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Date : 20130208

Dossier : T-1793-11

Référence : 2013 CF 139

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

MICHAEL BACKX

 

demandeur

 

et

 

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS
ET NANCY GRIFFITH

 

défenderesses

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, relativement à une décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par Stephen Baker, vice-président des opérations de l’une des défenderesses, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA ou l’employeur) et faisant droit en partie au grief du demandeur. Ce dernier, le Dr Michael Backx, soutenait dans son grief que, pour doter un poste de niveau VM‑02 lié à la Division de la santé des animaux, il n’aurait pas fallu utiliser la liste de candidats qualifiés établie dans le cadre d’un concours d’avancement visant à pourvoir à un poste de vétérinaire en chef, de niveau VM‑02, à London (Ontario), au sein de la Division de l’hygiène des viandes. Même si le grief a été accueilli, l’ACIA a décidé de ne pas accorder la mesure corrective que sollicitait le demandeur, et ce dernier a donc présenté une demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits

[2]               Le demandeur est un vétérinaire et est employé au sein de la Direction générale des opérations de l’ACIA, au Bureau du district de London, en Ontario. Cette direction générale comporte habituellement une division de l’hygiène des viandes et une division de la santé des animaux, mais il ne s’agit pas de catégories de poste officielles au sein du groupe professionnel de la médecine vétérinaire (le groupe VM). Le demandeur occupe un poste de niveau VM‑01 à la Division de la santé des animaux depuis 1981.

 

[3]               Les faits relatifs au processus de dotation ne sont pas contestés. En août 2006, l’ACIA a tenu un concours afin de doter un poste de vétérinaire en chef (VM‑02) au sein de la filière de l’hygiène des viandes. Selon l’avis de concours, la liste des candidats qualifiés, appelée liste d’admissibilité, « pourrait être employée pour doter des postes similaires ». Le Dr Backx n’a pas présenté sa candidature parce que son expérience et ses intérêts professionnels n’avaient pas trait à l’hygiène des viandes et qu’il n’avait pas été avisé que les résultats du concours pourraient servir à pourvoir des postes dans le domaine de la santé des animaux.

 

[4]               Cependant, au début de l’année 2007, l’ACIA s’est servie de la liste d’admissibilité établie dans le cadre du concours tenu en août 2006 pour doter un poste vacant de vétérinaire de district de niveau VM‑02 en santé des animaux. La personne retenue a été l’une des défenderesses, la Dre Nancy Griffith, qui avait une certaine expérience de l’hygiène des viandes, dans un poste de niveau VM‑01.

 

[5]               Selon le demandeur, le poste de vétérinaire de district, à London, constituait une occasion idéale pour lui, car il souhaitait obtenir une promotion pour le travail qu’il accomplissait depuis vingt-neuf ans et il n’était pas disposé à déménager dans une autre ville.

 

[6]               En novembre 2007, le demandeur a déposé un grief, en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2 (la LRTFP), afin de contester la décision de l’employeur d’utiliser la liste d’admissibilité établie en août 2006 pour doter le poste vacant en cause. Il a allégué que la décision de considérer les deux postes comme [traduction] « similaires » enfreignait les principes d’équité, de transparence et d’efficacité en matière de dotation de l’ACIA et il a fait remarquer que d’autres vétérinaires, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région, qui étaient intéressés par le poste de vétérinaire de district avaient subi un préjudice à cause de cette décision, car ils n’avaient pas été informés que l’on pourrait se servir de la liste d’admissibilité pour doter des postes dans le domaine de la santé des animaux.

 

[7]               L’ACIA a rejeté le grief du demandeur au dernier palier, concluant que les postes en question étaient similaires en raison de leurs exigences en matière d’expérience. La décision a été annulée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire soumise à la Cour et l’affaire a été renvoyée à un autre décideur du dernier palier en vue d’une nouvelle décision (Backx c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2010 CF 480 (Backx (CF)), confirmée par 2011 CAF 36 (Backx (CAF))). Dans la décision Backx (CF), le juge O’Keefe a conclu que, d’après les faits de l’affaire, les employés n’estimeraient pas que leurs postes seraient similaires, même si la direction en venait à une telle conclusion, et que l’avis de concours ne dissuadait pas les employés de faire cette distinction entre les deux types de poste. Les deux Cours ont conclu qu’étant donné que le décideur avait omis de traiter du manque de similitude entre les postes – ce qui était le principal motif pour lequel le demandeur avait déposé son grief – la décision de l’ACIA était dénuée de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité requises.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               Un nouveau décideur du dernier palier a été choisi pour instruire le grief du demandeur. Ce dernier n’a pas voulu que l’on tienne une nouvelle audience, mais il a fourni des observations écrites supplémentaires, exposant en détail sa position sur l’affaire ainsi que la mesure corrective qu’il sollicitait. Fait important pour la présente affaire, le demandeur a soutenu que le grief visait la décision de procéder à la nomination de la Dre Griffith malgré les objections formelles soulevées par des vétérinaires concernés, et que la seule façon de corriger le fait que l’ACIA avait enfreint sa politique de dotation était de lancer un nouveau processus de sélection pour de doter le poste en cause. Il a notamment fait l’observation suivante :

[traduction

L’idée qu’on puisse leur offrir une autre occasion ou qu’ils puissent être évalués et ajoutés au bassin actuel des VM‑02, à la condition de satisfaire aux exigences en matière d’admissibilité connexes, n’est pas une mesure corrective qui répond à l’occasion manquée en question. Il faut comprendre que le présent grief porte sur le fait qu’un poste convoité est devenu disponible et que les personnes les plus intéressées à ce poste et les plus aptes à l’occuper n’ont pas eu l’occasion de présenter leur candidature. (Pièce B jointe à l’affidavit de M. Backx, à la page 3 : dossier du demandeur.)

 

[9]               Cette fois-ci, le grief du demandeur a été accueilli, mais l’ACIA a refusé d’accorder la mesure de réparation que sollicitait le Dr Backx, concluant que [traduction] « la nomination au poste lié à la santé des animaux au Bureau de district de London est valide et ne peut pas être révoquée ». L’ACIA a plutôt offert au demandeur la possibilité d’être évalué par rapport aux exigences dans le cadre d’un processus de sélection de VM‑02 en cours, lancé en mars 2010 et s’étendant jusqu’en juin 2012 pour tout le secteur de l’Ontario, lequel processus avait pour objet de créer un bassin de candidats qualifiés qui seraient admissibles aux postes de VM‑02 qui deviendraient vacants n’importe où sur le territoire de la province de l’Ontario.

 

[10]           Le demandeur dit avoir refusé l’offre de l’ACIA parce que le seul poste qui l’intéressait était celui de vétérinaire de district de niveau VM‑02 à London. De plus, il n’y avait à ce moment aucun poste vacant, et le demandeur a conclu qu’il y avait peu de chances que le poste qui l’intéressait se libère dans l’avenir rapproché, car il venait tout juste d’être doté.

 

[11]           Les questions en litige en l’espèce sont le caractère approprié de la mesure de réparation offerte au demandeur dans les circonstances, de même que le refus de l’ACIA de révoquer la nomination contestée.

 

Les questions en litige

[12]           Les questions que soulève en l’espèce le demandeur sont les suivantes :

1)   Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)   L’ACIA a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas habilitée à révoquer la nomination de la Dre Griffith?

3)   Subsidiairement, la mesure de réparation offerte au Dr Backx était‑elle raisonnable?

 

[13]           Contrairement à ce que le demandeur laisse entendre, le décideur du dernier palier de l’ACIA n’a pas conclu que l’ACIA n’était pas habilitée à révoquer la nomination contestée, mais plutôt que cette nomination ne pouvait pas être révoquée parce qu’elle était valide. La décision contestée ne renferme aucune conclusion quant au pouvoir qu’a l’ACIA de révoquer une nomination. De plus, il ressort clairement de la recommandation qu’a formulée Lisa Martin, conseillère principale en relations de travail auprès de l’ACIA, avant que la décision soit rendue, que [traduction] « [l’]incapacité [de l’ACIA] de révoquer la nomination » ne fait pas référence au pouvoir juridique dont elle dispose pour prendre une telle mesure, mais à la validité de la nomination de la Dre Griffith. Je reformulerais donc la deuxième question en ces termes :

2)   L’ACIA a-t-elle commis une erreur en refusant de révoquer la nomination de la Dre Griffith?

La norme de contrôle applicable

[14]           Depuis l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), l’analyse relative à la norme de contrôle applicable comporte un processus en deux étapes : en premier lieu, la cour de révision saisie de l’affaire « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 16, et Dunsmuir, précité, au paragraphe 62.)

 

[15]           Les parties conviennent que, dans le cours normal des choses, les décisions que prend l’employeur en matière de dotation, comme le droit d’un employé à une nomination constituant une promotion avec traitement rétroactif à titre de mesure de réparation, sont une mesure « de nature discrétionnaire » susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Macklai c Canada (Agence du revenu du Canada), 2011 CAF 49, au paragraphe 7). Cela dit, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la question de la révocation de la nomination contestée de la Dre Griffith.

 

[16]           Comme l’a souligné le juge O’Keefe dans la décision Backx (CF), précitée, au paragraphe 22, les précédents relatifs à la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à diverses décisions définitives rendues en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la LRTFP) ne sont pas bien établis, de sorte qu’il convient d’adopter une approche contextuelle tenant compte de la nature de la question soulevée.

 

[17]           Le demandeur soutient que l’ACIA a rejeté sa demande visant à faire lancer à nouveau le processus de sélection en se fondant uniquement sur son opinion selon laquelle elle n’était pas habilitée à le faire, ce qui, de l’avis du demandeur, est un point de droit qui déborde le cadre du champ d’expertise spécialisé du décideur. J’ai examiné les arguments et les précédents que le demandeur a invoqués en rapport avec le manque d’indépendance du décideur du dernier palier de la procédure de règlement des griefs que prévoit la LRTFP (Assh c Canada (Procureur général), 2006 CAF 356, aux paragraphes 44 à 46, 50 et 51, et Appleby-Ostroff c Procureur général du Canada, 2010 CAF 84, aux paragraphes 21 à 23) ainsi que le pouvoir qu’a la Cour d’examiner l’interprétation d’une loi ou d’une politique en tant que questions à l’égard desquelles elle est au moins une experte à titre de décideur administratif (Endicott c Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253, au paragraphe 9, et Blais c Canada (Procureur général), 2004 CF 1638, au paragraphe 16). Cependant, comme je l’ai expliqué plus tôt, je suis d’avis que la Cour ne peut pas considérer la question de la révocation de la nomination contestée comme une pure question de droit, car l’ACIA a fondé sa décision sur l’opinion qu’elle avait au sujet de la validité de la nomination, et non sur l’absence d’un tel pouvoir que lui conférerait la loi.

 

[18]           L’ACIA m’a renvoyée à un certain nombre de décisions dans lesquelles la norme de la raisonnabilité a été appliquée à des décisions rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et non admissibles à l’arbitrage, des décisions qui interprètent et appliquent des procédures et des politiques internes (Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, aux paragraphes 19 à 27, confirmée par 2009 CAF 364, Peck c Canada (Parcs Canada), 2009 CF 686, aux paragraphes 17 à 26, et Spencer c Canada (Procureur général), 2010 CF 33, aux paragraphes 18 à 32). Eu égard à ces décisions, je crois que la position de l’ACIA en l’espèce est celle qui concorde le plus avec la jurisprudence.

 

[19]           La question soumise au décideur du dernier palier était une question mixte de fait et de droit. La validité et la révocabilité d’une nomination sont des questions qui comportent une analyse factuelle et qui s’articulent autour de l’application de procédures administratives semblables à celles qui s’appliquent à d’autres griefs en matière de classification qui ne sont pas admissibles à l’arbitrage. Je conclus que la révocation de la nomination de la Dre Griffith et le caractère approprié de la mesure corrective de l’ACIA sont des questions susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[20]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que c’est la dernière des deux questions qui est la plus déterminante en l’espèce. Je traiterai donc des questions en litige en ordre inverse.

 

Analyse

La mesure de réparation offerte au Dr Backx était-elle raisonnable?

[21]           En faisant droit à la première demande de contrôle judiciaire du Dr Backx, la Cour a fait remarquer à titre incident que « la seule issue acceptable aurait été celle qui aurait donné raison au demandeur et qui aurait remédié à la perte de l’occasion pour lui de postuler le poste de vétérinaire de district ». Malgré cette remarque de la Cour, l’ACIA a refusé d’accorder la mesure de réparation que sollicitait le demandeur, soit le fait d’être autorisé à présenter sa candidature pour le poste de vétérinaire en santé des animaux de niveau VM‑02 à London, au motif qu’il n’y avait pas de raisons pour révoquer la nomination qui avait été effectuée.

 

[22]           L’occasion que le demandeur a manquée est, en fait, celle d’avoir été pris en considération en vue d’être promu à un poste qui, à la fois, correspondait à son expérience et lui permettait de continuer de résider à London. Le demandeur soutient que l’offre de l’ACIA de permettre qu’on le prenne en considération dans le cadre d’un autre processus de sélection se rapportant à des postes qui pourraient devenir disponibles dans une ville quelconque n’est pas une mesure de réparation valable. Elle n’offre au demandeur rien qu’il n’a pas déjà et omet entièrement de traiter du fait que, à cause de l’erreur que l’employeur a commise en considérant les deux postes comme similaires, les candidats éventuels, dont le demandeur, ont manqué l’occasion de présenter leur candidature pour le poste constituant une promotion auquel ils étaient admissibles.

 

[23]           Le demandeur soutient également que, même si l’on ne peut pas annuler la nomination de la Dre Griffith, il est quand même nécessaire de lancer à nouveau le concours afin de décider qui serait le candidat choisi, car il est nécessaire d’identifier ce dernier pour déterminer quelles sont les mesures correctives disponibles qui permettront à l’ACIA de répondre à la situation particulière du demandeur.

 

[24]           Les arguments qu’invoque le demandeur à cet égard sont bien fondés. Conformément à l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, pour déterminer la raisonnabilité d’une décision la cour de révision « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité », attributs qui comprennent « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ». Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’issue de la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est déraisonnable, notamment parce qu’elle ne répond pas à la prétention du demandeur et qu’elle ne lui offre aucune mesure de réparation valable.

 

[25]           Rien ne donne à penser que l’offre de l’ACIA remédierait de quelque façon à l’occasion que le demandeur a manquée, ni que l’ACIA a pris des mesures raisonnables pour offrir au demandeur une mesure de réparation convenable dans son cas en particulier. Il est loisible à l’ACIA de choisir comme bon lui semble de quelle manière remédier à la perte que le demandeur a subie, mais elle est tenue de le faire de manière raisonnable et valable.

 

[26]           L’ACIA soutient que ni la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, LC 1997, c 6 (la LACIA) ni la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12 et 13 (la LEFP) n’exigent qu’on offre aux employés une possibilité de poser leur candidature, et on n’enfreint aucun droit ou aucune exigence en n’offrant pas aux employés la possibilité de participer à un concours. L’ACIA soutient par ailleurs que la notion de raisonnabilité s’entend de la manière dont un droit existant doit être exercé et qu’il ne faudrait pas s’en servir pour créer un droit substantiel. De ce fait, une mesure de réparation qui ne permet pas à un plaignant d’être pris en considération en vue de la dotation d’un poste particulier ou qui ne prévoit pas la révocation de la nomination déjà effectuée n’est pas déraisonnable.

 

[27]           La position de l’ACIA ne résiste pas à un examen minutieux. L’ACIA n’est pas tenue d’offrir à tous les candidats éventuels une occasion de prendre part à un concours, mais rien ne permet d’affirmer que l’ACIA n’est pas tenue de remédier au préjudice qu’a subi un candidat plus qualifié qui a déposé avec succès un grief contre la nomination contestée. L’ACIA n’est pas parvenue à faire valoir de manière valide son argument devant la présente Cour ou devant la Cour d’appel fédérale et elle a fait droit au grief au dernier palier du demandeur, reconnaissant ainsi que son processus de sélection était vicié et que le demandeur avait perdu une occasion.

 

[28]           Le décideur doit supporter les risques que comporte le fait de procéder à une nomination dont il est possible de contester avec succès la validité. C’est ce que l’ACIA a décidé de faire malgré les plaintes déposées et la controverse entourant la nomination de la Dre Griffith. Il convient de signaler que, dans un communiqué daté du 16 août 2008 (le communiqué de 2008), que j’examinerai plus en détail ci-après, l’ACIA prévoit le risque que ses gestionnaires effectuent des nominations en attendant l’issue d’une contestation de leur validité, compte tenu du pouvoir qu’elle a d’annuler une nomination, comme il est prévu à la section 2.2 de sa Délégation des pouvoirs en matière de ressources humaines (la DPRH), à l’annexe II. Le passage applicable du communiqué est le suivant :

[traduction

Les conseillers en RH devraient informer leurs gestionnaires clients de la portée étroite de la section 2.2 et du risque ultérieur qu’il y a de procéder à une nomination avant la fin des périodes de grief et de recours en matière de dotation connexes et avant le règlement des plaintes et des griefs en matière de dotation qui s’ensuivent. Dans certains cas, une mesure de dotation intérimaire, telle qu’une nomination intérimaire, peut être une option appropriée.

 

[29]           L’ACIA soutient que le demandeur a omis d’atténuer son préjudice en refusant de participer au concours relatif au poste de vétérinaire de district VM‑02, la mesure qui lui avait été offerte en guise de réparation. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la position du demandeur, dans le cadre de son grief au premier et au deuxième paliers, était qu’il n’était pas disposé à déménager dans une autre ville où un poste d’avancement semblable aurait été disponible. L’obligation qu’a le demandeur d’atténuer son préjudice ne va pas jusqu’à accepter de poser sa candidature pour un poste qui n’est pas encore disponible ou qui n’est pas situé dans la ville où il travaille et vit depuis au moins 29 ans.

 

[30]           Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, je conclus que la mesure corrective que l’ACIA a proposée est injustifiée, autant quant à son fondement qu’à son issue, et qu’elle est donc déraisonnable.

 

L’ACIA a-t-elle commis une erreur en refusant de révoquer la nomination de la Dre Griffith?

[31]           La question de savoir si l’ACIA a commis une erreur en refusant de révoquer la nomination de la Dre Griffith dépend de circonstances de fait qui ne figurent pas dans le dossier soumis à la Cour, comme le fait de savoir si un poste identique est disponible à London ou s’il est possible d’octroyer des dommages-intérêts pour compenser le préjudice que le demandeur a subi. Je conclus toutefois qu’à bien des égards, le processus décisionnel était dénué de justification, de transparence et d’intelligibilité.

 

[32]           Le paragraphe 13(1) de la LACIA confère au président de l’Agence le pouvoir de nommer les employés de son organisme. L’article 7 prévoit que le président peut déléguer à toute personne les attributions qui lui sont conférées sous le régime de la LACIA ou de toute autre loi. Les parties ont évoqué et analysé la question de savoir si l’ACIA est habilitée à révoquer une nomination valablement contestée. La LACIA n’accorde pas au président le pouvoir explicite de révoquer une nomination – un pouvoir qui serait comparable à celui que confère le paragraphe 81(1) de la LEFP à la Commission de la fonction publique –, mais je conviens avec le demandeur que le droit qu’a l’ACIA de révoquer une nomination contestée à la suite d’un grief fructueux déposé contre elle existe en tant que condition implicite de la nomination.

 

[33]           Le décideur du dernier palier de la procédure de règlement des griefs n’a pas expliqué pourquoi une nomination faite à la suite d’un processus erroné et déraisonnable était valide et irrévocable.

 

[34]           L’ACIA se fonde sur une modification apportée à ses politiques en matière de ressources humaines par suite de la diffusion du communiqué de 2008 et prenant effet le 9 décembre 2010. Même si la version antérieure de la section 2.2 de la DPRH confirmait le pouvoir qu’avait l’ACIA [traduction] « [de] révoquer une nomination dans le cas d’une pratique frauduleuse ou d’un manquement aux obligations légales et aux politiques ou aux valeurs en matière de dotation de l’ACIA », la nouvelle version prévoit qu’une nomination peut être [traduction] « frappée de nullité s’il est décidé que le candidat nommé a commis un acte ou fait une déclaration de nature frauduleuse au cours du processus de dotation ».

 

[35]           Le demandeur soutient qu’il ne faudrait pas autoriser l’ACIA à se fonder sur une modification de sa propre politique sur les mesures correctives disponibles qui a été apportée après la nomination de la Dre Griffith. L’ACIA allègue pour sa part que l’adjectif « frauduleux » était censé s’appliquer à la fois aux « pratiques » et aux « manquements ». Elle soutient que la modification visait simplement à clarifier le libellé de la politique (affidavit de Vickie Boulanger), de façon à mieux indiquer que le pouvoir qu’a l’ACIA de révoquer une nomination est limité aux situations dans lesquelles la personne nommée a agi de manière frauduleuse.

 

[36]           Même si l’ancienne version de la DPRH était en vigueur à l’époque où la nomination contestée a eu lieu, l’ACIA n’a pas justifié de manière convaincante le choix qu’a fait l’ACIA d’interpréter de manière restrictive son pouvoir d’annulation d’une nomination, de façon à n’inclure que les pratiques et les manquements de la part des candidats nommés.

 

[37]           L’ACIA soutient que, d’après l’arrêt Messier c Canada (Solliciteur général) (CAF), [1985] ACF no 227, « [l]a nomination faite à la suite des déclarations fausses et frauduleuses d’un candidat à l’égard de faits essentiels est tout simplement annulable », sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à un pouvoir de révocation précis. Cependant, on pourrait soutenir que, si le décideur n’avait pas le pouvoir de remédier à un acte répréhensible de sa part, il n’existerait aucun droit légal de déposer un grief au sujet des décisions de l’ACIA en matière de dotation ni aucun recours pour faire réviser leur légalité dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[38]           L’ACIA est d’avis que la LEFP ne s’applique pas à l’ACIA car la Cour, dans la décision Forsch c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2004 CF 513, au paragraphe 18, a conclu qu’« en raison du pouvoir qu’attribue le paragraphe 13(1) de la Loi sur l’ACIA à l’Agence en matière de nomination des employés, les dispositions de la [LEFP] qui traitent de la nomination des fonctionnaires fédéraux ne s’appliquent pas à l’Agence : paragraphe 8(1) de la LEFP [actuel paragraphe 29(1) de la LEFP]. » En fait, l’ACIA est investie de vastes pouvoirs en ce qui a trait aux nominations de ses employés sous le régime de la LACIA, dont celui de créer les politiques régissant les procédures de nomination. La position de l’ACIA implique que les nominations qu’effectue l’ACIA sont définitives et tout simplement irrévocables, quelles que soient les circonstances, sauf si le candidat retenu a fait une déclaration frauduleuse. Toutefois, à mon avis, si le législateur avait voulu créer une telle exception, il l’aurait fait en des termes explicites et non équivoques.

 

[39]           Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire. La décision qu’a rendue le décideur du dernier palier est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur du dernier palier de l’ACIA pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  les dépens sont accordés au demandeur;

3.                  la décision du décideur du dernier palier est infirmée et l’affaire renvoyée à un autre décideur du dernier palier de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux motifs du présent jugement.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.

 

 



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1793-11

 

INTITULÉ :                                      MICHAEL BACKX c AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS ET NANCY GRIFFITH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 18 DÉCEMBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 8 FÉVRIER 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Desmeules

POUR LA DÉFENDERESSE

(Agence canadienne d’inspection des aliments)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(Agence canadienne d’inspection des aliments)

 

 

 

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