Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20130320

 

Dossier : [. . .]

 

Référence : 2013 CF 293

 

Ottawa (Ontario) le 20 mars 2013

 

En présence du JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

 

ENTRE :

 

 

 

 

« MONSIEUR MJS »

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

      

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT PUBLICS

(Motifs du jugement et jugement confidentiels rendus le 13 février 2013)

                         

[1]               Le demandeur, monsieur MJS, est un citoyen [d’un pays africain], [d’ethnie minoritaire dans son pays]. Il soutient qu’il a peur d’être emprisonné, torturé ou tué s’il est forcé de retourner [dans son pays].

[2]               Le Tribunal de la Section de la protection des réfugiés [le Tribunal] a déterminé que monsieur MJS était exclu de la protection accordée aux réfugiés en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] et de l’alinéa F(a) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, RT 1969, no 6, art 1F.

[3]               Monsieur MJS soutient que le Tribunal a commis les trois erreurs suivantes dans sa décision :

i.        Le Tribunal a appliqué le mauvais test pour juger sa complicité dans les crimes contre l’humanité ainsi que dans les crimes de guerre [qu’un groupe rebelle [le Groupe]] a commis [dans son pays] entre 1998 et 2005;

ii.      il n’a pas établi ou identifié un lien entre lui et les crimes spécifiques que le [Groupe] a commis;

iii.    son analyse de la preuve et des critères de complicité qui ressortent de la jurisprudence n’était pas raisonnable.

[4]               Je ne suis pas d’accord. Pour les raisons suivantes, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.          CONTEXTE FACTUEL

[5]               Monsieur MJS allègue qu’en septembre 1998, [une agence de l’autorité gouvernementale] [l’Agence] (services secrets du [pays]) a chargé un groupe de jeunes [personnes de la même ethnie que celle du gouvernement] de s’adhérer au [Groupe] afin d’espionner ce dernier au profit du gouvernement [. . .] en place à l’époque. Monsieur MJS s’est joint aux rangs du [Groupe] au début de l’année 1999, mais il soutient qu’il était en fait, depuis le début, un agent double qui travaillait pour [l’Agence] jusqu’en novembre 2003, soit jusqu’à l’accord du cessez-le-feu.

[6]               En novembre 2001, après avoir terminé ses études [. . .], monsieur MJS a été nommé à [un poste important]. Suite aux élections de 2005, le [Groupe] a formé le gouvernement et monsieur MJS s’est dégagé de ses responsabilités [. . .], parce qu’il croyait s’être fait promettre un meilleur poste par le président du parti, monsieur [. . .]. Après que ce dernier l’eût informé qu’il devait attendre avant d’obtenir un tel poste, monsieur MJS a critiqué le gouvernement ainsi que le président [. . .].

[7]               Le même jour, monsieur MJS a été arrêté. Il a été accusé d’avoir insulté le président du pays. Il a été détenu pendant plusieurs semaines, durant lesquelles il déclare avoir été battu et menacé de mort.

[8]               En janvier 2006, monsieur MJS a commencé à travailler comme bénévole auprès d’une organisation non gouvernementale en défense des droits de la personne.

[9]               En janvier 2007, monsieur MJS a repris ses fonctions en tant que [. . .]. Peu après, il a refusé une demande du ministre de la Justice de [. . .].

[10]           En mai 2007, monsieur MJS a été arrêté, détenu et torturé de nouveau après avoir écrit une lettre au président du pays dans laquelle il a critiqué des violations des droits de la personne. Quelques semaines plus tard, les accusations ont été retirées et monsieur MJS a été relâché.

[11]           En décembre 2007, alors qu’il avait l’intention de se rendre au [. . .] afin d’observer le déroulement des élections, monsieur MJS s’est fait dire qu’il ne serait pas autorisé à quitter le pays. Peu après, ayant appris qu’il serait arrêté, il fuit son pays pour se rendre [dans un autre pays africain]. En janvier 2008, [des membres de sa famille] ont été tués. [Les membres de sa famille] qui avaient survécu se sont enfuis vers [un troisième pays africain].

[12]           Monsieur MJS est venu au Canada en février 2008 et a présenté sa demande d’asile quelques jours plus tard.

II.        FARDEAU DE LA PREUVE ET NORME DE LA PREUVE

[13]           Il incombe au ministre de prouver que monsieur MJS devrait être exclu de la protection de la Loi. Le ministre doit établir qu'il existe « des raisons sérieuses de penser », dans le sens prévu par l’article 33 de la Loi, que monsieur MJS a « commis » un crime entraînant son exclusion. Cette norme de preuve s’applique uniquement aux questions de fait, et demande davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte qu'une preuve selon la prépondérance des probabilités (Sivakumar c Canada (Ministre de L’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 433, au para 18 [Sivakumar]; Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, aux paras 114-116 [Mugesera]; Oberlander c Canada (Procureur général), 2009 CAF 330, au para 20 [Oberlander]). La croyance du ministre doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera, précité, au para 117).

III.       NORME DE CONTRÔLE

[14]            Les deux premières questions soulevées par monsieur MJS concernent le test de complicité. Ce sont là des questions de droit. À mon avis, il s’agit, pour chacune de ces questions, d’une question « qui revêt ‘une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise’ du [Tribunal]» (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 55 [Dunsmuir]; Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au para 44; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au para 46, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ezokola, 2011 CAF 224, au para 39 [Ezokola]; Thomas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 838, aux paras 14-15). Donc, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[15]           La norme de contrôle applicable à l’évaluation de la preuve et des critères de complicité établis dans la jurisprudence est celle de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de faits et de droit (Dunsmuir, précité, au para 51; Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 139, au para 13; Rathinasigngam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 988, au para 41).

IV.       ANALYSE

a)  Est-ce que le Tribunal a appliqué le mauvais test pour juger la complicité de monsieur MJS ?

[16]            Monsieur MJS fait valoir que le test de complicité retenu par le Tribunal n’est pas conforme au test établi dans la jurisprudence. Bref, il soutient que le Tribunal a fait une erreur lorsqu’il a déterminé qu’il était complice des crimes contre l’humanité ainsi que des crimes de guerre commis par une faction [militaire du Groupe] dont il n’a jamais été membre, sans avoir déterminé qu’il avait un certain degré de participation personnelle et consciente à ces atrocités.

[17]           Je ne suis pas d’accord.

[18]           Les principes légaux s’appliquant à l’analyse de complicité sont bien établis dans la jurisprudence. Ces principes ont été résumés au paragraphe 18 de la décision Kathiripillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1172, [Kathiripillai]:  

i.       Il est possible de « commettre » un crime contre l’humanité en tant que « complice », ou par voie de complicité, bien que l’on n’ait pas participé personnellement aux actes constitutifs du crime (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), aux pages 314 à 317; Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), à la page 438; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ezokola, 2011 CAF 224, au paragraphe 50);

 

ii.      La simple appartenance à une organisation qui ne vise pas des fins limitées et brutales, mais qui commet sporadiquement des infractions internationales, ne permet pas, habituellement, de conclure qu’une personne était complice de tels crimes (Ramirez, précité, à la page 317; Sivakumar, précité, à la page 440; Ezokola, précité, au paragraphe 52);

 

iii.     De même, la simple présence sur les lieux d’un crime ainsi que les actes ou omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas de conclure que quelqu’un a été complice dans la commission d’un crime contre l’humanité. Une personne n’est pas tenue de s’exposer à un risque de traitement similaire en intervenant pour arrêter un tel crime (Ramirez, précité, à la page 317; Sivakumar, précité, à la page 441; Ezokola, précité, au paragraphe 53; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), à la page 322);

 

iv.     Pour être complice d’un crime contre l’humanité commis par d’autres, il faut démontrer qu’une personne a eu une « participation personnelle et consciente » dans les crimes ou qu’elle les a tolérés (Ramirez, précité, aux pages 316 et 317; Sivakumar, précité, aux pages 438 et 442; Ezokola, précité, aux paragraphes 52 à 58);

 

v.      Pour qu’il y ait participation personnelle dans un crime, une participation physique ou la présence sur les lieux du crime n’est pas nécessaire, et cela peut être établi en démontrant l’existence d’une intention commune (Ezokola, précité, au paragraphe 53; Moreno, précité, à la page 323; Sivakumar, précité, aux pages 438 et 439);

 

vi.     Une intention commune peut être établie de différentes manières, y compris en démontrant qu’une personne (i) est membre d’une organisation qui a commis le crime, (ii) avait connaissance de la commission du crime, (iii) a appuyé activement l’organisation, et (iv) n’a pas pris des mesures pour empêcher la commission du crime (dans le cas où la personne avait le pouvoir de le faire) ni quitté le groupe à la première occasion, compte tenu de sa propre sécurité (Penate c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79, au paragraphe 6);

 

vii.    La présence ajoutée au fait d’être associé aux principaux auteurs de l’infraction peut suffire pour constituer de la complicité, selon les faits particuliers en cause (Ramirez, précité, à la page 317);

 

viii.   Ce n’est pas le fait de travailler au sein d’une organisation qui rend une personne complice des actes commis par l’organisation, mais le fait d’encourager ou de contribuer en toute connaissance de cause à ses activités illégales de quelque manière que ce soit, de l’intérieur ou de l’extérieur de l’organisation (Ezokola, précité, au paragraphe 55; Bazargan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 67 A.C.W.S. (3d) 132 (C.A.F.), au paragraphe 11; Sivakumar, précité, à la page 438);

 

ix.     Celui qui apporte son aide ou son encouragement à la perpétration d’un crime ou qui, volontairement, monte la garde pendant la perpétration de ce crime, sera habituellement déclaré complice du crime (Sivakumar, précité, à la page 438);

 

x.      On peut dire que plus l’intéressé se trouve aux échelons supérieurs d’une organisation qui a commis un crime contre l’humanité, plus il est vraisemblable qu’il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans la perpétration de ce crime (Sivakumar, précité, à la page 440);

 

xi.      En outre, plus une personne est impliquée dans le processus décisionnel et moins elle tente de contrecarrer la perpétration d’un crime contre l’humanité, plus il est vraisemblable qu’elle soit criminellement responsable (Moreno, précité, à la page 324; Ezokola, précité, au paragraphe 53). 

 

[19]              En plus de ce qui précède, la jurisprudence a défini d’autres facteurs à examiner pour apprécier la question de savoir si une personne était complice dans la perpétration d’un crime contre l’humanité :

i.    la nature de l’organisation;

ii.   la méthode de recrutement;

iii.  la période passée dans l’organisation;

iv.  la possibilité de quitter l’organisation;

v.   la connaissance des atrocités commises par l’organisation.

(Voir Kathiripillai, précité, au para 19; Ardila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1518, au para 11; Blanco c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 623, aux paras 16-21; Ali c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1306, au para 10; Rutayisire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1168, au para 11).

[20]            En l’espèce, le Tribunal a bien reconnu, au paragraphe 39 de sa décision, que « [l]e simple fait d’être associé au [Groupe] n’était pas suffisant, et il est nécessaire de procéder à un examen plus détaillé du lien du demandeur d’asile avec ces crimes ». De plus, le Tribunal a cité un passage de la décision Bazargan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] ACF no 1209 (QL), au paragraphe 11, [Bazargan] dans laquelle la Cour d’appel fédérale a répété, entre autres, qu’une « participation personnelle et consciente » pouvait être directe ou indirecte, et que la complicité « dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » (voir aussi, Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, au para 18 [Harb]).

[21]           Ensuite, au paragraphe 40, le Tribunal a tenu compte du fait qu’« aucun élément de la preuve n’a été présenté pour démontrer que le demandeur d’asile avait participé directement aux violations des droits de la personne ». Pourtant, il a bien noté que « ce n’est pas tant le fait d’œuvrer au sein d’un groupe qui rend quelqu’un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, […] en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles […] ». 

[22]           De plus, le Tribunal a répété que monsieur MJS a reconnu dans son témoignage qu’il était au courant des violations des droits de la personne commises par le [Groupe]. Plus tôt dans sa décision, le Tribunal a déterminé que « la preuve documentaire montre clairement que le [Groupe] a commis des crimes contre l’humanité ainsi que des crimes de guerre de 1998 à 2005 », tels que l’utilisation d’enfants soldats, des exécutions illégales, des viols généralisés, des attaques au hasard à l’endroit de civils, et des massacres de civils [de l’ethnie minoritaire]. Le Procès-verbal de l’audience tenue le 6 septembre 2011 devant le Tribunal, qui se trouve dans le Dossier Certifié du Tribunal [DCT] confirme, par exemple, aux pages 1212-1214 et 1227-1228, que monsieur MJS a explicitement reconnu à l’époque et par la suite la participation du [Groupe] dans ces crimes.

[23]           Le simple fait que le Tribunal a mentionné que certains de ces crimes ont été aussi commis par [un autre groupe] n’enlève rien de la conclusion du Tribunal quant à la participation du [Groupe] dans ces crimes.

[24]           Après avoir conclu que les activités de recrutement de monsieur MJS pour le [Groupe] dans la capitale du pays « fournissaient une contribution visible et très utile au [Groupe] », et après avoir pris en considération les autres facteurs mentionnés au paragraphe 19 ci-dessus, le Tribunal a déterminé que monsieur MJS a été complice dans les crimes commis par le [Groupe]. 

[25]           À mon avis, le traitement et l’application du test de complicité par le Tribunal furent entièrement en conformité avec les principes de la jurisprudence mentionnés aux paragraphes 18 et 19 ci-dessus. Comme précisé au sous-paragraphe 18(v), une « participation personnelle et consciente » peut être établie en démontrant l’existence d’une intention commune. À son tour, comme indiqué au sous-paragraphe 18(vi), une intention commune peut être établie de différentes manières, y compris en évaluant certains facteurs. Dans son analyse, le Tribunal a adressé ces facteurs et, sur la base de cette analyse, est arrivé à sa conclusion quant à la complicité de monsieur MJS dans les crimes commis par le [Groupe].

[26]           Il aurait été préférable que le Tribunal mentionne de façon plus explicite que monsieur MJS partageait le but visé par le [Groupe]. Cependant, la discussion du Tribunal des activités de recrutement de monsieur MJS démontre que le Tribunal était d’avis que monsieur MJS partageait ce but.

[27]           D’ailleurs, je constate que la preuve confirme que monsieur MJS a défendu les buts de cette organisation et qu’il a même expliqué aux individus qu’il a tenté de recruter que les crimes commis par le [Groupe] pouvaient être tolérés selon le contexte de la guerre civile (DCT, à la p 1236). Dans ce contexte, le Tribunal n’était pas obligé de rentrer dans une discussion plus détaillée de la relation entre la faction politique du [Groupe], dont monsieur MJS était membre, et la faction militaire, qui a commis les atrocités mentionnées ci-dessus. Cela étant dit, je note que monsieur MJS a admis que ceux qui détenaient le pouvoir politique au sein du [Groupe] avaient le contrôle ultime sur les combattants (DCT, à la p 1219). Il a aussi admis avoir connaissance des attaques généralisées que le [Groupe] s’apprêtait à faire et de la façon dont l’organisation finançait ces activités (DCT, aux pp 1263-1264) (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62, au para 15, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]).

b)  Est-ce que le Tribunal était obligé d’établir ou d’identifier un lien entre monsieur MJS et les crimes spécifiques que le [Groupe] a commis?

[28]           Monsieur MJS soutient que le Tribunal a commis une erreur en omettant d’abord de préciser les crimes dont il était soupçonné d’avoir été complice et en omettant d’établir un lien entre lui et ces crimes. Il affirme aussi qu’au paragraphe 41 de sa décision, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas nécessaire de spécifier les crimes dont on le dit complice.

[29]           Je ne suis pas d’accord.

[30]           D’abord, en ce qui concerne la dernière affirmation de monsieur MJS, le Tribunal n’a jamais dit qu’il n’était pas nécessaire de spécifier les crimes en question. Le Tribunal a simplement noté que monsieur MJS a reconnu qu’il était au courant des crimes mentionnés ci-dessus, qui ont été commis par le [Groupe]. Le Tribunal a déterminé plus tôt dans sa décision que ces crimes comprenaient l’utilisation d’enfants soldats, des exécutions illégales, des viols généralisés, des attaques au hasard à l’endroit de civils, des massacres de civils [. . .].

[31]           Monsieur MJS soutient que puisque le Tribunal a reconnu que le [Groupe] n’était pas un organisme visant des fins limitées et brutales, il n’était pas possible que le Tribunal conclue que monsieur MJS avait été complice de tous les crimes commis par ce groupe.

[32]           À mon avis, vu les faits particuliers en l'espèce, il était entièrement acceptable pour le Tribunal de tirer cette conclusion après avoir (i) souligné que monsieur MJS a témoigné qu’il était au courant de ces crimes, (ii) déterminé qu’il fournissait une contribution visible et très utile au [Groupe], et (iii) pris en considération les facteurs de complicité mentionnés au paragraphe 19 ci-dessus. Comme il a été mentionné ci-dessus, monsieur MJS a aussi reconnu qu’il a essayé de convaincre d’autres [personnes de son ethnie] que les crimes commis par le [Groupe] pouvaient être tolérés, qu’il a défendu le recours à la lutte armée de ce mouvement, et qu’il a enseigné à ces personnes les objectifs de ce mouvement et les raisons valables de son existence (DCT, à la p 1236).

[33]           Quant au lien entre lui et les crimes qui lui sont reprochés, monsieur MJS allègue aussi que le Tribunal a fait une erreur puisqu’il n’a établi aucun lien entre lui et ces crimes. Monsieur MJS ajoute que c’est « pourtant une des anomalies majeures que cette Cour avait retenue contre la première décision du Tribunal dans cette affaire ».

[34]           Dans cette dernière décision, mon collègue monsieur le juge Noël a accordé la demande de contrôle judiciaire de monsieur MJS par rapport à une première décision du Tribunal, pour plusieurs raisons. Entre autres, il a déterminé que le Tribunal aurait dû faire une analyse plus poussée du degré de participation de monsieur MJS dans les crimes en question (JMS c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 208, au para 18 [JMS]).

[35]           En l’espèce, le Tribunal a effectivement fait une analyse plus approfondie que celle dans la première décision. Bref, le Tribunal a déterminé que les activités de recrutement de monsieur MJS pour le [Groupe] dans la capitale du pays « fournissaient une contribution visible et très utile au [Groupe] ». Ceci représente un lien important entre monsieur MJS et les crimes commis, lequel n’a jamais été abordé par le Tribunal dans sa première décision que le Juge Noël a cassée.

[36]           À la lumière de cette analyse, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal d’arriver à la conclusion que MJS était complice des crimes commis par le [Groupe] qui ont été identifiés par le Tribunal (Sumaida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 66, au para 31; Harb, précité, au para 11; Justino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1138, au para 19 [Justino]; Teganya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 590, au para 24; Islam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 71, au para 39).

[37]           Les décisions Baqri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 2 CF 85 [Baqri], Sivakumar, précitée, et Cardenas c Canada (Ministre de l’Emploi et l’Immigration), (1994) 74 FTR 214 (CAF) [Cardenas], peuvent être distinguées sur ce point. Bref, dans Baqri, le Tribunal n’a pas fait d’analyse ou donné d’explications tentant de démontrer que des actes violents de l’organisation en question tenaient de la nature de crimes contre l’humanité (Baqri, précité, au para 37). C’est pour cette raison que cette Cour a déterminé que la décision du Tribunal n’avait pas identifié les crimes prévus par l’article 98 de la Loi dont le demandeur était complice. Par contre, dans le cas en espèce, le Tribunal a identifié non seulement les atrocités commises par le [Groupe], mais a aussi précisé celles qui constituent des crimes contre l’humanité ainsi que des crimes de guerre.

[38]           De même, dans Sivakumar, précité, aux paragraphes 31-32, la Cour d’appel fédérale a déterminé que les motifs prononcés par le Tribunal étaient défectueux, entre autres, puisque le Tribunal n’avait pas déterminé que les autres crimes commis par l’organisation en question constituaient des crimes contre l’humanité.

[39]           Dans Cardenas, précité, cette Cour a déterminé que l’inférence d’une connaissance des activités de la faction militaire de l’organisation en question aurait pu être considérée comme raisonnable dans l’absence d’une distinction claire entre cette faction et la faction politique de l’organisation. De plus, la Cour a noté que le Tribunal aurait dû cerner avec soin les actes criminels qu’elle considérait avoir été commis par le demandeur, plutôt que d’évoquer en termes généraux les attaques à l’arme à feu et à la bombe menées par la faction militaire de l’organisation (Cardenas, précité, aux paras 17 et 21-22). Par contre, en l’espèce, monsieur MJS a reconnu qu’il était au courant des atrocités commises par la faction militaire du [Groupe] (voir, par exemple, DCT, aux pp 1212-1215, 1228 et 1236),  et le Tribunal a clairement identifié en termes exacts les crimes prévus par l’article 98 de la Loi auxquels il a déterminé que monsieur MJS était complice.

c)  Est-ce que l’analyse du Tribunal de la preuve et des critères de complicité est raisonnable?

[40]           Monsieur MJS soutient que l’analyse du Tribunal a été déraisonnable quant aux critères de complicité suivants :

i.        La façon dont il a été recruté;

ii.      Sa position dans le [Groupe];

iii.    Sa connaissance des atrocités commises par le [Groupe];

iv.    La possibilité qu’il avait de quitter le [Groupe];

v.      La durée qu’il a passée avec le [Groupe].

[41]           À mon avis, l’analyse du Tribunal de chacun de ces cinq critères, ainsi que l’analyse globale des critères de complicité, n’était pas déraisonnable.


i) Méthode de recrutement

[42]           Monsieur MJS affirme que rien dans la preuve ne soutient qu’il s’est joint volontairement au [Groupe]. Il prétend que son adhésion à cette organisation s’est faite sous la contrainte.

[43]           Je ne suis pas d’accord.

[44]           Le Tribunal a reconnu que monsieur MJS avait initialement participé aux activités du [Groupe] en raison des pressions exercées par [l’Agence], qui pour sa part avait l’intention de détruire le [Groupe]. Toutefois, le Tribunal a déterminé qu’en relativement peu de temps, monsieur MJS est volontairement devenu une recrue tout en continuant de se qualifier d’agent double pour [l’Agence].

[45]           À cet égard, le Tribunal a noté plus tôt dans sa décision que monsieur MJS avait décidé de devenir membre « efficace » ou un vrai membre du [Groupe] en 1999, sans couper ses liens avec [l’Agence]. C’est exactement ce que monsieur MJS a écrit dans son formulaire des renseignements personnels [FRP] amendé, qu’il a envoyé au Président de la Commission de l’immigration et du Statut de Refugié en août 2008. Dans son témoignage devant le Tribunal, monsieur MJS a explicité sur ce point, comme suit :

Et ils nous avaient promis des avantages alors moi, je me suis dit qu’il faut que j’exploite la situation et je me suis dit, enseigner, ça c’est pas vraiment une chose mauvaise. Il faut que je le fasse. Il faut que je, quand même, si le [Groupe] devient une force politique, il faut que j’aille ce post-là. 

 

Alors, je répète encore. J’ai dépassé la limite qui m’était donnée par [l’Agence]. Ça, c’est sûr. Alors à un certain moment, j’ai dépassé la limite qui m’était donnée par [l’Agence] bien sûr, pour profiter de ces avantages. (DCT, à la p 1239)

 

[46]           À la lumière de cette preuve, la conclusion du Tribunal en ce qui concerne cette question est entièrement raisonnable.

ii) Position dans l’organisation

[47]           Monsieur MJS affirme qu’il a entrepris ses activités de recrutement pour le [Groupe] dans le but de réconcilier le [Groupe] avec la minorité [. . .] dont il est membre. Il soutient que, dans ce contexte, le Tribunal n’a pas expliqué comment ses activités contribuaient d’une façon visible et très utile au [Groupe] dans la commission des atrocités contre les [personnes de l’ethnie minoritaire], surtout vu que les vingt (20) à trente (30) [personnes de cette ethnie] qu’il a recrutées allaient aider le [Groupe] à gagner [l’appui des personnes de la même ethnie que monsieur MJS] après l’accord de paix, plutôt que dans la perpétration des atrocités contre leur propre ethnie.

[48]           Monsieur MJS soutient aussi qu’étant donné qu’il travaillait de façon clandestine pour le [Groupe], il était absurde de la part du Tribunal de conclure que ses activités de recrutement lui fournissaient un degré de visibilité au sein de l’organisation.

[49]           Je ne suis pas d’accord.

[50]           Au paragraphe 33 de sa décision, le Tribunal a expliqué que le recrutement des [intellectuels de son ethnie] était important pour le [Groupe] puisque le [Groupe] voulait démontrer à [cette minorité de la population] que le [Groupe] n’était pas simplement une organisation [de l’ethnie majoritaire]. Donc, le recrutement des [personnes de l’ethnie minoritaire] a fourni au [Groupe] une façon de « légitimer  » l’organisation au sein de [cette ethnie minoritaire]. De plus, le Tribunal a noté que monsieur MJS était responsable du recrutement des [personnes de son ethnie] dans la capitale du pays, et que ceci lui fournissait un degré élevé de visibilité au sein de l’organisation.

[51]           Comme le défendeur a noté dans son Mémoire des arguments additionnels, monsieur MJS a lui-même expliqué dans le passage suivant de son témoignage, l’importance de son travail de recrutement des [personnes de son ethnie] pour le [Groupe] :

Voilà. Je vais vous renvoyer dans mon Formulaire de renseignements personnels additionnels encore. La raison primordiale, pendant les négociations, les [personnes de son ethnie] ont reproché au [Groupe] d’être un membre monoethnique qui n’a aucune autre vision que combattre les [personnes de l’ethnie minoritaire].

 

Alors ça de, ça avait un poids au niveau de la politique parce que dans les négociations, il fallait disc…discrédibiliser le [Groupe] et pour que le [Groupe] retrouve cette crédibilité, il fallait que son mouvement parvienne à prouver que non, nous notre mo… notre motif n’est pas de combattre les [personnes de l’ethnie minoritaire], c’est de combattre l’injustice.

 

La preuve en est que nous avons même des membres [de l’ethnie minoritaire] dans notre mouvement.  C’était là, la raison principale pour le [Groupe] d’avoir des membres [de l’ethnie minoritaire].  (DCT, à la p 1226)

 

[52]           À la lumière de cette preuve, et des explications fournies par le Tribunal, j’estime que sa conclusion quant au rôle important que monsieur MJS a joué au sein du [Groupe] n’était pas déraisonnable.  Contrairement aux allégations de monsieur MJS, le Tribunal n’était pas obligé de déterminer qu’il occupait un poste de dirigeant au sein du [Groupe], ou qu’il était aux échelons supérieurs de l’organisation afin de conclure qu’il était complice des atrocités commises par cette organisation (Ishaku c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 44, au para 62; Justino, précité, au para 10).

[53]           En passant, je constate que les observations du Tribunal à propos du rôle des [personnes de l’ethnie minoritaire] au sein du [Groupe] ont répondu aux commentaires du juge Noël à ce sujet relativement à la première décision du Tribunal qu’il a cassée (JMS, précité, au para 21). Ces observations, ainsi que la possibilité que des [membres de l’ethnie minoritaire], comme monsieur MJS, aient un poste important au sein du [Groupe], sont bien appuyées par le témoignage de monsieur MJS lui-même (voir, par exemple, DCT, aux pp 1243 - 1245). 

[54]           Bien que le témoignage de monsieur MJS au sujet de l’importance des [intellectuels de son ethnie] au sein du [Groupe] n’a pas été mentionné par le Tribunal dans sa décision, la Cour Suprême du Canada a clarifié après le jugement rendu par le juge Noël, qu’en déterminant si une décision d’un Tribunal est raisonnable, une Cour qui fait un contrôle judiciaire peut considérer la preuve dans le DCT (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 15).  La Cour Suprême a aussi précisé que les motifs seront adéquats « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, précité, au para 16). À la lumière des commentaires du Tribunal ainsi que de la preuve au dossier, j’estime que la décision du Tribunal en ce qui concerne ce point n’était pas déraisonnable.

[55]            Après avoir conclu que monsieur MJS jouait un rôle important au sein du [Groupe], et qu’il occupait un poste de confiance au sein de cette organisation, le Tribunal a mentionné deux autres choses qui ont renforcé sa conclusion, notamment, (i) les contacts de niveau supérieur de monsieur MJS avec le gouvernement dirigé par [le Groupe] après 2003, et (ii) le fait que monsieur MJS prévoyait obtenir un poste de niveau élevé au gouvernement, une fois que celui-ci serait formé.

[56]           Monsieur MJS reconnaît qu’il espérait avoir un poste élevé dans le gouvernement que le [Groupe] a formé après 2003. Mais il soutient que ceci ne signifie pas qu’il occupait un poste important au [Groupe] avant 2003. Il ajoute que le fait qu’il a obtenu un rendez-vous avec le président du [Groupe] après les élections n’implique pas qu’il occupait un poste important au sein de cette organisation, puisqu’il a utilisé sa carte professionnelle [. . .], qui n’avait rien à voir avec l’organisation, pour demander et obtenir cette audience.

[57]           À mon avis, compte tenu de toutes les circonstances, les observations du Tribunal sur ces deux points n’étaient pas déraisonnables. De toute façon, ces observations ont été faites après que le Tribunal eût rendu sa conclusion à propos de l’importance du rôle de monsieur MJS dans le [Groupe], et ont été faites simplement pour renforcer cette conclusion.

iii) Connaissance des atrocités

[58]           En ce qui concerne sa connaissance des atrocités, monsieur MJS soutient que le Tribunal était obligé d’établir un dessein commun entre lui et ceux qui commettaient les atrocités, faute de quoi l’élément de mens rea n’est pas respecté.

[59]           Comme mentionné au  sous-paragraphe 18(iv) ci-dessus, pour déterminer qu’une personne était complice d’un crime contre l’humanité commis par d’autres, la question clé à trancher est de savoir si la personne a eu une « participation personnelle et consciente » dans les crimes ou si elle les a tolérés (je souligne) (Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CA), aux pp 316-317; Sivakumar, précité, aux pp 438 et 442; Ezokola, précité, aux paras 52-58).

[60]           Or, la participation personnelle dans un crime peut être établie en démontrant l’existence d’une intention commune (Ezokola, précité, au para 53; Moreno c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 298 (CA), à la p 323; Sivakumar, précité, aux pp 438-439).

[61]           À son tour, une intention commune peut être établie de différentes manières, y compris en démontrant qu’une personne (i) est membre d’une organisation qui a commis le crime, (ii) avait connaissance de la commission du crime, (iii) a appuyé activement l’organisation, et (iv) n’a pas pris des mesures pour empêcher la commission du crime (dans le cas où la personne avait le pouvoir de le faire) ni quitté le groupe à la première occasion, compte tenu de sa propre sécurité (Penate c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 79, au para 6).

[62]           Comme il a été mentionné ci-dessus, monsieur MJS a témoigné qu’il est devenu membre « efficace » du [Groupe] de façon volontaire. Comme le Tribunal a noté aux paragraphes 27, 30 et 34 de sa décision, monsieur MJS a aussi témoigné qu’il était au courant des atrocités commises par le [Groupe]. Ces observations sont bien fondées dans le DCT. Par exemple, dans son FRP, il a avoué qu’il a :

… défendu le recours à la lutte armée [du Groupe] en enseignant à la population les objectifs de ce mouvement et les raisons valables de son existence [sic], en recrutant des nouveaux adhérents [sic] et collectant des cotisations.

 

[63]           Monsieur MJS a aussi répondu « oui »  aux questions suivantes dans son FRP :

Avez [vous] déjà eu recours, planifié d’avoir recours ou défendu le recours à la lutte armée ou à la violence afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux, ou idéologique?

 

Avez [vous] déjà été associé ou appartenu à un groupe qui a ou a eu recours à la lutte armée ou à la violence afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux or idéologiques, ou qui les défend ou les a défendus?

 

[64]           Dans son témoignage, monsieur MJS a admis qu’il avait connaissance non seulement des crimes commis par le [Groupe] (voir, par exemple, DCT aux pp 1212-1215), mais aussi qu’il avait connaissance de la préparation de ces crimes (DCT, aux pp 1192 et 1263).

[65]           En ce qui concerne son appui du [Groupe], il a reconnu avoir défendu les buts de cette organisation et avoir expliqué aux [personnes de son ethnie] qu’il tentait de recruter que les crimes commis par celle-ci pouvaient être tolérés (DCT, à la p 1236).

[66]            D’ailleurs, monsieur MJS reconnaît aussi que les atrocités identifiées dans la décision du Tribunal constituent des crimes contre l’humanité (DCT, aux pp 1212 et 1228).

[67]           Monsieur MJS suggère qu’il n’a pas pu avoir une intention commune avec le [Groupe] par rapport aux atrocités commises par ce groupe puisqu’il a mobilisé la communauté internationale contre ces atrocités, condamné ces atrocités après l’accession au pouvoir du [Groupe], et refusé beaucoup de faveurs qui lui ont été offertes par le [Groupe]. Pourtant, il y a très peu de preuve au dossier qui démontre que monsieur MJS a exercé ces activités dénonciatrices durant la période qu’il est considéré avoir été complice des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par le [Groupe], soit, entre 1999 et 2003. Selon son FRP et son propre témoignage, il a exercé ces activités après 2005. Je reconnais que monsieur MJS a indiqué dans son FRP qu’il a été une personne de référence pour l’organisme « Human Rights Watch » de 2001 à 2003. Néanmoins, le Tribunal pouvait raisonnablement ne pas aborder explicitement ce fait dans sa décision (Newfoundland Nurses, précité, au para 16; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au para 3 [Driver Iron]), compte tenu du fait que son rôle comme personne de référence n’a pas été élaboré.

[68]           Monsieur MJS affirme aussi que la preuve au dossier démontre qu’il continuait à travailler avec les services secrets du pays pour arrêter les atrocités commises par le [Groupe]. À mon avis, il n’était pas déraisonnable que le Tribunal détermine implicitement que même si cela était le but ultime de monsieur MJS, qu’il y avait des raisons sérieuses de croire que MJS était néanmoins complice de ces atrocités, à la lumière de tous les facteurs de complicité qui ont été considérés par le Tribunal dans sa décision. Donc, le Tribunal n’était pas obligé d’aborder explicitement ce point (Newfoundland Nurses, précité, au para 16; Driver Iron, précité). 

iv) Possibilité de quitter l’organisation

[69]           Par rapport à la possibilité de quitter le [Groupe], monsieur MJS soutient qu’il n’avait aucun moyen de se retirer de l’organisation sous peine de mettre sa vie et celle de sa famille en danger. À l’appui de cette position, il souligne qu’au moment de son adhésion au [Groupe], il a dû remplir un formulaire de quatre pages d’informations personnelles qui pourraient être utilisées pour le trouver et pour exercer des représailles contre lui et des membres de sa famille. Il note aussi avoir déclaré dans son FRP qu’il n’avait aucun moyen de se retirer du [Groupe] sans mettre sa vie et celle de sa famille en danger et qu’on lui a fait comprendre qu’il serait tué s’il essayait de quitter l’organisation. Il ajoute qu’il a tenté de quitter l’organisation à maintes reprises, mais en vain, puisque les dangers étaient nombreux. Il note aussi qu’il a dit dans son FRP supplémentaire que la majorité des membres de l’organisation qui ont refusé de continuer à travailler pour l’organisation ont été enlevés de leur domicile, torturés et même exécutés.

[70]           Dans sa décision, le Tribunal a reconnu qu’en général, le fait de se séparer du [Groupe] ou de [l’Agence] pouvait exposer monsieur MJS et les membres de sa famille à un préjudice. Cependant, le Tribunal a tenu compte qu’après avoir été nommé [à un certain poste], quand il aurait pu légitimement quitter l’organisation, monsieur MJS a maintenu son adhésion au [Groupe] de façon clandestine. De plus, le Tribunal a constaté qu’aucun élément de preuve documentaire n’a été présenté pour justifier que d’autres personnes tentant de quitter le [Groupe] ou [l’Agence] avaient été victimes de menaces et de préjudices. À la lumière de la preuve, le Tribunal a conclu que monsieur MJS n’a pas clairement démontré qu’il ne pouvait pas quitter le [Groupe], et qu’il aurait pu déployer des efforts afin de partir à tout moment. 

[71]           À mon avis, la décision du Tribunal sur ce point n’était pas déraisonnable. En fait, elle est entièrement conforme avec la preuve selon laquelle monsieur MJS s’est joint au [Groupe] de façon volontaire et qu’il espérait recevoir un poste important une fois que cette organisation soit au pouvoir, après les élections. Il incombait à monsieur MJS de démontrer qu’il était exposé à un péril corporel imminent à tout moment pendant la période où il était membre volontaire du [Groupe] (Oberlander, précité, au para 25). Pour les raisons évoquées ci-dessus, il n’était pas déraisonnable de la part du Tribunal de conclure que monsieur MJS n’avait pas rencontré ce fardeau.

v) Durée de la participation

[72]           Quant au temps passé avec le [Groupe], monsieur MJS soutient que le Tribunal a commis une erreur quand il a dit que monsieur MJS était resté avec l’organisation jusqu’à son départ du pays, en 2008.

[73]           À mon avis, cette erreur est mineure. Je suis convaincu qu’elle n’a eu aucun effet sur la conclusion du Tribunal par rapport à la complicité de monsieur MJS par rapport aux atrocités commises par le [Groupe] pendant la période de 1999, lorsque monsieur MJS est devenu membre « efficace » et volontaire de l’organisation, à 2003, [. . .]. D’ailleurs, j’observe que le Tribunal a correctement identifié cette période de 1999 à 2003 aux paragraphes 9 et 27 de sa décision.

 

 

 

 

 


Conclusion par rapport à l’analyse du Tribunal de la preuve et des critères de complicité

[74]           Pour les raisons énoncées ci-dessus, l’analyse du Tribunal de chacun des critères de complicité, ainsi que de l’ensemble de ces critères, a une assise raisonnable (Alberta Teachers, précité, au para 53; Halifax (Regional Municipality) c Nova Scotia (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au para 45, [2012] 1 RCS 364 [Halifax]). Dans chaque instance, et en général, cette analyse s’appuie sur un motif rationnel (Halifax, précité, aux paras 47-48).

[75]           À mon avis, la conclusion du Tribunal que monsieur MJS était complice des atrocités commises par le [Groupe] se trouve parmi les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et était suffisamment justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, au para 47).

[76]           Vu les faits particuliers en l’espèce, rien ne dépend du fait que le Tribunal n’ait pas énoncé sa conclusion quant au fait qu’il y ait « des raisons sérieuses de penser », dans le sens prévu par l’article 33 de la Loi, que monsieur MJS était complice des atrocités commises par le [Groupe]. Il était donc possible que le Tribunal énonce sa conclusion en fonction des facteurs de complicité, qui en l’espèce, indiquent raisonnablement que monsieur MJS était complice des crimes commis par le [Groupe].

V.        CONCLUSION

[77]           Pour les raisons ci-dessus, le Tribunal :

i.        n’a pas utilisé le mauvais test pour juger la complicité de monsieur MJS dans les crimes contre l’humanité ainsi que les crimes de guerre commis par le [Groupe] entre 1999 et 2003;

ii.      n’était pas obligé d’établir ou d’identifier un lien entre monsieur MJS et les crimes spécifiques que le [Groupe] a commis;

iii.    n’a pas fait une analyse déraisonnable d’aucun des critères de complicité dans la jurisprudence et n’est pas arrivé à une conclusion déraisonnable quant à la complicité de monsieur MJS dans les crimes prévus par l’article 98 de la Loi. 

[78]           Donc, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.




JUGEMENT

LA COUR STATUE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                                                                                            « Paul S. Crampton »

Juge en chef


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        [. . .]

 

INTITULÉ :                                      « MONSIEUR MJS » c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PUBLICS:          LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Monsieur MJS

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Philippe Alma

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.