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Date : 20121206

Dossier : T‑859‑12

 

Référence : 2012 CF 1442

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

LE CONSEIL DES MOHAWKS D’AKWESASNE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MOHAWKS

D’AKWESASNE, Y COMPRIS SANDRA BOOTS, FREDERICK DAVID JOCK, DOROTHY COLE, CLARISSA COOK, KATSITSIKWAS LAZORE, CHARLES DELORMIER, SHAILEI S. SQUARE,

GERALD BRADLEY GEORGE,

PAULINE THOMPSON, LORENE H. HERNE,

MARK MITCHELL, FELICIA SUNDAY,

PAULINE LOIS TERRANCE,

LUCILLE ROUNDPOINT, CONNIE HALL,

BEVERLY TERRANCE, JOEY TEHORON:IO DAVID, STEVEN THOMAS, KARAKWENTA LAZORE, REGINA JACOBS,  BARBARA BARNES,

BEVERLY THOMPSON, THERESA TERRANCE, HARVEY BOOTS, CHELSEA RAE OAKES,

LARRY ARONHIAIES HERNE, MELVENA SWAMP, STEPHANIE JOHNSON, JASON et TRACY LEAF, WILFRED DAVID, NELSON LEAF,

BARRY CURTIS THOMPSON, ROBERT GILBO, THERESA THOMPSON, ELIZABETH LAZORE, DANIEL GARROW, DEBORAH L. DAVID,

WAYLON DAVID WHITE, KATHY HERNE,

ARLENE THOMAS, PAUL THOMAS,

ROSEMARY SQUARE, DAVID HERNE,

E. PELLETIER, DEBBIE FRANCIS,

TESS BENEDICT, COREY BOUGH,

KRISTIN et KAREN COOK‑FRANCIS,

RICHARD THOMPSON, KRISTIN RANSOM,

DONNA DELORMIER, STEVEN JOHNSON,

CARRIE LAZORE, HOLLEY BOOTS, IDA THOMAS,

OREN THOMPSON, ROXANNE BURNET,

OWEN LEAF, WARREN THOMPSON,

DAVID DELORMIER, MARGARET KING,

VERONICA JACOBS, CARL BERO,

EDITH MCDONALD, SUSAN BENEDICT‑SQUARE, DONALD DELORMIER, DONNA JOCKO,

TOBY ROUNDPOINT, ERIN ROURKE,

TAMMY LYNN DAVID,

JAKE AND FRENDA LAFRANCE, LARRY DAVID, KRYSTAL BOOTS, JOEY DAVID,

DONALD DELORMIER,

DONNA MARIE THOMPSON RANSOM,

JASMINE BENEDICT, BRUCE TARBELL,

MICHAEL RANDY MITCHELL,

FREDERICK MITCHELL, DACY THOMPSON,

TIA THOMPSON, KIMBERLY JACOBS,

RONALD THOMPSON, WATHAHONNI MITCHELL, CARRIE FRANCIS‑SQUARE, MARIA COLON, ALEXANDER DELORMIER, THERESA ADAMS,

JAKE LAFRANCE, SUSAN WHITE,

STEVEN JOHNSON, CARRIE DELORMIER,

JORDAN MITCHELL, MYRON CLUTE,

MARY FRANCIS, KIMBERLY et TIA BURNS,

CECELIA CONNIE FRANCIS, EDWARD PORTER JR., ROXANNE PETERS, ORLANDA LAZORE,

VICTOR MARTIN, ABRAHAM GRAY,

BOBBY LAFFIN, BARRY BRADLEY,

LILA CALDWELL, LOUISE DIABO, LEIGHANN NEFF, TIMOTHY KING, LORRAINE THOMPSON,

DEVON OAKES, JOHN PETERS, RACHEL SQUARE , SEAN LEONARD, THOMAS JOHNSON,

JOHN FRANCIS, ROGER LAZORE,

HARLEY CHUBB, BRENDA DAVID

 

 

demandeurs

 

et

 

 

L’HONORABLE VIC TOEWS, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, ET L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une requête conjointe présentée en application du paragraphe 220(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) afin que soit rendue une décision préliminaire sur un point de droit. La requête s’inscrit dans le cadre de deux instances parallèles introduites par les demandeurs contre les défendeurs – une action et une demande – par suite de la saisie de leurs véhicules par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) en application de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl).

 

[2]               Dans le cadre de l’action, les demandeurs interjettent appel, en application de l’article 135 de la Loi sur les douanes, des décisions prises par le gestionnaire, Division des appels, Direction des recours, de l’ASFC (le gestionnaire) à la suite d’une demande formulée en vertu de l’article 131 de la Loi sur les douanes. Dans ces décisions, le gestionnaire a confirmé qu’il y avait eu, quant aux véhicules saisis, infraction à cette loi. Dans le cadre de la demande, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire des décisions par lesquelles le gestionnaire, en application de l’article 133 de la Loi sur les douanes, a maintenu le montant fixé pour la restitution du moyen de transport dans chaque affaire. Les deux instances mettent en jeu essentiellement les mêmes questions de fait et de droit.

 

[3]               Pour faciliter la compréhension des présents motifs, l’expression « demandeurs » vise tant les demandeurs dans l’action sous‑jacente que les demandeurs dans la demande de contrôle sous‑jacente.

 

[4]               Les parties ont produit un exposé conjoint des faits et des questions de droit communes (l’exposé conjoint). Conformément au paragraphe 220(2) des Règles et à l’ordonnance rendue le 3 août 2012 par le protonotaire Richard Morneau, le dossier à partir duquel il est statué dans le cadre de la présente requête est constitué de l’exposé conjoint et des observations des parties.

 

I.          Contexte

 

A.        Les parties

 

(1)        Les demandeurs

 

[5]               Les demandeurs sont 115 particuliers membres de la bande des Mohawks d’Akwesasne ainsi que le gouvernement communautaire élu de la bande, le Conseil des Mohawks d’Akwesasne (Le CMA). Le CMA dirige les affaires locales des Mohawks d’Akwesasne et il traite en leur nom avec le gouvernement, y compris dans le cadre de la présente procédure.

 

[6]               Les Mohawks d’Akwesasne et le CMA sont respectivement reconnus en tant que « bande » au Canada et « conseil de la bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5. En outre, les particuliers membres de la bande des Mohawks d’Akwesasne en l’espèce sont reconnus en tant qu’« Indiens » au sens de cette loi, et le groupe est reconnu en tant que « peuple autochtone » au sens de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11. Les terres de réserve des Mohawks d’Akwesasne chevauchent les provinces d’Ontario (la réserve no 59) et de Québec (la réserve no 15) et l’État de New York.

 

[7]               Les parties ont convenu qu’aux fins de la présente décision préliminaire, chaque demandeur était le propriétaire légitime d’un véhicule saisi par l’ASFC et qu’à tous les moments pertinents, il résidait habituellement dans une réserve canadienne.

 

(2)        Les défendeurs

 

[8]               Les défendeurs sont le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) et l’un des organismes qui relèvent de son autorité, l’ASFC. Celle‑ci compte parmi ses responsabilités la mise en œuvre de la « législation frontalière », laquelle comprend la Loi sur les douanes.

 

[9]               L’ASFC est constituée de six directions générales, la plus pertinente pour nos fins étant la Direction générale des services intégrés, dont fait partie la Direction des recours, qui comprend à son tour trois divisions : (i) la Division des appels, (ii) la Division des litiges, recours externes et plaintes, et (iii) la Division de la planification et des politiques de retour. La Division des appels statue sur les différends liés à diverses mesures d’exécution prévues par la Loi sur les douanes, notamment les saisies, les confiscations compensatoires et les sanctions administratives pécuniaires. Les questions concernant les montants fixés pour la restitution de moyens de transport en cas d’infraction relèvent également de sa responsabilité.

 

[10]           Sous la direction du ministre, le président de l’ASFC est chargé de la gestion de l’agence et de tout ce qui s’y rattache. En 2008 et en 2010, il a signé des documents d’information sur la délégation de pouvoirs, accessibles au public, énonçant à qui précisément, et à l’égard de quelles décisions, il déléguait l’exercice en son nom de ses responsabilités en matière de recours. On mentionne dans l’exposé conjoint des parties que, selon le document d’information sur la délégation de 2010, le président de l’ASFC avait l’intention de déléguer tous les pouvoirs dont il disposait pour rendre des décisions dans le cadre du processus d’appel établi aux articles 131 et 133 de la Loi sur les douanes.

 

a)         La situation géographique et le point d’entrée de Cornwall

 

[11]           La zone du couloir Cornwall (Ontario) – Rooseveltown (New York) est l’épicentre du différend. Le fleuve Saint‑Laurent coule entre les deux villes, qui sont également séparées par l’île Cornwall. Deux ponts relient cette île à la terre ferme sur l’une et l’autre rive du Saint‑Laurent : le « pont des Trois Nations » la relie à la ville de Cornwall, au nord, et le « pont international » à l’État de New York, au sud. L’île Cornwall est entièrement située au Canada; la frontière avec les États‑Unis passe par le pont international.

 

[12]           Comme nous l’avons indiqué, les terres de réserve des Mohawks d’Akwesasne s’étendent de part et d’autre des frontières interprovinciale et internationale. La réserve no 15 au Québec compte deux districts, soit ceux de « Tsi‑Snaihne » (Chanail) et du village de Saint‑Régis (Kanatakon). L’île Cornwall (Kawehnoke) est entièrement située dans la réserve no 59 en Ontario. La seule façon pratique de se rendre par terre entre les réserves no 15 et 59 consiste à passer par les États‑Unis en traversant le pont international. Les parties ont précisé que la distance entre l’île Cornwall et le village de Saint‑Régis, en utilisant le pont international, était de 15 kilomètres. Passer par un autre point d’entrée augmente d’environ 130 kilomètres le trajet entre les deux districts.

 

[13]           Jusqu’au 31 mai 2009, le point d’entrée de l’île Cornwall se trouvait sur le corridor routier à l’intérieur de l’île, entre les deux ponts reliant celle‑ci aux rives nord et sud du Saint‑Laurent. L’ASFC a toutefois fermé ce point d’entrée le 1er juin 2009, en raison de l’opposition au sein de la collectivité à la décision du Parlement de munir ses agents d’armes de poing. L’ASFC avait décidé de doter les agents du point d’entrée de l’île Cornwall de telles armes le 1er juin 2009; après cette fermeture, un nouveau point d’entrée a été installé à l’extrémité nord du pont des Trois Nations, dans la ville de Cornwall. Tous les voyageurs en provenance des États‑Unis qui vont à l’île Cornwall doivent se présenter au point d’entrée de la ville de Cornwall, de même que tous ceux qui vont de l’île Cornwall à la ville de Cornwall, même si l’une et l’autre sont situées au Canada. Le point d’entrée de la ville de Cornwall se trouve à environ trois kilomètres au nord de l’île Cornwall.

 

[14]           Les Mohawks d’Akwesasne doivent traverser fréquemment la frontière entre le Canada et les États‑Unis en raison de la configuration géographique de leurs terres de réserve. Les parties ont reconnu aux fins de la présente requête que jusqu’à 70 p. cent des personnes traversant la frontière au point d’entrée de Cornwall étaient des membres de la collectivité d’Akwesasne. Les parties ont aussi reconnu que ce point d’entrée était le onzième au Canada quant au nombre de personnes qui s’y présentent chaque année. Il y a aussi, selon l’ASFC, un risque élevé d’activités illégales, comme la contrebande, à ce point d’entrée.

 

b)         Les saisies contestées

 

[15]           Entre le 13 juillet 2009, date d’ouverture du point d’entrée de la ville de Cornwall, et le 16 septembre 2009, l’ASFC n’a pas fait respecter activement l’exigence de déclaration à ce point d’entrée imposée par la Loi sur les douanes. Elle a plutôt procédé à une évaluation du taux d’observation de cette exigence. L’ASFC a établi qu’en moyenne, entre le 13 juillet et le 31 août 2009, 42 p. cent des véhicules allant vers le nord depuis l’État de New York et utilisant le pont international pour passer à l’île Cornwall ne se présentaient pas au point d’entrée de Cornwall.

 

[16]           Le 18 septembre 2009, l’ASFC a activement commencé à faire respecter l’obligation de déclaration. Elle a notamment saisi des véhicules qui auraient servi à transporter au Canada des personnes, qui auraient ensuite omis de se présenter au point d’entrée. Entre le 18 septembre 2009 et le 30 avril 2010, on a ainsi saisi un véhicule appartenant à chacun des 115 particuliers demandeurs en l’espèce, pour défaut de s’être conformé à l’exigence de déclaration au point d’entrée prévue par la Loi sur les douanes.

 

[17]           Dans la plupart des cas, on a établi l’inobservation de cette exigence au moyen d’une photographie du véhicule, portant date et heure, prise par une caméra de l’ASFC lors du passage à la douane des États‑Unis à Rooseveltown. On photographiait l’arrière et le côté conducteur des véhicules, y compris les plaques d’immatriculation, mais d’une manière ne permettant pas d’identifier le conducteur, ni de reconnaître nettement les passagers ou le contenu des véhicules.

 

[18]           Lorsqu’un véhicule photographié passait ensuite de l’île Cornwall à la ville de Cornwall par le point d’entrée des heures et parfois des jours plus tard, l’ASFC procédait à sa saisie à titre de confiscation en application des articles 110 et 122 de la Loi sur les douanes. L’agence remettait le véhicule lorsque son conducteur, ou plus fréquemment le CMA, payait la somme fixée pour sa restitution, soit généralement 1 000 $. Dans la plupart des cas également, le propriétaire du véhicule, ou le CMA pour le compte de ce propriétaire, recourait aux mécanismes d’appel prévus par la Loi sur les douanes.

 

c)         Le processus d’appel prévu par la Loi sur les douanes

 

[19]           Les articles 129 à 133 de la Loi sur les douanes établissent le processus permettant d’en appeler, notamment, des mesures d’exécution prises par l’ASFC. Le client qui le souhaite présente une plainte écrite, dans laquelle il demande au ministre de rendre une décision sur la mesure contestée; il reçoit ensuite une lettre lui faisant part du nom et des coordonnées de l’arbitre au sein de la Division des appels chargé de son dossier. L’arbitre examine ensuite la mesure prise, puis envoie une nouvelle lettre qui explique au client les motifs de la mesure de même que les rapports de l’agent en cause. Le client a alors la possibilité de présenter d’autres observations avant que la décision définitive ne soit rendue. L’arbitre examine l’ensemble des éléments de preuve et des règles applicables, puis fait une recommandation à un autre employé de la Division des appels de l’ASFC à qui le ministre a délégué le pouvoir de rendre la décision définitive.

 

[20]           Lorsque le ministre décide, conformément à l’article 131 de la Loi sur les douanes, qu’il y a eu infraction à la Loi, il peut prendre, à l’égard de la mesure d’exécution, les mesures énoncées à l’article 133. Plus précisément, le ministre a le pouvoir discrétionnaire a) de restituer le moyen de transport sur réception d’un certain montant, b) de restituer toute fraction des montants ou garanties reçus ou c) de réclamer un montant ou une garantie supplémentaire. Le paragraphe 133(3) prévoit que la restitution du moyen de transport par l’ASFC s’effectue, le cas échéant, sur réception a) soit de sa contre‑valeur au moment de la saisie, b) soit du montant inférieur que le ministre ordonne. Il y a lieu de noter qu’au paragraphe 2(1) de la Loi sur les douanes, un « moyen de transport » est défini comme « [t]out véhicule, aéronef, navire ou autre moyen servant au transport des personnes ou des marchandises ».

 

[21]           Pour contester une décision prise par le ministre en application de l’article 133 de la Loi sur les douanes, le recours approprié est une demande de contrôle judiciaire. L’article 135 prévoit pour sa part la possibilité d’interjeter appel par voie d’action devant la Cour d’une décision prise par le ministre en application de l’article 131.

 

[22]           En l’espèce, on a eu essentiellement recours à la procédure d’appel suivante dans le dossier de chaque demandeur, selon l’exposé conjoint des parties (exposé conjoint, au paragraphe 44) :

[traduction]

i.          Un agent de l’ASFC du point d’entrée de Cornwall a saisi le véhicule (désigné sous le nom de « moyen de transport » dans la LD) après que celui‑ci eut été utilisé en contravention de l’article 11 de la LD et des dispositions pertinentes du Règlement de 2003 sur l’obligation de se présenter à un bureau de douane;

 

ii.         Le conducteur/propriétaire du véhicule a été avisé du motif de la saisie (au moyen d’un « reçu de saisie »). Le reçu de saisie expose les divers recours qui s’offrent au conducteur/propriétaire et à tout tiers qui dispose d’un droit sur le véhicule.

 

iii.                Le conducteur/propriétaire a eu la possibilité d’acquitter le montant fixé pour la remise du véhicule – 1 000 $ dans la plupart des cas.

 

iv.                Sur paiement du montant fixé, le véhicule a été remis au conducteur/propriétaire.

 

v.                  Chaque conducteur/propriétaire, ou le CMA pour le compte de cette personne, a ensuite produit une opposition à la saisie et au montant fixé en application de l’article 129 de la LD.

 

vi.                Un fonctionnaire de la Direction des recours de l’ASFC a ensuite écrit à l’opposant pour lui faire connaître le processus d’examen et le nom de l’arbitre chargé de son dossier.

 

vii.       Par la suite, l’arbitre a écrit à l’opposant pour lui présenter le résumé de ce qu’il estime être le fondement de l’opposition ainsi que son évaluation préliminaire de l’issue de l’affaire. L’arbitre a accordé à l’opposant la possibilité de présenter, dans les 30 jours, des observations additionnelles relativement à ses conclusions préliminaires.

 

viii.      Disposant de toutes autres observations présentées par l’opposant, le cas échéant, l’arbitre a ensuite soumis sa recommandation au gestionnaire de la Division des appels de la Direction des recours.

 

ix.        Informé de la recommandation de l’arbitre, le gestionnaire, Division des appels, Direction des recours, a ensuite rendu sa décision.

 

x.         Dans tous les cas visés par la présente procédure, le gestionnaire, Division des appels, Direction des recours, a confirmé la conclusion d’infraction et le montant fixé pour la restitution du véhicule saisi à titre de confiscation. Il a transmis à l’opposant concerné une lettre officielle en ce sens. Chaque opposant a reçu une lettre essentiellement identique. Cette lettre faisait état de la procédure d’appel/de contrôle judiciaire à laquelle l’opposant pouvait recourir à l’égard d’une décision rendue en application des articles 131 et 133 de la LD.

 

II.        Questions en litige

 

[23]           Les questions de droit communes à trancher dans le cadre de la présente requête sont les suivantes :

 

A.        Article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés :

 

1.         La saisie de véhicules par l’ASFC au point d’entrée de Cornwall porte‑t‑elle atteinte de manière déraisonnable aux droits des demandeurs en matière de vie privée, le cas échéant, à l’égard de ces véhicules, de telle façon qu’il y a violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, 1982, c 11 (R‑U), annexe B (la Charte)?

 

2.         Les saisies des véhicules des demandeurs par l’ASFC au point d’entrée de Cornwall constituent‑elles par ailleurs des saisies abusives au sens de l’article 8 de la Charte?

 

B.        Application de l’article 89 de la Loi sur les Indiens :

 

3.         Eu égard aux faits de la présente affaire, le véhicule d’un demandeur est‑il protégé de la saisie en application de la Loi sur les douanes du fait qu’en vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, les biens « situés sur une réserve » ne peuvent pas faire l’objet « d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution », « en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande »?

 

C.        Délégation(s) à l’auteur des décisions contestées :

 

4.         Le fonctionnaire de l’ASFC qui a rendu la décision définitive quant aux appels des demandeurs (la conclusion selon laquelle on avait utilisé le véhicule en violation de la Loi sur les douanes et la confirmation de la confiscation du montant fixé en échange de la restitution du véhicule) disposait‑il d’un pouvoir dûment délégué de rendre une telle décision?

 

III.       Analyse

 

A. Article 8 de la Charte

 

[24]           L’article 8 de la Charte prévoit ce qui suit :

Fouilles, perquisitions ou saisies

 

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

Search or seizure

 

 

8. Everyone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.

 

 

 

[25]           Je dois trancher une question préliminaire avant de chercher à savoir s’il y a eu atteinte aux droits garantis par l’article 8 des demandeurs : ces droits étaient‑ils le moindrement en cause en l’espèce? Plus précisément, la saisie des véhicules des demandeurs en application de l’article 110 de la Loi sur les douanes constitue‑t‑elle une « saisie » aux fins de l’article 8 de la Charte?

 

[26]           L’article 110 de la Loi sur les douanes, reproduit ci‑après, est le fondement du pouvoir de saisir de l’ASFC :

Saisie des marchandises ou des moyens de transport

 

110. (1) L’agent peut, s’il croit, pour des motifs raisonnables, à une infraction à la présente loi ou à ses règlements du fait de marchandises, saisir à titre de confiscation :

 

a) les marchandises;

 

b) les moyens de transport dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’ils ont servi au transport de ces marchandises, lors ou à la suite de l’infraction.

 

 

Saisie des moyens de transport

 

(2) L’agent peut, s’il croit, pour des motifs raisonnables, à une infraction à la présente loi ou à ses règlements du fait d’un moyen de transport ou des personnes se trouvant à son bord, le saisir à titre de confiscation.

 

 

Saisie des moyens de preuve

 

(3) L’agent peut, s’il croit, pour des motifs raisonnables, à une infraction à la présente loi ou à ses règlements, saisir tous éléments dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’ils peuvent servir de moyens de preuve de l’infraction.

 

Avis de la saisie

 

(4) L’agent qui procède à la saisie‑confiscation prévue au paragraphe (1) ou (2) prend les mesures convenables, eu égard aux circonstances, pour aviser de la saisie toute personne dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a le droit de présenter, à l’égard des biens saisis à titre de confiscation, la requête visée à l’article 138.

 

Seizure of goods or conveyances

 

110. (1) An officer may, where he believes on reasonable grounds that this Act or the regulations have been contravened in respect of goods, seize as forfeit

 

 

(a) the goods; or

 

(b) any conveyance that the officer believes on reasonable grounds was made use of in respect of the goods, whether at or after the time of the contravention.

 

Seizure of conveyances

 

(2) An officer may, where he believes on reasonable grounds that this Act or the regulations have been contravened in respect of a conveyance or in respect of persons transported by a conveyance, seize as forfeit the conveyance.

 

Seizure of evidence

 

(3) An officer may, where he believes on reasonable grounds that this Act or the regulations have been contravened, seize anything that he believes on reasonable grounds will afford evidence in respect of the contravention.

 

Notice of seizure

 

(4) An officer who seizes goods or a conveyance as forfeit under subsection (1) or (2) shall take such measures as are reasonable in the circumstances to give notice of the seizure to any person who the officer believes on reasonable grounds is entitled to make an application under section 138 in respect of the goods or conveyance.

 

 

 

[27]           Conformément à la conclusion de la Cour suprême dans Martineau c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CSC 81, [2004] 3 RCS 737, aux paragraphes 27 et 54, les parties conviennent que les dispositions relatives à la saisie de l’article 110 de la Loi sur les douanes ne sont pas de nature pénale, mais civile. Leur divergence d’opinion concerne essentiellement la portée du concept de saisie aux fins de l’article 8. Les demandeurs soutiennent qu’une telle saisie est [traduction] « toute saisie qui porte atteinte au droit à la vie privée d’une personne, et non pas seulement une saisie effectuée dans le cadre d’une procédure ou d’une enquête criminelle ou administrative » (observations en réponse des demandeurs, au paragraphe 5). Les défendeurs soutiennent pour leur part que les saisies au sens de la Charte sont uniquement celles qui sont effectuées dans le contexte d’une enquête criminelle ou administrative.

 

[28]           Le professeur Peter Hogg, spécialiste du droit constitutionnel, définit la « saisie » au sens de l’article 8 de la Charte comme [traduction] « la prise de possession, par des agents de l’État, de choses qui pourraient servir d’éléments de preuve » (Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd,, vol. 2 (Toronto : Thomson Carswell, 2007), à la page 454). Il ajoute : [traduction] « une saisie au sens de l’article 8 est la saisie d’un bien à des fins d’enquête ou de preuve » (Hogg, précité, à la page 454). La Cour d’appel du Québec est du même avis : elle a estimé que les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, prévoyant la saisie de biens infractionnels ne faisaient pas entrer en jeu l’article 8 de la Charte puisqu’une telle saisie n’était pas effectuée dans le cadre d’une enquête criminelle ou administrative (R c Houle, [2003] RJQ 436, 2003 CanLII 44810 (QC CA), aux paragraphes 92 et 93).

 

[29]           Les demandeurs favorisent une interprétation du concept de « saisie » en fonction de l’objet et du contexte aux fins de l’article 8 de la Charte et se fondent à cet égard sur l’arrêt de la Cour suprême Québec (Procureur général) c Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 RCS 708, invoqué par les défendeurs eux‑mêmes dans leurs observations. La Cour suprême a examiné dans cet arrêt les différentes définitions données antérieurement aux saisies visées à l’article 8. Le juge Lebel, s’exprimant au nom de la majorité, a particulièrement souligné que la Cour suprême avait auparavant conclu qu’il y avait « saisie au sens de l’art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement » (R c Dyment, [1988] 2 RCS 417; Laroche, précité, au paragraphe 52), et qu’une saisie était « une appropriation par un pouvoir public d’un objet appartenant à une personne contre le gré de cette personne » (Thomson Newspapers Ltd c Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 RCS 425; arrêt Laroche, précité, au paragraphe 52).

 

[30]           Le juge Lebel a ensuite déclaré dans l’arrêt Laroche, précité, qu’il fallait aussi examiner la finalité et le cadre de l’article 8, faute de quoi on risquait de le « vider d’une partie de son effet dans bien des situations où les intérêts constitutionnels de protection de la vie privée, sinon de régularité et d’équité fondamentale de la procédure pénale se trouvent en jeu » (arrêt Laroche, précité, au paragraphe 53). Ce que les défendeurs font toutefois ressortir, mais que les demandeurs ne reconnaissent qu’à moitié, c’est que la Cour suprême a ensuite traité des limites qu’il était permis d’imposer à l’application de l’article 8 (au paragraphe 53) :

[53]      […] Alors, si une limite doit s’appliquer à la définition du mot saisie, elle ne doit pas se rattacher au procédé lui‑même mais bien au contexte dans lequel elle est exécutée. Des commentaires de S. C. Hutchison, J. C. Morton et M. P. Bury expriment bien cette problématique de l’interprétation et de l’application de l’art. 8 :

 

Il convient d’établir une limite à la portée du mot « saisie » utilisé dans la Charte. Le droit particulier d’une personne à la « jouissance de ses biens », que garantit la Déclaration canadienne des droits, n’est pas garanti par la Charte. L’interdiction des fouilles, perquisitions et saisies abusives vise à promouvoir le droit à la vie privée et non le droit de propriété. Par conséquent, la protection que la Charte assure contre les saisies abusives ne devrait pas s’appliquer à des mesures gouvernementales du seul fait que ces mesures portent atteinte au droit de propriété. En particulier, lorsqu’un bien est confisqué par l’État autrement que dans le cadre d’une enquête administrative ou criminelle, il n’y a pas « saisie » au sens de la Charte. Un certain nombre de décisions illustrent cette perception de la saisie. La rétention d’un bien ne constitue pas en soi une saisie au sens de la Charte — l’enquête administrative ou criminelle doit avoir une incidence additionnelle sur le droit à la vie privée.

 

[Souligné par la Cour suprême dans Laroche.]

 

[31]           Les demandeurs font valoir que la Cour suprême favorise, par les termes qu’elle a employés, le contexte par rapport au procédé. Ils oublient toutefois de dire que le contexte particulier à prendre en compte doit, à titre préliminaire, s’inscrire dans le cadre d’une enquête administrative ou criminelle. Comme les deux parties conviennent que les dispositions en cause de la Loi sur les douanes visent un recours civil, la présente affaire ne satisfait pas même au critère préliminaire permettant à l’article 8 de la Charte d’entrer en jeu. Je dois par conséquent répondre par la négative aux deux premières questions de droit communes.

 

B. Article 89 de la Loi sur les Indiens

 

[32]           La troisième question de droit commune a trait à la portée de la protection accordée par l’article 89 de la Loi sur les Indiens, reproduit ci‑après, aux biens d’un Indien situés dans une réserve :

Inaliénabilité des biens situés sur une réserve

 

 

89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande.

 

Restriction on mortgage, seizure, etc., of property on reserve

 

89. (1) Subject to this Act, the real and personal property of an Indian or a band situated on a reserve is not subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress or execution in favour or at the instance of any person other than an Indian or a band.

 

 

 

[33]           Les demandeurs affirment qu’il y a lieu de donner une interprétation large à l’article 89 de manière à ce qu’il vise toute saisie effectuée à titre de recours civil, y compris une mesure prise par le gouvernement en vue d’exercer un tel recours. Les défendeurs soutiennent pour leur part que l’objet de l’article 89 a toujours été de protéger les biens des Indiens des droits généraux de leurs créanciers, et non de créer pour ces biens une exemption générale.

 

[34]           Je ne suis pas convaincu que la protection offerte par l’article 89 s’étende aux saisies en cause prévues par la Loi sur les douanes. La Cour suprême du Canada a statué plus d’une fois que les exemptions des articles 87, 88 et 89 de la Loi sur les Indiens visaient « à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d’imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens sur leurs terres réservées » [non souligné dans l’original] (Succession Bastien c Canada, 2011 CSC 38, [2011] 2 RCS 710, au paragraphe 23; McDiarmid Lumber Ltd c Première nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 RCS 846, au paragraphe 27; Williams c Canada, [1992] 1 RCS 877). La juge en chef McLachlin, de la Cour suprême, a dit d’entrée de jeu dans l’arrêt McDiarmid Lumber, précité, que les articles 89 et 90 de la Loi sur les Indiens, qui visent à « empêcher l’effritement du patrimoine détenu par les Indiens en tant qu’Indiens, soustraient certains biens à la saisie par un créancier » [non souligné dans l’original] (voir le paragraphe 1).

 

[35]           Les demandeurs s’appuient sur Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85, pour affirmer que l’article 89 s’applique à toute saisie effectuée à titre de recours civil. Ils font particulièrement valoir le commentaire formulé par le juge La Forest, dans ses motifs concourants, selon lequel l’article 89 procure « un autre élément de protection aux autochtones en soustrayant à l’application des règles ordinaires du droit civil les biens réels et personnels d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve » (arrêt Mitchell, précité, au paragraphe 82).

 

[36]           Il ressort toutefois des motifs du juge La Forest dans Mitchell, si on les lit dans leur intégralité, que le concept de « règles ordinaires du droit civil » n’est pas d’aussi large portée que ne le laissent entendre les demandeurs. Le juge La Forest décrit la protection accordée par l’article 87 de la Loi sur les Indiens comme une exemption de taxe, et par l’article 89 comme une exemption de saisie. Il précise ensuite que « ces articles ont protégé les Indiens contre l’imposition d’obligations de nature civile qui pouvaient conduire, quoique indirectement, à l’aliénation de leurs terres à la suite de ventes forcées et par d’autres moyens semblables » (arrêt Mitchell, précité, au paragraphe 86).

 

[37]           J’estime que l’exercice par l’ASFC de recours civils prévus par la Loi sur les douanes pour faire respecter la législation frontalière ne tombe par sous le coup de l’article 89 de la Loi sur les Indiens. De telles mesures sont du reste différentes des autres mécanismes énumérés à l’article 89, comme les hypothèques, les réquisitions et l’exécution de jugements civils.

 

[38]           L’objet du régime de saisies prévu dans la Loi sur les douanes n’est pas de pratiquer la saisie d’un moyen de transport, ni de grever celui‑ci de tout droit en faveur d’un créancier, non plus que de créer un impôt qui pourrait faire l’objet d’une exemption en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Cet objet est plutôt de « maintenir l’efficacité des exigences douanières » (voir l’arrêt Martineau, précité, au paragraphe 60). En fait, la réalisation des objectifs de la Loi sur les douanes – régir, encadrer et contrôler la circulation transfrontalière des personnes et des marchandises – dépend de l’efficacité du système d’autodéclaration ou de déclaration volontaire prévu par cette loi (arrêt Martineau, précité, aux paragraphes 25 et 26). Puisque le taux de 42 p. cent d’inobservation des exigences de déclaration qui existait avant que l’ASFC ne commence à prendre des mesures d’exécution a baissé une fois que l’Agence a commencé à exercer des recours civils en application de la Loi sur les douanes, je suis d’avis qu’on a réussi avec la prise de ces mesures à « maintenir l’efficacité des exigences douanières ». Le contrôle de l’entrée de personnes et de marchandises dans un pays a toujours été un « attribut fondamental de la souveraineté », et on s’attend généralement à ce que l’État exerce ce contrôle dans l’intérêt public (Mitchell c Canada (Ministre du Revenu national), 2001 CSC 33, [2001] 1 RCS 911, au paragraphe 160; R c Simmons, [1988] 2 RCS 495, à la page 528).

 

[39]           Dans leurs observations orales sur les questions liées à la Charte, les demandeurs ont laissé entendre que l’ASFC devrait recourir à des moyens d’exécution plus attentatoires, comme des accusations au criminel ou des sanctions administratives, pour réaliser l’objectif légitime du maintien de la sécurité des frontières. J’estime toutefois préférable d’utiliser comme moyen d’exécution, pour l’atteinte de cet objectif légitime, des recours civils plutôt que les mécanismes plus attentatoires proposés par les demandeurs, compte tenu particulièrement du caractère sensible des questions en jeu. La présente analyse fait aussi ressortir selon moi les différences qui existent entre les mécanismes de droit civil dont l’application est écartée par l’article 89 de la Loi sur les Indiens et les recours civils prévus par la Loi sur les douanes, dont l’unique objet est de faire respecter les lois frontalières.

 

[40]           Je conclus par conséquent que les saisies effectuées en application de la Loi sur les douanes échappent à la portée de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, et que les moyens de transport ne sont donc pas en l’espèce exempts de saisie. Compte tenu de ma conclusion sur cette question, il ne sera pas nécessaire de traiter des arguments des parties sur la propriété et sur l’emplacement prépondérant des véhicules. Il est répondu par la négative à la troisième question de droit commune.

 

C.        Délégation(s) à l’auteur des décisions contestées

 

[41]           Les parties divergent d’opinion quant à savoir si le gestionnaire avait le pouvoir de rendre des décisions pour le compte du ministre en application des articles 129 à 133 de la Loi sur les douanes. Il y a désaccord plus particulièrement quant à la question de savoir si le président de l’ASFC pouvait, pour le compte du ministre, dûment déléguer au gestionnaire le pouvoir de décider. J’estime que le président était investi des pouvoirs du ministre au regard du système d’appel en cause, et qu’il avait compétence pour déléguer ces pouvoirs au gestionnaire. Je conclus par conséquent que le gestionnaire disposait des pouvoirs nécessaires pour rendre les décisions contestées.

 

[42]           La Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, LC 2005, c 38 (la LASFC) accorde à l’ASFC le pouvoir d’exercer les attributions relatives à la législation frontalière qui sont conférées au ministre. La législation frontalière comprend, pour l’ASFC, la Loi sur les douanes (voir l’article 2 de la LASFC) :

Exercice de certaines attributions du ministre

 

12. (1) Sous réserve des instructions que peut donner le ministre, l’Agence exerce les attributions relatives à la législation frontalière qui sont conférées, déléguées ou transférées à celui‑ci sous le régime d’une loi ou de règlements.

 

 

 

 

Dirigeants et employés

 

(2) Les dirigeants ou employés de l’Agence ayant, au sein de celle‑ci, la compétence voulue peuvent exercer les attributions visées au paragraphe (1); le cas échéant, ils se conforment aux instructions générales ou particulières du ministre.

 

 

 

 

 

 

Exclusion

 

(3) Sont exclus des attributions visées au paragraphe (1) :

 

a) les attributions conférées au ministre par la présente loi;

 

b) le pouvoir de prendre des règlements.

Exercise of powers conferred on Minister

 

12. (1) Subject to any direction given by the Minister, the Agency may exercise the powers, and shall perform the duties and functions, that relate to the program legislation and that are conferred on, or delegated, assigned or transferred to, the Minister under any Act or regulation.

 

 

Officers and employees

 

(2) An officer or employee of the Agency may exercise any power or perform any duty or function referred to in subsection (1) if the officer or employee is appointed to serve in the Agency in a capacity appropriate to the exercise of the power or the performance of the duty or function, and, in so doing, shall comply with any general or special direction given by the Minister.

 

Exception

 

(3) Subsection (1) does not include

 

 

(a) any power, duty or function of the Minister under this Act; or

 

(b) a power to make regulations.

 

 

 

[43]           Sous réserve d’instructions contraires du ministre, l’Agence exerce les attributions prévues par la Loi sur les douanes. Tel que l’énonce la LASFC, le président de l’ASFC dispose de larges pouvoirs à l’égard de l’Agence :

Attributions du président

 

8. (1) Le président, sous la direction du ministre, est chargé de la gestion de l’Agence et de tout ce qui s’y rattache.

 

 

 

Rang et statut

 

(2) Le président a rang et statut d’administrateur général de ministère.

 

Role of President

 

8. (1) The President, under the direction of the Minister, has the control and management of the Agency and all matters connected with it.

 

 

Rank of deputy head

 

(2) The President has the rank and all the powers of a deputy head of a department.

 

 

[44]           J’estime donc dans un premier temps que, compte tenu du cadre législatif, le président de l’ASFC avait compétence pour exercer le pouvoir conféré au ministre de rendre des décisions en application des articles 131 et 133 de la Loi sur les douanes.

 

[45]           La LASFC confère en outre expressément au président le pouvoir de déléguer les attributions qu’il est lui‑même autorisé à exercer :

Délégation par le prÉsident

 

9. (1) Le président peut déléguer à toute personne les attributions qu’il est lui‑même autorisé à exercer sous le régime de la présente loi ou de tout autre texte législatif.

Delegation by President

 

9. (1) The President may delegate to any person any power, duty or function that the President is authorized to exercise or perform under this Act or any other enactment.

 

 

 

[46]           Les parties ont convenu que le président avait l’intention de déléguer tous les pouvoirs dont il disposait pour rendre des décisions dans le cadre du processus d’appel établi aux articles 131 et 133 de la Loi sur les douanes. Plus particulièrement, les personnes qui occupent des postes de gestionnaire à la Direction des recours sont déclarées avoir compétence pour rendre précisément de telles décisions dans le document « Autorisation d’exercer les pouvoirs et fonctions du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi sur les douanes » (voir l’exposé conjoint, aux paragraphes 58, 81 et 85).

 

[47]           Les parties ont en outre convenu dans leur exposé conjoint que la Direction des recours offrait [traduction] « aux entreprises et aux particuliers un mécanisme d’examen des plaintes liées au service, des décisions commerciales ainsi que des mesures d’exécution prises par l’ASFC » (exposé conjoint, au paragraphe 17). Le gestionnaire de la Division des appels de la Direction des recours de l’ASFC avait la compétence voulue pour exercer les pouvoirs visés aux articles 129 à 133 de la Loi sur les douanes.

 

[48]           La Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, étaye la conclusion selon laquelle le gestionnaire avait le pouvoir de rendre des décisions en application des articles 129 à 133 de la Loi sur les douanes; le paragraphe 24(2) de cette loi prévoit en effet ce qui suit :

Exercice des pouvoirs ministériels

 

(2) La mention d’un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions, que celles‑ci soient d’ordre administratif, législatif ou judiciaire, vaut mention :

 

 

 

 

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d’un décret;

 

 

 

b) de ses successeurs à la charge;

 

c) de son délégué ou de celui des personnes visées aux alinéas a) et b);

 

d) indépendamment de l’alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d’État en cause, la compétence voulue.

Power to act for ministers

 

 

(2) Words directing or empowering a minister of the Crown to do an act or thing, regardless of whether the act or thing is administrative, legislative or judicial, or otherwise applying to that minister as the holder of the office, include

 

(a) a minister acting for that minister or, if the office is vacant, a minister designated to act in the office by or under the authority of an order in council;

 

(b) the successors of that minister in the office;

 

(c) his or their deputy; and

 

 

 

(d) notwithstanding paragraph (c), a person appointed to serve, in the department or ministry of state over which the minister presides, in a capacity appropriate to the doing of the act or thing, or to the words so applying.

 

 

 

[49]           Pour reprendre les termes de la Loi d’interprétation, je conclus que le gestionnaire était une personne ayant la compétence voulue pour rendre les décisions contestées.

 

[50]           Pour ces motifs parallèles, je dois conclure par l’affirmative à la quatrième et dernière question.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE et répond comme suit aux questions communes :

1.                  La saisie de véhicules par l’ASFC au point d’entrée de Cornwall ne fait pas entrer en jeu l’article 8 de la Charte et, par conséquent, ne viole pas cet article.

2.                  Voir ci‑dessus.

3.                  Le véhicule d’un demandeur n’est pas, eu égard aux faits de la présente affaire, protégé de la saisie effectuée en application de la Loi sur les douanes du fait qu’en vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, les biens « situés sur une réserve » ne peuvent pas faire l’objet « d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution », « en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande ».

4.                  Le fonctionnaire de l’ASFC qui a rendu la décision définitive quant aux appels des demandeurs (la conclusion selon laquelle on avait utilisé le véhicule en violation de la LD et la confirmation de la confiscation du montant fixé en échange de la restitution du véhicule) disposait du pouvoir dûment délégué de rendre une telle décision.

5.                  Compte tenu des questions soulevées et de la procédure suivie par les parties, particulièrement de la production par celles‑ci d’un exposé conjoint des faits et du droit, aucuns dépens ne seront adjugés.

6.                  Enfin, j’estime que les recours des demandeurs devraient être rejetés, dans la mesure où ils sont intentés sur le fondement des questions communes examinées dans le cadre de la présente procédure.

7.                  La présente ordonnance s’applique à la demande de contrôle judiciaire, avec les adaptations de circonstance, et une copie sera versée au dossier T‑455‑12.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑859‑12

 

INTITULÉ :                                                  LE CONSEIL DES MOHAWKS D’AKWESASNE ET AUTRES c
MSPPC ET AUTRE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 octobre 2012

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Hutchins

Zachary Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

 

R. Jeff Anderson

David Cowie

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hutchins Legal Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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