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Date : 20130312

Dossier : IMM-3266-12

Référence : 2013 CF 260

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B399

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               Le défendeur est un homme tamoul originaire du Sri Lanka qui est arrivé au Canada en 2010 à bord du navire à moteur Sun Sea (le Sun Sea). En application d’une ordonnance de la Cour, dans les présentes, il sera appelé B399 plutôt que par son nom.

 

[2]               B399 a demandé l’asile puis, en 2012, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que B399 craignait avec raison d’être persécuté au Sri Lanka. La Commission a conclu que B399 était exposé à un risque à cause de son appartenance à un groupe social, à savoir les hommes tamouls qui étaient passagers du Sun Sea. Je note que les autorités sri-lankaises estiment que les passagers de ce navire sont liés aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et qu’elles en font la cible de harcèlement, d’agression et de torture à leur retour au Sri Lanka.

 

[3]               Le ministre soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que B399 est membre d’un groupe social. Il affirme aussi que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui démontrent qu’il était peu probable que B399 soit considéré comme un sympathisant des TLET. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner que la demande de B399 soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci effectue un nouvel examen.

 

[4]               Je suis moi aussi d’avis que la Commission a commis une erreur en concluant que B399 est membre d’un groupe social. Cependant, la Commission avait aussi soulevé un motif subsidiaire justifiant d’accueillir la demande de B399 : la crainte de ce dernier d’être persécuté en raison de son origine ethnique ou de ses opinions politiques présumées. Par ailleurs, je ne peux pas conclure que la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

 

            1.         La conclusion de la Commission selon laquelle B399 est membre d’un groupe social est-elle déraisonnable?

            2.         La Commission a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve pertinents à l’égard des risques auxquels B399 serait exposé s’il retournait au Sri Lanka?

 

II.        Le contexte factuel

 

[6]               Au cours des 20 dernières années, B399 a eu maille à partir à de nombreuses reprises avec les TLET et l’armée sri-lankaise. Au début des années 1990, le conflit dans la péninsule de Jaffna a forcé la famille de B399 à vivre dans un camp de réfugiés. Au milieu de cette décennie, l’armée sri-lankaise a tenté de prendre le contrôle de la péninsule de Jaffna. Un cousin de B399 a été tué lors de bombardements. Peu après cet incident, la famille s’est réinstallée à Killinochchi.

 

[7]               Lorsqu’un traité de paix a été signé, en 2002, B399 et sa famille sont retournés à Jaffna. Toutefois, leur maison et leur équipement de pêche ont été détruits lors du tsunami de 2004.

 

[8]               En 2006, le conflit a éclaté de nouveau et les TLET ont lancé une nouvelle campagne de recrutement. B399 a voulu éviter d’être enrôlé, d’abord en pêchant durant le jour et en se cachant la nuit, puis en déménageant au village d’Udappu avec ses parents. En chemin, la famille a été interceptée à un certain nombre de postes de contrôle des TLET et de l’armée sri-lankaise. Chaque fois, ils ont été interrogés puis relâchés.

 

[9]               Après un certain temps, B399 a déménagé à Colombo, alors que le reste de sa famille est retourné à Jaffna. Toutefois, les Tamouls étaient ciblés à Colombo et B399 est retourné à Udappu. Comme la situation n’était pas meilleure à Udappu, l’oncle de B399 a pris des mesures pour que ce dernier se rende en Thaïlande. B399 a quitté le Sri Lanka en 2008 et il s’est inscrit auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Thaïlande. Le conflit au Sri Lanka avait pris fin en 2009, mais B399 s’est embarqué sur le Sun Sea en destination du Canada, où il est arrivé en août 2010.

 

III.       La décision de la Commission

 

[10]           La Commission a conclu que B399 était généralement crédible, malgré qu’il ait embelli sa demande en prétendant avoir été forcé de s’entraîner avec les TLET durant une semaine.

 

[11]           La Commission s’est penchée sur les éléments de preuve relatifs à la manière dont sont traités les Tamouls qui sont renvoyés au Sri Lanka, particulièrement le cas des passagers du Sun Sea. Elle a conclu que le secrétaire à la Défense du Sri Lanka croit que le périple du Sun Sea visait à amasser des fonds pour les TLET et que les passagers du navire étaient liés à ce groupe.

 

[12]           La Commission a passé en revue les éléments de preuve relatifs au traitement de Tamouls renvoyés au Sri Lanka et elle a conclu que la situation était incertaine. Certaines organisations rapportent que les personnes expulsées courent le risque d’être arrêtées ou détenues et que les demandeurs d’asile déboutés sont la cible d’agressions physiques. Par contre, d’autres groupes ont conclu que les personnes renvoyées au Sri Lanka sont simplement interrogées, puis relâchées. La Commission a accordé plus de poids aux éléments de preuve provenant de la première catégorie, car les autres venaient de groupes qui avaient obtenu la permission d’observer la conduite des autorités sri-lankaises. La Commission a estimé que les fonctionnaires sri-lankais auraient adopté une attitude plus bénigne en présence d’observateurs internationaux.

 

[13]           Compte tenu de la preuve, la Commission a conclu que B399 serait vraisemblablement interrogé à son arrivée au Sri Lanka. De plus, puisque B399 serait identifié comme l’un des passagers du Sun Sea, il serait soupçonné d’être un sympathisant des TLET. Par conséquent, il risquerait d’être victime de harcèlement, de violence ou de torture.

 

[14]           La Commission a donc conclu que B399 pouvait craindre avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social précis : les passagers du Sun Sea.

 

IV.       Question 1 : La conclusion de la Commission selon laquelle B399 est membre d’un groupe social est-elle déraisonnable?

 

[15]           Le ministre soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle les passagers du Sun Sea sont membres d’un groupe social est déraisonnable.

 

[16]           Après l’audition de la demande de contrôle judiciaire en cause, la Cour a rendu la décision Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c B380, 2012 CF 1334 [B380]. Dans cette décision, le juge en chef Paul Crampton a conclu que la Commission avait commis une erreur en concluant que les passagers du Sun Sea constituent un groupe social. Plus précisément, le juge en chef Crampton a conclu que les passagers du Sun Sea ne peuvent pas être considérés comme membres d’un groupe « associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique », une catégorie reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 70. Selon le juge en chef Crampton, cette catégorie n’est pas assez large pour inclure les personnes qui se réunissent dans le bus ultime de demander l’asile au Canada. Cette catégorie correspond plutôt aux groupes qui sont identifiables en raison de caractéristiques innées ou immuables qui sont liées à la discrimination ou aux droits de la personne (paragraphes 23 et 24 de la décision B380).

 

[17]           Dans l’affaire B380, le demandeur n’a pas pu demander l’asile sur le fondement de son origine ethnique ou de ses opinions politiques présumées, car la Commission n’avait pas cru son récit des faits qui avaient mené à son départ du Sri Lanka. Bien que l’on puisse considérer que certains passagers du Sun Sea sont liés aux TLET, rien ne donnait à penser que c’était le cas de B380.

 

[18]           Les juges de la Cour fédérale appliquent les décisions de leurs collègues, sauf lorsqu’il s’agit d’une décision manifestement erronée ou qu’il existe des raisons convaincantes de ne pas le faire. Je ne vois aucune raison d’écarter la conclusion du juge en chef Crampton selon laquelle les passagers du Sun Sea ne constituent pas un groupe social. Je dois donc conclure que l’interprétation contraire de la Commission était déraisonnable.

[19]           Toutefois, ma conclusion ne tranche pas la demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, contrairement à ce qui était arrivé dans l’affaire B380, la Commission a conclu que B399 risquait d’être persécuté en raison de son origine ethnique ou de ses opinions politiques présumées. Malheureusement, les conclusions de la Commission ne sont pas des plus claires. Néanmoins, le passage suivant des motifs de la Commission appuie l’argument de B399 selon lequel la Commission n’avait pas fondé sa décision sur le seul motif de l’appartenance de B399 au groupe social formé des passagers du Sun Sea :

[…] il est très probable que le demandeur d’asile sera détenu et interrogé […] au moment de son retour au Sri Lanka. […] Le tribunal estime que les autorités soupçonneront que le demandeur d’asile a des liens avec les TLET. Les documents sur le pays indiquent que les autorités du Sri Lanka continuent de soumettre à des actes de violence graves, y compris la torture, les Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET.

 

[20]           Cette conclusion rend la présente affaire différente de l’affaire B380. Dans l’affaire B380, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve donnant à penser que les autorités sri-lankaises auraient considéré le demandeur comme étant lié aux TLET ou que ce dernier aurait couru un risque de persécution pour toute autre raison que sa présence sur le Sun Sea. Comme l’a souligné le juge en chef Crampton, il s’agissait du seul motif pour lequel la demande d’asile aurait pu être accueillie, car la Commission avait jugé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible. Ainsi, dans l’affaire B380, la seule question en litige était de savoir si le demandeur risquait d’être persécuté parce qu’il avait été passager sur le Sun Sea. En l’espèce, la demande d’asile de B399 est fondée sur des motifs plus larges, quoiqu’ils puissent chevaucher ceux de l’affaire B380. En outre, la Commission a jugé que le témoignage de B339 au sujet de ces motifs était crédible.

 

[21]           Par conséquent, bien que la conclusion de la Commission selon laquelle B399 était membre d’un groupe social – les passagers du Sun Sea – soit déraisonnable, cette partie de la décision n’a aucune incidence sur la conclusion de la Commission selon laquelle B399 craignait avec raison d’être persécuté parce qu’il était un jeune homme tamoul soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. Cependant, il reste à décider si la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve qui contredisaient cette conclusion. Il s’agit de la deuxième question en litige soulevée par la demande de contrôle judiciaire.

V.        Question 2 : La Commission a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve pertinents à l’égard des risques auxquels B399 serait exposé s’il retournait au Sri Lanka?

 

[22]           Le ministre soutient que la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve qui démontrent qu’il est peu probable que les autorités sri-lankaises soupçonneraient B399 d’être lié aux TLET. B399 a déjà été interrogé par les autorités sri-lankaises et, comme il l’a lui-même reconnu, elles ont conclu qu’il n’avait aucun lien avec les TLET. De plus, les autorités ont laissé B399 quitter le Sri Lanka avec un passeport authentique pendant une période où elles recherchaient activement les membres des TLET. Rien ne permet de conclure que les autorités sri-lankaises considèrent que tous les passagers du Sun Sea sont liés aux TLET. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ne considère pas que tous les Tamouls qui retournent au Sri Lanka sont exposés à des risques. Par conséquent, la Commission n’avait pas de raison valable de rejeter les rapports d’observateurs internationaux selon lesquels les personnes renvoyées au Sri Lanka sont traitées équitablement.

 

[23]           Je ne peux pas conclure que la Commission a traité ces éléments de preuve de manière déraisonnable. La Commission a examiné tous les éléments de preuve fournis par B399 relativement à ses antécédents et à ses circonstances personnelles, à l’attitude des autorités sri-lankaises envers les passagers du Sun Sea qui sont retournés au Sri Lanka ainsi qu’au traitement réservé aux passagers qui sont considérés comme des sympathisants des TLET. La Commission a aussi expliqué pourquoi elle avait donné plus de poids aux rapports de sources indépendantes qu’à ceux des observateurs internationaux. À mon avis, la Commission a fait une analyse approfondie et a donné des motifs transparents, intelligibles et justifiés.

 

VI.       Conclusion et décision

 

[24]           Bien que la conclusion de la Commission selon laquelle B399 faisait partie d’un groupe social soit déraisonnable, la Commission a tout de même conclu que B399 risquait d’être persécuté en raison de son origine ethnique ou de ses opinions politiques présumées. Cette dernière conclusion était fondée sur le témoignage crédible de B399 au sujet de son expérience au Sri Lanka avant son départ et sur les éléments de preuve relatifs au traitement des Tamouls qui retournent dans ce pays. La Commission a tenu compte des éléments de preuve pertinents et a expliqué pourquoi elle avait donné plus de poids à certaines sources qu’à d’autres. La décision, prise dans son ensemble, appartient donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision de la Commission n’est pas déraisonnable.

 

[25]           Les parties ont présenté de courtes observations orales au sujet de potentielles questions de portée générale. Toutefois, compte tenu des fondements de ma décision sur la demande de contrôle judiciaire, il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                             IMM-3266-12

 

INTITULÉ :                                      MCI

                                                            c

                                                            B399

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le12 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline Christiaens

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Douglas Cannon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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