du 29 janvier 2010 pour lui demander de signer l’entente et de la lui retourner. La lettre précisait également que [traduction] « pour procéder au paiement de votre montant forfaitaire et pour respecter les autres conditions stipulées dans la lettre, votre signature est nécessaire ».

 

[21]           M. Salie a répondu par une lettre datée du 9 février 2010 à laquelle il a joint une entente de règlement modifiée dans laquelle il avait notamment modifié les restrictions régissant l’après‑mandat et supprimé la clause de confidentialité. La lettre d’accompagnement de M. Salie ne mentionnait pas le fait qu’il avait déjà reçu le montant forfaitaire qui était mentionné dans la lettre du 29 janvier 2010 de Mme Grenier.

 

[22]           Mme Grenier a répondu peu de temps après pour informer M. Salie que le Conseil du Trésor ne pouvait accepter les modifications proposées par M. Salie, étant donné qu’elles contrevenaient à la Directive sur la transition. M. Salie a de nouveau été informé que, pour traiter son paiement, le Conseil du Trésor devait recevoir l’entente de règlement signée dans sa forme originale. M. Salie n’a pas répondu à cette lettre.

 

[23]           En mai 2010, un conseiller principal en ressources humaines du Conseil du Trésor, M. Kelly Mbokeli, a communiqué avec M. Salie. Bien que M. Mbokeli et M. Salie ne s’entendent pas sur la question de savoir s’ils se sont parlé à une ou deux reprises, ils s’entendent pour dire que M. Mbokeli a demandé une nouvelle fois à M. Salie de retourner une copie signée de l’entente de règlement sans la modifier et que M. Salie avait informé M. Mbokeli qu’il n’était pas disposé à signer le document dans sa forme originale sans recevoir quelque chose en contrepartie.

 

[24]           M. Salie explique qu’il a proposé que le Conseil du Trésor lui verse une somme additionnelle équivalant à six à huit mois de salaire en échange de sa signature de l’entente de règlement dans sa forme originale et que M. Mbokeli lui a répondu qu’il [traduction] « verrait ce qu’il pourrait faire ». M. Salie estime que cette conversation constituait une autre « négociation » et a soumis ce qu’il affirme être des notes manuscrites remontant à la même époque pour corroborer sa version des faits.

 

[25]           Le défendeur a soumis un affidavit souscrit par M. Mbokeli qui nie avoir entamé quelque négociation que ce soit avec M. Salie ou avoir dit à M. Salie qu’il [traduction] « verrait ce qu’il pourrait faire ». M. Mbokeli a fourni les notes qu’il a lui‑même prises lors de cette discussion pour corroborer sa version des faits. Ces notes font simplement état du refus de M. Salie de signer l’entente de règlement.

 

[26]           Suivant l’affidavit de M. Mbokeli, aucune discussion n’a eu lieu au sujet du paiement d’un éventuel montant supplémentaire à M. Salie en échange de sa signature de l’entente de règlement. M. Mbokeli affirme que, si M. Salie avait tenté de négocier avec lui, il l’aurait dirigé vers sa superviseure, Mme Grenier, étant donné que M. Mbokeli n’avait pas le pouvoir de négocier des changements aux ententes de cessation d’emploi.

 

[27]           La superviseure de M. Mbokeli a également confirmé qu’aucune autorisation n’avait jamais été demandée ou accordée en vue de verser des sommes supplémentaires à M. Salie en plus de celles prévues par l’entente de règlement originale.

 

[28]           M. Mbokeli signale également dans son affidavit que M. Salie n’avait jamais mentionné avoir déjà reçu à titre de salaire tenant lieu de préavis d’autres montants que ceux prévus à l’entente de règlement originale, ce que M. Salie ne nie pas.

 

[29]           À la suite de la discussion qu’il a eue avec M. Salie le 27 mai 2010, M. Mbokeli a envoyé des courriels à ses supérieurs, y compris Mme Grenier, pour les informer qu’il semblait qu’on se trouvait dans une impasse avec M. Salie et pour demander des instructions sur la suite à donner à l’affaire. Mme Grenier explique dans son affidavit qu’on a décidé d’agir et de verser à M. Salie les sommes prévues dans l’entente de règlement originale malgré le fait qu’il avait refusé de la signer.

 

[30]           Mme Grenier a également expliqué qu’on ne payait rien tant que l’entente n’était pas signée et que, comme une erreur de codage s’était produite lors de l’inscription du paiement de janvier, elle n’était pas au courant qu’un montant avait déjà été payé à M. Salie lorsque le second paiement à M. Salie a été autorisé en juin 2010.

 

[31]           Le 25 juin 2010, M. Salie a reçu une lettre de Mme Grenier l’informant que le Service de la rémunération et des avantages sociaux du Conseil du Trésor communiquerait avec lui dans les jours suivants pour confirmer le montant dû au titre de l’entente de règlement. La lettre informait par ailleurs M. Salie que le Conseil du Trésor ne pouvait accepter les modifications qu’il proposait parce qu’elles [traduction] « contreviennent à nos politiques » et que, par conséquent, le paiement serait effectué [traduction] « selon les conditions initiales prévues » dans l’entente de règlement.

 

[32]           Le 22 juin 2010, M. Salie a reçu un autre montant équivalant à 26 semaines de salaire, à titre d’indemnité de préavis.

 

[33]           Mme Grenier affirme que cette somme n’aurait pas été payée à M. Salie si elle avait su qu’il avait déjà reçu en janvier ce montant à titre de salaire tenant lieu de préavis. M. Salie reconnaît lui‑même que la somme que le Conseil du Trésor lui a versée en juin était attribuable à une erreur de la part de ce dernier.

 

[34]           M. Salie signale toutefois que le montant qu’il a reçu en juin 2010 correspondait à l’offre qu’il affirme avoir faite à M. Mbokeli en mai 2010, c’est‑à‑dire qu’il signerait l’entente de règlement dans sa forme initiale avec les restrictions régissant l’après‑mandat et les dispositions relatives à la confidentialité dont elle était assortie, à condition qu’on lui paie en plus un montant correspondant à six à huit mois de salaire, à titre d’indemnité de préavis. Il affirme par conséquent que, lorsqu’il a reçu le paiement de juin, il croyait comprendre que le Conseil du Trésor avait accepté sa contre‑offre.

 

[35]           M. Salie affirme également que, par suite du paiement que le Conseil du Trésor lui a fait en juin 2010, il croyait comprendre qu’il était maintenant lié par les restrictions régissant l’après‑mandat prévues dans l’entente de règlement initiale. M. Salie affirme qu’il a modifié ses projets touchant ses activités après son départ de la fonction publique en conséquence. M. Salie explique notamment qu’il a cessé de chercher du travail comme consultant et qu’il a refusé un éventuel contrat à titre de consultant au printemps 2011 pour se conformer à ces restrictions.

 

[36]           À la fin de 2011, le Conseil du Trésor a découvert son erreur. On a communiqué par téléphone avec M. Salie en février 2012 pour l’informer du trop‑payé. Cet appel a été suivi par une lettre adressée le 26 mars 2012 à M. Salie (le premier avis de trop‑payé) pour l’informer qu’on lui avait versé 58 402,33 $ en trop parce qu’on lui avait payé deux fois le même montant en janvier et en juin 2010.

 

[37]           Le premier avis de trop‑payé informait M. Salie que le trop‑payé constituait une dette envers la Couronne qu’il devait rembourser conformément au paragraphe 155(3) de la LGFP. La lettre ajoutait qu’à défaut par lui de rembourser cette dette, celle‑ci serait remboursée à même ces prestations de retraite.

 

[38]           Le paragraphe final de la lettre expliquait que M. Salie pouvait communiquer avec l’auteur de la lettre pour obtenir de plus amples renseignements ou pour discuter d’une entente de remboursement. On informait également M. Salie qu’à défaut par lui de répondre à la lettre dans les 30 jours, d’autres mesures seraient prises pour recouvrer le montant de sa dette.

 

[39]           Il s’agit de la lettre qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire de M. Salie.

 

[40]           M. Salie a répondu par une lettre datée du 18 avril 2012 dans laquelle il explique sa compréhension des faits et dans laquelle il explique sa position que le paiement de juin 2010 avait été effectué conformément à une entente renégociée. M. Salie y affirme également qu’il considérait que la lettre du 26 mars 2012 constituait un [traduction] « préavis de décision possible » et qu’il espérait que ses explications clarifiaient les choses.

 

[41]           Par lettre datée du 8 juin 2012 (« le second avis de trop‑payé »), le Conseil du Trésor a informé M. Salie que des vérifications avaient été faites au sujet de sa prétention suivant laquelle le paiement de juin 2012 avait été effectué dans le cadre d’une entente renégociée. La lettre précisait également qu’on avait depuis découvert que ce paiement était en fait attribuable à une erreur administrative et constituait un trop‑payé que M. Salie avait l’obligation de rembourser.

 

[42]           Le second avis de trop‑payé informait également M. Salie de son droit de consulter un avocat indépendant, notamment en ce qui concerne ses droits de formuler un grief en vertu de la LRTFP. M. Salie n’a pas déposé de grief en rapport avec cette affaire et il n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne le second avis de trop‑payé.

 

Questions en litige

[43]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève diverses questions.

 

[44]           La première question est celle de savoir si notre Cour a compétence pour statuer sur la présente demande ou si M. Salie avait l’obligation de chercher à obtenir réparation en recourant à la procédure de règlement des griefs.

 

[45]           La deuxième question est celle de savoir si le premier avis de trop‑payé équivalait à une définition définitive et si la demande de contrôle judiciaire de M. Salie devrait être rejetée comme étant prématurée.

 

[46]           La troisième question est celle de savoir si M. Salie a été victime d’un déni d’équité procédurale au cours du processus entourant l’évaluation du trop‑payé.

 

[47]           La dernière question est celle de savoir si les agissements du Conseil du Trésor font en sorte qu’il devrait être irrecevable à chercher à être remboursé de la somme qu’il a payée en trop à M. Salie en juin 2010.

 

[48]           J’examinerai chacune de ces questions à tour de rôle.

 

La Cour a‑t‑elle compétence pour statuer sur la demande de M. Salie?

[49]           Le défendeur soutient que M. Salie est irrecevable à saisir notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire tant qu’il n’a pas épuisé la procédure de règlement des griefs qui lui est ouverte en vertu de la LRTFP.

 

[50]           Citant l’arrêt Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 R.C.S. 146, au paragraphe 1, de la Cour suprême du Canada, le défendeur affirme que la LRTFP constitue un « code complet » permettant de régler les questions liées à l’emploi comme celles qui se posent en l’espèce. Comme il n’a pas épuisé la procédure de règlement des griefs, M. Salie est irrecevable à présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

[51]           L’affaire Vaughan a été décidée sous le régime de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35 [l’ancienne LRTFP]. Depuis l’arrêt Vaughan, le législateur a édicté la nouvelle LRTFP, qui exclut expressément la compétence de notre Cour en ce qui concerne les questions qui relèvent par ailleurs de la procédure de règlement des griefs.

 

[52]           Plus précisément, l’article 236 de la LRTFP prévoit notamment ce qui suit :

 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

 

 

 

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

 

 

[…]

 

 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

 

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.

 

 

 

 

[53]           Les parties s’entendent pour dire que, si M. Salie avait accès à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP, il serait irrecevable à présenter une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour en vertu de l’article 236. Elles sont toutefois en désaccord sur la question de savoir si M. Salie avait effectivement accès à la procédure de règlement des griefs en ce qui concerne la question en litige dans la présente affaire compte tenu du fait qu’il ne travaillait plus pour la fonction publique lorsque la question du trop‑payé a surgi.

 

[54]           Le défendeur a expliqué à la Cour qu’il n’adopte pas le point de vue que le différend se rapporte à la cessation d’emploi de M. Salie. Il affirme plutôt que la présente affaire porte sur un conflit de travail découlant de la Directive sur les conditions d’emploi dans la fonction publique. Cette Directive, qui régit les conditions de travail de M. Salie, prévoit que les trop‑payés peuvent être récupérés des employés de la fonction publique.

 

[55]           Parce que le différend se rapporte aux conditions d’emploi de M. Salie, le défendeur affirme qu’il peut faire l’objet de la présentation d’un grief conformément au paragraphe 208(1) de la LRTFP, qui dispose notamment :

 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

 

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

 

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi, […]

 

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

 

 

[…]

 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, […]

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

 

 

 

[56]           Toutefois, pour déterminer si M. Salie pouvait effectivement se prévaloir de la procédure de règlement des griefs en l’espèce, il faut également tenir compte du paragraphe 206(2) de la LRTFP ― l’article introductif de la partie 2 de la Loi ―, qui dispose :

 

206. (2) Les dispositions de la présente partie relatives aux griefs s’appliquent par ailleurs aux anciens fonctionnaires en ce qui concerne :

 

 

a) les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements, visés aux alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

 

206. (2) Every reference in this Part to an “employee” includes a former employee for the purposes of any provisions of this Part respecting grievances with respect to

 

(a) any disciplinary action resulting in suspension, or any termination of employment, under paragraph 12(1)(c), (d) or (e) of the Financial Administration Act;

 

[57]           M. Salie affirme que sa situation ne concernait pas des « mesures disciplinaires portant sur la suspension, ou les licenciements » de sorte qu’en tant qu’ancien employé, il n’était pas visé par les dispositions de la partie 2 de la LRTFP s’agissant de la présentation d’un grief.

 

[58]           J’ai examiné la jurisprudence citée par le défendeur suivant laquelle les anciens employés ont le droit de formuler un grief relativement à certaines questions ayant trait à leur emploi (La Reine c. Lavoie, [1978] 1 CF 778 (CAF), au paragraphe 10; Glowinski c. Canada (Procureur général), [1978] 2 CF 307 (CAF), au paragraphe 8; IPFPC c. Solliciteur général, [1979] CRTFPC no 6, au paragraphe 28 [Cardinal]; Hunt c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1997] CRTFPC no 84, au paragraphe 6).

 

[59]           Il ressort toutefois de l’examen de ces décisions que, dans chaque cas, le différend faisait suite au renvoi de l’intéressé alors qu’il était en stage (dans un cas, pour d’éventuelles raisons disciplinaires) ou à des problèmes qui avaient surgi alors que l’intéressé travaillait toujours au sein de la fonction publique. Aucune de ces affaires ne portait sur un litige qui avait surgi longtemps après que l’intéressé avait cessé d’être un employé du gouvernement.

 

[60]           Par exemple, dans l’affaire Lavoie, M. Lavoie avait déposé un grief relativement à ce que l’employeur considérait être un renvoi en cours de stage et que M. Lavoie estimait être en fait un congédiement disciplinaire. La Cour d’appel fédérale a jugé que « les termes introductifs de l’article 90(1) [de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (le prédécesseur du paragraphe 208(1) de l’actuelle LRTFP]) visent le cas d’une personne qui se sent lésée à titre d’employée ». La Cour a expliqué qu’« [a]utrement, une personne ayant à se plaindre en tant qu’“employé”, p. ex. au sujet du classement ou des salaires, perdrait son droit de présenter des griefs à cause de la suppression de son emploi, p. ex. à la suite d’une mise en disponibilité ». Suivant la Cour d’appel fédérale, « [i]l faudrait des dispositions très clairement exprimées pour me convaincre que ledit résultat est intentionnellement recherché » (au paragraphe 10).

 

[61]           Ainsi, non seulement l’affaire Lavoie portait sur ce que l’employé estimait être un congédiement disciplinaire, mais les propos précités de la Cour semblent confirmer le droit des anciens employés de formuler un grief lorsque les faits à l’origine du grief se sont produits au cours de l’emploi de l’intéressé, dès lors que l’intéressé « s’estime lésé à titre d’employé ».

 

[62]           De même, dans l’arrêt Glowinski, la Cour d’appel fédérale a jugé que les anciens employés pouvaient formuler un grief au sujet de leur renvoi en cours de stage même lorsqu’ils n’affirmaient pas que leur renvoi était une mesure disciplinaire déguisée, dès lors qu’ils s’estimaient « lésés à titre d’employés » (au paragraphe 8).

 

[63]           La décision Cardinal a confirmé le droit d’un ancien fonctionnaire de poursuivre le grief se rapportant à sa classification qu’il avait commencé alors qu’il était un employé du gouvernement, au motif que la classification de l’employé constitue nettement une question qui se rapporte à son emploi. De même, dans la décision Hunt, on a permis à un ancien employé de formuler un grief au sujet du refus de lui accorder des prestations d’invalidité et de l’application de certaines politiques dans son cas. Tous les faits à l’origine des griefs qu’il avait formulés s’étaient produits alors qu’il était fonctionnaire.

 

[64]           Toutes les affaires précitées ont été jugées sous le régime des dispositions de l’ancienne LRTFP, tandis que les affaires Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78, [2006] A.C.F. no 99 [Glowinski no 1], et Glowinski c. Conseil du Trésor (Ministère de l’Industrie), 2007 CRTFP 91, [2007] CRTFPC no 69 [Glowinski no 2], ont été décidées sous le régime de la nouvelle LRTFP. Dans le jugement Glowinski no 1, notre Cour a conclu qu’un ancien fonctionnaire disposait d’un autre recours approprié en raison de la procédure de règlement interne de griefs qui lui était ouverte puisque le grief concernait le taux auquel l’intéressé était rémunéré alors qu’il était un employé du gouvernement.

 

[65]           L’affaire Kidd c. Conseil national de recherches du Canada, 2010 CRTFP 73, [2010] CRTFP no 69, a également été décidée sous le régime de la nouvelle LRTFP. Dans l’affaire Kidd, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu qu’il n’y avait pas de « différence significative » entre les dispositions essentielles de l’ancienne LRTFP et de la nouvelle LRTFP de sorte que Mme Kidd, une ancienne employée, pouvait formuler un grief au sujet de la décision de rejeter sa demande de congé qui avait eu lieu alors qu’elle était toujours une employée du gouvernement (aux paragraphes 29 à 33).

 

[66]           Dans le cas qui nous occupe, M. Salie ne cherche pas à contester sa cessation d’emploi ou tout autre fait survenu au cours de son emploi. Il ne conteste pas non plus les conditions qui régissaient son emploi, notamment la Directive sur les conditions d’emploi de la Fonction publique.

 

[67]           M. Salie conteste plutôt l’application que le gouvernement a faite dans son cas de la politique du gouvernement sur les trop‑payés deux ans et demi après son départ de la fonction publique en vue de récupérer l’argent qui lui avait été payé par erreur environ six mois après avoir quitté son emploi. Aucun des faits en question ne s’est produit alors que M. Salie travaillait pour le gouvernement fédéral et M. Salie n’a pas été « lésé à titre d’employé ».

 

[68]           Par conséquent, je suis convaincu que M. Salie ne pouvait se prévaloir de la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP lorsque le Conseil du Trésor a entrepris des démarches en 2012 pour se faire rembourser le trop‑payé. Par conséquent, notre Cour a compétence pour juger la présente affaire.

 

La demande est‑elle prématurée?

[69]           Le défendeur affirme également que la présente demande devrait être rejetée au motif qu’elle est prématurée. Suivant le défendeur, la demande de contrôle judiciaire de M. Salie se rapporte à l’avis de trop‑payé du 26 mars 2012 qui l’informait simplement de l’existence du trop‑payé et ne constituait qu’une étape transitoire. Le défendeur affirme que la décision finale quant au trop‑payé n’a été prise que deux mois plus tard lorsque le second avis de trop‑payé a été envoyé à M. Salie.

 

[70]           La lettre du 26 mars 2012 affirme catégoriquement qu’un montant de 58 402,33 $ a été payé en trop à M. Salie, que ce montant a été payé par erreur, qu’il s’agit d’une dette due à la Couronne et que ce montant doit être remboursé. M. Salie était informé de la manière de procéder au remboursement et était également avisé que s’il ne remboursait pas cette somme, celle‑ci serait remboursée à même ses prestations de retraite.

 

[71]           La lettre se terminait par la phrase suivante : [traduction] « N’hésitez pas à communiquer avec la soussignée pour de plus amples renseignements ou pour discuter d’une entente de remboursement. À défaut par vous de donner suite à la présente dans les 30 jours, d’autres mesures seront prises en vue de recouvrer cette créance. »

 

[72]           La lettre du 26 mars 2012 ne renferme rien qui indiquait qu’il s’agissait simplement d’une étape transitoire du processus. La lettre déclarait dans les termes les plus nets qu’une somme avait été payée en trop à M. Salie et que ce dernier devait la rembourser. La seule question que le premier avis de trop‑payé laissait en suspens était le moment où M. Salie allait rembourser et comment il s’y prendrait pour le faire. Dans ces conditions, il était parfaitement raisonnable de la part de M. Salie d’introduire la présente demande de contrôle judiciaire. Le fait que M. Salie ait lui‑même déclaré, dans sa réponse à la lettre, qu’il croyait comprendre que la lettre du 26 mars 2012 constituait un [traduction] « avis préliminaire d’éventuelle décision » n’enlève rien au caractère sans équivoque de la lettre elle‑même.

 

[73]           M. Salie ne pouvait par ailleurs pas savoir qu’il recevrait un second avis de trop‑payé ni à quel moment il recevrait cette lettre. Compte tenu du délai de 30 jours qui lui était imparti pour saisir notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire, il était parfaitement raisonnable qu’il introduise la présente demande au moment où il l’a fait.

 

[74]           De plus, même si je devais accepter l’argument du défendeur suivant lequel la lettre du 26 mars 2012 n’était qu’une étape transitoire dans le processus, j’exercerais néanmoins mon pouvoir discrétionnaire et trancherais les questions de fond soulevées par M. Salie. Les deux parties ont longuement débattu le fond de l’affaire et notamment les répercussions du premier et du second avis de trop‑payé. Le défendeur n’a pas prétendu qu’il avait subi de ce fait un préjudice, et aucun préjudice n’est évident.

 

M. Salie a‑t‑il été traité injustement au cours du processus?

[75]           M. Salie affirme qu’il a été traité injustement par le défendeur, étant donné qu’on ne lui a donné que six jours pour prendre une décision à la suite de la lettre du 24 novembre 2009 dans laquelle le défendeur lui exposait les choix qui s’offraient à lui. Il affirme également qu’il était injuste de la part du défendeur de lui offrir ce que M. Salie estimait être le montant minimal auquel il avait droit en cas de cessation d’emploi.

 

[76]           Je tiens tout d’abord à faire observer que M. Salie a finalement eu jusqu’à la fin de décembre pour choisir entre les options qui lui étaient offertes. La difficulté plus fondamentale que soulèvent les arguments de M. Salie est le fait qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une action en congédiement injuste et que ni le montant initialement offert à M. Salie à titre de salaire tenant lieu de préavis ni le délai qui lui a été accordé pour choisir l’une des options à la fin de 2009 n’a quoi que ce soit à voir avec la question du trop‑payé en litige dans la présente demande.

 

[77]           M. Salie soutient par ailleurs qu’il n’a pratiquement jamais eu l’occasion de faire valoir son point de vue avant que le défendeur ne conclue qu’un montant en trop lui avait été versé et qu’il n’a pas eu la possibilité de faire valoir son argument fondé sur l’irrecevabilité. M. Salie affirme également que le défendeur a estimé à tort que le présumé montant payé en trop s’élevait à 58 402,33 $ alors qu’en fait le montant qu’il a reçu à titre d’indemnité de préavis n’était que de 39 180,30 $ (bien que je constate que le talon de paye versé au dossier fait état d’un montant payé de 40 881,63 $). Cette erreur aurait pu être évitée selon M. Salie s’il avait pu intervenir dans le processus.

 

[78]           Lorsqu’une question d’équité procédurale se pose, le rôle de la Cour consiste à déterminer si le processus que le décideur a suivi correspond au degré d’équité qui est exigé, compte tenu de l’ensemble des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

[79]           Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, je suis convaincue que l’obligation d’équité a été respectée en l’espèce. Bien que j’aie conclu dans la section précédente des présents motifs qu’il était raisonnable de la part de M. Salie de considérer que le premier avis de trop‑payé était une décision définitive aux fins de l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire, il n’en reste pas moins qu’on lui a accordé la possibilité de faire valoir son point de vue avant de prendre quelque mesure que ce soit relativement au recouvrement du trop‑payé. Par lettre datée du 18 avril 2012, M. Salie a expliqué en détail les raisons pour lesquelles on ne devait le forcer à rembourser cette somme, affirmant que cette somme lui avait été payée à la suite d’une entente renégociée. Le défendeur a examiné ces explications, a fait les vérifications nécessaires, puis les a finalement rejetées.

 

[80]           M. Salie ne mentionne pas son argument de l’irrecevabilité résultant d’une promesse dans ses observations du 18 avril 2012 et aucune raison n’a été invoquée pour expliquer pourquoi il n’aurait pas pu soulever la question à ce moment‑là, à titre subsidiaire, s’il souhaitait que le défendeur en tienne compte.

 

[81]           Il est vrai que M. Salie n’a pas eu la possibilité de se faire entendre avant que le défendeur conclue qu’une somme avait par inadvertance été payée en trop. Toutefois, M. Salie ne conteste pas maintenant qu’une somme a effectivement été payée en trop.

 

[82]           Pour ce qui est du désaccord des parties concernant le montant du trop‑payé, il vaut la peine de mentionner que, dans les observations qu’il a formulées en réponse au premier avis de trop‑payé, M. Salie ne mentionne pas cet écart, même s’il avait la possibilité de le signaler au défendeur si cela le préoccupait. Il semble que le montant de 58 402,33 $ corresponde au montant brut versé à M. Salie et que le montant moins élevé soit celui que M. Salie a reçu une fois les taxes déduites. On peut penser que, si M. Salie est tenu de rembourser le montant de 58 402,33 $, il peut réclamer le remboursement des taxes qu’il a payées à cet égard.

 

Le défendeur devrait‑il être irrecevable à réclamer le remboursement du trop‑payé?

[83]           Cela nous amène donc à la question cruciale en l’espèce, qui consiste à décider si, en raison des circonstances entourant le paiement de juin 2010, le défendeur devrait être irrecevable à réclamer le remboursement du montant payé en trop à M. Salie.

 

[84]           Je tiens à signaler que, comme M. Salie n’a pas soulevé cet argument dans les observations qu’il a formulées au Conseil du Trésor en avril 2012, le défendeur ne s’est pas prononcé sur la question de l’irrecevabilité résultant d’une promesse pour décider qu’il y avait lieu de procéder au recouvrement du trop‑payé. Par conséquent, la Cour ne dispose d’aucun motif émanant du défendeur à l’égard duquel elle devrait faire preuve de déférence.

 

[85]           M. Salie affirme qu’à l’époque où il a reçu le second paiement, en juin 2010, les parties avaient entamé des négociations, qui ont commencé par la conversation téléphonique qu’il a eue avec M. Mbokeli le 27 mai 2010. Au cours de ces pourparlers, M. Salie aurait offert à M. Mbokeli de signer l’entente de règlement dans sa forme originale en échange du paiement d’une somme forfaitaire supplémentaire équivalant à six à huit mois de salaire.

 

[86]           Compte tenu du montant, du moment et du mode du paiement de juin 2010, M. Salie affirme qu’il croyait raisonnablement que le versement de cette somme d’argent était le fruit des négociations qu’il avait menées avec M. Mbokeli. Il affirme également que le caractère raisonnable de sa conviction à cet égard a été confirmé par le fait que le défendeur a attendu près de 21 mois pour l’aviser qu’un trop‑payé s’était produit.

 

[87]           M. Salie affirme qu’il a changé sa position à son détriment en refusant un contrat de consultation au printemps 2011 parce qu’il croyait qu’il était tenu par les restrictions régissant l’après‑mandat énoncées dans l’entente de règlement.

 

[88]           Les parties s’entendent sur les éléments auxquels il faut satisfaire pour donner lieu à l’application de l’irrecevabilité fondée sur une promesse. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 R.C.S. 50, [1991] ACS no 43, au paragraphe 13 : « Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles‑ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position. »

 

[89]           Dans l’arrêt Engineered Homes Ltd. c. Mason, [1983] 1 R.C.S. 641, 146 D.L.R. (3d) 577, à la page 647, la Cour suprême avait déjà précisé que, pour qu’il y ait irrecevabilité, la promesse devait être non équivoque.

 

[90]           De même, dans l’arrêt Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 CF 1081, 52 N.R. 196 (CAF), la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [b]ien que la théorie de la force obligatoire d’une promesse soit loin d’être claire, il semble établi qu’il ne peut exister une telle irrecevabilité en l’absence de promesse, expresse ou implicite, dont les effets sont clairs et précis » (au paragraphe 8).

 

[91]           Malgré le plaidoyer fort éloquent de son avocat, M. Salie ne m’a pas convaincue que le défendeur a fait une promesse claire et non équivoque en paroles ou par sa conduite qui aurait raisonnablement pu l’amener à croire que le paiement de juin 2010 constituait un versement supplémentaire résultant d’une entente négociée complémentaire se rapportant au départ de M. Salie de la fonction publique.

 

[92]           M. Salie reconnaît que, le 25 janvier 2010, il a reçu la somme de 39 180,30 $ à titre d’indemnité de préavis ainsi qu’il était prévu à l’entente de règlement qui lui a été remise en décembre 2009. Il reconnaît également qu’il a reçu cette somme même s’il n’avait pas signé l’entente. À mon avis, M. Salie aurait dû, à ce moment‑là, se rendre compte que quelque chose clochait.

 

[93]           Le document contenant l’entente de règlement précisait dans les termes les plus nets que la signature de l’entente était une condition préalable essentielle au paiement. Qui plus est, en sa qualité de cadre possédant plusieurs années d’expérience au sein de la fonction publique, M. Salie savait ou aurait dû savoir qu’il ne pouvait normalement recevoir de l’argent dans le cadre d’un règlement sans avoir d’abord signé l’entente.

 

[94]           M. Salie a par la suite reçu la lettre du 29 janvier 2010 dans laquelle Mme Grenier lui demandait de signer l’entente de règlement et de la lui retourner. Cette lettre informait M. Salie qu’il était nécessaire qu’il signe le document pour être payé. Compte tenu du fait que M. Salie avait déjà été payé, cette lettre aurait dû lui donner un autre indice qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond en ce qui concernait son indemnité de départ. M. Salie n’a cependant pas cherché à obtenir d’éclaircissements à ce sujet et la réponse qu’il a donnée le 9 février 2010 ne mentionne pas le fait qu’il avait déjà reçu le paiement forfaitaire mentionné dans la lettre de Mme Grenier.

 

[95]           M. Salie a alors reçu à la fin de février 2010 une autre lettre de Mme Grenier lui expliquant une fois de plus que le Conseil du Trésor devait recevoir l’entente de règlement dûment signée dans sa forme originale pour qu’il puisse toucher les sommes dues au titre de l’entente de règlement. Là encore, cette lettre aurait dû lui mettre la puce à l’oreille et lui indiquer qu’il existait une certaine confusion dans l’esprit du défendeur. Toutefois, au lieu de chercher à obtenir des éclaircissements, M. Salie n’a tout simplement pas répondu à cette lettre.

 

[96]           Même si j’accepte la version que M. Salie a donnée des discussions qu’il a eues en mai 2010 avec M. Mbokeli, l’affirmation qu’il attribue à M. Mbokeli suivant laquelle ce dernier lui aurait dit qu’il verrait ce qu’il pourrait faire ne constitue pas un engagement clair et sans équivoque de la part du défendeur envers un résultat déterminé.

 

[97]           Qui plus est, la lettre du 25 juin 2010 adressée par Mme Grenier à M. Salie informait ce dernier qu’on communiquerait avec lui dans les jours suivants pour finaliser le paiement des sommes qui lui étaient dues relativement à son entente de règlement sans faire aucune mention de quelque modification à l’entente de règlement faisant état d’une hausse négociée des sommes payables à M. Salie. Dans le même ordre d’idées, on n’a jamais demandé à M. Salie de signer un formulaire de libération avant de recevoir, le 22 juin 2010, un autre montant correspondant à 26 semaines de plus de salaire tenant lieu de préavis.

 

[98]           Une fois de plus, tous ces faits auraient dû faire prendre conscience à un haut fonctionnaire expérimenté comme M. Salie que quelque chose clochait.

 

[99]           Dans ces conditions, M. Salie n’a pas démontré que, par ses paroles ou par sa conduite, le défendeur a fait une promesse claire et non ambiguë qui pouvait raisonnablement l’amener à croire que les sommes qui lui ont été payées en juin 2010 étaient le fruit d’une entente renégociée. Par conséquent, M. Salie n’a pas établi que le défendeur devrait être irrecevable à récupérer ce que M. Salie reconnaît maintenant être un montant qui lui a été payé en trop par erreur.

 

[100]       Avant de conclure, il convient de faire un bref commentaire au sujet de l’argument formulé par M. Salie en ce qui concerne son acte de confiance préjudiciable. M. Salie affirme qu’il a refusé un contrat de consultation avec un ministère gouvernemental au printemps 2011, plus d’une année après avoir quitté la fonction publique parce qu’il croyait qu’il était toujours régi par les restrictions régissant l’après‑mandat.

 

[101]       Toutefois, lorsqu’il a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit, M. Salie a déclaré qu’il ne savait pas si les restrictions régissant l’après‑mandat devaient durer six mois, 12 mois ou 18 mois. Au lieu de tenter de clarifier la situation avec son ancien employeur, M. Salie affirme qu’il a tout simplement refusé le contrat de consultation. Cette façon d’agir n’était pas raisonnable.

 

[102]       Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les agissements de M. Salie laissent penser, soit qu’il n’était pas intéressé par le contrat en question, auquel cas il n’y a pas eu acte de confiance préjudiciable, soit qu’il craignait de faire des vagues avec le Conseil du Trésor en posant des questions au sujet de son statut. Ce dernier scénario permettrait raisonnablement de penser que M. Salie savait ou du moins soupçonnait qu’un montant lui avait été payé en trop.

 

Conclusion

[103]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Salie est rejetée. Conformément à l’entente conclue entre les parties, les dépens sont adjugés au défendeur et sont fixés à 7 216,27 $.

 

Erreur de désignation

[104]       Le défendeur affirme que le président du Conseil du Trésor a été irrégulièrement désigné comme défendeur en l’espèce, contrairement au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Compte tenu du fait que le président n’a pas rendu la décision en litige et qu’il n’est pas directement visé par la demande, le Procureur général du Canada est la partie qu’il convient de désigner comme défendeur. M. Salie ne s’est pas opposé à cette demande et l’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.         REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire et ADJUGE au défendeur les dépens, lesquels sont fixés au montant de 7 216,27 $;

 

2.         MODIFIE l’intitulé de la cause pour remplacer le président du Conseil du Trésor par le Procureur général du Canada comme défendeur.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑815‑12

 

INTITULÉ :                                                  DAVID SALIE c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Paul Zubec

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Zoe Oxaal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KELLY SANTINI, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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