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Date : 20130228

Dossier : IMM‑7020‑12

Référence : 2013 CF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 28 février 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

INDERJEET SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le demandeur prétend i) que l’analyse de la crédibilité faite par la SPR n’est pas raisonnable compte tenu de la preuve médicale et de la preuve par affidavit qu’il a présentées, ii) qu’aucune omission, contradiction ou incohérence majeure ne ressortait du dossier, et iii) que les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays en cause montrent qu’il était exposé à un risque.

 

II. Procédure judiciaire

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la décision du 18 juin 2012 de la SPR.

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur, un citoyen de l’Inde, est né en 1983. En Inde, il était un prêcheur sikh et il vivait à Karnal, dans la province du Haryana.

 

[4]               Le demandeur affirme que, en 2007, il a publiquement réfuté des déclarations du chef Dera Sucha Suda (DSS) et qu’il a participé à des manifestations pacifiques organisées à l’encontre du DSS.

 

[5]               Le 5 juin 2007, le demandeur aurait été arrêté, détenu et torturé. Il aurait été accusé d’avoir des liens avec des terroristes sikhs et d’avoir incité à la violence.

 

[6]               Le 8 juin 2007, le demandeur a été relâché grâce à l’intervention de dignitaires de son village et par suite du paiement d’un pot‑de‑vin par son père.

 

[7]               Le 20 janvier 2008, le demandeur aurait été arrêté, détenu et torturé relativement à des accusations de collaboration avec des terroristes conspirant pour attaquer le DSS. Il affirme avoir été battu, s’être fait étirer les jambes et passer un rouleau compresseur sur les cuisses. Il a été relâché après l’intervention de dignitaires, son père a versé un pot‑de‑vin, il a signé des papiers en blanc et il a promis de ne plus prêcher contre DSS et de se rapporter chaque mois.

 

[8]               Le demandeur affirme que les accusations ont été portées par des autorités, mais qu’elles n’étaient pas officielles et qu’aucune accusation criminelle n’a été portée contre lui.

 

[9]               Le 18 février 2008, le demandeur a quitté l’Inde grâce à un visa canadien obtenu en novembre 2007. Le 7 juillet 2008, il a présenté une demande d’asile.

 

[10]           En mars, juillet et septembre 2008, la police aurait visité le domicile du demandeur en Inde, harcelé les membres de sa famille et déclaré qu’il s’entraînait à devenir un terroriste au Canada.

 

[11]           Le 19 juillet 2008, un agent de l’immigration s’est entretenu avec le demandeur [entrevue de premier contact].

 

[12]           En mars 2012, le demandeur a modifié son Formulaire de renseignements personnels (FRP) pour y préciser qu’il avait quitté l’Inde avec l’aide d’un agent.

 

IV. Décision contrôlée

[13]           La SPR n’a pas trouvé crédible que le demandeur ait été arrêté, détenu et torturé relativement à des accusations de terrorisme. La SPR a remis en question les déclarations faites par le demandeur durant l’entrevue de premier contact selon lesquelles les autorités ne le cherchaient pas, qu’il avait été uniquement accusé d’avoir provoqué un soulèvement contre le gouvernement lors de sa première arrestation, et que la police l’avait menacé de mort. La SPR a conclu que les deux premières allégations ne concordaient pas avec son témoignage selon lequel les autorités continuaient de le rechercher en Inde et qu’il avait été accusé d’être lié à des terroristes sikhs lors des deux arrestations. La SPR a conclu que le fait qu’il n’a pas mentionné les menaces de mort proférées par la police dans son FRP nuisait à sa crédibilité puisqu’il avait déclaré, lors de son entrevue de premier contact, que c’étaient ces menaces qui l’avaient contraint à demander l’asile.

 

[14]           La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle la confusion avait fait en sorte qu’il avait omis de dire que la police continuait d’être à sa recherche, car il avait été interrogé à ce sujet précisément lors de l’entrevue de premier contact et que la persécution par la police était au cœur de sa demande. Il était également invraisemblable qu’il ne mentionne pas les accusations relatives à la participation à des activités terroristes, même s’il n’avait pas été spécifiquement interrogé à ce sujet lors de l’entrevue de premier contact. Le demandeur a tenté d’attribuer l’absence de mention des menaces de mort dans son FRP à son avocat, ce que la SPR a également rejeté, car il avait aussi omis de les mentionner spontanément à l’audience.

 

[15]           La SPR est arrivée à une conclusion générale négative quant à la crédibilité parce que le demandeur : i) a modifié son FRP pour y inclure de l’information qu’il connaissait au moment où il l’a initialement signé en juillet 2008; ii) a omis de préciser dans son FRP en juillet 2008 qu’il avait quitté l’Inde avec l’aide d’un agent; iii) n’a pas tenté de changer d’adresse après avoir été libéré une première fois le 8 juin 2007, malgré qu’il aurait été torturé; iv) n’a pas précisé dans son FRP ni affirmé spontanément lors de son témoignage à l’audience devant la SPR ce qu’il avait fait à Delhi après avoir été libéré une seconde fois le 22 janvier 2008; v) a affirmé qu’il avait prêché à Karnal jusqu’à sa fuite de l’Inde, même s’il cachait prétendument à Delhi après avoir été libéré une seconde fois et était soupçonné de comploter en vue de tuer le chef Dera Sucha Suda ou d’avoir des liens avec des terroristes; vi) a célébré un grand mariage peu après avoir prétendument été sévèrement torturé, indépendamment du fait que le demandeur a expliqué que sa culture exige que les mariages planifiés aient lieu peu importe les circonstances; vii) n’aurait probablement pas été relâché s’il avait été soupçonné d’avoir des liens avec des terroristes; viii) a déclaré dans son témoignage que les autorités ne l’avaient pas questionné à propos de ses voyages à l’extérieur du pays pour visiter d’autres sikhs, bien qu’il ait été accusé d’avoir des liens avec des terroristes et d’avoir recruté des jeunes pour les faire participer à des activités terroristes; ix) a tenté d’entrer au Canada avec un visa de travailleur en mai 2007 et en janvier 2008.

 

[16]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait aucune crainte subjective étant donné qu’il avait attendu cinq mois avant de faire une demande d’asile. La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il aurait attendu parce qu’il était démuni et comptait sur les conseils d’autres personnes. La SPR ne jugeait pas crédible non plus que le demandeur, selon son explication, n’ait pas communiqué avec un avocat, avec les autorités canadiennes, avec des associations communautaires ou avec un consultant en immigration parce qu’il s’en remettait aux personnes avec qui il vivait pour le conseiller. La SPR a estimé que s’il avait réellement subi de la torture, il aurait fait une demande d’asile, et ce, à la première occasion.

 

[17]           Après avoir examiné la preuve sur la situation dans le pays en cause, la SPR a relevé des invraisemblances dans les allégations du demandeur. Premièrement, le demandeur est entré au Canada avec un passeport, alors que des éléments de preuve semblent démontrer l’existence d’un contrôle visant à éviter que les personnes présentant une menace à la sécurité nationale ne quittent l’Inde. Bien que son passeport ait été délivré avant qu’il ne soit prétendument soupçonné de liens avec des terroristes, la SPR n’a pas jugé crédible que le demandeur ne se soit pas fait confisquer son passeport, ou qu’il ait pu passer les points de contrôle de sûreté et quitter l’Inde. Deuxièmement, il était invraisemblable qu’il soit relâché grâce à l’intervention de dignitaires du village s’il était soupçonné de liens avec des terroristes. La SPR a cité des documents montrant que le gouvernement indien réagit promptement aux menaces à la sécurité nationale. Troisièmement, si la police avait forcé le demandeur à signer des papiers en blanc, elle aurait pu les utiliser pour produire de faux aveux. Comme le montrent les éléments de preuve relatifs à l’impunité de la police en Inde, celle‑ci aurait pu procéder ainsi pour le détenir et le condamner.

 

[18]           Étant donné ces préoccupations relatives à la crédibilité, la SPR n’a accordé aucun poids aux éléments suivants : i) une lettre du président du gurdwara en Inde où travaillait le demandeur [la lettre]; ii) des affidavits rédigés par une commissaire municipale qui aurait aidé à faire libérer le demandeur lors de ses détentions en juin 2007 et en janvier 2008 [affidavits de Mme Kaur]; iii) un rapport psychologique décrivant son anxiété, sa dépression et ses tendances suicidaires découlant de la torture; iv) une lettre du tribunal australien à propos d’un M. Singh qui, selon les allégations du demandeur, montre que son frère aurait quitté l’Inde à cause de problèmes avec la police.

 

[19]           La SPR a en outre accordé peu de poids au rapport médical rédigé par un médecin de famille sur l’état psychologique et physique du demandeur. La SPR a estimé qu’elle avait accueilli la requête du demandeur de présenter une évaluation médicale établissant qu’il avait été soumis à la torture du rouleau compresseur, sous réserve que les seuls éléments de preuve acceptables proviennent d’un spécialiste à même de diagnostiquer les dommages aux tissus causés spécifiquement par ce type de torture. La SPR a étayé sa conclusion en faisant remarquer que ce rapport médical reposait essentiellement sur le compte rendu de l’expérience du demandeur en Inde, ne témoignait d’aucun examen rigoureux et scientifique, ne comportait aucune radiographie et n’expliquait pas l’origine des cicatrices sur son corps. La SPR a insisté sur l’énoncé suivant du rapport médical : [traduction] « Selon [le demandeur], l’enflure des tissus mous et les ecchymoses qui étaient présentes sur le corps dans le passé ont fini par se résorber et par disparaître au fil du temps, ce qui explique pourquoi elles ne sont plus visibles aujourd’hui » (décision au paragraphe 114; dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 727). La SPR a de plus estimé que, même si le rapport médical avait déterminé que l’état général du demandeur demeurait dans les limites de la normale, la preuve documentaire montre que les personnes soumises à la torture du rouleau compresseur subissent des dommages permanents aux articulations et aux muscles.

 

V. Les questions en litige

[20]           1)   L’analyse de la crédibilité faite par la SPR était‑elle raisonnable?

2)   L’analyse par la SPR de la preuve concernant la situation dans le pays en cause était‑elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[21]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Thèse des parties

[22]           Le demandeur affirme que la SPR a conclu que les sikhs ne sont pas persécutés en Inde. S’appuyant sur la preuve concernant la situation dans le pays en cause et sur la jurisprudence, il soutient que les sikhs sont victimes de persécution généralisée et d’impunité policière en Inde.

 

[23]           Le demandeur conteste les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et affirme que la SPR a ignoré les éléments de preuve montrant qu’il était victime d’impunité policière, de terrorisme et de torture en Inde. Son récit était vraisemblable étant donné la preuve relative à la situation dans le pays à l’égard de l’impunité policière et de la torture, la preuve incontestée qu’il est un prêcheur sikh, les protestations et la violence dans la province du Haryana à l’encontre du DSS et la violence contre les sikhs au Pendjab et en Inde. 

 

[24]           Selon le demandeur, il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que son témoignage, son FRP et son entrevue de premier contact contenaient des incohérences et des invraisemblances. Le demandeur affirme que son entrevue de premier contact ne contredit pas son témoignage ou son FRP et qu’il était déraisonnable de conclure qu’il n’aurait pas été libéré s’il avait été accusé de terrorisme ou qu’il aurait changé d’adresse s’il avait été torturé.

 

[25]           Le demandeur est également d’avis que les affidavits et les rapports médicaux qu’il a présentés appuient ses allégations selon lesquelles il a été torturé par la police. Le demandeur fait valoir qu’il est déraisonnable d’accorder peu d’importance au rapport sur son état psychologique et au rapport médical au motif qu’ils reposent sur son propre compte rendu de la torture. La valeur probante de ses preuves d’ordre médical l’emporte sur les omissions et les incohérences mineures relevées au dossier.

 

[26]           Le défendeur fait valoir de son côté que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR étaient raisonnables compte tenu des omissions, des contradictions et des invraisemblances au dossier. Selon le défendeur, l’évaluation de la crédibilité, qui reposait sur le sens commun, la raison et la perception du comportement humain du membre du tribunal, a fait ressortir des incohérences et des invraisemblables de la preuve. La SPR pouvait raisonnablement s’appuyer sur les déclarations tirées de l’entrevue de premier contact, les omissions et les modifications apportées au FRP.

 

[27]           Le défendeur soutient aussi que la SPR pouvait raisonnablement tenir compte du délai qui s’est écoulé avant que le demandeur ne présente une demande d’asile et de la crainte subjective au moment d’évaluer sa crédibilité.

 

[28]           Le défendeur affirme en outre que la preuve du demandeur ne corrobore pas son compte rendu des faits. Des certificats médicaux décrivant l’hospitalisation d’une personne ou ses blessures physiques n’établissent pas l’origine de ces blessures. Selon le défendeur, comme la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, elle avait le droit de n’accorder aucune valeur probante aux autres preuves documentaires. De l’avis du défendeur, une analyse globale de la crédibilité générale du demandeur suffit à justifier le refus d’accorder une valeur probante aux affidavits et aux documents médicaux présentés par le demandeur.

 

[29]           En réponse aux arguments du demandeur sur la situation générale en Inde, le défendeur fait valoir que la preuve relative à la situation dans le pays en cause ne permet pas à elle seule de démontrer qu’une personne craint avec raison d’être persécutée ni qu’elle a besoin de protection. Un demandeur doit démontrer qu’il existe un lien entre sa situation personnelle et la situation générale dans son pays d’origine, ce que le demandeur n’a pas fait.

 

VIII. Analyse

La norme de contrôle

[30]           La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité et à l’évaluation de la situation dans le pays en cause (Csonka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1056).

 

[31]           Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la SPR ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour satisfaire à cette norme, la décision doit également appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

1)   L’analyse de la crédibilité faite par la SPR était‑elle raisonnable?

[32]           L’évaluation de la crédibilité faite par la SPR était raisonnable. Elle était énoncée en [traduction] « termes clairs et explicites » et ses motifs faisaient « état de la preuve en termes clairs et non équivoques » (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (QL/Lexis) (CAF), au paragraphe 6; Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 81 FTR 303, au paragraphe 14).

 

[33]           La SPR est en droit de se fonder sur des incohérences au dossier pour conclure qu’un demandeur n’est pas crédible (Kambanda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1267).

 

[34]           Le demandeur a déclaré dans son entrevue de premier contact qu’il n’était pas recherché par la police à l’heure actuelle en Inde et que la police avait menacé de le tuer; or, il a affirmé par la suite que la police avait continué d’être à sa recherche après son départ de l’Inde et il n’a évoqué les menaces de mort qu’elle avait proférées ni dans son FRP ni dans son témoignage devant la SPR (DCT, aux pages 606‑607, 737 et 812). De plus, le demandeur a expressément déclaré dans son entrevue de premier contact qu’il avait été accusé d’avoir provoqué un soulèvement contre le gouvernement lors de sa première arrestation et d’avoir des liens avec des terroristes lors de sa deuxième arrestation; cela ne concorde pas avec les affirmations contenues dans le FRP selon lesquelles il avait été accusé d’avoir des liens avec des terroristes lors de sa première et de sa deuxième arrestation (DCT, aux pages 606, 480 et 806).

 

[35]           La SPR pouvait se fonder sur ces incohérences. Elles étaient raisonnablement liées à la crédibilité du demandeur et suffisamment importantes pour nuire à sa crédibilité étant donné que l’impunité policière était un élément central de sa demande. De telles incohérences ne résultent pas du fait « d’examiner à la loupe des questions accessoires » (Kambanda, précitée, au paragraphe 42).

 

[36]           La SPR peut également, au moment d’évaluer la crédibilité, se fonder sur les modifications apportées au FRP d’un demandeur auxquelles il n’existe pas d’explication raisonnable et sur les omissions dans le FRP (Lugo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1297, au paragraphe 72; Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1385, au paragraphe 10). Le demandeur a modifié son FRP pour y ajouter qu’il était venu au Canada à l’aide d’un agent (DCT, à la page 728). Le demandeur a également omis de faire état de son retrait temporaire à Delhi après sa deuxième arrestation, une omission décisive, car le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait pris l’avion pour Delhi pour ne plus se faire harceler par la police à Karnal (DCT, à la page 766).

 

[37]           La SPR peut aussi tirer des inférences négatives quant à la crédibilité d’après les invraisemblances qui ressortent du récit du demandeur à la lumière des autres preuves et de la propre perception du comportement humain du membre du tribunal (Mpema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 840, au paragraphe 12). La SPR pouvait raisonnablement conclure qu’il est invraisemblable : i) que le demandeur ait été libéré grâce à l’intervention de dignitaires du village alors qu’il avait été soupçonné d’avoir des liens avec des terroristes, compte tenu de la preuve sur la situation dans le pays qui montre que la police indienne poursuit les militants sikhs, et l’allégation du demandeur selon laquelle il aurait signé des papiers en blanc dont la police aurait pu se servir pour fabriquer une fausse déclaration de culpabilité; ii) que la police indienne n’ait pas interrogé le demandeur au sujet de ses voyages à l’extérieur du pays alors qu’il était soupçonné de recruter de jeunes sikhs aux fins du terrorisme; iii) que le demandeur puisse quitter l’Inde avec son passeport s’il était soupçonné d’avoir des liens avec des terroristes compte tenu des procédures de contrôle de sûreté visant les départs internationaux dans les aéroports indiens (DCT, aux pages 142, 481 et 413).

 

[38]           Puisque la crédibilité du demandeur a été globalement mise en cause, la SPR pouvait conclure à l’absence de crainte subjective du délai s’étant écoulé avant que le demandeur ne présente sa demande d’asile (Khazaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 13, au paragraphe 51). Il y aurait raisonnablement lieu de conclure que, si le demandeur avait été réellement exposé à un risque, il aurait entrepris des démarches pour obtenir la protection de l’État à son arrivée au Canada.

 

[39]           La SPR pouvait raisonnablement accorder peu de valeur probante au certificat médical indien décrivant les [traduction] « douleurs, enflures, ecchymoses et contusions » observées chez le demandeur en juin 2007 et les [traduction] « ecchymoses et les éraflures sur ses jambes, ses cuisses, ses épaules et son dos » observées en janvier 2008 (DCT, à la page 636). Le certificat ne précise pas la cause de ces blessures et ne corrobore pas nécessairement son allégation de torture « par ailleurs non crédible » (Sanaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 744, au paragraphe 12). La lettre des autorités australiennes ne permet pas non plus nécessairement de conclure que le demandeur et sa famille risquent d’être persécutés, car elle ne fait état d’aucune allégation de torture (DCT, à la page 691).

 

[40]           Étant donné que la SPR n’a pas prêté foi aux allégations du demandeur qui affirmait avoir été arrêté, détenu et torturé, elle pouvait à sa discrétion accorder peu de valeur probante au rapport du psychologue sur l’état de stress post‑traumatique et la dépression majeure du demandeur, ainsi qu’à la lettre, et aux affidavits rédigés par Mme Kaur (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1097, au paragraphe 38).

 

[41]           Enfin, la SPR pouvait raisonnablement accorder peu de poids au rapport médical daté du 19 mai 2012, car le rapport n’établit pas que la torture par la méthode du rouleau compresseur ou méthode ghotna a laissé des séquelles à long terme sur les articulations et les muscles du demandeur (DCT, aux pages 527 et 725). Étant donné que le rapport ne corrobore pas les allégations du demandeur selon lesquelles il aurait été torturé par cette méthode, la SPR avait raison de lui accorder peu de valeur probante.

 

2)   L’analyse par la SPR de la preuve concernant la situation dans le pays en cause était‑elle raisonnable?

 

[42]           Compte tenu des conclusions raisonnables de la SPR relativement à la crédibilité, le demandeur n’a pas établi le lien nécessaire entre sa situation personnelle et celle des militants et activistes sikhs en Inde (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 453, au paragraphe 20). Par conséquent, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’analyse qu’a faite la SPR de la preuve concernant la situation dans le pays en cause.

 

IX. Conclusion

[43]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée. Aucune question de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7020‑12

 

INTITULÉ :                                                  INDERJEET SINGH c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 27 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lyne Prince

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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